1. Formulation de la question de départ
1.1 La situation de départ
Stage de psychiatrie de deuxième année en CMP.
Nous accueillons M. R, 30 ans. Il est suivi pour schizophrénie depuis
quelques années et bénéficiait jusqu'alors d'un traitement
oral. Suite à une décompensation de sa maladie à type
d'hallucinations, un traitement injectable a été
mis-en-place ; il s'agit du risperdal®, à raison d'une
injection intramusculaire tous les quinze jours. M. R. a rendez-vous
aujourd'hui pour sa deuxième administration de neuroleptique à
action prolongée, la première ayant été faite lors
d'une hospitalisation.
Les infirmières me présentent la situation.
Elles me précisent que cette première injection en CMP est
très importante ; d'une part, elle peut permettre d'établir
une relation de confiance entre le patient et l'infirmière ;
d'autre part elles m'expliquent que les soins invasifs chez les personnes
atteintes de psychose révèlent parfois une dimension
particulière chez eux ; en effet, ils peuvent-être
vécus très difficilement compte tenu du rapport au corps
singulier qu'implique cette maladie.
J'accueille M. R. avec une des infirmières dans la
salle de soins et l'invite à s'asseoir sur la table d'examen. Il
préfère rester debout. Je me présente et lui explique en
quoi va consister le soin, après qu'il eût accepté que ce
soit moi qui lui prodigue. Je le sens tendu et timide. Nous discutons un peu de
ce nouveau traitement pendant la prise de paramètres ; je
m'enquiers de l'apparition ou non d'effets secondaires suite à sa
première injection. Il me précise qu'il n'en a
décelé aucun et que la première injection l'avait
soulagé. L'injection de risperdal® nécessitant une
préparation particulière (seringue spéciale livrée
dans un kit), je me « concentre » sur cette manipulation ;
l'infirmière reste à mes côtés et converse avec le
patient. Elle me dira plus tard qu'il n'est pas bon de laisser le patient
« seul » face à ses angoisses dans ses
moments-là, qu'il faut essayer de le rassurer le plus possible.
Ma seringue prête, je propose à M. R. de
s'installer à plat ventre sur la table d'examen et de baisser un peu son
pantalon. L'infirmière lui conseille de croiser les bras sous le menton
et de se détendre. Elle m'expliquera par la suite que cette position
permet au patient d'être plus décontracté. Pendant qu'elle
lui parle, je procède à l'injection, en ayant pris soin de le
prévenir au moment de la piqure. Je retire l'aiguille d'un geste rapide,
désinfecte le site de ponction et applique le pansement. Suite à
cela, je demande à M. R. comment il a vécu ce soin. Il me
répond qu'il n'a pas ressenti de douleur et que ça s'est
très bien passé pour lui.
Nous le raccompagnons avec l'infirmière dans le bureau
afin de noter le prochain rendez-vous. Nous lui précisons les horaires
d'ouverture du CMP et lui rappelons que nous sommes à sa disposition
pour tout renseignement ou conseil dont il pourrait avoir besoin.
M. R. reviendra quinze jours plus tard pour l'injection
suivante que je réaliserai seule. La discussion lors du soin sera plus
longue et nous aborderons ses difficultés personnelles.
1.2 De la situation de départ à la
question de départ
A la suite de ce stage, je gardais cette situation en
tête pour plusieurs raisons. Le commentaire des infirmières
concernant « le corps du psychotique » m'avait
tout d'abord interpellé. De quoi parlaient-elles exactement ? Nous
l'avions à peine évoqué en cours, mais j'en avais
déjà souvent entendu parler dans la littérature. Quelques
recherches complémentaires à ce sujet ne firent que confirmer la
récurrence de cette particularité chez les patients atteints de
psychoses, et tout particulièrement atteints de
schizophrénies.
Plus tard au cours de ce même stage, un autre patient
schizophrène refusa que je lui prodigue l'injection de neuroleptique, et
je me demandais alors pourquoi l'un avait accepté et pas l'autre.
L'injection intramusculaire avait-elle un sens particulier pour ce
patient ? Avait-il eu peur d'avoir mal ? De se dévêtir
devant une étudiante par exemple ? Ce refus était-il en rapport
avec la pathologie dont il était atteint ? Je me
demandais alors : l'injection intramusculaire se pratique-t-elle de la
même manière chez un patient atteint de schizophrénie ou un
patient « indemne » de cette maladie ?
Je me questionnais également à propos du CMP.
Favorise t-il l'acceptation de ce soin ? Ce dernier est-il plus difficile
à pratiquer en hôpital ? La phase d'état de la maladie
a-t'elle une incidence sur la prise en charge ?
Enfin, je cherchais à comprendre ce qui avait fait que
ce soin s'était déroulé sans difficulté
particulière (si ce n'est la mienne durant la préparation du
Risperdal !).
A ce stade de réflexion, mon analyse de la situation
est plutôt « naïve » : certes,
l'infirmière était là pour rassurer le patient, mais
« Je » piquais et cette partie du soin me paraissait la
plus compliquée et la plus importante ; le soin devait s'être bien
passé car ce patient en l'occurrence ne présentait pas de
troubles corporels et était stabilisé sur le plan du
délire ; le patient était revenu pour l'injection suivante
et se confia alors à moi. J'avais « réussi »
le soin !
Aujourd'hui, grâce aux recherches des pôles
théoriques et empiriques, à mon évolution professionnelle,
mon analyse a changée. Si l'infirmière n'avait pas
été à mes côté ce jour là, pour
rassurer le patient, pour lui parler, pour le décontracter, aurais-je
seulement pu lui administrer l'injection ? Serait-il revenu ?
Peut-être que ce patient avait des troubles corporels que je n'avais pas
vus mais que l'infirmière avait détectés, et de ce fait
peut-être avait-elle plus particulièrement rassuré ce
patient car elle avait senti que cela était nécessaire...
Au travers des pôles théorique et empirique, je
vais donc essayer d'exposer les éléments qui m'ont permis d'avoir
cette analyse différente de la situation.
Partant des éléments de la situation de
départ, je fis dans un premier temps quelques recherches qui me
permirent de cibler une question de départ. Je choisis de porter mon
attention sur ce « corps du psychotique » que je souhaitais
mieux comprendre. Je ciblais plus particulièrement les patients atteints
de schizophrénie chez qui les troubles corporels, comme je l'ai
déjà dit plus haut, semblent très «
présents ». Je souhaitais également comprendre en quoi
une injection intramusculaire peut révéler une dimension
particulière chez ces patients ; le lien geste invasif-corps
m'intéressait tout particulièrement, et de plus c'est un soin
très souvent pratiqué en psychiatrie. Après mûres
réflexions, je choisis de cibler l'injection de neuroleptique, que ce
soit à action immédiate ou retardée ; en effet, ceci
me permettrait de comparer des situations de crise (action immédiate),
et des situations où les patients sont stabilisés (action
retardée). Enfin, je souhaitais comprendre ce que fait l'infirmier de
tous ces éléments réunis ; en tient-il compte ?
Si oui, comment ? Développe-t-il des stratégies
particulières ?
Je me posais alors cette question :
En quoi les troubles corporels du schizophrène
peuvent influencer le rôle infirmier lors d'une injection de
neuroleptique ?
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