CHAPITRE II. QUELQUES CONSIDÉRATIONS
SUR L'HISTOIRE GÉNÉRALE DU PALUDISME
Le paludisme est présent dans l'histoire de
l'humanité et affecte tous les continents. Il a en outre
été la cause d'une mortalité excessive.
Cependant, faute de nombreux documents historiques, il est
difficile d'attribuer avec une grande certitude au paludisme telle ou telle
grande épidémie de fièvres passées, mais on a pu
reconnaitre nombre d'épidémies palustres qui laissent croire que
cette maladie est aussi vieille que l'humanité82. Elle s'est
déclarée dans presque toutes les régions du monde depuis
les temps les plus reculés et continue de sévir dans certaines
parties du monde83.
En effet, les premières descriptions de cas des
fièvres palustres remontent déjà vers l'antiquité.
On trouve ainsi des références sur cette maladie dès 2.700
avant Jésus-Christ, dans les écrits des anciennes civilisations
égyptiennes et chinoises. De même, dans les textes sacrés
de la civilisation indienne (Veda) vers le Ve siècle avant
J-C, on retrouve les différentes descriptions imputables aux
fièvres paludiques : piqûre de moustiques, fièvres
intermittentes des terres humides ou inondées (palus, marais), et des
régions où l'air est vicié (mal' aria).84
Déjà à cette époque, ils établissent un
rapport entre les épidémies de fièvres et la saison de
pluies.
Dès le IIe siècle, cette maladie a
été également évoquée par les Grecs et les
Romains, qui firent déjà la relation entre la présence des
fièvres et la proximité des marécages, et dont les
symptômes ont été décrits par le médecin
Hippocrate dans les premiers livres de ses «
épidémies » où il fait mention des
fièvres intermittentes sévissant dans les
82DESOWITZ, R.S., The malaria capers, article
tit2 du site web
http://archive.idrc.ca/books/reports/1996/01-05.html.
Selon cet auteur le paludisme aurait existé depuis l'apparition de
l'écriture (soit vers 6000 ou 5500 av. J.C. D'autres chercheurs pensent
que le paludisme affecte les êtres humains depuis plus de 50.000 ans, cfr
Paludisme in wikipédia,
http://fr.wikipedia.org/wiki/paludisme,
consulté le 30/01/2011
83 DURIEZ, R., « Le paludisme », dans Encyclopedia
Universalis, Corpus 13, p. 1001
84 Encarta "paludisme." Microsoft® Encarta® 2009 [DVD].
Microsoft Corporation, 2008.
milieux humides et provoquant des frissons et des
températures corporelles très élevées85.
En janvier 2010, « une équipe de scientifiques égyptiens
et américains ont prouvé, par l'analyse de l'ADN, que
Toutankhamon était atteint de paludisme au moment de son
décès vers 1327 avant J-C ».86
Toutefois, il convient de signaler que l'histoire du paludisme
est le plus souvent liée à la chronique militaire des
nations87. En effet, cette maladie a lourdement pesé sur le
sort des campagnes militaires dans le monde88, on signale quelques
cas de paludisme qui auraient causé d'énormes dégâts
lors des campagnes gauloises menées contre Rome. Au Moyen-Âge,
cette même maladie avait causé de nombreuses pertes en vies
humaines lors des expéditions italiennes de l'empereur Lothaire et de
Frédéric Barberousse89. Au XVIe siècle, Charles
Quint voulant combattre le sultan Soliman le Magnifique, sort victorieux
à Tunis, mais à Alger, ses troupes sont décimées
par la maladie90. On la retrouve également au XIXe
siècle en Amérique pendant la guerre de sécession
(1861-1865) où la moitié des troupes et la plupart des soldats
noirs de l'Union contractaient le paludisme annuellement.
Cette maladie exerça également ses ravages au
cours des conquêtes et expéditions coloniales en Asie, en
Amérique, et particulièrement en Afrique où les
différents récits des explorateurs, des voyageurs, missionnaires
et agents commerciaux concordent pour attribuer au paludisme la cause de leurs
échecs et pertes impressionnantes91. Tel fut le cas lors de
la campagne d'Algérie menée par les troupes françaises
où un soldat sur quatre mourut de la fièvre palustre, la
conquête de Madagascar, considérée comme une
85 Encarta, Art. cit.
86 HAWASS, Z., « Ancestry and pathology in King
Tutankhamen's family », in Jama, vol. 17, n° 307, 2010, pp.
638-647.
87 ODIKA, M., Paludisme : maladie parasitaire au très
lourd passé militaire. Articlé tiré du site web :
http://www.lenouvelobservateur/santé
publique.com
88 PAGES, F., Le Paludisme, Coll. Que sais-je? Paris,
PUF, 1953, p. 7.
89 Ibidem
90 DEBACKER, J-M., Op. cit, p.25
91 WERY, M. et JANSSENS, P.G., « Paludisme », in
Hygiène et Médecine tropicale en Afrique Centrale de
1885 à nos jours, vol. II, Bruxelles,
Fondation Roi Baudouin, 1992, p. 1239 ; L'historien CURTIN, P.D. y a
consacré une étude approfondie dans son livre Death by
migration. Europe's encounter with the tropical world in the nineteenth
century, Cambridge, Cambridge University press, 1989.
promenade militaire, fut un désastre
sanitaire92, où les troupes françaises perdirent un
tiers de leurs effectifs, soit 4.614 morts causés par la
malaria93. Lors des constructions du Canal de Suez, du Canal de
Panama on dénombra près de 5.527 morts parmi les travailleurs
français ou antillais94, de même que les constructions
des voies ferrées en Afrique et en Asie furent ralenties à cause
du nombre des dégâts que le paludisme avait causé dans les
rangs des travailleurs95. Pendant la Première Guerre
Mondiale, dans l'armée française d'Orient, le paludisme toucha la
moitié des effectifs et nécessita le rapatriement d'au moins
20.000 soldats96. Lors de la Deuxième Guerre Mondiale,
près d'un demi-million de soldats américains furent
hospitalisés à cause du paludisme97.
Signalons également que le paludisme a joué un
rôle important dans la mortalité excessive des différents
explorateurs qui avaient osé pénétrer dans une Afrique,
considérée comme le tombeau de l'homme blanc. C'est ainsi que
l'on retrouve quelques instructions octroyées par certains explorateurs
qui avaient déjà subi les conséquences désastreuses
de la maladie. Il s'agit notamment des instructions de l'Amirauté Lord
John Barrow, fondateur de la Royal geographical «(...) éviter
de passer la nuit près des endroits marécageux. Vous
empêcherez que les hommes ne soient trop exposés au soleil pendant
la grande chaleur, non plus qu'aux pluies lourdes et orageuses. Vous ne
permettez jamais { personne de dormir en plein air(...)
»98. Malgré cette instruction, l'équipe du
capitaine James Kensington Tuckey de la Royal Navy, qui s'était
engagée le 9 août 1816, en remontant le fleuve Congo est
décimée aux environs d'Isangila le 9 septembre 1916, en proie
à des maux étranges, ils doivent tourner sur leurs pas
...tenaillés par les fièvres. Dans des hamacs portés par
des indigènes, des moribonds...plusieurs morts le 15 septembre. Un
désastre. Au total : vingt-et-un morts!99
92 SEIGNEURIE, C., CAMARA, B. et alii, Du Quinquina et des
Hommes, Médecine tropicale, 2008, p. 462.
93 Maladie : l'arme la plus meurtrière, article
tiré du site web
http://www.Net4war.com
94 DEBACKER, M., Op. Cit, p. 26.
95 PAGES, Op. Cit, p. 8.
96 Ibidem.
97 Idem, p.7.
98 CORNET, R.J., Médecine et exploration.
Premiers contacts de quelques explorateurs de l'Afrique centrale avec les
maladies tropicales, Bruxelles, ARSOM, 1970, p. 12.
99 Ibidem.
Notons par ailleurs, que certains faits rapportés par
l'aide-chirurgien MacKerrow constituent des éléments importants
pour l'histoire de la médecine tropicale : « Quoique la plupart
aient été emportés par une fièvre intermittente qui
se déclara avec la plus grande violence, quelques-uns n'eurent d'autre
mal que celui qui résulte d'une extrême fatigue, et ils moururent
d'épuisement. Cependant, le plus grand nombre des gens de
l'équipage fut attaqué de la fièvre, et il en mourut
plusieurs qui étaient restés à bord du « Congo
», en deçà des cataractes.
(...) La fièvre, écrit MacKerrow (...)
commençait généralement par des frissons auxquels
succédaient de violents maux de tête qui se portaient
principalement sur les tempes et sur le front. Dans quelques cas, des douleurs
dans les reins et dans les extrémités inférieures, de
fortes oppressions de poitrine et des vomissements bilieux qui semblaient faire
souffrir extrêmement les malades ; mais en général, lorsque
le mal de tête était très violent, les symptômes
gastriques étaient plus doux et vice versa, quoique j'aie pourtant
quelques exemples contraires(...). Beaucoup d'affaiblissement et
d'inquiétude, les yeux toujours humides, quoique dans quelques-uns la
conjonctivite fut d'un lustre perlé ; la langue d'abord blanche et unie,
ayant une espèce de tremblement convulsif lorsqu'on la sortait et
devenait bientôt jaune et brune, et, dans la dernière
période, couverte d'une croûte noire. Quelquefois la figure
était rouge et animée ; plus souvent elle était pâle
et les joues creuses et enfoncées. Quelques malades avaient la peau
sèche et rude et le pouls dur et fréquent ; d'autres avaient une
transpiration pâteuse. Une suffusion jaune se manifesta chez plusieurs,
depuis le troisième jusqu'au sixième ou septième jour
(...) Le hoquet était un symptôme commun et alarmant.
Quelques-unes des personnes qui furent attaquées de cette horrible
maladie, moururent dès le troisième ou le quatrième jour ;
d'autres languirent jusqu'au vingtième(...) On attribua cette terrible
fièvre soit { la fièvre jaune, fièvre typhoïde, soit
{ la malaria tropicale (paludisme). En conclusion, c'est le paludisme qui est
le plus vraisemblable du point de vue
épidémiologique100.
Les explorateurs anglais Richard Francis Burton et John Hanning
Speke quidécouvrirent le 13 février 1858 le lac
Tanganyika eurent surtout à souffrir de cette
maladie, alors mystérieuse en 1858. Pour lutter contre
la malaria, les deux explorateurs prirent de la quinine101. Le Dr
David Livingstone pour sa part a eu en six mois six
attaques de malaria et il est miné par la dysenterie :
c'est « un squelette couvert de haillons » qui entre à
Saint-Paul de Loanda » 102.
100 Idem, p. 20.
101 Idem, p. 21.
102 Idem, p. 27.
Comme nous l'avons dit précédemment, le
paludisme a été vécu comme une maladie redoutée et
redoutable, traumatisante et très mortelles pour les Européens.
L'explorateur Henri Morton Stanley, qui en a souffert, pendant un mois, du 5
mai au 4 juin 1882, à la Station de Manyanga dans les Cataractes au
Bas-Congo, nous laisse une description vivante de différents
symptômes qu'il a ressentis et des conséquences de cette maladie
sur son oeuvre d'occupation coloniale :
« (...) Le premier jour, toutefois,
la maladie ne me tourmenta pas assez pour m'empêcher d'assister { une
importante palabre(...). Le 6 mai, ma fièvre reparut, plus intense. Je
dus m'aliter et les chefs indigènes retournèrent à leurs
villages, sans avoir pu avoir avec moi la grande entrevue projetée. Ce
fut pis encore le lendemain. La maladie s'accentua considérablement. Et
pourtant, elle ne m'effrayait pas encore. Ma santé n'avait pas subi un
seul accroc depuis près de douze mois ; je n'attachais pas grande
importance { cette indisposition qui me paraissait devoir être
passagère et, { vrai dire, j'étais plutôt
exaspéré d'avoir { me reposer en un moment si défavorable
qu'alarmé des progrès persistants du mal. Le jour suivant,
toutefois, l'inquiétude commença { s'emparer de moi, car la
fièvre progressait violemment, en dépit des nombreux
médicaments que j'absorbais. Le 9 mai, des nausées se
produisirent durant toute la journée, je me sentis consumé par un
feu qui envahissait peu à peu tout mon être. Ma tente
était-elle dressée trop près de la terrasse ? Je le
supposai. Aussi la fis-je transporter sur le sommet d'une hauteur qui
s'élevait { quatre-vingt-cinq mètres au-dessus du fleuve et
surplombait notre camp. La fièvre n'en continua pas moins { m'accabler
jusque dans la matinée du huitième jour. Elle me laissa alors un
instant de répit dont je profitai pour m'administrer vingt grains de
quinine, dissous dans l'acide hydro-bromique et que l'estomac conserva fort
heureusement. Cette puissante médication eut pour effet de me troubler
la cervelle et de jeter le désordre dans mes idées.
En retrouvant ma lucidité, j'éprouvai une
grande faiblesse. Mais craignant une nouvelle rechute, j'absorbai avidement
trente grains de quinine préparés comme la première fois.
Il était temps, car je ne tardai pas à perdre de nouveau la
notion de ce qui se passait autour de moi et à tomber dans l'abime du
rêve. Pendant six longs jours, la fièvre se maintint au même
degré. Toutes les vingt-quatre heures se produisait une courte accalmie
pendant laquelle je voyais et entendais clairement ce qui se faisait et se
disait autour de moi. Mais ces trêves étaient de si courte
durée qu'elles ne me donnaient pas le temps de me recueillir. Je me
réveillais juste assez pour sentir que j'étais très
malade, extrêmement faible, presque seul sur le sommet de la montagne,
n'ayant pour me soigner que le petit Mabrouki, Doualla et le capitaine
Braconnier qui venait une fois par jour recommander quelque nouveau
remède, notamment l'augmentation des doses de quinine-unique
moyen de salut, selon lui. Mais le quatorzième
jour, je me sentais tellement épuisé qu'il m'était
impossible de lever les bras ou de me mettre sur mon séant sans le
secours d'autrui. Je restais l{ sans force et sans nerfs, et quand je voulais
me mouvoir ou me soulever, je devais m'adresser aux jeunes nègres dont
je craignais de lasser à la longue le dévouement. Après
chaque dose de quinine, portée désormais { cinquante grains, je
sentais mon cerveau battre sur l'oreiller avec bruit de tambour, et, peu
à peu, je retombais dans l'inconscience et dans l'oubli du mal qui me
dévorait.
Le 20 mai, vers sept heures du matin, la maladie parut
atteindre son apogée. Subitement réveillé, je ne me fus
pas plutôt rendu compte de ma situation, qu'un sombre pressentiment
m'assaillit. La crise était venue, la mort ne pouvait être loin.
Alors voulant rendre les derniers devoirs de l'amitié { tout le
personnel, je priai Mabrouti d'aller appeler tout mon monde, Européens
et Zanzibarites. Il partit. Pendant son absence, Doualla me versa dans la
bouche soixante grains de quinine dissous dans du vin de Madère et de
l'acide hydrobromique, car j'étais complètement hors
d'état de porter moi-même le verre à mes lèvres.
Prompt comme la foudre, ce violent breuvage répand son feu dans tout mon
être ; mes idées se brouillent, un engourdissement profond
commence { m'envahir, je supplie Doualla d'aller dire { tous mes amis de se
hâter, d'arriver avant qu'il ne soit trop tard. Quelques instants
après, des bruits de pas se font entendre de tous côtés. On
soulève les rideaux de ma tente. Je distingue, dans un rayon de soleil
qui me paraît froid et blafard, les silhouettes des hommes assis en
demi-cercle devant moi. Mes camarades européens se placent au pied du
lit. Et, voulant leur indiquer ce qu'ils auront { faire quand je ne serai plus,
je lutte pour rassembler mes idées qui s'égarent. Il y a dans mon
cerveau comme un violent combat entre les préoccupations de la mort et
le désir d'articuler quelques paroles intelligibles. Il me semble
discerner dans l'éloignement une grande lumière blanche dont
l'attirant éclat me distrait en dépit de mes efforts pour
concentrer toute mon attention sur les amis assemblés devant la tente.
Et mes lèvres se refusent à prononcer les mots que je cherche
à faire entendre.
- Regardez-moi, Albert, m'écriai-je brusquement.
Restez immobile et tenez les yeux fixés sur moi, car j'ai quelque chose
{ vous dire -.
Le jeune marin, dont la main pressait la mienne, riva son
regard sur le mien pour me permettre de vaincre l'oppression qui me paralysait.
Enfin, après un effort, je triomphe, mes lèvres formulent
nettement la phrase voulue et il en résulte pour moi un tel soulagement
que ce cri s'échappe de bouche : « sauvé ! ». Puis un
nuage noir paraît fondre sur ma tête, la perception des choses
s'évanouit, une syncope de plusieurs heures détruit toute
espèce de sensation. Quand j'ouvris les yeux, le jour suivant, j'appris
que j'étais resté pendant vingt-quatre heures dans la même
position. Toute ma personne était courbaturée et affectée
comme un tremblement sénile. Mais je ne m'en
préoccupai pas autrement. A peine
réveillé, j'éprouvai le désir de manger ainsi
qu'une sorte d'aversion pour toute espèce de médicaments. Mon
état s'était-il amélioré ? Je l'ignorai ; mais,
résigné { l'inévitable, renonçant { lutter contre
la fièvre, j'étais décidé { me passer la fantaisie
de manger, et l'étonnement du jeune Mabrouki fut grand quand je lui
demandai de la soupe. Le capitaine Braconnier, que je fis appeler par le petit
garde-malade, déféra à mon désir et aida même
Mabrouki à préparer le potage. Une heure après, je
redemandai à manger et devins tout à fait vorace. Le capitaine me
conseilla de la prudence ; mais Doualla et Mabrouki ne tinrent pas compte de
cette recommandation. Pervers jeunes gens !...Ils introduisirent, en fraude,
dans ma tente des espèces de petites friandises qu'ils s'étaient
procurées on ne sait où et que mon estomac digérait
successivement sans la moindre difficulté. Le 30 mai, tout danger
était si bien écarté que les soins de Doualla et Mabrouki
ne visaient plus qu'{ me rendre des forces. Mais, étant terriblement
ébranlé par la maladie, il me fallait du temps pour me
rétablir, et ce temps allait me paraître bien long. Ce
jour-là(le 30 mai), cependant, je me sentis suffisamment remis pour me
faire porter sur mon lit au camp ; et cette promenade, ou plutôt cette
visite à mon personnel, me fit grand bien ; le 4, je pus m'habiller et
rester assis une grande partie de la journée sous ma
tente~103.
Les effets mortels du paludisme ont été
ressentis et vécus également lors de la bataille du rail. En
effet, Les fièvres de toutes sortes, notamment la fièvre bilieuse
hématurique, ont été à la base d'une
mortalité effrayante lors de la construction du chemin de fer
Matadi-Léopoldville : « La vallée de la M'Pozo est une
vaste tombe : des centaines d'hommes y sont morts { la tâche. Le long de
la voie, les cimetières s'échelonnent. Ces lieux(...) sinistres
et répandirent la terreur : la maladie, le désespoir et la mort
les hantaient. Une terrible lassitude, une terreur latente pesaient sur tous.
Les Blancs avaient baptisé les camps établis dans la
vallée de noms suggestifs, reflets de leurs angoisses : Camp de la
Miséricorde, Camp de la Mort, Camp de la Fièvre, Camp de la
Misère ? Camp de la Désespérance...104.
Tragique période : du 15 novembre au 15 décembre 1891, on avait
perdu cent cinquante hommes ; pendant le seul mois de novembre 1891, il y avait
eu cent et huit décès ; du 15 décembre 1891 au
1er février 1892 : cent cinquante-cinq ; au 30 juin 1892,
neuf cents hommes étaient morts. Les malades et les invalides ne se
comptent plus. Les trois médecins blancs n'ont pas un instant de repos.
Des
103 STANLEY, H.M., Cinq années au Congo,
Notice introductive par Nadine Fettweis et Emile Van Balberghe, Archives
Générales du Royaume et Archives de l'Etat dans les Provinces,
Bruxelles, Reprints 292, 2002, pp 181-184.
104 CORNET, R.J., La bataille du rail, Bruxelles,
édition L. Cuyers, 1958, p. 207.
centaines de noirs abandonnent le travail et adoptent la
« profession » de malades. C'est un enfer atroce
»105.
Durant longtemps, le paludisme mis en relation aux zones
humides, fut jusqu'{ la fin du 19è siècle attribué au
mauvais air des marais106. C'est en 1880 que l'on doit au
médecin de l'armée française Alphonse Laveran, la
découverte de l'agent responsable de la maladie, le plasmodium.
Celui-ci démontra que la maladie est provoquée par un parasite,
qu'il met en évidence dans les globules rouges des 44 personnes
souffrant du paludisme au sein de l'hôpital militaire de Constantine
à Alger. Il a émis également l'hypothèse d'une
transmission de ce parasite par les piqûres de moustiques107.
En 1897, le Britannique Ronald Ross confirma cette hypothèse en
soulignant la présence de plasmodiums à différents stades
de leur vie dans le tube digestif des moustiques108. A cette
découverte s'est ajoutée celle de l'italien Giovanni Batista
Grassi qui démontra, en 1898, que les moustiques impliqués dans
la transmission du paludisme chez l'homme sont les femelles du genre
Anophèles, et il décrivit le cycle de vie du parasite {
l'intérieur de l'organisme du moustique109. Les connaissances
sur la question ayant progressé, la bataille pour l'éradication
du paludisme fut engagée.
Cette lutte contre le paludisme remonte à une
période ancienne. Dès la fin du XIXe siècle,
les connaissances sur cette maladie ayant progressé, il a fallu donc
tout mettre en oeuvre pour son éradication, et c'est { partir du
XXe siècle que cette lutte prit véritablement
corps110.
Depuis ses débuts, les premiers projets de combat
contre le paludisme furent inscrits dans un contexte colonial (Asie et
Afrique). La lutte antipaludique fut principalement abordée sous l'angle
du développement économique des colonies111. Dans un
premier temps, il s'agissait de préserver la santé des
Européens afin de permettre la colonisation des pays où le
paludisme fut endémique. Néanmoins, les
105 Idem, P. 209.
106 DEBACKER, M., Op. Cit, p. 39.
107 DURIEZ, R., Art.cit, p.1001.
108 Encarta, Art. cit.
109 WERY, M.et JANSSENS, P.G. Art. Cit, p.
1240.
110 GUILBAUD, A., Le paludisme. La lutte mondiale contre un
parasite résistant, Paris, l'Harmattan, 2008, p. 27.
111 Idem., p. 39.
pouvoirs coloniaux se sont engagés dans la protection
de la population africaine, qui constituait la main-d'oeuvre principale pour
les colonies112. Cette lutte était indispensable au
fonctionnement de l'économie coloniale et { l'amélioration de la
production113. Les premiers projets sanitaires contre le paludisme
furent donc liés aux intérêts économiques.
Sur le plan international, la mise en oeuvre des moyens de
lutte contre le paludisme débuta effectivement à partir de la
Première Guerre Mondiale. A la fin de cette guerre, le
développement et la propagation de nombreuses épidémies
poussèrent la Société des Nations { instituer en 1923
l'Organisation d'Hygiène de la Société des Nations dans
laquelle fut créée en 1924 une Commission spéciale pour le
paludisme114. Cette commission avait pour mission l'étude des
moyens les plus appropriés pour contrôler le paludisme sur le plan
mondial et réduire son impact115. Néanmoins,
l'Organisation d'Hygiène de la Société des Nations resta
largement centrée sur l'Europe, en particulier parce que certains pays
tels que la France et l'Angleterre, se montrèrent réticents {
l'idée de laisser une organisation internationale agir dans leurs
colonies en Afrique et en Asie, où le paludisme
prévalait116. Dès lors, la lutte contre le paludisme
fut menée par un acteur privé : la Fondation Rockefeller.
En effet, la Fondation Rockefeller créée depuis
1913, avec comme objectif de promouvoir le progrès de la science dans
tous les pays du monde, inscrira dorénavant le problème de
santé publique, plus particulièrement le problème du
paludisme, dans ses premières priorités. Grâce à ses
ressources financières et ses propres experts et laboratoires, elle fut
engagée dans la lutte, à grande échelle, contre le
paludisme117.
Après des premières tentatives fructueuses de
lutte contre le paludisme aux Etats Unis d'Amérique, notamment dans le
delta du Mississipi et dans l'Arkansas en 1915118, la
112 KIVITS, M., « Que savait-on de la situation sanitaire en
Afrique centrale vers 1885 ? » in Le centenaire de l'Etat
Indépendant du Congo, Bruxelles, ARSOM, 1988, p. 266.
113 Ibidem.
114 GUILBAUD, A., Op. Cit. p. 28
115 Ibidem.
116 Idem, p. 29.
117 Ibidem.
118 GUILBAUD, Op. Cit. p. 30.
Fondation Rockefeller développa également ses
activités d'assistance auprès des autorités locales
d'Amérique du Sud, particulièrement en Argentine et au
Brésil, en Italie, en Inde, en Egypte. Cette Fondation joua
également un rôle très important dans la recherche sur le
paludisme ; à cet effet, elle créa en 1930 un laboratoire
d'études scientifiques du paludisme, situé à Tallahassee,
en Floride119.
C'est après la Seconde Guerre Mondiale que la lutte
contre le paludisme fut prise en charge par les acteurs internationaux, et en
particulier par l'Organisation Mondiale de la Santé. Depuis sa
création, en 1948, celle-ci s'imposa comme leader de l'action sanitaire
internationale, en ce sens que la lutte contre le paludisme va figurer parmi
ses premières priorités. C'est ainsi qu'en 1955 fut mis en place
le Programme d'Eradication du Paludisme(PEP), avec pour objectif principal
l'éradication du paludisme { l'échelle mondiale120.
Malgré les moyens mis en place, ce programme se solda
par un échec dans les zones où le paludisme s'avérait le
plus intense, c'est-à-dire en Afrique et en Asie. Les seuls
succès eurent lieu dans les zones tempérées où le
paludisme était instable, ce qui permit l'éradication de la
maladie dans certains pays européens121. Cet échec
était dû, d'une part aux difficultés financières
rencontrées par l'OMS, au regard de l'étendue du travail {
couvrir, d'autre part aux obstacles techniques et { l'organisation ayant
joué en défaveur de la réalisation du
programme122.
Après l'échec du PEP, la campagne mondiale
d'éradication fut partiellement abandonnée ; peu d'attention a
été accordée au paludisme les années suivantes. Ce
n'est que vers les années 1980, compte tenu de l'augmentation de la
résistance des parasites aux traitements antipaludiques et de celle des
vecteurs aux insecticides, que la lutte contre le paludisme reprit de
l'ampleur. Désormais, plusieurs acteurs internationaux entrèrent
en jeu : il s'agit notamment de la Banque Mondiale, de l'UNICEF, du PNUD, de
Roll Back Malaria Patnership(RBM)123. La lutte antipaludique se
retrouve également
119 Idem, p. 31.
120 Idem, p. 43.
121 Idem, p. 45.
122 Idem, p. 50.
123 Roll Back Malaria : Faire reculer le paludisme ; Programme
lancé par l'OMS en 1998.
incluse dans les Objectifs du Millénaire pour le
Développement, à travers son objectif n°6 «
Combattre le VIH/Sida, le paludisme et autres maladies
»124 Cette question d'actualité témoigne du
retour de la question de la lutte contre le paludisme sur la scène
internationale.
C'est ainsi qu'en 1992, sous la coordination de l'OMS, fut
organisée { Amsterdam une conférence qui donna lieu à la
Déclaration mondiale de contrôle du paludisme et à la mise
en oeuvre d'une nouvelle stratégie mondiale mettant l'accent sur
l'Afrique subsaharienne où la maladie sévit le
plus125. Cette stratégie dite de «contrôle »
de l'endémie palustre et non plus d'éradication (mot banni) a
pour objectifs de prévenir la mortalité et de réduire la
morbidité, ainsi que les pertes sociales et économiques
liées à la maladie, grâce à la mise en place
progressive et au renforcement de moyens de lutte locaux et nationaux.
De nos jours, le paludisme est considéré comme
une maladie des pays en développement, car c'est surtout dans les
régions pauvres d'Afrique et d'Asie qu'on le retrouve. D'après
certains économistes, la croissance économique des pays { forte
transmission du paludisme a toujours été inférieure
à celle des pays sans paludisme. Ceux-ci imputent au paludisme un
déficit annuel pouvant atteindre 1,3% dans certains pays
d'Afrique126. Ainsi, la lutte contre le paludisme devient alors un
élément des stratégies de développement, auquel les
institutions internationales se sont fermement engagées en raison
surtout du coût économique que cette maladie impose aux pays en
développement.
Toutefois, certains pays africains ont réussi à
réduire le taux de mortalité dû au paludisme grâce
leurs politiques nationales visant à promouvoir un traitement efficace
contre cette pathologie. Il s'agit notamment de la Tanzanie, du Ghana, de la
Guinée, de la Zambie et de l'Erythrée127.
124
www.un.org/french/millenniumgoals/index.html
125 GUILBAUD, Op. Cit. p. 92.
126 Paludisme comme maladie des pays en
développement. Article obtenu à la page web :
www.rbm.who.int
127 THOMAS, C., Lutte contre le paludisme : encore un
effort, avril 2010, article tiré à la page web : www.
Rfi.fr /Afrique/santé
On peut dès lors relever que le paludisme presque
enrayé totalement dans les pays occidentaux, est devenu l'une des
caractéristiques des pays du Tiers-Monde oü il continue de produire
de nombreuses victimes, avec ses conséquences socioéconomiques
désastreuses.
Après avoir fourni ce repère historique du
paludisme, nous allons présenter l'évolution de cette maladie au
Congo.
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