§2. Drainage de devises
Les pouvoirs publics tablent sur les flux des transferts
monétaires des émigrés vers leurs familles restées
en Tunisie, pour améliorer une balance de paiements déficitaire
et disposer d'une réserve de devise pour couvrir les
importations78. L'apport financier des émigrés
tunisiens est d'autant plus convoité que les spécialistes se
demandent si la politique migratoire menée vis-à-vis de la
diaspora tunisienne ne constitue pas, en dernier analyse, un ensemble de
dispositifs et de mesures pour solliciter et pérenniser ces flux
financiers. Selon la Banque Centrale, le montant global des transferts des
78 Selon des statistiques publiées par la
Banque mondiale, dans les pays les plus pauvres de la planète, contre un
dollar de capitaux étrangers, six autres dollars proviennent des
travailleurs émigrés. Ceci étant, les transferts
financiers des migrants présentent l'avantage d'être beaucoup plus
stables que les capitaux privés. Ils ont un effet stabilisateur
puisqu'ils augmentent dans les périodes de récession
économique, au moment oil, les capitaux spéculatifs
s'échappent, Comité Français pour la Solidarité
Internationale, Phénomènes migratoires : flux financiers,
mobilisation de l'épargne et investissement local, Groupe Agence
Française de Développement, avril 2004, p. 16.
Tunisiens résidents à l'étranger
s'élève, pour l'année 2010, à 2 904 millions de
dinars, montant correspondant à 4.5 % du Produit National et à
20.5% de l'épargne nationale. De par leur importance, ces transferts se
situent à la quatrième place des ressources du pays en
devises79. Ces flux marginaux pour les pays d'accueil, n'en
constituent pas moins une manne dont l'État tunisien ne saurait plus se
passer aisément80. La masse et la fréquence des fonds
envoyés témoignent que la diaspora tunisienne se classe parmi
celles qui maintiennent des liens monétaires forts avec le pays
d'origine. Les transferts pourraient avoir un double emploi, soit ils sont
destinés à améliorer la situation économique et
sociale des familles restées en Tunisie en couvrant les dépenses
de consommation en biens et services, soit ils sont affectés à
l'épargne pour qu'on puisse s'en servir, antérieurement, lors du
retour définitif81. Qu'il porte sur des dépenses de
consommation ou sur l'épargne, le comportement de transfert de
l'émigré est indéfectiblement encouragé par les
pouvoirs publics tunisiens. Toutefois, le dit comportement dépend de
plusieurs autres variables qui peuvent influencer aussi bien la propension de
transférer que le volume des montants rapatriés. Nous avons pu
identifier quatre variables majeures qui pourraient interférér
dans ce processus. La première étant le statut
socio-économique du migrant dans le pays d'accueil,
en effet, un bon niveau de stabilité professionnelle et
d'intégration sociale luiconfère une capacité
de transfert plus grande. La deuxième variable est le
79 Mohamed ENNACEUR,
Ministre des Affaires Sociales,
allocution prononcée à l'ouverture du colloque
international La contribution des Tunisiens résidant à
l'étranger au développement économique et social de la
Tunisie post-révolutionnaire, Gammarth, 22 juin 2011 ; voir ANNEXE
I.
80 BOUHDIBA (Abdelwahab), « Le poids de
l'émigration et l'avenir des rapports de l'Europe et du Maghreb »,
in Quêtes sociologiques : continuité et ruptures au Maghreb,
Collection Enjeux, Cérès Edition, Tunis, 1996, p. 24.
81 TALHA (Larbi), « Les effets de
l'émigration sur les économies maghrébines », in
LACOSTE (Camille et Yves) (Dir.), /'ÉtatTdu TO DIKreE,
Cérès Edition, Tunis, 1991, p. 481.
nombre de parents restés au pays et le
type de lien de parenté, puisque autant que le nombre est
important et le lien de parenté est fort, autant que le comportement de
transfert est vivace et régulier. La troisième variable consiste
dans l'objectif et la durée de la migration. Ceci dit,
l'appartenance du migrant à deux espaces différents constitue un
des éléments déterminant du comportement de transfert, et
ce, selon que le projet migratoire s'oriente vers le pays d'origine, notamment
en terme de retour ou, plutôt, vers le pays d'accueil, en terme
d'installation définitive ou prolongée. La dernière
variable concerne les mesures prises dans le pays d'origine,
c'est-à-dire la capacité et l'efficacité des institutions
financières et politiques du pays destinataire à mettre en place
des programmes incitatifs en termes d'attraction des fonds82.
Néanmoins, d'autres études récentes
mettent en garde contre le tarissement éventuel des transferts de
devises de certaines communautés émigrées, voire leur
extinction définitive, même si la Tunisie semble, dans le
présent et le futur proche, bien à l'abri de tels
inconvénients sans pour autant les exclure, à plus long terme. La
persistance d'un taux de chômage élevé et l'allongement de
sa durée moyenne, la réduction des heures travaillées
normales et supplémentaires, la précarisation croissante de
l'emploi, l'avènement des nouvelles générations
d'émigrés et le relâchement des liens avec la
communauté nationale, sont autant de facteurs soupçonnés
de tendre vers une éventuelle réduction future de la
capacité de transfert des immigrés Tunisiens83. Quoi
qu'il en soit, nous pensons que les transferts ne peuvent avoir de
portée véritable sur le développement national que s'ils
sont intégrés
82 Voir Comité Français pour la
Solidarité Internationale, Phénomènes migratoires :
flux financiers, mobilisation de l'épargne et investissement local,
Groupe Agence Française de Développement, avril 2004.
83 TALHA (Larbi), « Les aides au retour et la
problématique réinsertion des émigrés », in
LACOSTE (Camille et Yves) (Dir.), L'État du Maghreb,
Cérès Édition, Tunis, 1991, p. 545.
dans le cadre d'une planification homogène en faveur
d'une stratégie de développement des régions les moins
nanties de la Tunisie, laquelle stratégie se doit d'être, cette
fois-ci, bien réfléchie et sérieusement entreprise.
Le moment de départ épousé
référentiel, certains avantages fort convoités,
étant situés sur le court et moyen terme, sont qualifiés
d'avantages immédiats. D'autres, étant situés,
plutôt, sur le long terme, sont identifiés comme avantages
médiats.
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