Section II. Des retombées attractives
La propulsion de la mobilité sociale
(paragraphe 1) et l'affranchissement de l'Être du «
local » (paragraphe 2) s'imposent comme les deux
retombées positives majeures que pourraient offrir une carrière
migratoire.
§1. Propulsion de la mobilité sociale
La mobilité sociale est un concept emprunté
à la Sociologie qui se rapporte à la circulation des individus
sur l'échelle sociale au cours de leur cycle de vie ou d'une
génération à une autre. Autrement dit, la mobilité
sociale renvoie aux changements de statut social des individus aux cours du
temps, ainsi que les différences qui pouvaient survenir entre le statut
social
des parents et celui des enfants51. Parler, en
l'occurrence, de propulsion de la mobilité sociale, c'est dire que
l'initiative migratoire revient, en réalité, à un
investissement, physique et moral, dont la finalité ultime est
l'ascension sociale. L'initiative migratoire étant la stratégie
de l'individu qui refuse la reproduction, pure et simple, en lui, du mode de
vie et statut social de ses ascendants52. A titre d'exemple, aux
yeux des jeunes travailleurs issus du milieu rural, l'initiative migratoire
incarne une occasion immanquable pour s'émanciper du travail agricole et
s'affranchir de ses servitudes, sort inéluctable des populations
paysannes les plus pauvres53. Pour les plus diplômés et
qualifiés, le départ s'est imposé comme la condition
inévitable pour la construction et l'épanouissement d'une
carrière professionnelle, rendue inaccessible, sinon difficilement
réalisable au pays natal. Cette tendance se confirme de plus en plus
aujourd'hui, en témoigne le taux d'émigration croissant de la
population instruite. Selon les dernières estimations officielles, il y
aurait quelque 10 000 Tunisiens hautement qualifiés qui seraient
actuellement expatriés de par le monde. Le phénomène de
l'exode des compétences en Tunisie est d'autant plus attisé
compte tenu de la politique de séduction que mènent les pays
destinataires, tant en termes de gain et bien ~tre matériel qu'en termes
de trajectoire et perspectives professionnelles. Par ailleurs, la
dépréciation de la monnaie nationale par rapport à la
monnaie étrangère, notamment l'Euro et le Dollar, constitue pour
les travailleurs tunisiens une occasion à saisir afin de multiplier leur
pouvoir
51 Encyclopédie Encarta, (version
multimédia), Microsoft, 2009.
52 Voir BOURDIEU (Pierre) et PASSERON (Jean-Claude),
La reproduction. Éléments d'une théorie du
système d'enseignement, Paris, Éditions de Minuit, 1970.
53 SAYAD (Abdelmalek), « Une prospective
nouvelle à prendre sur le phénomène migratoire.
«L'immigration dans...» peut être pensée comme
étant, initialement et essentiellement, «une émigration
vers...», in Options Méditerranéennes,
n°22, CIHEAM, p. 54, [consulté sur le web le 19 juillet 2011]
; voir SAYAD (Abdelmalek), L'immigration ou les paradoxes de
l'altérité, tome I, Raisons d'agir, Paris, 2006.
d'achat sur le territoire national. Il y a lieu de remarquer
que cet écart persistant, qui semble allant se creuser, exerce un
attrait considérable sur les candidats potentiels à
l'émigration, et ceci est d'autant plus valable pour les personnes
disposant d'emplois assez stables et rémunérateurs. Les exemples
qui attestent que la mobilité spatiale est un vecteur de mobilité
sociale ne manquent pas. Le déplacement géographique s'accompagne
d'un changement notable de statut social, que ce changement provient d'une
amélioration du revenu et du pouvoir d'achat, d'un accroissement du
prestige et de l'aura sociaux, ou d'une amélioration au niveau de la
nature de l'occupation professionnelle. Si la démarche migratoire est
dite propulsive de la mobilité sociale de son acteur, c'est compte tenu,
à la fois, du degré et de la vitesse avec lesquels les
changements de statut peuvent se produire, toujours par rapport à une
situation d'absence de projet migratoire.
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