1.6 Interactions hôte-pathogène
Au-delà de l'identification et de la connaissance des
différents bioagresseurs impliqués, on sait que les maladies de
dépérissement font intervenir l'aptitude de la plante à
répondre à l'agression (Goutouly, 2010). A propos de l'Esca,
Magnin-Robert et al., (2010) expliquent que la proposition de nouveaux
moyens de lutte ne pourra se faire que suite à une compréhension
plus fine des mécanismes mis en oeuvre, passant notamment par une
reproduction des symptômes foliaires et une caractérisation de son
impact sur la physiologie de la plante.
1.6.1 Impact de l'Esca sur la vigne
Depuis quelques années, des études
s'intéressent à l'évolution de la physiologie de la plante
au cours du développement de la maladie, notamment vis-à-vis du
métabolisme carboné. Celui-ci a été choisi car son
bon fonctionnement est vital pour la pérennité de la plante : les
perturbations précoces sont donc de bons indicateurs de stress
(Magnin-Robert et al., 2010).
> Forme lente
En 2006, Petit et al., ont étudié
l'altération de l'appareil photosynthétique en fonction de
l'intensité de l'expression des symptômes foliaires de la forme
lente de l'Esca. Cette altération se traduit par une diminution de
l'activité photosynthétique et de la transpiration, une
perturbation du fonctionnement des photosystèmes et une diminution de la
concentration en pigments chlorophylliens. La conséquence directe de
cette diminution de la photosynthèse est une chute des réserves
carbonées dans les sarments. L'année suivante, les faibles
réserves peuvent entraîner une baisse de vigueur de la plante,
affectant son développement végétatif et reproducteur. En
complément de ces travaux, Christen (2006) a observé que cette
modification de la photosynthèse pouvait être
détectée 2 mois avant l'expression des symptômes foliaires,
chez le Cabernet-Sauvignon.
> Forme apoplectique
Selon Letousey et al., (2010), l'étude de la
forme foudroyante de l'Esca montre que les mécanismes
photosynthétiques sont fortement perturbés 7 jours avant que les
feuilles ne deviennent apoplectiques (dessèchement). Visuellement, aucun
signe ne permet de dire que la plante va prochainement exprimer des
symptômes foliaires. Cette altération est détectable au
niveau physiologique avec une chute brutale de l'assimilation du CO2, une
fermeture des stomates, une baisse de l'activité du photosystème
II et une diminution de la transcription de certains gènes
associés à la photosynthèse. A l'inverse, certains
gènes de défense sont surexprimés dans les feuilles 7
jours avant et pendant l'expression visibles des symptômes sur la plante.
La plante perçoit donc un stress, avant même l'expression visible
de la maladie, et active une réponse de type défense. Cette
perception est maximale juste un jour avant le dessèchement total des
feuilles.
Comme on associe souvent la forme apoplectique à un
excès d'eau dans le sol avec des températures
élevées (Surico et al., 2006), l'altération du
transport hydrique dans la plante liée à des dysfonctionnements
du xylème a également été étudiée.
Ainsi, Edwards et al., (2006) ont observé une diminution de la
conductance stomatique entraînant un déficit hydrique chez des
plantes infectées par
Figure 7 : Les quatre types de barrières de
compartimentation du modèle CODIT décrits par Shigo et Marx en
1977 (1 : développement de thylles et
sécrétion de substances gommeuses dans les vaisseaux du
xylème ; 2 : caractères morphologiques des dernières
cellules en fin de chaque anneau de croissance ; 3 : réactions de
défense de la plante impliquant les rayons parenchymateux ; 4 :
formation d'une zone de barrage par le cambium)
Source : Rioux (2011)
Faisceaux conducteurs
Phloème secondaire (liber)
Vaisseau du bois
Xylème secondaire (bois)
Parenchyme cortical Écorce
Sclérenchyme
Assise subéro-phellodermique
Assise libéro-ligneuse (cambium)
Parenchyme de rayon ligneux
Parenchyme médullaire (moelle)
Photo 15 : Coupe transversale d'un rameau principal de
vigne, sain et aoûté (sarment) Source : -
Crédit photo: Trouvelot (Communication personnelle)
- Légende : Dufouleur (2011)
Phaeomoniella chlamydospora. De plus, une
étude comparative de la fluorescence chlorophyllienne d'une plante
exprimant la maladie (forme lente ou forme foudroyante non
précisée) avec celle subissant un stress hydrique a
révélé deux fonctionnements différents du
photosystème II (Christen, 2006). Il a donc été conclu que
l'expression des symptômes de l'Esca ne pouvait pas simplement être
corrélée à un stress hydrique, mais qu'elle était
plus complexe.
1.6.2 Impact du BDA sur la vigne
Aucune étude spécifique caractérisant
l'impact du BDA sur différents métabolismes de la plante
(métabolisme carboné, hydrique ou encore la mise en place de
défenses) n'a été publiée (Larignon et
al., 2009).
1.6.3 Adaptation physiologique de la plante face
à l'agression
En réponse à une agression par des
pathogènes (ou suite à une blessure), la plante met
généralement en place un mécanisme de défense
complexe afin de limiter leur progression. Celui-ci consiste en une
série de modifications anatomiques se traduisant par la formation de
compartiments étanches qui isolent la zone atteinte (Shigo et Marx,
1977). Dans leur modèle CODIT (Compartmentalization Of Decay In Trees),
ces auteurs décrivent quatre types de barrières (ou « murs
») dont les trois premières servent à restreindre la
progression des microorganismes dans le bois présent au moment de la
blessure (figure 7). La formation de la première barrière
correspond au développement de thylles et à la
sécrétion de substances gommeuses dans les vaisseaux du
xylème. Ce premier mur est discontinu et constitue la plus faible des
barrières limitant la propagation verticale des microorganismes. La
seconde barrière est attribuée aux caractères
morphologiques des dernières cellules en fin de chaque anneau de
croissance. Ce mur est continu sur toute la longueur de l'arbre et limite
l'expansion parallèle aux rayons des microorganismes (expansion
radiale). La troisième barrière implique les rayons
parenchymateux, tissus vivants du bois, qui peuvent déclencher des
réactions de défense de la plante. Il s'agit de la plus forte
barrière des trois que nous avons déjà citées, mais
elle peut être discontinue. Elle limite la progression des
microorganismes perpendiculaire aux rayons (expansion tangentielle). La
quatrième barrière, la plus forte et la plus importante, consiste
en une zone de barrage formée par le cambium après la blessure.
Ce mur isole le bois attaqué de celui qui sera formé par la suite
et empêche la progression des champignons. La formation de ces
barrières demande beaucoup d'énergie à la plante. La
multiplication des zones lésées entrave fortement le flux de
sève et peut entraîner un affaiblissement
généralisé de la plante, qui devient alors incapable de se
défendre efficacement contre les champignons pathogènes.
Afin de mieux visualiser les processus en jeu et les tissus
concernés, on pourra également se reporter à la photo 15.
Il s'agit d'une photographie d'une coupe transversale d'un rameau principal de
vigne, sain et aoûté. On peut y découvrir l'organisation du
système vasculaire dit « secondaire » (car
élaboré à partir d'un méristème secondaire,
le cambium). Les faisceaux conducteurs sont constitués de xylème
(ou « bois », impliqué dans le transport de la sève
brute) et de phloème (ou « liber », véhiculant la
sève élaborée). On note la taille importante des vaisseaux
du bois. Les différents parenchymes ont généralement un
rôle de réserve. Le sclérenchyme (tissu de soutien) et
l'assise subéro-phellodermique (exclusivement «
subérogène » dans le rameau, à la différence
de la racine) ont été notés à titre indicatif.
1.6.4 Complication pathologique : cavitation,
embolie et thyllose
On sait que les maladies du bois entrainent la formation de
nécroses qui altèrent le fonctionnement vasculaire de la plante,
en diminuant la quantité de xylème fonctionnel. Quand on connait
les mécanismes de la cavitation, de l'embolie et de la thyllose, on
comprend qu'une plante
infectée par l'Esca ou le BDA va être encore plus
sensible à ces accidents. Ceux-ci sont décrits ciaprès.
D'après Carbonneau et al. (2007), le flux de
sève brute est, d'une façon générale,
extrêmement sensible aux variations brusques de la pression
intravasculaire. Ils expliquent que ces variations de pression peuvent
être dues à une forte augmentation de la demande hydrique
atmosphérique et qu'elles peuvent provoquer l'apparition de bulles d'air
dans les vaisseaux du xylème (phénomène de cavitation). La
rupture du courant de sève par ces bulles peut ainsi complètement
bloquer la circulation (embolie). Sous certaines conditions
atmosphériques (température élevée et faible
hygrométrie), Adrian et Fournioux (2011) indiquent qu'un accident encore
plus grave peut survenir. L'évapotranspiration très importante au
niveau du feuillage peut provoquer une telle dépression dans le
système circulatoire qu'elle mène à la formation de
thylles6. L'issue de cet accident est fatale si elle concerne un
nombre trop important de vaisseaux (fanaison très rapide de tout le
feuillage avec mort du cep en quelques heures, ou « apoplexie »).
On comprend donc que, sous certaines conditions climatiques
critiques, une plante qui dispose d'un nombre limité de vaisseaux
fonctionnels (nécroses associées aux maladies du bois) pourra
moins bien s'adapter à son environnement. Le fonctionnement vasculaire
sera moins « souple » (baisse de la conductivité hydraulique
de la plante) et on observera davantage d'à-coups en cas d'augmentation
subite de la demande évaporatoire. Ce mode de fonctionnement
prédispose la plante aux accidents climatiques
précédemment décrits (embolie et thyllose).
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