Deuxième partie :
Lecture de L'Enfant multiple
Chapitre I : PRESENTATION GLOBALE DU ROMAN
Notre corpus d'étude choisi est alors L'Enfant
multiple d'Andrée Chedid. En effet, L'Enfant multiple est
un roman. Il fait partie de l'oeuvre littéraire du
XXème siècle où de grands auteurs contemporains
apportent d'importants changements dans le domaine de la littérature. Le
style d'écriture change dans tous les genres : la poésie le roman
le théâtre etc.
L'Enfant multiple fut publié en 1989. C'est le
produit de la grande imagination de l'écrivaine Andrée Chedid.
Pour avoir vécu la deuxième guerre mondiale qui reste
l'évènement le plus marquant des sociétés humaines
Andrée Chedid raconte les souffrances, de la guerre qu'a connue le
Liban. Installée en France son oeuvre en particulier L'Enfant
multiple porte en elle les traces de la triple appartenance, :
le Liban, l'Egypte et la France.
En effet, ledit roman retrace l'histoire de la vie cosmopolite
d'un jeune orphelin, Omar-Jo. Tous les problemes qu'il a pu rencontrer ainsi
que les difficultés qu'il a du affronter pour pouvoir dépasser
son état précaire. Il devrait ainsi faire face aux nouveaux
visages et lieux et savoir s'y adapter. L'histoire d'Omar-Jo est alors pleine
de leçons morales. Dans ce sens elle semble s'accorder à cette
affirmation de Jean-Paul Sartre qui sug gère que la littérature
d'aujourd'hui doit être problématique et morale, et non
moralisatrice et qu'elle doit montrer que l'homme est valeur et que les
questions qu'il se pose sont toujours morales. Ce « pauvre » jeune
était longtemps gardé par son grand-père le vieux Joseph.
Celui-ci l'avait confié à un ami de passage qui était
chargé d'accompagner Omar-Jo jusqu'en France, chez ses cousins --
Antoine et Rosie Mazzar ~ qui l'attendaient impatiemment avec joie. De par son
nom et ses
origines il était de la religion de Dieu car d'un pere
musulman ~ Omar ~ et d'une mere chré- ·e 4- Anne tte 4- c; ,n, t
v ureux. Son nom s'élargira jusqu'à devenir «
Omar-Jo
Chaplin-Lineau. Lineau comme moi »40.
25
40 Idem, p. 153.
Chapitre II : OMAR-JO : UN PERSONNAGE A LA CROISEE
DES CULTURES
Issu d'un mariage mixte, l'un des éléments
principaux de l'identité et de l'inter-culturalité, Omar-Jo est
d'un pere musulman ~ Omar ~ et d'une mere chrétienne ~ Annette. L'enfant
aura les deux marques dans son nom ~ Omar-Jo, Omar comme son père et Jo
comme son grandpère, Joseph. Ce qui marquera son identité et sa
foi religieuse. Ainsi, n'a-t-il pas du mal à professer sa foi en
déclarant qu'« Il n'y a qu'un Dieu (..). Même si les
chemins ne se ressemblent pas. Mon père et ma mère le savaient.
Ils sont morts des mêmes violences, dans la même explosion. Si je
crois, c'est en seul Dieu. Mais les hommes ne veulent pas voir, ni savoir. Ils
sont aveugles »41.
L'enfant habitait la montagne aupres de son grand-pere apres
la mort de ses parents lors d'une explosion de voiture. Son pays (le Liban)
était dévasté par des guerres de tout genre : civile,
religieuse, politique, ethnique, etc. Cela oblige les gens à fuir le
pays, à s'exiler de l'autre côté de la
Méditerranée. Ce fut le cas du couple Antoine ~ Rosie Mazzar qui
accueillera Omar-Jo, en France car il y vivait depuis quinze ans
dès le début de cette insaisissable guerre et d'innombrables
et d'impénétrables conflits qui ligotaient leur petite patrie.
Comme « le voyage forme la jeunesse », son
grand-père le conseille de voyager à travers le monde, afin qu'il
se rende compte des autres réalités. C'est là l'origine de
l'inter-culturalité et/ou de sa pluri culturalité. Pourtant,
Omar-Jo aime demeurer aux côtés de sa famille et de son entourage
au village.
« A ton age, il faut visiter la terre. (.) Il se
raccrochait à son aïeul, aux gens du village, hospitaliers et
chaleureux. Il craignait, en changeant de lieu, d'effacer de sa mémoire,
le souvenir de ses parents. (...) Ne reste pas enfermé ici, Omar-Jo. Tu
es né avec la guerre, tu ne dois pas vivre avec la guerre. Il faut voir
le monde, con-
naître la paix. Les racines s'exportent, tu verras.
Elles ne doivent pas t'étouffer, ni
te retenir »42.
A l'arrivée d'Omar-Jo en France, le couple et en
particulier Rosie s'intéresse beaucoup à l'identité de
cet enfant qui avait perdu ses parents des son jeune age. L'explosion
assourdis- sante et meurtrière lui avait arraché plus que la
vie : ses parents et son bras. Omar-Jo était un
41Idem, p. 71. 42 Idem, p. 87.
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enfant inquiétant et bizarre qui n'a pourtant jamais
cessé de changer. Il s'est développé, a grandi, a
acquis de l'expérience à son travail, a noué des relations
d'amitiés, tout cela malgré la longue absence dudit couple. Il
se méfiait des gens et prenait du recul ; c'est un enfant intel-
En France, Omar-Jo est encore très marqué par la
souffrance. Il a perdu ses parents et est in
firme. En partant, il semble être perdu sans son grand
père ~ Joseph ~ et se pose beaucoup de
questions. Nous pouvons dire que la rencontre avec Maxime sera un
élan dans sa reconstruc-
tion : il voit en Maxime une personne qui est capable de
l'accueillir dans sa double culture, même si cela l'intrigue. Sa famille
chrétienne en France -- le couple Antoine-Rosie Mazzar ~ n'accepte pas
cet aspect de sa personnalité. Elle se posait des questions, comme elle
en posait à l'enfant qu'elle trouvait inquiétant. En effet,
0 Rosie venait de se souvenir de ce `malheureux mariage' ;
c'est ainsi que sa famille désignait de 0 la pauvre cousine Annette
». A cette pensée, à celle des convictions religieuses, elle
se raidit. Antoine, dont la foi se limitait à un esprit de clan, se
sentait contrarié lui aussi. A quel dogme, à quelle croyance,
à quelle société, appartenait cet étrange enfant
qu'il comptait faire le sien ? (...) Les rapports avec l'enfant se
présentaient moins harmonieusement qu'elle ne l'aurait
espéré. Ils auraient à faire front à `une forte
tete' »43.
Par ailleurs, de sa forte relation d'amitié avec Maxime le
forain, Omar-Jo change de nom. Il passe de celui d'« Omar-Jo »
à celui d'« Omar-Jo Chaplin Lineau ». Il se découvrira
alors un talent d'acteur, à travers lequel il laissera ses
souffrances de côté. En lui donnant ce nom de Chaplin-Lineau,
Maxime le reconnaît tel qu'il est : dans sa double culture, avec
l'importance de son talent d'acteur. Il lui redonne une famille. Evidement,
Omar-Jo est un enfant admirable. En effet,
0 Mis à part ces mutilations, l'enfant était
beau. Sa chevelure brune formait un
casque de boucles serrées épousant une
tête bien ronde. Il avait le nez droit, des narines palpitantes, finement
dessinées ; des yeux noirs et luisants comme des olives. Ses
épaules étaient fermes, larges, ses jambes musclées ; il
respirait la santé. Sa peau avait absorbé de larges tranches de
soleil. Toute sa personne rayonnait d'un indéfinissable éclat
»44.
43 Idem, P. 24-25
44 Idem, P. 23.
Créatif et débrouillard, les idées
d'Omar-Jo s'imposent vis-à-vis de celles de Maxime, `son oncle'.
Ainsi, « Les paroles de l'enfant prenaient rapidement corps, il
trouvait toujours le moyen d'exécuter ses idées (..) Maxime se
laissait faire. Ils s'accordaient sur bien des points ;
décidèrent de prolonger les heures d'ouverture, achetèrent
des lampions pour former une couronne scintillante autour de la
coupole»45.
C'est de cette collaboration caractérisée par
l'entente, la mise en accord et en commun des idées, mais aussi cette
confiance qui existe entre les deux ~ Maxime et Omar-Jo 3 que le Ma-
nège grandira et connaîtra la
prospérité. Omar Jo est un libérateur et un sauveur pour
le fo rain. « Votre Omar-Jo a sauvé mon Manège (..).
J'ai des plans pour Omar-Jo »46, précise le forain.
Et pourtant, comme dans toute nouvelle vie, mêlée de joie et de
doute, une mésentente
« J'ai compris : tu me mets en garde, dit leforain,
et tu fais ton cirque de nouveau. Je me défends comme je peux, oncle
Maxime. (...) Depuis quand suis-je ton oncle ? Je t'ai adopté, dit-il,
(...). Alors, c'est toi qui m'adoptes ? Je te remercie de me prévenir,
Omar-Jo. Je ne m'étonne plus de rien ; avec toi, l'envers devient
toujours l'endroit. »47
C'est une sorte d'incompréhension mutuelle. Une
conséquence à la rencontre de l'autre dans sa maniere de penser
et de percevoir les choses. A préciser que la réflexion d'un
occidental (Maxime) differe d'un point à l'autre de celle d'un oriental
(Omar-Jo). C'est en quelque sorte
le résultat de toute expérience de la
diversité humaine qui, parfois, pousse les hommes à des
conflits ou à des progrès. Dans ce cas, le but de
la littérature serait de lever cette antinomie à
laquelle aboutit souvent l'inter-culturalité
marquée par les problèmes identitaires en supprimant le module de
conflits, en vue de promouvoir celui de développement ou
d'enrichissement mutuel.
Omar-Jo est vraiment « un enfant multiple
». C'est-à-dire qu'il est marqué par plusieurs traits
qui le `masquent' selon les circonstances. Ainsi, se montre-t-il violent,
méchant, talentueux intelligent, croyant, créatif, serviable,
respectueux oriental et occidental, etc. ce qui balançait
sa réussite et son échec selon le public. Cette
dénomination de « l'Enfant multiple », le titre
45 Idem, P. 44.
46 Idem, P. 23.
47 Idem, P. 97.
même du roman, pour Omar Jo est en rapport avec ses
physionomie, ses noms, ses lieux de résidences, ses
am port avec les éléments constitutifs de sa propre
identité.
« L'enfant multiple n'était plus là
pour divertir. Il était là aussi pour évoquer d'autres
images. Toutes ces douloureuses images qui peuplent le monde. Mené par
sa voix, Omar-Jo évoque sa ville récemment quittée. Elle
s'insinue dans ses muscles, s'infiltre dans les battements du coeur, freine le
voyage du sang. Il la voit, il la touche, cette cité lointaine. Il la
compare à celle-ci, où l'on peut, librement, aller, venir,
respirer ! Celle-ci, déjà sienne, déjà tendrement
aimée. »48
Omar-Jo qui n'avait pas ressenti l'arrachement de son bras ni
l'impact du fragment de métal
parents. Par ailleurs, il intéresse les femmes et les
enfants au Manège. Le cas de Cher Anne,
qu'il appelait « Cheranne », en témoigne. Il est
toujours réservé et n'aime pas parler de son passé ;
« Je t'expliquerai plus tard »49, disait-il
souvent.
Comme nous l'avons si bien dit précédemment,
Omar-Jo est un enfant issu d'un mariage mixte, du point de vue religion,
tradition, culture, origine natale. Tout cela explique la double voire multiple
personnalité d'Omar-Jo. Il est du « sang musulman-chrétien
», si l'on ose s'exprimer ainsi. Ceci est fort remarquable avec ses
connaissances en arabe et en français, comme nous le remarquons dans ce
passage : « D'un geste espiègle le gamin s'empara du stylo dont
le capuchon débordait de la poche d'Antoine, tira du fond de la sienne
un carnet, à moitié rempli, traça sur une page blanche, en
belle calligraphie, son nom en arabe et en français »50.
A noter que les deux éléments (la langue et la religion)
sont d'une grande importance en ce qui est de
l'identité51.
En plus de cela, Om ar Jo habitera plusieurs endroits : la ville,
la montagne, le Liban, la
France et dans différentes familles. Il
connaîtra alors des sociétés fort diverses aux
personnali
tés différentes, aux habitudes et aux pratiques
culturelles non semblables. Tout cela est la con-
séquence de la guerre qui a dévasté son pays
d'origine qu'est le Liban. Elle lui a arraché plus
48 Idem, P. 69-70. D
49 Idem, P. 9.
D
50 Idem, P. 26.
D
51 Amin, Maalouf, Op.cit.
Enfin, le choix du titre L'Enfant multiple trouve son
sens dans cette mouvance. Il nous semble correct d'affirmer que c'est un
titre qui aurait été attribué à ce
récit, tel que raconté par Andrée Chedid, par
quiconque l'aurait lu et compris. Il résume bel et bien le roman.
31
L'Identité : Elément fondaL1111l11
1111l11li111111111111111L1111i11,1à1111v111 L'Enfant multiple
d'Andrée Chedid1
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