INTRODUCTION GENERALE
Le droit est appelé à suivre les mutations
socio-économiques et politiques qui, quelques fois, s'opèrent de
manière si rapide, profonde et complexe que les autorités
publiques arrivent à les maîtriser avec peine.
On est amené, en permanence, à inventer des
formules adéquates, propres à régir la nouvelle donne du
commerce juridique. Tel est notamment le problème de l'adaptation des
structures administratives aux missions de l'Administration.
En effet, on accuse les institutions administratives
d'être trop liées au droit, d'être paralysées par des
mécanismes et des procédures trop longs, et par conséquent
d'ignorer les tensions et les passions des individus. On leur reproche
d'être excessivement abstraites et dépassées.
L'Administration de mission est perçue comme l'une des
solutions à ce problème. Catégorie originale des
structures de l'appareil administratif, l'Administration de mission se
définit par opposition à l'Administration traditionnelle de
gestion dont elle vient corriger les tares en lui insufflant plus de dynamisme
et d'efficacité. D'où certains auteurs la qualifient d' «
Administration missionnaire » du fait de ses caractéristiques
semblables à celles d'une mission
évangélique1.
Elle apparaît sous plusieurs dénominations, mais
les plus usuelles sont « Mission », « Délégation
», « Autorité » à l'étranger; «
Commission », « Comité », et « Conseil » au
Burundi.
Les fonctions des organismes de mission sont
diversifiées selon les domaines d'intervention et les modalités
d'action, mais ces organismes ont en commun la singularité de la
démarche nouvelle de l'Etat ainsi que le caractère inédit
des problèmes à résoudre.
Dans ce travail, nous nous proposons d'explorer la technique
administrative dite « Administration de mission » au Burundi. Pour
bien mener nos recherches, nous avons scruté le paysage des institutions
administratives surtout burundaises, mis en relief les administrations de
mission et étudié leur raison d'être. Et nous en avons
découvert une multitude.
1 Voir C.DEBBASCH, Science administrative: Administration
publique, 5ème éd., Paris, Dalloz, 1989, p.438 ;
R. DRAGO, Science administrative, caractères généraux
de la science administrative, structures administratives, Paris, Cours de
droit administratif, licence 4ème année, 1975, p.71
Ainsi, rien que dans les deux missions souvent connexes de
réhabilitation des sinistrés et de résolution des conflits
fonciers, nous avons relevé l'intervention successive de la Commission
Nationale des Rapatriés (C.N.R.) instituée en 19772,
puis la Commission Nationale chargée du Retour, de l'Accueil et de la
Réinsertion des Réfugiés burundais (C.N.R.A.R.) en
19913. La Commission Nationale de Rapatriement fut
créée en 1996 en remplacement de la précédente,
avant de céder le terrain à la Commission Nationale de
Réhabilitation des Sinistrés (C.N.R.S.) en 20024,
elle-même remplacée par la Commission Nationale des Terres et
autres Biens (C.N.T.B.) aujourd'hui5.
Nous avons centré notre étude sur cette
dernière structure administrative et notre travail s'intitule «
L'Administration de mission en droit burundais: cas de la Commission
Nationale des Terres et autres Biens (C NTB) »
Le mandat de la C.N.T.B. de réhabiliter les
sinistrés se dédouble en deux tâches principales:
connaître les litiges relatifs aux terres et aux autres biens des
sinistrés et récupérer les terres domaniales
irrégulièrement attribuées. Aux termes de l'article 4 de
la loi n°1/17 du 04 septembre 2009 régissant la C.N.T.B., celle-ci
« a pour mandat de connaître les litiges relatifs aux terres et
autres biens opposant les sinistrés à des tiers ou à des
services publics ou privés ». Le législateur a pris le
soin de clarifier le sens de certains termes. Ainsi, selon l'article 2 de la
meme loi, il faut entendre par sinistré toute personne physique ou
morale qui aurait été spoliée de ses biens du fait des
événements tragiques qu'a connus le pays depuis
l'indépendance. En outre, il en fait une énumération non
exhaustive. C'est notamment le rapatrié, le déplacé, le
regroupé, le dispersé, la veuve, l'orphelin, etc.
Quant à l'expression « terres et autres biens
», elle est reprise telle quelle à l'article 8 du protocole IV de
l'Accord d'Arusha. Cette expression est une sorte de tautologie que les parties
à cet Accord auraient faite exprès pour marquer une emphase sur
la terre. Sinon, on aurait dû dénommer la structure administrative
sous étude « Commission Nationale des Biens des
Sinistrés » car les terres sont
2 Voir D.-L. n° 1/21 du 30 juin 1977 relatif
à la réintégration dans leurs droits des personnes ayant
quitté le Burundi suite aux événements de 1972 et 1973,
B.O.B. n°10/77, pp.563 -566.
3 Voir D.-L. n° 1/01 du 22 janvier 1991
portant création d'une Commission Nationale chargée du Retour, de
l'Accueil et de la Réinsertion des réfugiés burundais,
B.O.B. n°4/91, pp.94 -95
4 Voir Loi n°1/017 du 13 décembre 2002
déterminant les missions, les compétences, l'organisation et le
fonctionnement de la Commission Nationale de Réhabilitation des
Sinistrés (C.N.R.S.), B.O.B. n°12/2002, pp.1296-1298
5 Voir Loi n°1/17 du 4 septembre 2009 portant
révision de la loi n°1/18 du 04 mai 2006 portant
mission, composition, organisation et fonctionnement de la Commission Nationale
des Terres et autres Biens, B.O.B. n°9 bis/2009, pp. 1850-1853
aussi des biens, et précisément des biens
immeubles. Or, un bien est toute chose qui, à la fois, peut servir
d'usage à l'homme et est susceptible d'appropriation6.
Le choix de l'étude de la C.N.T.B. a été
guidé par l'intérêt que présente sa mission qui
consiste à « désamorcer la bombe foncière
»7 dans le contexte postconflit au Burundi. En effet, le
conflit foncier envisagé dans la perspective de réhabilitation
des sinistrés, hypothèque les chances de réussite du
programme de consolidation de la paix. Dès lors, le pouvoir politique a
institué la C.N.T.B. pour qu'elle aide les sinistrés à
retrouver leurs terres et autres biens par une approche communautaire et
pacifique de règlement des conflits tenant compte à la fois de la
loi, de l'équité et de la réconciliation nationale.
Le travail est subdivisé en trois chapitres. Le premier
chapitre est axé sur la notion et le fondement de l'Administration de
mission. Nous traçons les contours de la notion de l'Administration de
mission, puis nous montrons les différents types d'administrations de
mission ainsi que ses rapports avec les structures connexes avant de terminer
par l'étude de son fondement, c'est-àdire des différentes
raisons qui ont amené les pouvoirs publics à recourir à
cette technique administrative.
Le second chapitre est consacré à l'étude
du cadre d'éclosion des administrations de mission impliquées
dans la réhabilitation des sinistrés burundais. Après
avoir examiné la problématique foncière dans le cadre de
la réhabilitation des sinistrés, nous passons en revue les normes
juridiques applicables en la matière ainsi que l'état des lieux
des administrations de mission qui interviennent de manière
intermittente dans la résolution de la question.
Le troisième et dernier chapitre est centré sur
l'étude de la C.N.T.B. en tant qu'Administration de mission. Nous
analysons, d'une part, son cadre juridique et institutionnel; d'autre part,
nous dressons le bilan de ses activités et nous livrons
l'appréciation relative à l'accomplissement de son mandat.
Le travail sera clôturé par une conclusion
générale.
6 D. NIMPAGARITSE, Cours de droit civil. Les Biens,
Bujumbura, Presses Universitaires, A/A 1997-1998, p.6
7 Voir International Crisis Group (I.C.G.),
Réfugiés et déplacés au Burundi:
désamorcer la bombe foncière, Rapport Afrique
n°70, Nairobi/Bruxelles, 7 octobre 2003.
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