I-2.Position du problème de recherche
Par l'usage de leur langue beaucoup de pays africains se sont
communiqués pour se libérer de la colonisation. Ainsi, depuis ce
moment certains des penseurs africains remarquent la nécessité,
la pertinence et l'éminence d'un recours aux langues africaines ;
c'est-à-dire leur prise en compte pour une analyse sociolinguistique ou
de leur adoption dans un système d'enseignement durable. Pour ce faire
tant d'analyses théoriques sont effectuées depuis longtemps par
la communauté des scientifiques africains afin de montrer le
déphasage existant entre nos langues officielles et l'identité
des sociétés africaines.
Notons des penseurs qui ont élaboré des
théories générales pour une éducation
endogène africaine s'appuyant sur les langues africaines. A cela,
rappelons la vaillante préoccupation de KI-ZERBO lorsqu'il fait savoir
que l'Education endogène est absente en Afrique. En d'autres termes, la
crise de la société et de l'économie est fondamentalement
une crise culturelle. Les cultures doivent être évolutives
préparant le changement dans les perceptions, les concepts, les valeurs,
les progrès scientifiques et techniques que les sociétés
doivent s'approprier et intégrer au point de devenir à leur tour
créatrices de ces domaines. S'il veut vivre, notre continent doit
considérer qu'il doit entrer dans le `'temps de l'Education» dont
il faut redéfinir la finalité et le rythme en procédant
à une réflexion permanent entièrement tendue vers la
recherche d'un mieux-vivre pour le plus grand nombre. Le système
d'enseignement africain d'aujourd'hui, inadapté et
élitiste, alimente la crise en produisant des inadaptés
économiques et sociaux et en dédaignant des pans entiers de la
population active. Pour ce constat, il parle de `'déculturation
linguistique» faite par les politiques scolaires coloniales.
Ainsi ,cette posture de KI-ZERBO est bien comprise par
Abdoulaye NIANG12 qui le cite dans son article `'l'Afrique dans
la renaissance africaine»(2009), lorsqu'il confesse que : «
nous devons, nous même, essayer d'inventer nos modèles ; nos
concepts et nos stratégies d'attaque... il nous faut faire confiance
à nous face aux confiscations qui nous menacent et risquent de
compromettre nos efforts »13.En d'autres termes, il est
obligatoire, nécessaire et possible pour le continent africain, par le
truchement de ses propres outils linguistiques, de s'affirmer et de s'auto
affirmer au fronton de la communauté scientifique mondiale.
Comprenant la pensée de KI-ZERBO nous remarquons qu'il
montre que le type d'Education formelle faite en Afrique, au moyen des langues
des ex puissances coloniales, constitue un retard pour les
sociétés africaines dans la mesure où il favorise des
impacts nocifs sur la culture et la société :l'école
arrache trop souvent les jeunes à leur milieu social, elle aggrave
fréquemment les inégalités sociales et contribue à
l'effacement des cultures autochtones.
Tout compte fait l'analyse de KI-ZERBO sur la situation
linguistique de l'Afrique dans le cadre éducatif était globale
pour toute l'Afrique. Il ne prend pas, par ailleurs, en compte les facteurs qui
peuvent empêcher sa réalisation.
Par ailleurs, au Sénégal depuis très
longtemps des analyses ont été au rendez-vous concernant la
problématique des LN. Au moment même de l'occupation coloniale Lat
Dior (1842-1886) dixit en wolof : « massuma sopp ku naan bonsuur
» (« je n'ai jamais aimé ceux qui disent bonjour
»).Ces propos du grand résistant sénégalais
laissent comprendre l'opiniâtre refus de l'oppression culturelle voire
linguistique par nombres d'africains.
En outre, nous pouvons noter les théories de Cheikh
Anta DIOP qui a tant cogité sur la sociolinguistique des pays africaines
et le choix unique d'une LN officielle au Sénégal, et plus tard
une langue unique pour toute l'Afrique. Ainsi, il s'est focalisé sur les
valeurs du wolof et de son avantage en ce qui concerne son introduction dans
les champs de formation. Sur ce, il fustige la politique velléitaire de
l'Etat du Sénégal eu égard à la non prise en
12 Abdoulaye NIANG est professeur de sociologie
à l'université Gaston Berger de
Saint-Louis(Sénégal)
13 Ki- ZERBO, 1992, la natte des autres. Pour un
développement endogène en Afrique, paris, Karthala, 494p
considération des LN dans le SEF et de la
réticence dans le cadre des choix théoriques et politiques qui se
concrétise par l'absence d'une méthodologie
d'alphabétisation clairement définie.
En effet, que faire suivant cette situation
malencontreuse de nos LN?
A cette interrogation, en découlent des
éléments de réponse à travers la conception de
Cheikh Anta Diop pour qui, il est nécessaire et idoine de
développer les LN. A ce titre, il rappelle : « il est plus
efficace de développer une langue nationale que de cultiver une langue
étrangère ; un enseignement qui serait donné dans une
langue maternelle permettrait d'éviter des années de retard dans
l'acquisition de la connaissance. Très souvent l'expression
étrangère est comme un revêtement étanche qui
empêche notre esprit d'accéder au contenu des mots qui est la
réalité. Le développement de la réflexion fait
alors place à celui de la mémoire. (...).On pourrait objecter la
multiplicité des langues en Afrique Noire .On oublie alors que l'Afrique
est un continent au même titre que l'Europe, l'Asie, l'Amérique,
or sur aucun de ceux-ci l'unité linguistique n'est
réalisée ; pourquoi serait-il nécessaire qu'elle le
fût en Afrique ? ».14.Ainsi, la volonté de
C.A.DIOP est de voir les écoles africaines en générale et
sénégalaises en particulier dispenser ses enseignements au moyen
des LN sans lesquelles le développement de l'expertise africaine est
sans lendemain meilleur. C'est ce que l'Etat sénégalais depuis la
décolonisation `' veut concrétiser» dans ses politiques de
`'promotion des LN» ou `'d'introduction des LN dans le SEF».
Par ailleurs, Abdou Sacor MBOUP 15 accorde une
place déterminante aux LN par rapport à l'acquisition et à
la transmission du savoir. « L'école africaine aurait tout
à gagner à faire la promotion des
langues nationales, non à des fins d'une simple alphabétisation
s'adressant plutôt à l'adulte, mais comme un véritable
instrument », prêche l'éducateur, qui soutient que
l'enfant doit d'abord apprendre à lire, à compter et à
écrire dans sa langue maternelle avant d'apprendre une langue
étrangère. Selon lui « L'apprentissage d'une langue
étrangère ne devrait, dès lors, intervenir qu'entre 9 et
10 ans, c'est-à-dire dès que l'enfant sera capable de
dépasser son égocentrisme dès les premiers moments de
scolarité ».16
Quid en réalité de l'usure constatée
de nos LN par rapport à la vie éducative ?
14 Cheick Anta DIOP, 1979, Nations, Nègres
et Cultures, Tome 2, Présence Africaine, P415 15 Inspecteur de
l'Education
16Idrissa SANE, « Système
éducatif sénégalais : Une réforme ancrée sur
les valeurs africaines préconisée », Le Soleil
Multimédia.
En procédant à l'analyse historique de
l'éducation formelle au Sénégal, nous convoquons Moussa
DAFF17, lorsqu'il fait l'économie de la situation qui
s'inscrit en quatre périodes :
Première période : 1830-1965.
L'enseignement était exclusivement axé sur le
Français. Il était de type normatif avec ce qu'on peut appeler la
méthode directe. Même si à partir de 1960 d'autres
orientations étaient possibles, le Sénégal a maille
à partir avec le système éducatif colonial.
Deuxième période : 1965-1980
Cette période est marquée par la mise en oeuvre de
la méthode PPF ainsi que la codification de certaines LN suivie par les
premières expériences des classes bilingues.
Troisième période : 1981-1991
Cette période marque la suppression de la méthode
PPF par la CNREF lors des EGEF afin d'insister sur l'enseignement des LN dans
les programmes scolaires.
Quatrième période : 1991...
Ce moment constitue le début des activités de
l'INEADE .En 1998, le ministère de base et des langues nationales a
initié une reforme des curriculums tentant enfin de répondre
à l'exigence de l'enseignement des LN mais aussi à
l'émergence d'un enseignement du français avec un statut de
langue seconde.
L'école sénégalaise est marquée
par l'enseignement du français. Ce dernier débute à
l'âge de six ans ou sept ans pour les écoles publiques
laïques et à l'âge de trois ans pour les écoles
privées confessionnelles catholiques et protestants .Le Français
constitue la langue d'enseignement pour toute la durée des
études. Par ailleurs, il faut noter la forte présence de d'autres
langues dans l'enseignement secondaire et universitaire au détriment de
nos langues ; d'où le point de rappeler que nos LN sont absentes au
niveau de l'éducation formelle.
Dans le rapport du 06 juin 1984 remis au Président de
la République, la CNREF (commission nationale de la reforme de
l'éducation et de la formation) expose 906 pages la politique
générale de l'éducation et ses propositions concernant
d'une part le personnel de l'école et d'autre part les moyens de»
l'école nouvelle».Cette nouvelle politique générale
de l'école a
17 M.DAFF, « l'aménagement
linguistique et didactique de la coexistence du français et des langues
nationales au Sénégal »l(1998)
consacré son chapitre 7 à l'introduction des LN
dans le système éducatif. Elle visait une école nationale
démocratique, conçue et fonctionnant dans l'intérêt
du peuple, ouverte sur la vie...il s'agit entre autres un cycle fondamental qui
reçoit les enfants de 03 à 16 ans suivant une éducation
préscolaire et de l'enseignement polyvalent, l'enseignement moyen
général obligatoire et gratuit qui prend en compte
l'apprentissage de la langue du milieu, l'enseignement des
mathématiques, de l'Art, de la religion etc.18
Ses Etats généraux dont la CNREF est
chargée de finaliser, ne seront appliqués qu'en 1995-
1996.Cependant, le chapitre qui consistait à introduire les LN dans
l'enseignement formel est laissé en rade, or certaines langues
étaient déjà transcrites pour leur éventuelle
insertion dans le système d'enseignement.
Toujours, on note des décrets abrogeant les uns les
autres en vue de faire des LN des « langues de culture » ou des
medium de transmission de connaissance à l'école de base.
A l'occasion de la 29éme semaine nationale de
l'alphabétisation le décret n° 85-1232 du 20 novembre 1985 a
été revu, complété et mis à jour lors des
ateliers des 7et 8 septembre 2004.L'objectif était de faire des LN des
langues de culture et, par la même occasion de donner plus de moyens et
d'efficacité à l'éducation la modernité et aux
efforts de développement. Ce qui requiert que ses langues soient
écrites, introduites dans le système éducatif et
utilisées dans la vie officielle et publique.19
Ce présent décret atteste que le wolof
(parlé par plus de 50 % des sénégalais) par
exemple, régisse tous les attributs linguistiques pour être
utilisé dans l'enseignement dans la mesure oüil est
doté dés lors d'un alphabet (27 lettres dont 21 consonnes et 6
voyelles), d'une
phonologie, de noms et ses déterminants, de verbes et
ses modalités, de dérivations et de composition ,ainsi que des
signes et des ponctuations dont l'ensemble est illustré par un texte
fidèlement traduit en français.(Cf. Rapport de
présentation du décret 2005-992).
Par ailleurs, l'historique de l'essai de l'enseignement
bilingue ou plurilingue au Sénégal se présente comme suit
:
1978 : les classes télévisuelles
(CTV) et non télévisuelles (CNTV).
18 Papa Mangoné BASAL, 98-99, « La
crise de l'éducation au niveau du moyen-secondaire : causes et situation
des responsabilités. Quelles perspectives de reforme pour la ville de
Saint-Louis, » mémoire de maitrise.
19 Décret n° 205 992 du 21 octobre 2005,
relatif à l'orthographe et la séparation des mots en wolof,
journal officiel du Sénégal, Dakar 25 octobre 2005.
Elles constituent la première expérience
d'introduction des LN dans le SEF. 1987 : les classes
pilotes
Cette période est déterminée par la mise
en oeuvre des classes dites pilotes à la suite des EGEF. Par
l'ouverture de ces classes pilotes, l'Etat entendait « traduire en actes
concrets les décisions populaires des Etats généraux et
les conclusions de la CNREF » (M.LOUM, Directeur de la reforme en
éducation au Sénégal, Le Soleil du 08 octobre
1987 in les langues de scolarisation dans l'enseignement fondamental en
Afrique subsaharienne francophone. Le cas du Sénégal de
M.NDIAYE et M.DIAKITE).
1995 : les écoles communautaires de base
(ECB)
Crées par les communautés villageoises, ou par
les associations locales de quartier, le plus souvent en partenariat avec des
ONG, ces dites classes ont été implantées sous l'impulsion
du ministère de l'éducation de base et des langues nationales
à partir de 1995 à la suite du colloque de Saint Louis. Pour une
durée de quatre ans (04 ans), elles accueillent des enfants et
adolescents âgés entre neuf( 09) et quatorze(14) ans non
scolarisés ou déscolarisés ,dont les conditions de vie
étaient précaires et rendaient difficile une fréquentation
de l'école publique formelle.
2002 : les écoles communautaires
élémentaires (ECE)
Crée en 2002 par la fondation Education et
Santé, ces écoles sont implantées dans les
localités de Thiès et de Kédougou .Le schéma
d'introduction des LN dans ces écoles est identique à celui du
système formel. En effet, accueille les élèves à
l'âge de six ans (06 ans) et sept ans (07 ans) qui reçoivent
durant six ans le même programme d'enseignement que dans les
écoles expérimentales publiques bilingues, avec en
suppléant, une formation aux métiers du milieu tels que le
jardinage, l'horticulture etc.
La nouvelle dénomination d' « écoles
communautaires élémentaires rurales », est
donnée à ces écoles en début 2010, vient
délimiter leurs lieux d'implantation aux zones rurales.
2002 : mise à l'essai de l'introduction des LN
à l'école élémentaire.
En 2002 la DPLN devenue DALN a été chargée
de mettre en oeuvre un nouveau programme d'introduction des LN à
l'école élémentaire. En juillet de la même
année, toutes les dispositions techniques et stratégiques
étaient mises en place pour assurer un démarrage
effectif en octobre 2002.En effet, le début s'est
effectué avec cent cinquante cinq (155) classes test avec les six (06)
premières langues codifiées (Diola, Malinké, Puular,
Sérère, Soninké et Wolof).
En effet, sous l'appui de la Banque mondiale, de l'UNESCO et
de l'OIF ces classes expérimentales démarrent pour la
période 2002-2008.Cependant, la constitution de 1971, relative à
la codification des six premières LN ci-dessus, fut revue en 2001.Ce qui
élargira l'éventail des langues codifiées, d'où des
LN. Ainsi, douze (12) nouvelles LN voient le jour(le hassaniya ; le balante, le
mancagne, le noon, le manjanque, le jalunnka etc.).
Par ailleurs, le gouvernement sénégalais avait
annoncé qu'au plus tard en 2003, l'ensemble des
dispositifs sera mis en place pour que les LN soient réellement
introduites à l'école. Un plan d'action a été
élaboré posant les premiers jalons de cette introduction dans le
système. Ainsi neuf(09) LN suffisamment codifiées devraient
être enseignées »bientôt» à l'école.
L'introduction entière des LN à l'école de base fait
partie des objectifs du PDEF.
En conséquence, tant de décrets, de programmes
et d'essai sur les langues vernaculaires sénégalaises se sont
succédés de 1968 à 2005, mais leur absence dans
l'enseignement primaire, moyen- secondaire voire universitaire demeure toujours
une triste réalité dont les motifs sont à rechercher dans
la totalité de la structure sociale sénégalaise. Cela
revient à poser ces suivantes interrogations :
Comment expliquer cette absence de
concrétisation malgré ces nombreuses politiques linguistiques,
d'analyses théoriques, scientifiques et expérimentales
axées sur les LN ? Comment expliquer l'absence d'une ou des LN dans
l'enseignement formel où elles sont davantage usitées
informellement?
A ces interrogations, des chercheurs ont
présenté une panoplie de facteurs de blocage qui semblent
être sur la voie de notre objet d'étude. Il s'agit en substance
des facteurs de blocage socio- culturels et politico- didactiques
analysés comme suit :
Selon l'argumentaire de certains penseurs la langue maternelle
ne peut pas être vecteur de transmission de connaissance à
l'école dans la mesure où c'est une trivialité d'apprendre
ce que l'on a déjà assimilé. En effet, les
déclarations de ce type sont notées : « La
majorité des parents n'approuvent pas que l'on enseigne à
l'école une langue (sa langue maternelle) que
l'on parle déjà. En effet 80% des
sénégalais analphabètes veulent apprendre le
français pour avoir une bonne situation ».
Cette analyse ci-dessus prend pour facteurs de blocage les
déterminations familiales et sociales en ce qui concerne « la
réussite » ou le « prestige social » dont « garantie
» en quelque sorte l'enseignement formel via le français.
Toutefois, il est plausible de remarquer que ces positions
antérieures aient négligé d'autres facteurs qui
empêchent la concrétisation des politiques d'introduction des LN
dans le SEF. Sur ce, d'autres chercheurs se sont focalisés sur la
situation multilingue du pays et de ses localités.
Par ailleurs, le plurilinguisme pris en compte dans le
système éducatif formel peut constituer une source de blocage
dans la mesure où l'introduction de la majorité des langues dans
ledit système requiert sa mutation profonde sans conteste. « Un
enseignement intensif des langues sénégalaises entrainerait une
reforme complète et trop coûteuse du système d'enseignement
» ; arguent certains. Dans son article Dominique ROLLAND rappelle que
: « Des expériences nombreuses ont été
menées pour introduire les langues nationales à l'école.
Elles se sont heurtées à des résistances
considérables : difficultés d'élaboration de
matériel didactique, de conceptualisation (....)
»20En d'autre termes les causes du blocage de
l'introduction des LN dans l'enseignement sont à rechercher dans
l'élaboration d'un cadre linguistique regroupant toutes les normes
éducatives tant sur le plan pédagogique que sociopolitique.
En effet, l'hétérogénéité
linguistique du pays est perçue par certains comme un blocage majeur des
perspectives d'une reforme éducative prenant en compte les LN dans la
mesure où pour changer le système il faudra réunir
d'énormes ressources économiques afin de permettre des outils
didactiques considérables et permanents. Ce qui permettra de rompre
« l'insuffisance didactique » des langues sénégalaises
en ce qui concerne le travail de codification et de transcription en vue de les
redynamiser. C'est dans ce sillage que d'aucuns signalent que par exemple :
« les recherches terminologiques en wolof qui ne sont pas
achevés et devant être élaborés en quantité
de manuels et grammaires scolaires, dictionnaires monolingues, études
sociolinguistiques sur les variétés du wolof et les recherches
terminologiques dans les autres langues sont à peine
amorcées »
20 Dominique ROLLAND, Français langue
étrangère ou français langue seconde : un grand
écart, juillet, 2000.
Cependant, les analyses ci-dessus axées sur le volet
économico didactique omettent la dimension politique qui peut constituer
un éminent élément de blocage. A ce titre, d'autres
chercheurs ont relancé le débat en s'attaquant aux politiques et
à leurs conduites face cette problématique. Les
compétences discursives et théoriques des acteurs politiques par
rapport à la politique éducative d'introduction des LN dans le
SEF seraient en déphasage avec les actions notées sur le terrain.
En tout cas c'est la perception et l'analyse de certains selon qui, la non-
introduction est liée à une réticence et à une
pusillanimité du coté des décideurs politiques. Ce qui ne
manquera pas de noter des fustigations acerbes à leurs égards.
Dans ce cadre, Souleymane GOMIS21 sur ses remarques
sur le statut de la langue française dans les écoles
sénégalaises et sur le comportement politique sur la
problématique des LN dans l'éducation formelle , réagit
à travers ces propos : « Alors on s'interroge sur la
réelle volonté des politiques et des intellectuels ,bien qu'ils
connaissent les limites de l'usage du français dans l'enseignement pour
la transmission des valeurs culturelles locales, ils ne décident pas
à joindre à cette langue du colonisateur certaines langues
nationales dans la formation du jeune citoyen »22 En
d'autres termes ,le français comme langue officielle voire de
l'administration connait des limites notoires concernant la dimension
socialisatrice, culturelle, économique et politique que peuvent avoir
nos langues dans certaines instances de la vie sociale. Ainsi, quel rôle
peuvent jouer nos langues dans ces instances que nous venons de nommer ? A
cette interrogation une panoplie de réponses peut être
donnée par nombres d'intellectuels et politiques mais, la phase pratique
reste toujours asphyxiée voire anesthésiée. Sous ce
même registre S.GOMIS ajoute : « beaucoup de discours d'hommes
politiques sénégalais portaient déjà cette
volonté de prise en compte des langues nationales. Mais jamais la classe
politique n'a réussi à dépasser cette étape du
discours pour arriver à concrétiser l'idée d'enseignement
des langues nationales ».
Au demeurant, la carence de la hardiesse pratique des
politiques par rapport à l'entrée des LN dans les programmes
scolaires se justifie selon eux par un souci d'équité
linguistique. C'est- a -dire introduire toutes les langues du territoire
sénégalais dans l'enseignement formel ou marquer totalement leur
non- existence dans le système dans le but de permettre l'unité
nationale par le truchement de la langue française. A ce titre, Lilian
KESTELLOT ne cache pas son interprétation des faits lorsqu'il dit :
« la seule réponse que les décideurs politiques
sénégalais affichent et qui reste purement politique consiste
toujours à dire que le choix du
21 Professeur de sociologie à
l'université Cheikh Anta DIOP de Dakar
22 Souleymane GOMIS, 2003, La relation
famille-école, l' Harmattan, pp99.
français permet d'éviter des tensions entre
les différentes composantes linguistiques de la nation
sénégalaise ». Cependant, comment réaliser cette
unité par le biais de la langue de ceux qui nous ont désunis en
traçant arbitrairement nos frontières géographiques et
linguistiques ? A cette interrogation, rappelons nous des propos du chanteur
Tiken Jah FACOLY lorsqu'il dit : « ils ont partagé Africa(...)
une partie de l'empire mandingue se trouvant chez les wolof, une partie de
l'empire mossie l'empire mandingue se trouvant chez les wolof, une partie de
l'empire mossie se trouvant dans le Ghana, une partie de l'empire soussou se
trouvant dans l'empire mandingue, une partie de l'empire mandingue se trouvant
chez les Mossie (...) ».Cette analyse empirique de l'artiste
-compositeur nous permet d'être prudent avec l'analyse des politiques
consistant à chercher les blocages dans la configuration sociopolitique
et sociolinguistique des pays africains.
En effet, nous sommes convenus que la perspective d'introduire
dans l'enseignement formel une ou des LN paraît bien périlleuse
voire laborieuse. Ainsi, ces facteurs de blocage ont un soubassement politique
du fait que les politiques longtemps énoncées ou
élaborées ne sont pas encore traduites en acte par les
décideurs étatiques. En effet, ces précédentes
analyses s'inscrivent en partie dans la voie de notre objet de recherche.
Axées sur le plan politique, ces analyses trouvent
toute leur véracité analytique. Cependant, elles omettent une
dimension qui est essentielle dans notre problématique de recherche.
Elles n'ont pas su prendre en compte le facteur-représentation des LN
par rapport à l'enseignement formel marqué par l'usage des
langues extra sénégalaises. En effet, comment
décrire les représentations individuelles et collectives
(représentations sociales) à l'égard des LN au
Sénégal ? Constituent-elles un facteur de blocage pour
l'introduction des LN dans le SEF ? En outre, les représentations
sociales des LN ne déterminent-elles pas la pusillanimité des
décideurs politiques vis-à-vis de leur introduction dans le SEF
?
C'est face à ces interrogations que je me propose, en
déconstruisant et en complétant les thèses
antérieures, de rechercher les véritables causes de la non-
introduction des LN dans l'enseignement élémentaire formel
après l'échec des classes dites « expérimentales
»23 mises en oeuvre dans le but d' actionner cette politique d'
introduction .
En effet, sous l'aiguillon de nos hypothèses de recherche
qui constitueront le fil conducteur de notre objet d'étude, nous
chercherons à décrypter les préoccupations
signalées plus haut.
23 Une classe expérimentale est une classe
bilingue(en expérimentation depuis 2002 au Sénégal)
consistant à enseigner la langue officielle et la langue du
territoire.
Pour ce faire, les préoccupations et interrogations de
notre travail seront sous-tendues par une question spécifique de
recherche.
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