Analyse et synthèse
Après avoir présenté quantitativement les
différents scores obtenus dans des tableaux bien
détaillés, il serait intéressant de faire dans ce qui suit
une analyse qualitative de ces derniers, afin de mieux cerner les effets et de
les mettre en relation afin de pouvoir vérifier ou infirmer les deux
hypothèses.
Tout d'abord, nous relevons à partir de nos
observations au cours de la passation que le test peut engendrer une certaine
confusion et anxiété chez les enfants. Il demande en effet, une
concentration de leur part ainsi qu'une facilité à accepter
l'examinateur et à entrer avec lui en relation, afin de réaliser
les exercices aisément. A noter que les enfants du groupe
expérimental posent plus de questions comme « Est-ce que c'est
noté ? Pourquoi tu fais ces jeux ? Pourquoi tu ne rencontres pas toute
la classe ? », surtout que nos rencontres étaient dans un cadre
scolaire. Ces derniers stressaient du chronomètre et de la demande d'une
certaine rapidité. En plus, les enfants qui ont vécu la guerre,
prenaient plus de plaisir à exécuter ce qui est demandé,
et à découvrir des choses nouvelles. Tandis que les enfants
témoins n'exprimaient pas leur ressenti vis-à-vis des tests, et
semblaient être habitués à se concentrer sur des exercices
cognitifs.
Le faible effectif et la grande variabilité
interindividuelle sont caractéristiques de ces deux populations. Ainsi,
comme nous l'avons annoncé précédemment, afin d'aller au
delà des résultats moyens, nous avons mené une analyse des
protocoles individuels, visant à mettre en évidence la
cohérence et les différences interindividuelles. Mais, nous
tenons à rappeler que ce faible effectif est la conséquence
directe de quelques précautions : même institution pour chaque
population afin de limiter la variabilité, même région,
...
D'une manière générale, les
résultats montrent des différences significatives au niveau du
sexe et du vécu de la guerre. Nous notons qu'en ce qui concerne la
variable sexe, les différences significatives n'ont pas
été considérables pour toutes les épreuves. En
plus, il n'y a pas de différences entre les enfants qui ont le PTSD et
ceux qui n'ont pas le PTSD, au niveau de l'attention et la mémoire. Ce
qui veut dire que le fait d'avoir vécu un traumatisme garde des effets
et séquelles cognitives telles que la mémoire et l'attention
même s'il n'y a pas une persistance de stress post-traumatique. Le
vécu des mêmes évènements traumatiques, a
donné des résultats semblables dans les tests et les subtests
passés.
Nous n'avons pas mis en relief les variations par rapport
à l'age, puisque l'examen des résultats montre, pour les deux
populations, une progression générale des moyennes avec l'age,
qui peuvent correspondre à l'évolution et au développement
des fonctions exécutives. Les résultats infirment la
théorie suivant laquelle les enfants qui ont tardivement vécu une
guerre ont moins de difficultés et sont moins atteints par les
conséquences de la guerre, et que ceux qui ont précocement
vécu la guerre ont plus de dégâts. Donc, tous ces enfants
qui ont vécu la guerre entre l'age de 4 et 8 ans, en 2006, ont eu la
même intensité de dommages.
Plus spécifiquement, nous pouvons dire que notre
première hypothèse est vérifiée : l'attention des
enfants ayant vécu la guerre de juillet 2006 est plus
altérée que celle des enfants témoins. Cette atteinte se
généralise à la capacité attentionnelle
sélective, soutenue et auditive, mais non pas pour celle visuelle.
Au niveau de l'attention sélective, les enfants du
groupe expérimental montrent des difficultés à ignorer des
éléments et de porter leur attention uniquement sur d'autres
éléments exigés. Cette sélection demande un certain
effort mental, et est considéré comme un filtre qui permet
d'éviter la surcharge du système mental (Broadbent ; 1958). Afin
d'être bien perçues, les informations doivent être
sélectionnées une à une. Ce qui se trouve
déficitaire chez les enfants qui ont vécu la guerre, puisqu'ils
n'arrivent pas à négliger des éléments et à
focaliser leurs attentions sur les renseignements données. En
conséquence, les enfants se distraient par l'autre stimulus, et ils
n'ont pas la capacité d'inhiber la procédure automatique de la
lecture des mots (Stroop), et de focaliser leur attention sur une cible
particulière, qui est la couleur de l'encre. Cette focalisation se rend
possible grace à des processus de sélection et d'activation de
l'information cible et grace à l'inhibition de l'activation des
informations potentiellement perturbatrices du traitement focal.
L'intégrité de certains processus inhibiteurs
est donc nécessaire au bon fonctionnement de l'attention
sélective ; et alors, nous remarquons chez les enfants qui ont
vécu la guerre, le processus d'inhibition mentale, qui est une fonction
exécutive, est également défaillante.
Au niveau de l'attention soutenue, le test d2 met en
évidence un effet de fatigabilité ou une fluctuation
attentionnelle, chez les enfants qui ont vécu la guerre. Ces derniers,
en situation de guerre, leur attention était partagée entre la
tache qu'ils effectuent et entre ce qui peut se
passer à l'extérieur, et, après le
cessez-le-feu, ils étaient habités par la guerre et
préoccupés par ce qui peut arriver à tout moment à
eux-mêmes, à leurs collègues et leurs membres de leur
famille. Dans ces conditions, ils n'étaient pas habitués à
se concentrer totalement sur ce qu'ils exécutaient, et leurs attentions
sont profondément affectées. Donc, les facteurs
d'insécurité et la pensée aux évènements
violents immédiats que les enfants doivent faire face, perturbent leurs
capacités d'attention sur les taches proposées.
Une étude de l'aspect temporel des relations entre
motivation et attention soutenue, nous parait d'un intérêt majeur
pour une meilleure compréhension des difficultés
rencontrées par les élèves qui ont vécu la guerre,
et surtout les filles. Ils sont plus attentionnés à leurs soucis
personnels qu'aux demandes de l'autre. Plusieurs facteurs entrent en jeu,
pouvant diminuer la motivation : le stress personnel, l'instabilité de
l'environnement,... Nos nombreuses gratifications étaient
évaluées comme très motivantes pour les enfants ayant
vécu la guerre.
L'enfance est considérée comme étant une
période sans contraintes sociales et économiques, marquée
par l'apprentissage et le jeu. Les enfants sont passés dans une
période de temps, pendant et après la guerre, durant laquelle les
lieux spécifiques aux jeux étaient détruits, les parents
avaient peur de les laisser jouer dehors comme ils veulent, les enfants
eux-mêmes étaient anxieux de ce qui peut se passer à
n'importe quel moment (bombes, attaques aériennes, .). Ce qui a
limité leur manipulation des jeux pour quelques semaines ou mois.
Puisque le danger faisait partie de leur vie quotidienne, l'imprévu
quasi-quotidien rendait difficile la projection de ces élèves
dans l'avenir, et les empêche de planifier et de donner de sens et de
l'intérêt aux taches cognitives et à l'éducation.
Au niveau de l'attention auditive, chez le groupe
expérimental, il y avait beaucoup de comportements sans rapport avec la
tache durant le subtest des couleurs, comme des mouvements des doigts et des
mains, des tremblements, des hésitations, ... ce qui tend à
confirmer un problème de l'attention et d'impulsivité, en plus
d'un excès d'angoisse dü à la rapidité, que les
enfants ont mentionné.
Au niveau de l'attention visuelle, la normalité obtenue
chez le groupe expérimental, confirme que les enfants sont capables de
conserver leur attention quand la charge cognitive augmente, et de conserver
toutes les caractéristiques dans leur mémoire de travail. Tandis
que
nous trouvons que les filles ayant vécu la guerre, ont
plus de difficultés à ce niveau. Nous remarquons que les enfants
du groupe témoin ont obtenu plus des scores limites.
La réalisation d'une tâche cognitive
nécessiterait une mobilisation importante et un hyper-effort, pouvant
entraîner une sensation de fatigue. Le maintien d'un niveau de
performance suffisant au cours d'une épreuve ferait donc appel à
un effort supplémentaire. Nous pourrons également envisager que,
à partir d'un certain seuil de stress, l'enfant n'a plus la
possibilité de compenser ses déficits attentionnelles. Mais, nos
résultats ne montrent pas des différences significatives, chez
les enfants qui ont plus des symptômes de stress posttraumatique. Ce qui
peut montrer que la guerre est en elle-même un épisode stressant,
même si le nombre des symptômes n'aboutit pas à un
diagnostique pathologique de PTSD.
Ainsi, la deuxième hypothèse stipulant que les
enfants qui ont vécu la guerre de juillet 2006 ont des
difficultés au niveau de la mémoire auditive et visuelle, est
également quasivérifiée. En effet, tous les
résultats prouvent que l'exposition à la guerre a un effet
perturbant sur la mémoire auditive plus que sur la mémoire
visuelle.
Le subtest de la mémoire visuelle semble être
plus facile que le subtest de la mémoire auditive pour les enfants des
deux groupes. La reconnaissance et la mémoire des visages commencent
à émerger dès la petite enfance. Cependant, les
stratégies employées par les jeunes enfants pour identifier des
visages inconnus sont les détails tels que des traits saillants, le type
de coiffure et les lunettes. Ce qui n'est pas déficitaire chez notre
groupe expérimental.
Le subtest des prénoms évaluant la
mémoire auditive est une tache d'association de paires visuoverbales. Se
souvenir de visages et de prénoms fait partie des expériences
quotidiennes des enfants, tandis que c'est aussi complexe et implique la
formation d'associations intermodales entre des informations visuelle et
sémantique. Il fait appel à l'apprentissage, à l'attention
active, à la planification stratégique et à l'aptitude
à récupérer ce qui a été appris après
un certain délai. Il demande aussi une facilité d'accès
aux informations stockées en mémoire à long et à
court terme. De ce fait, des faibles performances à cette tache
apparaissent chez les enfants qui ont vécu la guerre, ce qui nous
renseigne sur l'inorganisation
des stratégies et de la planification. Nous discernons
qu'un chiffre non négligeable des enfants témoins a eu un score
limite pour ce subtest.
Les chercheurs suggèrent que les déficits
d'encodage ont un effet nocif sur le système de se souvenir à
court terme. Les enfants de notre groupe expérimental manifestent autant
de déficits dans la capacité de prendre de nouvelles informations
mais pas dans la capacité à conceptualiser et à manipuler
des informations précédemment encodées.
Incapables d'intégrer les souvenirs traumatiques, les
enfants de la guerre semblent avoir perdu la capacité d'assimiler de
nouvelles expériences. Les choses se passent donc comme si leur
personnalité est arrêtée définitivement à un
certain point, et ne pouvait plus s'accroître par l'adjonction ou
l'assimilation d'éléments nouveaux (Janet, 1904). Tous ces
enfants qui vivent un trauma semblent arrêtés dans
l'évolution de la vie, ils sont accrochés à un obstacle
qu'ils n'arrivent pas à « franchir ». Le stress est autant un
moyen de perturber l'attention ou au contraire de focaliser l'attention sur des
évènements passés. Leur esprit n'est pas disponible
à l'écoute, à la mémorisation, au désir
d'apprendre et de reproduire. Nous le comprenons : ils sont soucieux, inquiets,
déstabilisés, déstructurés, apeurés,
angoissés, appréhensifs au sujet de tout, de leur vie, des
autres, du monde alentour.
Un des premiers concepts de Janet qui est tombé en
abandon est son modèle de l'économie mentale. Selon ce
modèle, le trauma occasionne une instabilité dans les niveaux
psychologiques et trouble toujours la tension psychologique, la capacité
de diriger l'énergie et la concentration vers un acte canalisé et
créative, comme la mémoire des prénoms.
L'expérience que les enfants ont vécue dans leur enfance,
revenait en mémoire ; et quand la mémoire leur est ravivée
par quelques évènements, c'est là que les symptômes
réapparaissaient et que la personne souffrait de difficultés
mentales dus à l'influence de ces remémorations.
D'autres chercheurs soulèvent la possibilité que
les troubles de mémoire survenant chez certaines personnes ayant le PTSD
pourraient découler notamment de troubles d'attention soutenue ou
sélective (Wolfe & Schlesinger, 1997). Il devient donc important de
contrôler ces variables lors de mesures du niveau de mémoire. Ce
qui correspond à la corrélation trouvée entre l'attention
soutenue et la mémoire visuelle.
L'insuffisance mnésique peut être liée
à une inhibition intellectuelle avec un certain
désintérêt, et peut aussi recouvrir un problème
attentionnel, renvoyant à une anxiété ou au stress.
A noter que les épreuves utilisées pour
l'évaluation de la mémoire, impliquent la mémoire
sémantique et non pas la mémoire épisodique.
Par contre, quelques enfants peuvent avoir le stress
post-traumatiques et utiliser le déni comme mécanisme de
défense. Selon Yehuda et ses collègues (1995), ce ne serait pas
l'âge des participants qui expliquerait les différents
résultats, mais le temps écoulé entre le traumatisme et
l'expérimentation. Un enfant qui est soumis à un stress intense
et répété, ne va pas opérer ces différents
contrôles sur lui-même comme un enfant élevé sans
stress continu.
Selon certains chercheurs (Nixon et al., 2004), les troubles
de mémoire sont fortement associés à l'intensité et
au type d'expérience traumatisante plutôt qu'à la
symptomatologie du PTSD. Donc, même si les symptômes du PTSD sont
peu nombreux chez quelques enfants, leurs mémoires sont très
affectées. Les symptômes ne sont donc pas apparents de
manière constante et sont propres à chaque sujet. Il est tout
à fait possible qu'une personne en état de stress
posttraumatique, réponde adéquatement et intelligemment à
des questions qui lui sont posées à propos de son vécu, de
ses perceptions, ~
|