Chapitre III Cadre théorique et
méthodologique
Dans ce chapitre, nous présenterons dans un premier
temps le cadre théorique de notre étude et dans un second temps
les sources de données que nous envisageons d'utiliser pour expliquer
notre théorie principale, puis nous évaluerons la qualité
de ces données pour finir par la présentation des méthodes
d'analyse retenues pour l'étude.
3.1 Les facteurs liés à la demande et
à l'offre
Parmi les facteurs prédisposants à la demande de
soins obstétricaux, nous pouvons citer entre autres, l'âge de la
femme, le niveau d'instruction de la femme, le niveau de vie du ménage,
l'ethnie, la religion, le milieu de résidence et le milieu de
socialisation.
L'âge est l'une des variables clés dans l'analyse
des déterminants de l'utilisation des services de santé
maternelle et infantile. Dans la plupart de cas, on observe une
corrélation entre l'âge de la femme et le recours aux soins
obstétricaux.
L'instruction de la femme en Afrique l'expose à la
modernisation et par conséquent à la remise en cause des valeurs
traditionnelles. Il est communément admis dans la littérature que
les femmes instruites ont tendance à avoir moins d'enfants que celles
non instruites. Cette situation est rendue possible par la forte ouverture des
femmes instruites (accès à l'information, exposition aux
médias, accès à la contraception) et le fait que celles-ci
vivent pour la plupart en ville et exercent une activité moderne.
On s'attend donc à ce que le niveau d'instruction
constitue un facteur favorable à l'accès aux soins
obstétricaux c'est-à-dire que l'accès aux soins
obstétricaux augmente avec le niveau d'instruction de la femme.
Le niveau de vie du ménage influence positivement la
prise en charge médicale de la grossesse. Des études
menées dans différents contextes ont montré que les
couches sociales les plus aisées sont les principales
bénéficiaires des services des soins obstétricaux : au
Pakistan, au Cameroun, au Bénin, etc. Le rapport de l'UNICEF (2004)
indique qu'au Pakistan, seulement 7% de femmes de ménages pauvres
reçoivent des soins prénatals, contre 70% de femmes issues de
ménages riches. Au Cameroun, Beninguisse (2001) constate que le recours
à la prise en charge médicale de la grossesse et la compliance
aux recommandations
augmentent significativement avec l'élévation du
niveau de vie du ménage. Dans le contexte béninois,
Tollegbé A., (2004) constate que la discontinuité des soins
obstétricaux chez les femmes de faible niveau de vie (31%) est
près de 4 fois plus élevée que les femmes de niveau de vie
élevé.
On remarque que la pauvreté des ménages est
évoquée pour expliquer la fréquentation des services de
santé en général (Akoto et al. 2002 ; Tabutin D., 1999 ;
Fournier et al, 1995 ; etc.) et ceux de santé maternelle en particulier
(Zoungrana, 1993 ; Beninguisse G, 2001 ; etc.). La pauvreté des
ménages accentue ainsi les risques encourus par une femme au cours de sa
grossesse ou pendant son accouchement. Plus le niveau de vie du ménage
est faible, moins souvent la femme a recours aux soins obstétricaux.
C'est dans ce sens que Beninguisse G. (2001) souligne que les groupes sociaux
les plus défavorisés ne pouvant y accéder, n'ont souvent
d'autre chois de se soumettre à la consultation divinatoire dont le
coût des prestations n'est souvent que symbolique.
Fort de ce constat, on s'attend à ce que l'accès
aux soins obstétricaux augmente avec le niveau de vie
s'améliore.
Définie comme étant « un système
institutionnalisé de croyances, de symboles, de valeurs et de pratiques
relatives » à la divinité (Akoto, 1993), la religion a une
influence sur le mode de vie des adeptes. La religion, comme l'ethnie, joue un
rôle capital dans les différences que l'on observe en
matière de recours aux soins obstétricaux. La littérature
évoque une opposition entre les chrétiens et les musulmans et/ou
les animistes. Pour la plupart des auteurs, la religion chrétienne
apparaît comme un facteur de changement et d'adaptation ; les
chrétiens sont plus enclins à utiliser les soins de santé
modernes. A l'opposé, la religion musulmane, un peu conservatrice, a
tendance à favoriser le recours à la médecine
traditionnelle (Akoto, et al. 2002 ; Tollegbé A., 2004). Au Bangladesh,
les notions de pureté et de honte sont importantes pour
déterminer le statut d'une femme que les femmes patientes musulmanes ne
peuvent pas parler directement à leur médecin, c'est le mari ou
le père qui explique le problème de santé au
médecin au nom de la femme (CRDI, 1995 ; Djourdebbé B. F..,
2005).
De ce fait, on s'attend à ce que les femmes musulmanes et
les femmes sans religion aient moins accès aux soins obstétricaux
par rapport aux femmes chrétiennes au Tchad.
Le milieu de résidence influence également
l'utilisation des services des soins obstétricaux. Plusieurs
études réalisées dans les pays en développement
tiennent compte du
milieu de résidence comme facteur explicatif de la
variation différentielle dans le recours des femmes aux soins pendant la
grossesse et l'accouchement. L'intérêt que l'on accorde à
cette variable découle des inégalités observées
entre le milieu urbain et le milieu rural. En général, on observe
une forte concentration des infrastructures socio-sanitaires en milieu urbain
au détriment du milieu rural. Ainsi, Rakotondrabe F. P (1996) estime que
grâce à ces infrastructures sanitaires, il est plus facile de
mettre en oeuvre des mesures de santé publique dans les villes que dans
les campagnes (contrôle des épidémies, de programme
élargi de vaccination, de programme de protection maternelle et
infantile). Au vu de cette situation inégalitaire, il n'est donc pas
surprenant d'observer dans la plupart des travaux, des différences
significatives entre les villes et les campagnes concernant la prise en charge
médicale de la grossesse. Au Cameroun, Beninguisse G. (2001) a
constaté que moins de 70% de femmes y recouraient aux soins pendant la
grossesse en milieu rural contre 92% de femmes en milieu urbain. Dans le
contexte béninois, Tollegbé A. (2004) a constaté que parmi
les femmes ayant effectué au moins une consultation, environ 36% de
femmes résidant en milieu rural ont effectué moins de quatre CPN
contre 21% environ pour les femmes résidant en milieu urbain. Au Tchad,
Assemal A. (2003) a remarqué que la tendance est à une meilleure
prise en charge médicale de la grossesse chez les femmes de la ville.
Au vu de cette revue de littérature, on s'attend à
ce que les femmes résidant en milieu rural aient moins accès aux
soins obstétricaux que leurs homologues du milieu urbain.
Le milieu de socialisation13 pendant l'enfance joue
un rôle non négligeable en matière de choix
thérapeutique. En psychologie sociale, la socialisation désigne
le processus par lequel les individus apprennent les modes d'agir et de penser
de leur environnement, les intériorisent en les intégrant
à leur personnalité et deviennent membres de groupes où
ils acquièrent un statut spécifique (Tollegbé A., 2004).
En tant qu'élément de modernité culturelle qui
modèle les manières d'agir, de penser et de sentir des hommes, le
milieu de socialisation de la femme pendant l'enfance est à même
d'influencer positivement ou négativement le recours aux soins
obstétricaux. Selon Sala-diakanda F. (1999), plus on est
socialisé en milieu urbain, plus on adopte des comportements favorables
à un recours de qualité aux soins pendant la grossesse et, ce par
l'intermédiaire du personnel médical que l'on consulte.
13 Milieu où l'on a passé les douze
premières années de sa naissance
On s'attend donc à ce que les femmes socialisées
en milieu rural soient plus touchées par la pauvreté et par
conséquent enclins à une faible fréquentation des services
obstétricaux par rapport à celles socialisées en milieu
urbain.
Parmi les facteurs facilitants, nous pouvons citer, entre autres,
la disponibilité, l'accessibilité, le coût et la
qualité de services.
La disponibilité des infrastructures socio-sanitaires
explique en partie le recours aux soins de santé. Pour qu'une gestante
ait recours aux soins prénatals, il faudrait que les structures
sanitaires soient disponibles. Or, dans de nombreux pays en
développement, on note une insuffisance des établissements
sanitaires à l'échelle nationale. Cette situation constitue
vraisemblablement une barrière à « la santé pour tous
». Par ailleurs, la forte concentration des infrastructures
socio-sanitaires dans les villes est un autre problème. Les campagnes
sont très souvent des « laissées-pour-compte ».
L'inégale concentration des services de santé entre les villes et
les campagnes explique en partie les inégalités d'accès
aux soins obstétricaux entre ces deux milieux.
Au Tchad, l'action du Gouvernement dans le domaine de la
santé est relayée par les organisations non gouvernementales. En
dépit des efforts consentis, la demande en services et soins de
santé ne cesse d'augmenter en particulier en raison de la poussée
démographique et l'explosion urbaine.
D'une manière générale, diverses
études considèrent l'accessibilité géographique
comme un facteur limitant majeur de l'utilisation des services de soins
obstétricaux. Une étude réalisée par le CRDI entre
1994 et 1995 a révélé que l'éloignement du centre
de santé avait une forte influence sur la fréquence des CPN au
deuxième et au troisième trimestre de la grossesse.
« Les femmes sont frustrées et
découragées lorsqu'elles parcourent de longues distances à
pieds pour se rendre au centre de santé et se font dire que le
travailleur de la santé n'est pas là, qu'une seule personne est
disponible, qu'elle doit s'occuper de beaucoup de gens et qu'elle ne peut donc
pas prêter l'attention nécessaire ni offrir un service
personnalisé à chacun des clients » (CRDI, 1995 :
cité par Djourdebbé F, 2005). A Bamako, Zoungrana (1993),
cité par Djourdebbé F. (2005) il a été
constaté que la bonne santé (35%) et la distance entre le
domicile et les services de santé (19%) sont les principales raisons
avancées par les 28% de femmes qui n'ont effectué aucune visite
prénatale. Selon Goïdi et Dia (2001), cités
par Djourdebbé F (2005), dans le Tchad rural, les
distances pour atteindre un centre de santé sont grandes (jusqu'à
30Km et plus), en plus, les routes sont mauvaises, le personnel des centres de
santé est peu qualifié et masculin le plus souvent.
Cependant, l'éloignement géographique des
services de santé n'est pas toujours un obstacle à l'utilisation
en particulier en milieu urbain. C'est dans cette logique que Beninguisse
(2001), cité par Djourdebbé (2005), a affirmé que
l'augmentation de la distance n'est donc pas forcement un handicap au recours
aux soins prénatals. Beninguisse (2001) a constaté qu'en milieu
urbain camerounais, le recours et respect des règles de
prévention en vigueur sont meilleurs au-delà de 14 km, ce qui
était loin d'être le cas en milieu rural. D'après l'auteur,
les femmes qui habitent ce rayon (plus de 14 Km) sont issues de quartiers
résidentiels en périphérie de la ville et sont
majoritairement issues des ménages économiquement aisés
qui sont matériellement capables de faire face à
l'éloignement géographique des services de santé. Les
coûts relatifs à l'utilisation des services et au transport sont
susceptibles de constituer un facteur limitant à l'accès aux
soins de santé (Zoungrana, 1993 ; CRDI, 1995 ; Fournier et Haddad, 1995,
etc.) cités par Djourdebbé (2005). Pour Fournier et Haddad
(1995), dans le processus de soins, les populations font face à des
coûts de diverses natures, monétaires ou non monétaires,
directes ou indirectes même quand les services publics sont gratuits. Les
utilisateurs doivent supporter des coûts directs (achats des
médicaments en rupture de stock ou pour les dessous-de-table au
personnel, etc.) et des coûts indirects (les coûts de transport,
les coûts d'attente, les pertes de temps et le revenu, etc.). En effet,
le manque d'accès aux ressources nécessaires pour couvrir les
coûts du transport, de services et du traitement est un autre obstacle
à l'accès aux soins de santé maternelle (CRDI, 1995 ;
cité par Djourdebbé (2005). «Les femmes qui dépendent
économiquement de leur époux ou de leur famille doivent compter
sur les membres masculins de la famille pour payer les frais associés
aux services de santé. Ce sont généralement les hommes qui
ont le dernier mot quand il s'agit de décider si on peut dépenser
l'argent nécessaire pour qu'un membre de la famille se rende dans un
centre de santé ».
Lors d'une enquête qualitative, une femme tchadienne
déclarait : « chaque fois, il faut payer 100 francs par ci. Si on
multiplie ces 100 francs par le nombre de fois qu'on va à
l'hôpital, on ne peut pas trouver les sommes nécessaires »
Wyss et Nandjingar (1995). Nous voyons tout de suite que le coût direct
des prestations sanitaires paraît comme un important facteur d'abstention
ou de déperdition thérapeutique. Dans un contexte de
pauvreté, la femme
enceinte aura tendance à limiter le nombre de visites afin
de faire face à d'autres besoins de la vie quotidienne.
Certes, le manque de moyens ne se situe pas uniquement au
niveau des individus mais aussi de l'Etat. L'Etat a instauré un
système de tarification des soins de santé depuis la mise en
place de « l'initiative de Bamako14 pour permettre
l'autogestion des formations sanitaires. L'application de cette initiative a
contribué à marginaliser les couches démunies, car il
n'existe plus de gratuité de soins et de médicaments. Tout
s'achète, tout se vend. C'est ainsi que Tizio et Florie ont
intitulé un article : « santé pour tous ou maladie pour
chacun ? Sans argent, on ne peut plus se soigner » Tounsida, 2001 ;
cité par Djourdebbé (2005).
Ainsi, on s'attend à ce que l'accès aux soins
obstétricaux augmente quand le coût des services sanitaires
diminue.
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