CONCLUSION
Le mai-maisme s'est depuis un temps défini comme un
système de pensée plutôt qu'une organisation occasionnelle
des communautés pour se défendre. Il a des forces et limites. Ces
dernières entraves son intégration et son émergence. Ce
qui lui confère un statut marginal et l'empêche d'impulser une
culture politique véritablement démocratique.
98 A. TOURAINE, Penser autrement, Paris,
Fayard, 19....., p. 227.
CONCLUSION GENERALE
Au terme de ce travail, il importe de souligner qu'il
s'inscrit dans le champ épistémologique de la sociologie
politique et de l'anthropologie politique. Il est consacré à
l'étude des fondements des idéologies des mouvements de
résistance et leurs actions protestataires en tant que
phénomène social total. Pour dégager en aval, le rapport
entre le mouvement de résistance et la culture politique dans un
processus interactionniste, nous avons manipulé, en amont, les
catégories analytiques suivantes : fondements idéologiques,
actions protestataires, culture politique et actions protestataires ou
revendicatrices.
Le choix du Sud-Kivu comme champ d'étude tient au fait
qu'il est un système social autonome et intégré au
système national. Le phénomène de mouvement de
résistance s'y manifeste à l'instar des provinces du Nord-Kivu et
du Maniema. Dans les 3 provinces du Kivu ancien, il est évident que la
production du phénomène mai-mai n'a pas été
identique. Dans son article cité par F.D. Amuri Misako, A. Mwaka Bwenge
précise que :
« Le phénomène Mayi-Mayi reste
enraciné dans les contradictions locales au Kivu, en Afrique des Grands
Lacs, et dans le nouvel ordre mondial qu'il serait biaisé de n'y voir
qu'une réalité récurrente ne s'enracinant que dans les
problèmes fonciers et identitaires caractéristiques de province
du Nord-Kivu et, dans une certaine mesure, du Sud-Kivu (...) »
(99).
Le constant sur l'existence réelle des mouvements de
résistance au Sud-Kivu a alerté notre esprit scientifique. Ainsi,
nous avons
99 A. MWAKA BWENGE, « Les milices mai-mayi
à l'Est de la République Démocratique du Congo : dynamique
d'une gouvernementalité en situation de crise » in Revue
africaine de sociologie 7, 2003, p. 86 cité par F.D. AMURI MISEKA,
Op.cit, p.8.
cherché à répondre à un
questionnement sur les fondements de leurs idéologies et la nature des
actions revendicatrices d'une côté, ainsi que sur le rôle du
système d'idées dans la construction d'une culture politique
démocratique. C'est donc, la recherche du pourquoi de la persistance des
idéologies de résistance dans un processus de
démocratisation.
Partant de ce questionnement, nous avons formulé les
hypothèses dans les termes ci-dessous:
Les mouvements de résistance au Sud-kivu tirent leurs
origines dans les rebellions historiques connues dans le Kivu.
Les idées contestataires qui ont présidé
à la formation-déformationreformation des mouvements de
résistance au Sud-Kivu sont justifiables du contexte de guerre et de
l'inefficacité des pouvoirs publics à résorber les
tensions sociales et à assurer l'intérêt
général. Cette crise conjoncturelle a permis de légitimer
les idées protestataires dont la manifestation sous forme de mouvement
de résistance est une expression collective du refus de l'ordre
politique établi.
L'idéologie des mouvements de résistance a pour
soubassement l'effondrement de l'Etat, l'exclusion dans le système
politique national des communautés rurales et l'éclosion des
survivances révolutionnaires. Les actions menées sont de nature
violente.
Le choix de la violence attribue aux mouvements de
résistance un rôle freinateur pour la construction d'une culture
démocratique qui se veut pacifiste et légaliste.
Après l'analyse des faits, il se dégage que la
résurgence des mouvements de résistance au Sud-Kivu est
essentiellement liée au contexte de crise politique en RD Congo, se
trouvant dans le prolongement des rebellions existantes au début de
l'indépendance de la R.D. Congo. Né dans un contexte nouveau
caractérisé par la présence du mouvement rebelle du R.C.D.
avec ses alliées, le Rwanda et l'Ouganda, les mouvements de
résistance ont été des acteurs dans les conflits violents
et dans le processus de négociation politique conduisant à
leur
transfiguration. Par ailleurs, ils sont nés
également de la cristallisation des conflits identitaires et fonciers
entre les communautés. En dehors de ce socle de violence, les mouvements
de résistance trouvent leur émergence dans une prise de
conscience des communautés rurales en imposant leur participation dans
le système national longtemps dominé et géré par le
milieu urbain. D'une manière générale, il s'observe une
rupture avec les anciennes rébellions quant à leur permanence
dans les milieux ruraux à l'exception des mouvements de
résistance de Fizi. Toutefois, il y a lieu de relever la contagion dans
certaines représentations comme les rites superstitieux. Ces derniers
ont joué un rôle psychologique certain sur l'engagement des
combattants, en même temps qu'ils ont servi d'élément
identitaire aux groupes armés qui les pratiquent.
Les moyens mis en oeuvre ont plus valorisé les
ressources humaines et symboliques en négligeant les ressources
matérielles et financières perçues comme hasardées
et contingentées. Ceci explique en partie l'occupation des espaces
tribaux ou claniques.
En tant que mouvement social au sens tourainien, les
mouvements de résistance, loin d'être des forces négatives,
sont des acteurs au processus historique, et sont porteurs des projets propres
avec des logiques protestataires, parentales, nationales ou ethniques. Les
projets tirent leur source dans le système d'idées
véhiculé sous forme d'une idéologie, laquelle a des
fondements à la fois matériels et immatériels. En effet,
les fondements des mouvements de résistance présentent trois axes
à savoir : philosophico-psychologique, historicopolitique et
anthropo-sociologique. La recherche empirique démontre que l'axe
philosophico-anthropologique retient des variables plus favorables liées
aux aspects ontologiques (lien mythique entre l'homme et la terre ainsi que le
souci de la protection du territoire) et aux aspirations naturelles de l'homme
(la liberté, la justice, les valeurs culturelles). Toutefois,
l'influence des bases historico-politiques comme l'effondrement de l'Etat,
l'éclosion des survivances révolutionnaires et la recherche du
pouvoir ou celles anthropo-sociologiques comme l'isolement des
sociétés rurales, la superstition et la conception
traditionnaliste de l'Etat ne sont négligeables. Il y a lieu de
remarquer que les bases de l'idéologie des mouvements de
résistance sont plus immatérielles que matérielles.
Cependant, les variations constatées dans les pratiques et
systèmes de pensées rejettent le principe de l'immuabilité
des essences de leurs idées mais elles confirment le relativisme de
leurs bases idéologiques100.
Les actions protestataires ne sont pas que violentes mais
aussi la mise en place d'un système de gestion des entités
contrôlées. La violence s'est manifestée par les combats
engagés, les viols et extorsion, les tueries et massacres, etc. Quant
à l'administration des entités, les mouvements de
résistance ont, dans certaines entités, exercé les
attributs de l'Etat en exerçant de l'autorité sur des
populations. Cependant, leur pouvoir était en confit avec le pouvoir
coutumier et celui des autorités légalement établies.
Dès lors, ces actes sont contradictoires avec les discours et les
représentations exprimées en termes de salut, de protection ou de
revendication de la liberté et de la justice.
Entant que système d'idées, le «mai-maisme
» est une idéologie qui dans sa matérialisation aligne des
forces et faiblesses. Plutôt que de parler de son caractère
spontané, il faut voir sa permanence latente ou manifeste selon les
circonstances. Il se présente comme recours idéologique des
sociétés rurales pour se défendre ou mener une
protestation ou une revendication. Certes, la diffusion de ce système de
pensée est trop faible à cause de son caractère
ésotérique, de l'insuffisance des moyens matériels et
financiers et des qualités intellectuelles limitées de ses
acteurs101. C'est pourquoi, le « maimaisme » reste mal
connu.
100 La généralisation faite par Karl Mannheim sur
les courants d'études en sociologie de la connaissance exclue
l'immuabilité des essences des idées et soutient leur
relativisme.
101 L'étude de la diffusion des connaissances en
sociologie a été menée par Florian Znaniecki en
s'inspirant des hypothèses émises par Georges Herbet Mead sur la
communication. ( Lire à ce sujet, F. ZNANIECKI, The social role of the
man of knowledge, New York, Colombia University Press, 1940.)
Devant les processus de consolidation de l'unité
nationale dans un Etat pluraliste, les mouvements de résistance apparait
comme une idéologie désintégrée. En valorisant
l'ethnie ou la tribu, le maimaisme privilégie la culture politique
paroissiale, et empiète sur la citoyenneté. L'identité
nationale est remise en cause au profit d'une identité tribale ou
clanique. Les droits et devoirs du citoyen sont systématiquement
violés dans un cycle de violence récurrente.
Il semble se dégager des considérations
précédentes que les idéologies de résistance
persistent suite à la désintégration du système
politique nationale mais aussi à leur permanence dans les schèmes
culturels des communautés ethniques ou tribales. Elles relèvent
d'une réalité structurelle des sociétés
concernées, et sont utilisées par ces dernières comme
moyen et stratégies pour une participation politique. Autrement dit le
« mai-maisme » n'est pas un élément isolé mais
plutôt une idéologie insérée dans la culture globale
des sociétés qui y recourent. Il est effectivement encré
dans les schèmes mentaux des sociétés rurales
étudiées. Leur rapport conflictuel avec la société
globale a, dans une certaine mesure, influencé la circulation de
l'élite politique et militaire.
Cette étude, pour en finir à ce stade, est
aboutie aux résultats susceptibles d'ouvrir aux recherches
ultérieures sous forme d'hypothèses sur le mouvement de
résistance. De ce fait, elle reste perfectible. Parmi les perspectives
possibles de recherche, nous pouvons indiquer l'étude du rapport entre
le mai-maisme et le développement politique dans le but
d'élaborer un modèle théorique d'explication de la
construction de la paix en zone post-conflit. Comme étude
appliquée, il nous sera important de circonscrire sémantiquement
et épistémologiquement le concept de zone post-conflit en tant
que typeidéal pour le rendre scientifiquement opérationnel et
expliquer davantage le mai-maisme comme système de pensée.
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