2.2.1.5. Mouvements de résistance à
tendance ethniciste
Un seul groupe a été retenu dans ce type de
mouvement de résistance : le FRF. Dirigé par BISOGO, se mouvement
serait une dissidence du groupe armé du Général MASUZU qui
a rejoint l'armé régulière. Ce mouvement reprocherait le
Général MASUNZU de trahison par le fait de laisser les
Banyamulenge sans protection locale face aux menaces persistantes des groupes
ethniques babambe, bafuliro et bavira. Les données sur ce mouvement de
résistance ne sont pas fouillées car pendant les enquêtes,
il était toujours en activité militaire intense. Nous avons pu
interroger un seul sujet qui appartenait jadis au groupe armé FRF.
2.2.2. Structuration et occupation géopolitique
des mouvements de résistance au Sud-Kivu.
2.2.2.1 Structuration
Les mouvements de résistance au Sud-Kivu existent sous
forme des organisations. Ils ont des objectifs, structures propres, moyens et
stratégies d'action.
1° Objectif
Les opinions exprimées par tous les sujets
interrogés convergents vers un objectif principal commun, à
savoir « lutter contre l'agression étrangère, « chasser
hors du territoire les envahisseurs ». Il a été noté
également un objectif secondaire : « protéger la population
contre les Interahamwe et les F.D.L.R. ». Toutefois, seul le mouvement de
résistance Raiya Mutomboki a comme objectif d'empêcher tout groupe
armé (national ou étranger) y compris l'armée
régulière d'opérer sur son territoire.
La notion d'étranger ou d'envahisseur est fortement
changeante et ambiguë. En effet, le contour sémantique de ces deux
termes prend en considération aussi bien les citoyens rwandais que les
congolais d'expression rwandaise ainsi qu'une connotation raciale (le nilotique
opposé au bantou). La plupart de mouvements de résistance au
Sud-Kivu sont nés entre et pendant les rébellions de 1996
menées par L.D. Kabila et celle du R.C.D. Ils ont été
idéologiquement alimentés par le contexte de crise socio-
politique dans la Région des Grands -Lacs manifesté par la
violence, les tueries et massacres, l'ethnocentrisme, les guerres entre Etats.
La présence de l'armée rwandaise sur le sol congolais a
été considérée par les populations congolaises
comme une invasion, une tentative ainsi, l'étranger ou l'envahisseur est
le citoyen rwandais se trouvent sur le territoire congolais dans le cadre des
opérations militaires.
On peut lire ce contexte dans le texte rédigé par
Emmanuel Lubala Mugisho :
« Depuis la première guerre du Kivu en 1996, les
population de cette régions avaient suspecté l'engagement des
troupes rwandaises, ougandaises et burundaises aux côtés des
rebelles Banyamulenge, notamment à cause des déclarations du
Président Bizimungu du Rwanda relevant les ambitions territoriales de
son pays sur le Kivu (.....).
Ainsi pendant que la presse internationale
s'empressait à faire accréditer la thèse
d'une « guerre de libération », les populations du Kivu,
autres que les Banyamulenge, avaient la conviction de subir « une guerre
d'occupation »
Et les faits ne les ont pas contredits. Car au lendemain de la
victoire de l'AFDL, les Banyamulenge et leurs alliés de l'Ouganda, du
Rwanda et du Burundi se sont comportés à l'égard de autres
communautés ethniques comme des vengeurs envers les vaincus. On a
même assisté, dans les premiers mois qui ont suivi la fin de la
guerre, à des pratiques de bastonnade, de chicotte, des crachats sur les
gens (parfois même dans la bouche) et d'autres, traitements inhumains et
humiliants infligés aux membres des ethnies non tutsi. Tout se
déroulait comme dans un régime d'occupation
étrangère. Malgré les dénégations du Rwanda
et de l'ouganda, il semble que l'occupation d'une partie ou de la
totalité du territoire congolais, soit l'une des motivations de
l'invasion qu'ils ont entreprise »61.
C'est aussi, tout citoyen congolais d'expression rwandaise
mais de l'ethnie tutsi (ou nilotique)62. Dans le Sud de la Province
particulièrement, cette stigmatisation prend souvent la signification de
l'ennemi. Les populations Bembe, Vira et Fuliro qui vivent aux
côtés de Banyamulenge, notamment dans les Territoires de Fizi et
d'Uvira les perçoivent comme des ennemis à la suite des conflits
fonciers. En
61 E. LUBALA MUGISHO, « l'émergence d'un
phénomène résistant au sud- kivu (1996- 2000) » in
L'Afrique des Grands Lacs. Annuaire 1999-2000, p. 200-2001.
62 Dans son article intitulé « les
identités transnationales et la construction de la paix dans les pays
multiculturels : le cas de la communauté rwandophone en R.D. Congo
» Oswalde Ndeshyo note ceci à propos de la citoyenneté
contestée des populations rwandophones du Congo : « A vrai dire,
les transplantés sont des Banyarwanda congolais de nationalité.
Mais en réalité, c'est plutôt l'amalgame et la
confusion.
D'une manière distincte, les Banyarwanda congolais
font, toutes catégories confondues, l'objet de rejet, d'exclusion,
d'exactions et de massacres par délit de faciès, depuis quatre
décennies. Ils constituent une source majeure, récurrente et
indéracinable de toutes les guerres civiles congolaises de l'Est
jusqu'à la première guerre mondiale africaine en cours. Pour les
uns, le Congo est une patrie de Bantous seulement et n'existe pas du tout de
Tutsi congolais. Pour d'autres, les Hutus et les Tutsi du Congo sont , sinon
tous des étrangers, en tout cas de nationalité congolaise
douteuse, malgré toutes les lois successives concordantes relatives
à leur nationalité congolaise.(...). ( p.185)
conséquence, cette ambiguïté
sémantique conduit à une dérision de l'objectif, et
partant au changement de la nature de la résistance qui, dans le fait,
devient ethnique et non politique.
Par ailleurs, l'acteur visé étant
étranger, il y a naturellement absence d'une revendication
adressée à l'Etat Congolais. Les mouvements de résistance
au Sud-Kivu ont constitué du point de vue téléologique un
soutien à l'Etat Congolais pour protéger
l'intégrité territoriale. A cet effet, leur objectif ou du moins
leur raison d'existence aurait pu être limité dans le temps.
Mais au contraire, après le retour des soldats rwandais
suivi de la réunification du Pays grace à l'Accord global et
inclusif de 2001, il a été observé la naissance de
plusieurs mouvements de résistance exprimant à la fois des
revendications internes (grades militaires, postes politiques ou
d'administration du portefeuille) et « la protection » du territoire
national.
2° Structure.
La structure des mouvements de résistance du Sud-Kivu
présente deux dimensions : militaire et politique.
La structure militaire empruntée à
l'organisation de l'armée a été, pendant longtemps, le
type organisationnel des mouvements de résistances. Les termes qui
distinguent les différents niveaux hiérarchiques relèvent
du jargon militaire. Il s'agit entre des termes suivants : commandement
général, brigade, Bataillon, Section, Général,
Lieutenat-colonel, Colonel, Major, Capitaine, etc.
Quoiqu'incohérente, la structure mise en place
instaurait un système d'organisation déterminant les positions
(statuts) des acteurs et leurs rôles au sein du mouvement. Il faut
souligner que l'organisation interne n'a pas toujours caractérisé
les mouvements de résistance au Sud-
Kivu. Tous les anciens mouvements de résistance se
contentaient des structures réduites combinant quelques
responsabilités militaires et fétichistes.
La veille des négociations (Sun City ou la
Conférence de Goma) est une occasion propice pour mettre en place des
structures capables de faciliter le positionnement de certains cadres
militaires.
Il en est de même de la dimension politique qui a
été prise en compte plus tard à la suite des contingences
et dynamiques politiques.
A titre d'exemplatif, ci-dessous les organigrammes de deux
mouvements de résistance.
Figure n° 7 : Organigramme de Mouvement de
résistance Mai- Mai de Bunyakiri.
COMMANDANT
COMMANDANT SECOND
COMMANDANT EM
EMS
DTR
SRT.GEN
T1
DSS
T2
QG
DOCTEURS
AUDI MIC
T3
T4
T5
6e
BG
|
|
|
|
1ère
|
2e
|
3e
|
4e
|
5e
|
BG
|
|
BG
|
BG
|
BG
|
BG
|
|
|
|
|
|
7e
|
8e
|
9e
|
10e
|
11e
|
12e
|
BG
|
|
BG
|
BG
|
|
BG
|
BG
|
BG
|
S4
S1
Légende :
- AUDI MIL : Auditorat Militaire - Bg : Brigades bataillon
- DSS : Direction des Services de Santé
- DTR : Direction de transmission
- EMS : Etat Major Spécial - QG : Quartier
Général
- SRT GEN : Secrétariat Général
- T1 : Chef du personnel
- T2 : Service de renseignement
- T3 : Service cargé des opérations
militaires
- T4 : Service chargé de la logistique
- T5 : Service des relations publiques et
questions politiques
Source : Syllabus (sic.) du major Wenemubi K.
Araffat cité par WAKILONGO WAUBENGA, Op. Cit., p. 23.
S2
S3
S5
COMPAGNIE
PELETON
SECTION
BATAILLON
Figure n° 8 : Organigramme de l'opération Sud-Kivu
/Fizi
Chef d'état Major
Services Spécialisés
Information
Santé
Secrétaire général
Bureaux
Brigades
Bataillons
Bureau 3 T3
Bureau 5 T5
Bureau 1 T1
Bureau 2 T2
Bureau 4T4
Source : Nous détenons l'information du
mémoire de licence de
Monsieur Asa Wilondja (p.29) intitulé Militarisation
participation politique des Bembe en Territoire de Fizi au Sud- Kivu
2007-2008
3° Ressources et stratégies
sont de trois types : les ressources matérielles, les
ressources financières et les ressources symboliques et les ressources
humaines.
- Ressources matérielles
Les bases militaires "de tous les mouvement résistance
se trouvaient dans les milieux ruraux dépourvus en infrastructures. Par
conséquent ils ne disposaient pas des immeubles importants sinon de
maisons de fortune en paille ou herbes mortes et parfais des tentes d'abri.
Cependant, la logistique militaire, étaient régulièrement
approvisionnée. Tous les anciens mai-mai et chefs de mouvement
interrogés citent 3 sources principales de l'équipement militaire
: récupération des armes abandonnées par l'ennemi,
l'approvisionnement par le gouvernement et les dons.63 L'armement
lourd n'a pas été utilisé. Ainsi, on pourrait trouver les
effets suivants : Boats, vivres, produits pharmaceutiques, armes (lance
roquette, mortier, mip 50, M16, canon, MAA, Mag, Fallon, Fal, FM Karachi, R4,
G3, etc).
- Ressources humaines
Les mouvements de résistance ont utilisé un
nombre considérable de personnes. Celles-ci peuvent être reparties
en trois catégories : personnel politique et personnel d'appoint et
personnel militaire. Ce dernier est le plus important dans tout mouvement de
résistance. Il est formé des cadres de commandement (officiers et
sous officiers) et des hommes de troupe. Quant au personnel politique, il est
formé des cadres politiques recrutés à la suite des
événements de négociation comme souligné plus haut
généralement, ces cadres ne restant pas en brousse avec les
militaires. Ils résident en ville où ils opèrent
clandestinement sous forme d'agents de liaison. Enfin, le
63 Ce soutien du Gouvernement se faisait pendant
l'occupation de la province par la rébellion menée par de R.D.C.
Les mai-mai étaient utilisés pour déstabiliser le R.C.D.,
et l'emprcher d'occuper plusieurs entités.
personnel de soutien est formé des gens qui participent
indirectement aux activités militaires par des taches diverses : ce sont
les porteurs pour le déplacement des armes, les féticheurs dits
« docteurs », les cuisiniers, etc.
Le mode de recrutement des militaires et assimilés est
à la fois volontaire et forcé. Les jeunes (adultes et enfants)
voire les vieux sont intégrés soit volontairement soit par
contrainte. Les effectifs déclarés par des mouvements de
résistance font état de 81.810 hommes en activité
militaire tel qu'indiqué que dans le tableau ci - dessous.
Tableau N° 5 : Effectifs des militaires des mouvements de
résistance au Sud-Kivu.
N°
|
MOUVEMENT DE RESISTANCE
|
EFFECTIFS
|
%
|
1
|
Mai-Mai Mahoro
|
1.600
|
1, 95
|
2
|
Mai-Mai Kapopo
|
800
|
0,97
|
3
|
Pareco/S-K
|
4.500
|
5,50
|
4
|
Mai-Mai Ny'ikiriba
|
1.625
|
1,98
|
5
|
Mai-Mai Shikito
|
1.800
|
2,20
|
6
|
Mai-Mai shabunda
|
2.500
|
3,05
|
7
|
Mai-Mai Mudundu 40
|
6.200
|
7,57
|
8
|
Mai-Mai Zabuloni
|
13.250
|
16,19
|
9
|
Mai-Mai Yakatumba
|
8.000
|
9,77
|
10
|
Mai-Mai kirikicho
|
9.000
|
11,00
|
11
|
Mai-Mai Simba/MRS
|
32.535
|
39,68
|
|
TOTAL
|
81.810
|
100
|
Source : PROGRAMME AMANI/SUD-KIVU, Plan de
mise en oeuvre pour le désengagement 2009, pp. 4-11.
- Ressources financières
Le financement des mouvements de résistance n'est pas
organisé. Les moyens financiers proviennent principalement des dons,
prélèvement (taxes) sur les populations, exploitation des
minerais et parfois des appuis de l'Etat. Ils ne disposent pas des fonds
considérables susceptibles de répondre aux multiples exigences
d'un mouvement armé, notamment le payement des militaires, les voyages,
l'achat des armes, etc. Aucun mouvement des résistances au Sud-Kivu ne
dispose d'un compte bancaire ou d'un circuit de financement clair, et
stable.
Quant aux stratégies, nous avons relevé la
formation
militaire, les correspondances et moyens médiatiques,
l'accommodation aux cultures locales, la contrainte.
- Formation militaire.
Tous les mouvements de résistance étudiée
ont assuré à leurs combattants des enseignements et entrainements
militaires. Ceux-ci visaient à leur donner des capacités
nécessaires aux opérations de guerres ou combats mais aussi
quelques aspects de la discipline militaire.
- Correspondances et moyens
médiatiques
L'écrit comme les medias ont permis aux mouvements de
résistances d'entretenir des relations entre eux et avec les autres
organisations d'un côté, et sensibiliser les autres
catégories sociales à se joindre à leur lutte. Ainsi les
échanges des lettres ont eu lieu entre les mouvements de
résistance ; des messages écrits, tracts ont été
véhiculés dans les populations sous forme d'alerte ou
d'interpellation comme le prouvent les correspondances ci - dessous.
S'agissant des moyens médiatiques, non seulement
certaines mouvements de résistances exprimaient leurs points de vue sur
des chaines de radio nationales (Radio Maendeleo) et internationales ( BBC,
RFI) mais aussi ils ont crée occasionnellement un émetteur radio
pour annoncer les attaques.
- L'accommodation aux cultures locales
Nombres de mouvement de résistance au Sud-Kivu sont en
réalité l'émanation des communautés paysannes ou
villageoises qui, confrontées aux situations d'insécurité
permanente, le considèrent comme un moyen d'autodéfense. Nous
pouvons ranger dans cette catégorie les mouvements de résistance
suivant : Mai-mai mahoro (mwenga), Mai-mai NY'iKiriba (Uvira), Mai-mai shikito
(mwenga), Mai-mai Mudundu 40 (Walungu), Mai- mai Zabuloni (Uvira ), Mai-Mai
yakutumba (Fizi), Raia mutamboki
(Shabunda) . Les entretiens avec les autorités
coutumières de ces contrées révèlent que ces celles
-ci ont soit participé à la création desdits mouvements de
résistance soit contribuer substantiellement par des moyens divers
(hommes de troupe, mécanisme, superstition pour
l'invulnérabilité, nourriture, etc.).
- La contrainte
Tous les mouvements de résistance n'ont pas reçu
un accueil favorable dans les zones contrôlées. Deux facteurs
peuvent expliquer cela : l'extension désordonnée dans plusieurs
régions et les exactions contre les populations. En effet, à
l'exception de Mai-mai Raia Mutomboki, tous les autres groupes armés ont
occupé plusieurs zones en dehors de
leurs fiefs. Les sociétés rurales,
généralement « homogènes », ont
opposé une résistance à leur
présence. Par ailleurs, les exactions
commises sur les populations rurales ont entrainé le
rejet social de certains mouvements de résistance. Par
conséquent, pour imposer leur présence dans les
sociétés rurales, les mouvements de résistance ont
utilisé la contrainte matérialisée par des arrestations,
l'anéantissement
des autorités administratives et coutumiers, la
déportation des enfants et surtout des filles, etc.
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