3. Discussion des résultats 3.1. Système
racinaire
Nous avons vu dans les résultats
précédents que le système racinaire se développe
bien suivant le contexte pédologique. Son organisation est sous l'effet
des propriétés du sol, parmi lesquelles : la compacité, la
charge en éléments grossiers, l'épaisseur et les
caractères physico-chimiques et hydriques (hydromorphie et la teneur en
carbonates de calcium).
L'épaisseur du sol et la présence d'un obstacle
physique (éléments grossiers) influencent les densités
racinaires totales (DRT). En effet, une faible profondeur due à une
roche mère superficielle associée à une charge importante
en éléments grossiers favorise le développement d'un
système racinaire très puissant capable de prospecter un maximum
de sol à la recherche des ressources nutritives et hydriques.
La densité racinaire des couches superficielles est
différente de celle des horizons sous-jacents. Les résultats ont
montré que l'essentiel de la biomasse racinaire se situe dans les
horizons de surface (0 à 60 cm de profondeur). Au-delà de cette
profondeur, la densité racinaire diminue progressivement pour atteindre
un niveau très faible (Fig. 15).
D'après les résultats des analyses
physico-chimiques (tableau 3), les horizons organo-minéraux et
structuraux sont plus riches en matière organique que les horizons de
profondeur. Sur la base de ces résultats on peut dire que la
fertilité des horizons de surface est à l'origine d'un
développement racinaire important qui permet d'assurer une bonne
alimentation minérale. De l'autre côté, une faible teneur
en matière organique dans les horizons profonds
(généralement humides) associée à une faible
colonisation racinaire dominée par les racines plongeantes, nous laisse
penser qu'une grande partie des racines dans ces horizons assure l'essentiel de
l'alimentation en eau. Ces résultats sont en accords avec les remarques
de Choné (communication personnelle). Cet auteur attribue le rôle
de la nutrition minérale aux racines développées dans les
horizons de surface et le rôle de l'alimentation hydrique aux racines
plongeantes. Les auteurs s'accordent à définir une couche de sol
pour laquelle l'enracinement est maximum (Tournebize 2001). D'après
Huglin et Schneider (1998), cette zone correspond à la couche la plus
riche qui se situe dans les horizons de surface. Une différence de la
concentration en éléments nutritifs est en fait à
l'origine d'une colonisation racinaire préférentielle (Carbonneau
1984).
Lebon (1993); Curt et al. (1998) ont noté le rôle
essentiel de l'enracinement profond dans les phénomènes de la
régulation de l'alimentation hydrique notamment en périodes de
fortes contraintes hydriques. Cependant un approfondissement du système
racinaire pour puiser l'eau des horizons inférieurs présente
l'inconvénient de prospecter des zones moins riches en
éléments nutritifs (Tournebize 2001).
Le choix du porte greffe doit être raisonné en
relation avec les propriétés du sol. Dans des sols caillouteux et
moins épais (faible pourcentage de terre fine), il est
préférable d'opter pour des portes greffes capables d'assurer une
bonne couverture racinaire, afin de garantir une alimentation minérale
et hydrique suffisantes et d'éviter les phénomènes de
carences et de stress hydriques.
3.2. Profil hydrique
L'étude des propriétés hydriques illustre
des comportements différents en relation avec le type de sol et de
l'horizon. D'après les résultats des mesures de la teneur en eau
sur des échantillons à structure non remaniée,
l'humidité à la capacité au champ Wcc
(pF=2) est plus proche de celle du prélèvement
Wp avec une légère supériorité
pour Wcc , particulièrement dans les horizons de
surface qui se dessèchent très rapidement sous l'effet de
l'évaporation du sol et du prélèvement racinaire (Fig.
11).
Nous avons comparé les résultats de la teneur en
eau volumique à la capacité au champ cc
(cm3/cm3) et l'humidité de
prélèvement p (cm3/cm3)
pour l'ensemble des échantillons étudiés (28 horizons) par
un test statistique (ANOVA) (Fig. 16). Le test montre que la différence
entre cc et p est non significative
à 5% (P>0,05). Globalement, nous considérons que nos
conditions de prélèvement sont proches de la capacité au
champ et répondent bien aux exigences de prélèvement. De
plus, la teneur en eau à pF=2 est représentative de la
capacité au champ de nos sols.
Nos résultats sont similaires aux nombreuses
études effectuées sur différents types de sols (Bruand et
al. 1996; Bigorre 2000; Quentin et al. 2001; Morvan et al. 2004). Ces auteurs
ont montré que l'humidité à la capacité au champ
mesurée sur des échantillons à structure conservée
correspond à une valeur de pF=2.
Teneur en eau volum ique (cm 3/cm 3)
|
0,5
|
|
|
|
F=2,43 P=0,125
NS (P>0,05)
|
0,4
|
|
A
|
A
|
0,3
|
|
|
|
|
0,2
|
|
|
|
|
Up Dcc
Figure 16: Comparaison entre la teneur en eau
volumique à la capacité au champ ( cc) et
l'humidité volumique de prélèvement ( p)
(analyse de la variance ANOVA. NS, différence non significative).
Les résultats des calculs de la réserve utile
ont révélé notamment l'importance de l'épaisseur,
de la charge en éléments grossiers et du type d'horizon. Les
valeurs de RU les plus élevées sont enregistrées
dans les sols profonds et faiblement chargés en éléments
grossiers (tableau 3 et Fig. 12 et 14). Au niveau des horizons, les valeurs les
plus élevées sont notées chez les horizons les plus
proches de la surface dont la teneur en matière organique est plus
importante par rapport aux horizons sous-jacents (Fig. 13; tableau 3).
Les réserves utiles prédites par la classe de
pédotransfert de Bruand et al. (2004) sont toujours inférieures
à celles mesurées au laboratoire sur des mottes à
structure conservée. La figure 17 illustre les valeurs de la
réserve utile prédite sous-estimées et surestimées
; d'après la figure, RUp est
généralement sous-estimée (RUp<
RUm). Les valeurs surestimées
(RUp> RUm) correspondent aux
horizons organo-minéraux comme observé précédemment
sur la figure 13. Le calcul de EMP et ETP (tableau 5) montre
que la prédiction sous-estime la réserve utile pour
l'ensemble des parcelles (EMP<0) et la
précision de l'estimation (ETP) est d'autant plus faible que le
sol est plus profond.
Tableau 4 : Erreurs moyennes (EMP) et
écarts types de prédiction (ETP) de la réserve
utile.
Parcelle
|
EMP
|
ETP
|
CDc 3
|
-0,80
|
1,38
|
SLc1 P1
|
-6,78
|
13,56
|
Yc1 P1
|
-1,69
|
2,40
|
CDc 1
|
-1,54
|
3,44
|
CD 9
|
-1,65
|
3,69
|
CD 8
|
-2,13
|
3,69
|
RUpOrn carp
0,5
1,5
2
0
1
0 0,5 1 1,5 2
RUm (mm/cm)
RUp>RUm
RUp<RUm
x=y
Figure 17 : Relation entre réserves
utiles mesurées (RUm) et prédites
(RUp).
Pour comparer les valeurs de RU mesurées et
prédites, nous avons fait un test ANOVA pour l'ensemble des
échantillons étudiés (Fig. 18). D'après le test, la
différence entre RUm et RUp est
non significative à 5 % (P>0,05). En revanche, des
différences ont été notées dans les horizons
organo-minéraux (RUm<RUp) (Fig.13 et
17). Ceciest expliqué par une différence des teneurs
en matières organiques entre les sols utilisés pour
établir la base de données et nos sols viticoles. D'une
manière générale, cette approche donne des valeurs proches
de celles mesurées avec une légère sous-estimation
(différence non significative).
RUm RUp
Reserve utile (mm/cm)
2
0
1
F=0,92 P=0,341
NS (P>0,05)
Figure 18: Comparaison entre la
réserve utile mesurée (RUm) et prédite
(RUp) (analyse de la variance ANOVA. NS, différence
non significative)
D'après les résultats obtenus par Morvan et al.
(2004), qui ont testé plusieurs classes de pédotransfert de
différentes origines géographiques, la classe de
pédotransfert de Bruand et al. (2004) donne de meilleurs
résultats que les autres. Ces résultats sont comparables aux
nôtres, c'est-à-dire une légère sous-estimation de
la réserve utile (EMP<0). Une autre étude
effectuée par Al Majou et al. (2005) a montré que la
prédiction donne des résultats différents en fonction du
type d'horizon (sous-estimation pour les horizons organo-minéraux et sur
estimation pour les autres horizons).
L'étude des propriétés hydriques des sols
est longue et coûteuse à mesurer, c'est pourquoi des outils de
prédiction ont été développés afin de les
estimer à partir de la nature des constituants et de leurs
propriétés. Néanmoins, cette approche prend un
caractère régional et devient moins précise dès
qu'on s'éloigne de son origine géologique et la prédiction
devient moins bonne. Il est en effet très important de prendre en compte
la gamme de sols sur laquelle elle a été définie, et leurs
propriétés pédologiques notamment la teneur en
matière organique. Ce paramètre est très variable d'un sol
à l'autre. Les sols forestiers et de prairies contiennent des taux
très importants par rapport aux sols cultivés et viticoles. De
nombreuses études ont montré que la matière organique
augmente la rétention d'eau autant à la capacité au champ
qu'au point de flétrissement (Bauer et Black 1992 ; Saxton et Rawls
2005). Emerson (1995) a souligné que la matière organique
accroît nettement la rétention de l'eau aux hauts potentiels et ne
joue quasiment aucun rôle sur la rétention de l'eau au point de
flétrissement. Ceci peut expliquer la raison pour laquelle
RUp est supérieure à RUm
dans les horizons de surface (différence de la teneur en matière
organique entre nos échantillons et les sols sur lesquels la classe de
pédotransfert a été établie).
La stratification en fonction de certains critères
pédologiques et de l'usage du sol est malheureusement trop souvent mal
prise en compte par les classes de pédotransfert. Une recherche plus
approfondie sur des paramètres prenant en compte un découpage en
fonction de propriétés pédologiques (matériau
parental, minéralogie des argiles et caractéristiques de la
fraction organique) et de l'usage du sol devrait permettre d'aboutir à
une bonne précision de la prédiction (Bruand et al. 1996 ;
Bigorre 2000 ; Bruand et al. 2003).
Le problème des sols caillouteux ou, de façon
générale, à éléments grossiers est toujours
posé. Ils ne sont que rarement étudiés tant la mesure de
leurs propriétés de rétention en eau fait l'objet des
contraintes méthodiques (Bruand et al. 2003). Dans des sols viticoles de
type Calcosol, Rendosol, Calcisol et Colluviosol généralement
à forte charge en éléments grossiers, la pratique la plus
fréquente pour déterminer leur réserve utile est de
considérer les éléments grossiers sans effet sur la
rétention en eau, car ils n'ont pas de porosité pour retenir
l'eau ou bien l'eau retenue n'est plus accessible pour les plantes. Les travaux
de Coutadeur et al. (2000); Cousin et al. (2003), sur des Calcosol caillouteux
ont montré que la non prise en compte de la phase caillouteuse dans les
calculs de la réserve utile conduit à des surestimations de 22
à 39% de la RU. De même, sa prise en compte en tant que
phase inerte sous estime la RU de 8 à 34%. Ces auteurs ont
conclu que l'existence d'une fraction fine à la surface et entre les
éléments grossiers participe à la rétention en eau
du sol.
Le rôle de l'aspect méthodologique est non
négligeable pour étudier les propriétés hydriques
des sols. Des mauvaises conditions de prélèvement et de
conservation des échantillons peuvent modifier défavorablement
les résultats obtenus. En plus, une période suffisante pour
établir l'équilibre entre les échantillons et le potentiel
appliqué est nécessaire. Cette dernière est très
variable d'une texture à l'autre. Elle peut aller de 3 jours à
plus
d'une semaine parfois pour les sols à forte teneur en
argile, car l'eau énergiquement retenue dans les micropores
s'élimine très lentement.
3.3. Modélisation du bilan hydrique
Le modèle de bilan hydrique utilisé a permis de
suivre le vécu de la vigne au cours de la saison 2010 (Fig. 19).
La FTSW représente la partie de la
réserve utile disponible pour la vigne, elle reflète
l'évolution du stock d'eau qui se vide suite à des
prélèvements par évapotranspiration et se remplit par des
apports extérieurs sous forme de pluie.
SLc1 P1
(RUm=176 mm)
(RUm=98,74 mm)
CDc 3
100
60
100
60
90
90
50
50
80
80
70
70
40
40
Pluie (mm)
FTSW (%)
Pluie (mm)
FTSW (%)
60
60
Contrainte nulle
Contrainte nulle
50
30
50
30
40
40
20
20
30
Faible
30
Faible
20
20
10
10
Modérée
Modérée
10
10
Forte
Forte
0
0
0
0
fevr
fevr
avr
avr
janv
janv
juin
aout
mars
mai
juil
aout
mars
mai
juin
juil
(RUm=41,68mm)
Yc1 P1
(RUm=137,97 mm)
CDc 1
100
60
100
60
90
90
50
50
80
80
70
70
40
40
Pluie (mm)
Pluie (mm)
FTSW (%)
FTSW (%)
60
60
Contrainte nulle
Contrainte nulle
50
30
50
30
40
40
20
20
30
Faible
30
Faible
20
20
10
10
Modérée
Modérée
10
10
Forte
Forte
0
0
0
0
fevr
fevr
avr
avr
janv
janv
aout
aout
mars
mai
juin
mars
mai
juin
juil
juil
CD 9
(RUm=124,07 mm)
CD 8
(RUm=129,85 mm)
100
60
100
60
90
90
50
50
80
80
70
70
40
40
Pluie (mm)
Pluie (mm)
FTSW (%)
FTSW (%)
60
60
Contrainte nulle
Contrainte nulle
50
30
50
30
40
40
20
20
30
30
Faible
Faible
20
20
10
10
Modérée Forte
Modérée
10
10
Forte
0
0
0
0
fevr
fevr
avr
avr
janv
janv
aout
mars
mai
juin
juin
aout
juil
mars
mai
juil
plante FTSW au cours de la saison 2010 (janvier-fin
août). Les données climatiques sont obtenues à partir des
stations météos Figure 18: Bilan hydrique
modélisé selon le modèle de Lebon et al. (2003). Suivi de
la fraction d'eau du sol utilisable par la de : Rully (SLc1 P1), Beaune (CD9,
CDc 1 et CD 8), Dijon/Longvic (CDc 3) et Chablis (Yc1 P1).
D'après les résultats, le niveau de la
contrainte subie par la vigne varie d'un type de sol à l'autre en
relation avec sa réserve utile. Dans les sols avec une RU>90
mm (CDc3, SLc1 P1, CDc 1, CD 9 et CD 8), FTSW est toujours à un
niveau supérieur à 40% (contrainte nulle), sauf durant la fin du
mois de juillet et durant le mois d'août où, il apparaît une
contrainte faible pour les parcelles CDc 3, CDc 1, CD 9 et CD 8. Les sols avec
une faible réserve en eau (RU<50 mm) (sols peu profonds et
chargés en éléments grossiers) sont les plus
exposés à l'épuisement de leur stock d'eau, ceci se
traduit par une faible quantité d'eau disponible pour la plante. La
parcelle Yc1 P1 (RU=41,68 mm) est le cas le plus extrême. Une
contrainte faible est apparue à partir du mois de juin et évolue
vers une contrainte forte au début de juillet (FTSW<7%). Une
quantité de pluie (27,1 mm) durant la deuxième semaine permet de
diminuer l'intensité de la contrainte (contrainte faible).Vers la fin de
juillet et jusqu'à mi-août, une contrainte forte est
réapparue (FTSW=0), elle est accentuée par l'absence de
pluie.
Globalement dans les sols profonds et avec une charge
négligeable en éléments grossiers, la vigne ne subit
aucune contrainte hydrique (SLc1 P1: FTSW>40 %). Une faible
contrainte (21%<FTSW<40%) à la fin de la saison est
enregistrée dans les sols profonds avec une charge en
éléments grossiers faible à moyenne (CDc 1, CDc 3, CD 8,
CD 9). La vigne subit une forte contrainte (FTSW<0%) dans le sol
caillouteux et peu profond, cette situation est aggravée par une faible
quantité de pluie durant cette période (Yc1 P1).
Le régime hydrique de la vigne joue un rôle
essentiel sur le développement végétatif et sur la
maturation du raisin (Bois 2007); une alimentation hydrique déficiente
réduit sa production végétative. Les auteurs sont unanimes
qu'une contrainte hydrique modérée est favorable à une
production de qualité, car il induit un arrêt de
développement végétatif au profit de la production et
l'accumulation des sucres et polyphénols (Van Leeuwen et Seguin 1994 ;
Tregoat et al. 2002; Van Leeuwen et al. 2004).
Comme évoqué dans les parties
précédentes, ce modèle de bilan hydrique repose sur un
fonctionnement de type réservoir. Les limites actuelles d'un tel
modèle résident toutefois dans l'absence de la prise en compte
des flux hydriques liées aux remontées capillaires, des
mouvements souterrains notamment dans les horizons de colluvionnement (bon
drainage) et des pertes par ruissellement de la surface. La transpiration de la
végétation intercalaire est également non
intégrée dans ce modèle.
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