1.3.3 Le cadre institutionnel insuffisant fait des acteurs
locaux de véritables moteurs du développement
Nous comprenons ici que le droit institutionnel
environnemental malgache est inadapté à ce pays, parce qu'il est
issu, pour ne pas dire calqué, sur le droit français. Alors que
le patrimoine environnemental de la Grande Île est son avantage
comparatif-même, cet héritage historique législatif
rendait la gestion et la protection des ressources naturelles assez inefficace.
Face aux vides juridiques laissés par cette dissonance entre
réalité et droit virtuellement appliqué (et applicable),
les pratiques traditionnelles propres aux communautés locales ont pris
le relais. Les dina ont donc perduré, restant souvent le
représentant légitime de l'autorité au sein des
populations locales et appliquant un droit relevant plus de la coutume. Mais
plutôt que de s'opposer à ce droit réel, le gouvernement
malgache a tenter de le canaliser pour l'orienter vers la réalisation
d'objectifs globaux de protection et de conservation du patrimoine naturel.
Cette coopération est audacieuse, elle se base essentiellement sur le
volontarisme des communautés à contractualiser avec l'Etat un
engagement de bonne gestion des ressources naturelles renouvelables, en
contrepartie d'un cadre juridique non contraignant pour les pratiques
coutumières -allant en fait jusqu'à les intégrer dans son
système. La loi GELOSE -dite aussi la Gelose- en est l'exemple le plus
parlant. Elle a pour principe de décentraliser la responsabilité
de la gestion des ressources forestières et environnementales aux
collectivités locales. Bien que des dissonances entre les acteurs locaux
puissent exister, les résultats sont tout de même encourageants.
Le secteur du tourisme à Madagascar est relativement particulier du fait
de sa composition. En effet, il existe un ensemble de petites structures sans
forcément de liens entre elles, ce qui ne facilite pas le dialogue entre
ces acteurs et les administrations. La forme singulière, et
peut-être nécessaire, de décentralisation choisie par le
gouvernement malgache responsabilise d'autant plus les acteurs à
l'échelle locale que les collectivités locales sont
dorénavant légitimement investies d'un droit
d'autorégulation. Les ONG sont aussi un rôle crucial à ce
niveau. En tant que gestionnaire des aires protégées, la
Madagascar National Parks a choisi de valoriser ce patrimoine en attribuant des
droits de concession à des investisseurs privés dont les
activités rejoignent l'objectif de développement
écotouristique de l'île. De manière relativement
encadrée, le secteur privé devient responsable d'une exploitation
durable du capital biologique qui lui est confié.
L'intérêt de cette première partie a
été de montrer dans quel contexte le tourisme malgache
évolue, de manière à en comprendre les enjeux, les raisons
et les forces qui s'exercent sur cette activité. En posant
l'hypothèse de départ, à savoir que « le
tourisme doit devenir plus responsable pour rester une ressource indispensable
aux PED », plusieurs éléments ont dû être
précisés pour appuyer cette affirmation. Le premier concerne le
tourisme au sein des PED, et ici, plus particulièrement à
Madagascar. En s'appuyant sur un ensemble de données statistiques issues
d'institutions comme la Banque Mondiale, l'OMT ou le TIES par exemple, on
s'aperçoit rapidement que le secteur touristique représente
souvent un pan majeur de l'économie des PED. C'est aussi le cas à
Madagascar. Il est intéressant de noter que cette activité se
développe malgré un contexte pas toujours favorable, propre aux
pays du Sud. De ce fait, en dressant le portrait historico-économique et
géopolitique de l'île, on a pu mettre en lumière la
situation actuelle dans laquelle se trouve Madagascar. La pauvreté et le
marasme économique et politique que connaît aujourd'hui le pays
tire en partie ses origines dans une double insularité, interne et
externe, que son passé sous influence coloniale et sa période
marxiste-léniniste ont d'autant plus renforcée. Le fait est que
Madagascar est aujourd'hui l'un des pays les plus pauvres de la planète,
mis sous tutelle des bailleurs de fonds internationaux, dont la Banque
Mondiale. L'aide apportée par ces institutions financières
internationales n'est cependant pas « gratuite », elle est
conditionnée par la mise en place de « modèle de
développement » comprenant assainissement des finances
publiques, politiques structurelles ou libéralisation de
l'économie. Mais ce contexte fort peu engageant n'efface en rien le
potentiel touristique de la Grande Île, plus de 7% du PIB a
été généré par le tourisme en 2007. Pour ce
faire, Madagascar peut compter sur un atout singulier : son incroyable
biodiversité et son capital biologique de réputation mondial. Les
IFI et le gouvernement ont éminemment compris que ce patrimoine
écologique est au fondement du développement futur de
l'île, basant les plans de développement sur ce capital naturel.
Le tourisme n'échappe pas à cette orientation, bien au contraire.
Cette activité présente l'avantage de pouvoir d'implanter sur
l'ensemble du territoire et de se présenter comme une possible
alternative à une agriculture gourmande en ressources naturelles. De ce
fait, le tourisme a été placé comme activité
prioritaire dans les plans d'actions de développement, comme le MAP,
successeur du DSRP. Cette volonté se traduit aussi par la
réhabilitation de moyens de communications (voieries, plateformes
portuaires et aéroportuaires), une tentative d'amélioration de
l'accessibilité de l'île (accord « Open Sky »)
ou la création de structures spécialisées facilitant le
développement touristique (RFT, Maisons du Tourisme,
professionnalisation de la filière touristique). L'accent a
évidemment été porté sur la valorisation du capital
biologique, d'où l'engagement vers un écotourisme haut de gamme.
Ceci étant, le cadre institutionnel et juridique malgache
présente de profonds dysfonctionnements qui ne favorisent pas un
développement structuré de l'activité. Le droit
environnemental de Madagascar est effectivement et proprement calqué sur
celui de la France, ce qui le rend clairement inadapté. Pour faire face
à ce handicap, le gouvernement a choisi la voie de la coopération
avec les structures locales de représentation de la loi, telles que les
dina. Cette décentralisation s'effectue en contractualisant un transfert
de compétence dans la gestion des ressources naturelles renouvelables
aux communautés locales. Le droit coutumier devient le relais des
institutions nationales, qui tentent d'orienter ces pratiques locales
vers l'exécution d'objectifs plus globaux, comme la protection du
capital écologique. La Gelose est un exemple concret de ce modèle
de décentralisation à base volontaire. En ayant donc à
rendre compte aux communautés locales (détentrice des ressources
naturelles) et à l'Etat, l'activité touristique, et plus encore
écotouristique, se place au coeur du développement de l'Île
Rouge. Les rapports liant écotourisme et patrimoine naturel paraissent
intéressants à étudier pour mieux comprendre comment ce
type de tourisme peut être un puissant vecteur de
développement.
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