3.3.2 L'écotourisme comme
système de représentation de l'identité touristique
malgache
Au regard de ces connaissances, le choix de
l'écotourisme à Madagascar devient d'autant plus
intéressant. En effet, si le tourisme malgache est jugé à
fort potentiel grâce à la valorisation de son incroyable
biodiversité, cette activité reste naissante, peu
développée et peu structurée pour l'instant. Ainsi, le
gouvernement, et plus encore les acteurs du tourisme, doivent considérer
cette opportunité pour créer un imaginaire basé sur une
pratique saine et respectueuse du tourisme, où l'écotourisme est
au centre des représentations. La Grande Île dispose d'atouts
considérables afin d'aboutir à ce dessein. La demande touristique
de l'île est aujourd'hui essentiellement basée sur un public
averti ses richesses biologiques, l'écotourisme étant la
première raison évoquée (voir Annexe 6). Or, à
créer un référentiel d'images liées à
l'écotourisme malgache, cette destination pourrait se voir
fréquenter par un public plus large. De plus, le visiteur, peu
désireux de passer pour un touriste, mais plutôt pour un voyageur
à la recherche de l'authenticité de la rencontre, se verra
séduit par l'intégration de la filière
écotouristique au tissu socio-économique local (voir Annexe 12).
La jeunesse du tourisme malgache est une chance pour diffuser la
réalité d'une destination exotique. Ce terme
d'« exotisme » renvoie à un double
éloignement, l'un géographique, l'autre temporel. Cette
dernière dimension fait souvent référence à la
quête du voyageur pour un passé révolu, un Paradis
terrestre, d'où le choix fréquent d'un tourisme à
destination des pays du Sud [Lestringant, 2007]. Madagascar, avec ses
merveilles naturelles et son taux d'endémisme des espèces hors
normes, paraît être une candidate idéale à ce
rôle. L'écotourisme peut laisser vivre un exotisme moins
réducteur et plus dynamique, en laissant aux acteurs locaux la
possibilité de choisir les images diffusées.
L'objectif de cette partie a été de mettre en
lumière les bénéfices produits non seulement du tourisme,
mais surtout d'une intégration plus forte de cette activité dans
le tissu socio-économique local. L'écotourisme se
caractérisant par sa valorisation des ressources naturelles, son faible
impact sur l'environnement et par l'amélioration socio-économique
des communautés, l'étude des retombés de cette pratique
pour les acteurs engagés dans la filière paraît
incontournable. L'analyse la plus poussée dans ce domaine provient de
Sven Wunder (2000), qui a modélisé le fonctionnement de
l'écotourisme. Son caractère autorégulateur est
souligné par l'expression « cercle vertueux de
l'écotourisme ». La description de ses mécanismes fait
intervenir deux hypothèses cruciales dans le succès de cette
pratique touristique : la première insiste sur le caractère
incitatif que doivent représenter les revenus issus de cette nouvelle
activité. Ces incentives sont nécessaires pour capter
une partie de la population active et créer une alternative soutenable
et réaliste à des modes de production plus destructeurs. La
seconde hypothèse met en avant les changements socio-économiques,
comportementaux et institutionnels induits par le développement d'une
activité écotouristique. Cette dernière serait favorable
à une transformation des modes de production et à une
valorisation durable des ressources naturelles.
Confrontée à la réalité, le
modèle théorique du cercle vertueux semble connaître
quelques dysfonctionnements. En effet, la configuration actuelle de l'offre
touristique malgache ne permet pas de créer des moyens incitatifs
suffisants pour faire de l'écotourisme une activité alternative
réaliste et, de ce fait, à susciter des changements
socio-économiques de profondeur. Plusieurs raisons peuvent être
évoquées pour expliquer ce décalage entre le modèle
et les faits. Tout d'abord, l'offre touristique malgache se compose
essentiellement de petits structures (10 voire 15 chambres),
gérées de manière familiale. Bien que représentant
un fort potentiel pour le développement de l'écotourisme, ces
hébergements ne génèrent guère suffisantes de
revenus pour prétendre à être une activité
alternative à plein temps. A l'inverse, les établissements
hôteliers de plus haut gamme et capacité sont bien plus
attrayants : la plus haute qualité de leurs prestations demande
plus de main-d'oeuvre et les salaires redistribués sont
supérieurs à la moyenne du secteur. Pourtant, cette
opportunité présente l'inconvénient de limiter la
participation des populations locales dans les enjeux. Ces
établissements dépendant majoritairement d'investisseurs
étrangers et la faiblesse du niveau de qualification des ressources
humaines locales font que le tourisme paternaliste domine. L'appropriation
locale des enjeux dépend éminemment de la capacité des
communautés à répondre aux opportunités
créées par le tourisme, et surtout l'écotourisme.
L'ouverture récente de l'Institut National de Tourisme et
d'Hôtellerie est une initiative marquante le souhait de professionnaliser
ce secteur à fort potentiel, mais dont les retombées
échappent souvent aux acteurs locaux.
La jeunesse et la faible organisation de l'écotourisme
malgache en réduisent aussi ses effets vertueux. Aussi incitatives
soient les revenus, le processus de changements socio-économiques
s'observe sur un long terme, car les populations locales se sentent rarement
prêtes à abandonner radicalement leurs pratiques traditionnelles
et ancestrales pour une activité dont les bénéfices sont
encore incertains à plus long terme. Cette aversion explique que les
changements dans les modes d'exploitation des ressources naturelles soient pour
l'instant relativement faibles. Il n'empêche que dans un contexte de fort
chômage, comme dans les zones rurales malgache, l'opportunité que
représente ces nouvelles activités touristiques est non
négligeable, bien qu'elles ne répondent qu'imparfaitement aux
critères d'empowerment des communautés. Le
développement du tourisme ne peut être perçu que comme un
avantage pour la région d'accueil ; si ses formes peuvent varier,
les retombées joueront en faveur du développement local, à
des niveaux certes plus ou moins poussés. L'absence de tourisme serait,
au contraire, plus dommageable [Boyer, 2002]. Enfin, si le tourisme malgache
n'en est qu'à ses débuts, la Grande Île devrait pouvoir
tirer partie de cette situation en plaçant l'écotourisme au coeur
de son identité touristique. Cette démarche a pour objectif de
faire de Madagascar une destination symbole de ce nouveau mode touristique dans
l'imaginaire des visiteurs, évitant ainsi les travers d'un exotisme mis
en scène et réducteur.
Or, cette dernière recommandation implique deux
éléments : les voyageurs internationaux doivent
représenter une grande part du tourisme malgache (critère
d'éloignement géographique de l'exotisme) et la promotion de
l'Île doit réussir à toucher ce public distant.
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