1.4. FISCALITE ET CROISSANCE : DEVELOPPEMENTS
EMPIRIQUES
ENGEN et SKINNER (1996) ont
démontré que la fiscalité affecte négativement la
croissance économique. Se basant sur le modèle de Solow, les deux
auteurs montrent que la fiscalité réduit le niveau du produit et
influe négativement sur la croissance à long terme. Selon cette
approche, le taux de croissance économique dépend du capital
physique et humain disponible et de l'évolution de leur
productivité. Plus formellement, on a :
y i = á iki +
âimi + ìi
(1),
où yi désigne le taux de
croissance du PIB réel dans le pays i, ki le taux de
croissance du capital dans le pays i, m i le taux de croissance de la
main d'oeuvre, ìi la croissance de la
productivité d'ensemble dans l'économie,
ái la productivité marginale du capital et
âi l'élasticité du ratio du facteur
travail par rapport au produit.
Dans ce cadre théorique, les auteurs donnent cinq voies
par lesquelles la fiscalité peut affecter la croissance du produit :
1. les taxes élevées peuvent décourager
l'investissement en diminuant le capital net, dans le cas de taux d'imposition
statutaires élevés sur le revenu et le profit et d'une taxation
élevée des revenus du capital.
2. la fiscalité peut affaiblir l'offre de travail m, en
travestissant l'arbitrage entre le travail et le loisir, entre la formation et
la faible qualification ;
3. la fiscalité peut ralentir la croissance de la
production en décourageant l'investissement en matière de
recherche et développement, ou en matière de haute technologie
;
4. la fiscalité peut avoir un impact sur la
productivité marginale du capital, si elle réoriente les
investissements vers les secteurs où les taxes sont les plus basses et
où la productivité est des plus faibles;
5. des taxes élevées sur le travail peuvent
travestir l'utilisation efficiente du capital
humain, de sorte à décourager le travail dans les
secteurs à haute productivité et à taxe
élevée.
En d'autres termes, les pays à taxes
élevées peuvent avoir les plus faibles valeurs de á
et â , ce
qui présume d'une faible croissance économique,
pourvu que le capital humain et physique soit constant. A titre d'illustration,
les deux auteurs on montré qu'une baisse du taux marginal d'imposition
de 5 points de pourcentage couplée à une diminution du taux moyen
d'imposition de 2,5 points de pourcentage contribuerait à accroitre le
taux de croissance de long terme de 0,2 à 0,3 points de pourcentage.
Ainsi, les réformes fiscales n'augmentent pas substantiellement la
croissance, mais en améliore le niveau à long terme.
En définitive, ENGEN et SKINNER concluent que, bien que
la politique fiscale ait un impact sur la croissance économique, cet
impact est modeste. Ils pensent tout de même que la politique fiscale a
un impact de court terme sur la croissance économique. Ils pensent
également que mis à part la taxation absolue, la structure de la
fiscalité est également importante pour la croissance
économique. Ainsi, les pays qui s'arrangent à collecter des
impôts aux moyens d'une large base d'impôt et d'une organisation
efficiente réalisent probablement une croissance plus rapide que les
pays ayant une base fiscale limitée et une organisation fiscale
inefficace.
EASTERLY et REBELO (1993), dans une étude visant
à montrer le rapport entre les différentes mesures de politique
fiscale, le niveau de développement et le taux de croissance
économique, concluent entre autres que l'impact de la fiscalité
est difficile à isoler. Toutefois, ils pensent que l'impact de la
fiscalité sur la croissance dépend de sa structure, et que seul
le taux marginal d'imposition sur le revenu explique significativement les
disparités en matière de croissance. Ainsi, seules les
modifications des taux d'imposition sur les revenus ont un impact sur la
croissance.
Certains auteurs pensent que l'impact de la politique fiscale
sur la croissance est négligeable (Harberger, 1964, Mendoza,
Milesi-Ferretti et Asea ,1995), et concluent que la croissance requiert des
transformations considérables dans le système fiscal (Mendoza,
Milesi-Ferretti et Asea ,1995).
Les impôts directs auraient un impact négatif sur
la croissance (Xu, 1994 ; Milesi-Ferretti et Roubini, 1995). Concernant
l'impôt sur la consommation, s'il a un impact non négligeable sur
la croissance, il est moins générateur de distorsions que
l'impôt sur le revenu (Milesi-Ferretti et Roubini, 1995). Ce point de vue
est également partagé par Johansson et al. (2008) pour qui les
impôts sur les sociétés grèvent le plus la
croissance, suivis par les impôts sur le revenu des personnes physiques
et les impôts sur la consommation. Les impôts sur l'immobilier
semblent les moins nocifs. La conclusion est la même : une réforme
fiscale sans incidence sur les impôts et orientée sur la
croissance consisterait à transférer une partie de la base
imposable des impôts sur le revenu vers des impôts moins
générateurs de distorsion, comme les impôts
récurrents sur l'immobilier ou ceux sur la consommation.
Des réformes fiscales neutres, qui réduisent les
taux d'imposition, augmentent la base fiscale, diminuent les
exonérations et mettant en place des systèmes fiscaux
décourageant le moins possible l'accumulation du capital, peuvent
stimuler la production et l'emploi (Marina KesnerSkreb, 1999).
De ce qui précède, il ressort que l'impôt
direct sur le revenu ou l'investissement peut avoir un impact négatif
sur la croissance à long terme. La croissance peut seulement être
soutenable s'il existe une motivation qui oriente les individus à
investir dans le capital (physique ou humain). Dans la plupart des
modèles de croissance endogène, cette motivation est
exprimée par le taux du retour sur investissement. Puisque les
impôts sur le revenu ou l'investissement jouent sur l'efficacité
marginale du capital, ils réduisent aussi la motivation des individus
à investir dans les actifs fixes ou à s'éduquer, donc
à stimuler la croissance. Pour cela, ils ont un impact négatif
sur la croissance.
Nous retiendrons avec KACOU (2005) qui a
travaillé sur l'effet réel de la politique fiscale en Côte
d'Ivoire, que toute politique fiscale a un effet à court terme pour le
secteur réel, effets qui peuvent persister pour au moins cinq ans.
Outre l'impact direct, les taxes sur le revenu et
l'investissement peuvent avoir un impact indirect sur la croissance. Toutefois,
si les recettes fiscales sont utilisées pour investir dans des
infrastructures publiques, un impôt sur le revenu ou sur l'investissement
peut avoir un impact positif sur la croissance dans une certaine mesure.
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