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Contextualisation et variation de la langue française dans l'écriture littéraire au Cameroun: le cas de l'invention du beau regard de Patrice Nganang

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par Simplice Aimé Kengni
Université de Yaoundé I - Maitrise en Lettres Modernes Françaises 2006
  

Disponible en mode multipage

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UNIVERSITÉ DE YAOUNDÉ I

THE UNIVERSITY OF YAOUNDE I

FACULTY OF ARTS, LETTERS AND SOCIAL SCIENCES

FRENCH DEPARTMENT

FACULTÉ DES ARTS, LETTRES ET SCIENCES HUMAINES

DÉPARTEMENT DE FRANÇAIS

Contextualisation et variation de la langue française dans l'écriture littéraire au Cameroun : le cas de l'Invention du beau regard de Patrice NGANANG

Mémoire présenté en vue de l'obtention du diplôme de Maîtrise en Lettres Modernes Françaises

Option : Langue française

par 

Simplice Aimé KENGNI

Licencié ès Lettres

sous la direction de

M. Alexis Bienvenu BELIBI

Chargé de Cours

Année académique 2005/ 2006

INTRODUCTION GÉNÉRALE

L'aptitude à contextualiser permet de situer toute information dans une relation avec son environnement culturel, social, économique et politique.

M. WAMBACH, Méthodologie des langues en milieu multilingue. La pédagogie convergente à l'école fondamentale, Bruxelles, CIAVER, 2001, p.123

La langue, comme l'a présentée l'anthropologie linguistique, est le vecteur par excellence de la culture. Elle facilite l'intégration de l'homme dans son rapport avec l'univers social, tout en lui permettant d'entrer en communication avec les autres. Par ailleurs, ce moyen naturel de communication favorise l'expression du moi ainsi que la connaissance du monde à travers l'échange des savoirs.

Toutefois, cet échange ne serait viable que si et seulement si la langue utilisée offre des facilités à nommer l'univers particulier dans lequel vivent les locuteurs, de sorte à créer une conformité entre leur pensée et la réalité.

Cette nécessité s'avère incontournable pour toute langue si bien que, quand bien même les locuteurs parleraient une langue autre que la leur, celle-ci pour s'imposer comme telle devrait être en mesure de relever un défi majeur, qui est celui de satisfaire tous les désirata communicationnels et culturels desdits locuteurs.

A. MARTINET à cet effet soulignait déjà que :

À chaque langue correspond une organisation particulière des données de l'expérience. Apprendre une autre langue ce n'est pas mettre les nouvelles étiquettes sur les objets connus, mais l'habituer à utiliser autrement ce qui fait l'objet de la communication.1(*)

C'est dans cette perspective que naît aujourd'hui le débat autour du problème de la contextualisation et de la variation linguistique du français en Afrique noire. En effet, cette langue dans son usage hors de France subit de plus en plus des modifications tant dans sa morphologie, sa syntaxe que sa signification, visant à l'accommoder à l'univers des Africains, soucieux d'exprimer sans difficultés leurs émotions et réalités exotiques dans cette langue qui n'est pas la leur.

Le phénomène qui est cependant le plus curieux de nos jours, est celui des diverses mutations que connaît le français dans l'écriture littéraire, considérée pourtant comme lieu de la conservation de la norme standard. Phénomène qui justifie ici la motivation du choix de notre sujet.

De ce qui précède, notons que notre choix s'est porté sur la question de la contextualisation du français dans l'écriture littéraire camerounaise. En réalité, ce choix n'est pas le fait du hasard d'autant plus que cette question entre dans le cadre des réflexions actuelles menées au sein de l'Université de Yaoundé I. En l'occurrence, le colloque d'avril 2006 portant sur le dictionnaire africain a réuni des intervenants tels que : Edmond BILOA, Gérard-Marie NOUMSSI, Louis Martin ONGUENE ESSONO, Paul ZANG ZANG, etc. Ceux-ci tablaient sur des sujets tels l'écriture des écrivains camerounais, écriture qui de façon plus large entre dans le vaste cycle de la littérature francophone.

À vrai dire, le problème de cette littérature aujourd'hui, comme le remarquait déjà D. COMBE,2(*) c'est d'être écrit en français. À ce sujet, plusieurs chantiers théoriques ont été lancés pour donner une consistance interne à cette catégorie, tous ayant en commun de passer par le questionnement sur la langue.

Pour s'en convaincre, il suffit de lire Ch. BONN et alii, qui relèvent le fait selon lequel ces littératures (francophones) seraient désormais engagées dans un double mouvement de déterritorialisation et de territorialisation de la langue. Aussi écrivent-il à juste titre :

Les écrivains francophones seraient tous engagés dans la réécriture du français avec pour socle commun une langue réduite à l'état d'outil dénotatif.3(*)

C'est en fait ce phénomène de réécriture qui pousse J. TABI MANGA à qualifier cette littérature d'écriture insolite ou de subversion du français. Car pour lui

Tout se passe comme si les romanciers, les nouvellistes et dramaturges camerounais avaient, dans leurs productions, reformulé non seulement leur approche des genres littéraires classiques mais encore - singulière audace - renouvelé les techniques d'écriture.4(*)

Ainsi, ces différentes modalités d'emploi du français parlé et écrit au Cameroun aujourd'hui, comme l'ont souligné linguistes et critiques s'avèrent étonnantes et méritent qu'on y accorde un intérêt particulier : d'où la justification de notre choix portant sur la question de contextualisation de l'écriture littéraire.

Par ailleurs, pour étudier de près ce phénomène d'appropriation conquérante du français dans les structures littéraires, il nous a paru nécessaire d'opter pour le choix d'un corpus récent.

Nous avons choisi d'analyser les variations de la langue française dans l'oeuvre de Patrice NGANANG à travers le sujet dont l'intitulé suit : contextualisation et variation de la langue française dans l'écriture littéraire au Cameroun : le cas de l'Invention du beau regard de Patrice NGANANG.

Ainsi présenté, le terme variation ici revêt la signification que lui accordent J. DUBOIS et alii :

Le phénomène par lequel dans la pratique courante, une langue déterminée, n'est jamais à une époque, dans un lieu et dans un groupe social donnés, identique à ce qu'elle est dans un autre lieu ou dans un autre groupe social.5(*)

À cet effet, comment se présente la variation du français dans L'IBR ? Considérant l'oeuvre littéraire comme le fruit d'un univers culturel, quel peut être l'incidence du souci de contextualisation sur les structures de la langue ? Ces questions de recherche donnent lieu à l'hypothèse globale selon laquelle la variation du français dans l'écriture négro- africaine répond à un véritable désir d'expression des réalités et schèmes culturels dans une langue qui se révèle incapable de le faire.

A la lecture de l'IBR, on est frappé par une profusion de divers types de variations linguistiques, à travers le discours de l'auteur et ainsi que celui des personnages.

Cette oeuvre se présente en réalité sous forme de contes citadins et, comme l'affirme son auteur en conclusion, il s'agit des histoires qui se racontent à Yaoundé, de bar en bar, de rumeur en rumeur... (IBR, p.194)

Cette suite narrative met en exergue l'histoire de deux personnages. Le premier, Antoine Débonnaire Eloundou (commissaire de police principal adjoint) qui, après des années de service, invente artifices possibles pour ne pas partir à la retraite, et plonge dans un labyrinthe de mensonges quand les crimes de son passé refont surface. Le second, Taba, figure emblématique de la pauvreté dans les bidonvilles camerounais, est décrit à travers les péripéties qu'il vit avec sa truie, dont le regard énigmatique autant que les terribles pouvoirs expliquent pourquoi les cochons braisés des rues de Yaoundé portent le nom de beau regard.

De toute évidence, - et c'est le plus important-, ces péripéties se déroulent dans les sous-quartiers de la ville de Yaoundé ; elles mettent en relief la réalité contemporaine et l'histoire folle du Cameroun, tant sur le plan socio-politico-économique (marqué par la situation des personnages) que sur le plan linguistique (marqué par le langage oral et vulgaire).

Pour ce qui est du choix de l'auteur, Patrice NGANANG a été élu du fait qu'il se démarque de plus en plus comme une figure montante de la littérature camerounaise et africaine actuelle. Aussi se distingue-t-il par des grands prix littéraires parmi lesquels le prix Margueritte Yourcenar 2001, ainsi que le Grand Prix de la littérature d'Afrique noire 2003 pour son roman Temps de chien.

Notons aussi que certains travaux de recherche (maîtrise) effectués à la Faculté de Lettres de l'Université de Yaoundé I ont porté sur certains écrits de cet auteur. Notamment les travaux des étudiants tels que Bernadette GUEMLE KAMGANG et Emmanuel Augustin EBANGA, portant respectivement sur les particularités lexicales et sur les particularités morphosyntaxiques du français écrit par Patrice NGANANG dans Tems de chien. Citons dans la même lancée le travail de Carine Mariette NGAMELIEU sur les procédés grammaticaux de thématisation et d'extraction discursive dans La promesse des fleurs d'Alain-Patrice NGANANG.

Tous ces travaux portent sur les techniques d'écriture mises en oeuvre par notre auteur et laissant apparaître la marque camerounaise d'écriture du français.

Cependant, pour ce qui est de notre corpus, L'Invention du beau regard paru en 2005 (il y a un an seulement), la consultation des différents mémoires soutenus jusqu'ici à l'Université de Yaoundé I indique qu'aucune réflexion d'ordre linguistique n'a encore été menée dessus.

Pour rendre compte du phénomène de contextualisation du français dans l'IBR, nous avons choisi comme cadre théorique l'hypothèse de la sémantaxe, théorisée par G. MANESSY,6(*) qui fonde la vérification du fait d'appropriation de la langue française par les écrivains négro-africains.

Pour ce qui est du traitement des données du corpus, nous nous sommes attelé à la construction d'un outil d'analyse inspiré de la synthèse critique des travaux de l'équipe IFA7(*), de Suzanne LAFAGE 8(*)et de C.POIRIER 9(*),dont le chapitre deuxième intitulé méthodologie en fait état.

Du reste, cette étude a pour objectif d'identifier, d'analyser et de dégager la signification contextuelle des différentes particularités présentes dans notre corpus. Bien plus, pour ce qui est de l'intérêt, elle permettra d'avoir une vision plus large sur les raisons de la territorialisation de plus en plus croissante de l'écriture littéraire au Cameroun.

Pour ce faire, notre travail répond à la disposition qui suit :

Le chapitre premier : consacré au cadre théorique et à la revue de la littérature. Il nous permettra de définir le cadre épistémologique du phénomène de la variation linguistique, de ressortir la problématique et les hypothèses de l'étude ainsi que de situer le fondement théorique de la contextualisation du français en Afrique noire.

Le chapitre deuxième intitulé Méthodologie, permettra de fixer la démarche scientifique que doit suivre notre étude pour ce qui est de l'exploitation du corpus. Il s'agira ici de construire un outil d'analyse adaptable et prenant en compte tous les éléments recherchés.

Les chapitres trois, quatre et cinq sont consacrés à l'exploitation du corpus à partir des entrées de la grille d'analyse. Ils s'étalent respectivement sur l'analyse de la variation lexico-sémantique, de la variation morpho-sémantique et enfin de la variation syntaxique ou le français oralisé dans l'IBR.

Une conclusion générale indiquera la portée significative de toute l'étude, de même qu'elle permettra de dégager les perspectives d'une éventuelle étude dans le cadre de l'écriture littéraire en Afrique noire en général et au Cameroun en particulier.

CHAPITRE PREMIER : CADRE THÉORIQUE ET REVUE DE LA LITTÉRATURE.

Dans ce chapitre purement épistémologique, il s'agira pour nous, de faire ressortir tout d'abord l'état de la question sur les principales réflexions théoriques, effectuées autour du phénomène de la variation linguistique. Celui-ci se situera à deux niveaux : ainsi , dans un premier temps, il s'agira de faire le point sur les travaux généraux effectués dans ce domaine, auxquels suivront, dans un second temps des réflexions plus spécifiques portant sur la variation linguistique du français en Afrique noire francophone. Ensuite, nous partirons de cette revue de la littérature pour dégager la problématique ainsi que les hypothèses de recherche qui en découlent. Et enfin, suivra le cadre théorique dans lequel nous présenterons la théorie de référence sous-tendant notre étude.

I.1 Mise au point théorique sur le phénomène de variation linguistique.

La variation linguistique, découverte fondamentale de la sociolinguistique, est un phénomène qui a fait l'objet de plusieurs réflexions, tant au niveau épistémologique qu'au niveau plus spécifique appliqué à des langues bien précises.

Elle se présente en fait comme l'influence du social dans le jeu linguistique, prenant en compte tous les paramètres pouvant créer les variétés d'usage dans la langue. Toutefois, cette considération est née d'une problématique plus grande et préoccupante pour les sociolinguistes : d'où proviennent les variations ? Celles-ci sont-elles dues à l'influence du social ou aux méconnaissances des règles grammaticales ? Ceci étant, il convient d'évoquer la genèse de la question avant d'en dégager les fondements théoriques.

I.1.1 Aux origines de la variation linguistique.

W. LABOV, dans ses recherches en sociolinguistique a dégagé un ensemble de questionnements auxquels il convient de prêter l'attention dans toute étude importante sur la variation linguistique. Aussi est-il nécessaire de répondre aux questions du genre :

L'évolution linguistique est-elle orientée ? Quelles sont les contraintes universelles qui s'imposent au changement linguistique ? Pour quelles raisons de nouveaux changements linguistiques émergent-ils ? Pourquoi les gens ne parlent-ils pas comme ils estiment à l'évidence qu'ils le devraient ?10(*)

Cet ensemble d'interrogations qui est un préalable à la genèse de la sociolinguistique nécessite qu'on en évoque de près les fondements théoriques.

I.1.1.1 Les fondements de la variation linguistique.

En revalorisant la notion de parole mise à l'écart par les structuralistes, W. LABOV11(*) note qu'il est impossible de chercher les fondements de la connaissance intersubjective en linguistique ailleurs que dans celui-ci. En effet, le langage est soumis à toute sorte de variation du fait qu'il est utilisé quotidiennement par les membres de l'ordre social, soit pour discuter, soit pour plaisanter et en même temps pour tromper. Bien avant W. LABOV, W.D. WHITNEY soulignait déjà que :

L'homme parle donc avant tout non pas pour penser, mais pour faire part de ses pensées. Ses besoins sociaux, son instinct social, le forcent à s'exprimer.12(*)

On note là le souci de celui-ci de faire ressortir les facteurs importants qui imposent un changement linguistique : notamment la volonté d'exprimer la vision du monde, les pressions sociales pour ne citer que ceux-là, qui ne sont en fait que des réalités extralinguistiques.

Fort à propos, U. WEINREICH et alii, s'opposant à toute forme d'homogénéité structurée en langue déclarent :

S'il est nécessaire qu'une langue soit structurée pour fonctionner efficacement, comment les gens peuvent-ils continuer à parler pendant qu'elle traverse des périodes de moindre systématicité ? [...] Nous soutenons que la solution de ce problème consiste à rompre l'identification entre structure et homogénéité. La clé d'une conception rationnelle du changement linguistique - et, en fait, du langage lui-même - est la possibilité de décrire une différenciation ordonnée au sein d'une langue utilisée par une communauté.13(*)

En réalité, U. WEINREICH et alii mettent ici en exergue le phénomène de l'hétérogénéité linguistique qu'ils considèrent comme fondement de la variation dans des communautés linguistiques complexes.

Dans cette même perspective, W. LABOV14(*) approuvant la justesse d'une telle hétérogénéité, souligne que l'existence des variations et des structures hétérogènes dans des communautés linguistiques serait une réalité bien établie. Pour lui, l'existence d'une autre communauté est à mettre en doute.

Ces deux précédentes remarques font naître l'interrogation sur ce qui serait, dans la réalité quotidienne, à l'origine des différenciations dans la langue. Sur ce, H. FREI15(*) insiste sur la notion de besoin comme fondement de la variété et de la variation des langues. En fait, celui-ci constate l'existence d'un certain nombre de besoins qui, par leurs actions sur le langage et leurs réactions réciproques le créent et le recréent sans cesse. Il en distingue de ce fait trois critères nécessaires à la compréhension du fondement de ces variétés :

- un critère linguistique lié à la nature des langues elles-mêmes

- un critère sociologique lié à la nature des rapports sociaux

- et un critère historique lié aux conditions dans lesquelles les langues évoluent ou ont évolué.

A. MARTINET16(*), bien que s'intéressant à la seule causalité interne, reconnaît tout de même, à la suite de H. Frei, que la langue (institution sociale) est un produit de la vie en société, et n'est de ce fait pas immuable ; elle est susceptible de changer sous la pression des besoins divers et sous l'influence d'autres communautés.

Par ailleurs, A. MEILLET pour sa part pense que la variation linguistique est due au fait que la société agit sur le langage. Principalement par la manière dont elle détermine le dosage des besoins linguistiques.17(*)

Toutefois, les réflexions autour du rapport entre langue et société ne fait pas l'unanimité de tous les sociolinguistes, du moins sous l'angle d'approche ; c'est pourquoi il est nécessaire ici d'aborder cette question des points de vue de deux principaux courants : variationniste et interactionniste pour ne citer que ceux-ci.

I.1.1.2 La variation linguistique du point de vue variationniste.

Son fondement épistémologique a été établi par W. LABOV18(*) dont les travaux ont fait apparaître l'absolue nécessité de considérer en premier lieu la réalité des productions langagières. Pour lui, cette étude vise à découvrir comment les gens parlent quand on ne les observe pas systématiquement. Pour ce faire, l'approche variationniste cherche à corréler les manières de parler et les catégories sociales traditionnelles (l'âge des locuteurs, la localisation géographique, la profession, les espérances sociales et l'appartenance ethnique).

Les résultats obtenus ici mettent en exergue l'influence des pressions sociales dans l'évolution de la langue, entraînant des variations. Il en résulte que l'évolution linguistique n'est que le reflet de l'évolution des rapports sociaux.

Notons cependant que cette perspective variationniste, au départ, cherche à étudier la langue dans la pure tradition sociologique, avec pour fondement l'hypothèse d'un déterminisme simple et à sens unique de ces facteurs sur les manières de parler. Démarche à laquelle s'oppose l'approche interactionniste.

I.1.1.3 La variation linguistique du point de vue interactionniste.

À la sociolinguistique des macrostructures qui caractérise le variationnisme, J.J. GUMPERZ19(*) marque sa préférence à traiter le langage en situation, en le re-contextualisant. Pour lui, on ne peut aussi simplement corréler des catégories extralinguistiques et les comportements linguistiques ; car ces derniers sont eux aussi des instruments de catégorisation sociale que peut jouer le sujet.

Bien plus, J.J. GUMPERZ relève le fait selon lequel les styles langagiers que choisit un individu ont une spécification symbolique et impliquent des effets de sens qu'on ne peut simplement expliquer en corrélant des variations linguistiques et des catégories sociologiques contextuelles indépendantes.

On remarque de ce fait que cette approche insiste sur la prise en compte de ce que celui-ci appelle les indices de contextualisation, et revalorise en même temps l'importance de la théorie du locuteur, noyau dur de la recherche sociolinguistique.

C'est cette même réflexion que l'on retrouve chez L. MESSAOUIDI20(*) pour qui la langue n'existe que par ses locuteurs ; or ces derniers ne parlent jamais de la même manière, et pour appréhender le langage de façon scientifique, il faut aller vers le locuteur et voir comment il parle dans les différentes situations qu'il rencontre dans son quotidien, et comment il arrive à gérer ces situations avec d'autres locuteurs pour atteindre ses objectifs.

De toute façon, qu'il s'agisse de la première ou de la seconde approche, il en ressort que les variations linguistiques sont dues plus à l'influence sociale dans la langue qu'à la méconnaissance des règles grammaticales. C'est en fait autour d'une telle problématique que se situe le débat sur la variation du français en Afrique noire francophone.

I.1.2 L'économie des travaux sur la variation linguistique du français en Afrique noire francophone.

Après la mise au point théorique sur les fondements de la variation linguistique, il nous parait nécessaire de dégager l'incidence de celle-ci sur la langue française, ceci se fera à partir des différents travaux de réflexion menés par les précurseurs d'une part, et les enseignants de la Faculté de Lettres de l'Université de Yaoundé I d'autre part.

I.1.2.1 Les précurseurs.

Plusieurs recherches ont été effectuées sur les variations actuelles du français dans l'espace francophone et plus particulièrement en Afrique noire. Le nouveau visage de cette langue hors de ses frontières témoigne de l'existence d'un grand nombre de variétés d'usage en pleine mutation.

P. DUMONT tirait déjà là-dessus une sonnette d'alarme en ces termes :

Le français en Afrique (noire), souligne-t-il, n'est pas une invention de linguistes en mal d'imagination. C'est une réalité avec laquelle il faut maintenant compter.IL existe un français régional africain aux nombreuses variétés, dont certaines ont été déjà amplement décrites : emprunts, interférences, calques, néologismes de tous ordres. Mais par-delà cette créativité débordante, [...] est apparu un phénomène plus souterrain, d'une ampleur jusque-là insoupçonnée. Langue de l'innovation référentielle, le français est en train de devenir le véhicule de valeurs expressives spécifiquement africaines, le lieu de production d'un sens africain, le berceau d'un véritable univers sémiotique.21(*)

En réalité, P. DUMONT réalise qu'on peut désormais parler du français langue africaine aux multiples facettes, qui soit ici le support des réalités africaines.

C'est fort de ce constat que P. DUMONT et B. MAURER relèvent également l'apparition des variétés nouvelles, répondant à une pratique sociale africaine du français, qui est sans conteste le signe d'une décomplexation des locuteurs africains en train de s'approprier le français dans le but d'en faire une langue africaine disponible dans toutes les situations de communication.

Il résulte donc de ce qui précède que le français en Afrique noire doit être perçu non pas comme une sorte de Bâtard linguistique,22(*) mais plutôt comme un véritable idiome ayant naturellement une raison d'être et digne de servir de véhicule de culture. C'est dans cette logique que se situent les différentes réflexions menées sur l'appropriation du français par certains enseignants de la Faculté de Lettres de l'Université de Yaoundé I.

I.1.2.2 De l'appropriation du français en Afrique perçue par les enseignants de la faculté de lettres de l'université de Yaoundé I.

Ces travaux font le point sur les différentes transformations imposées par la prise en charge des réalités socioculturelles des langues africaines dans le français.

J. TABI MANGA mentionne à cet effet que :

Les cultures africaines traversent la langue française et y laissent des traces durables. Ces dernières transforment et bouleversent profondément les repérages sémantiques classiquement répertoriés dans les dictionnaires de référence.23(*)

Dans la même lancée, il souligne que cette variation du français serait due au reflet de la personnalité africaine dans l'usage du français ; facteur qui selon lui, est de nature à accélérer la dialectalisation du français.

Abondant dans le même sens, P. ZANG ZANG présente cette dialectalisation comme tendance évolutive du français en Afrique. Pour lui, la dialectalisation du français est un processus de différenciation linguistique qui tient compte du fait que :

Le peuple [...] s'approprie la langue et en fait un instrument de communication linguistique adapté à la satisfaction de ses besoins et conforme aux structures déjà établies par les langues locales24(*)

Ceci revient à montrer l'influence qu'exercent les langues locales sur le français.

Par ailleurs, A.-M. NTSOBE pense que l'appropriation du français en Afrique résulte du souci de décrire un univers spécifique et des émotions particulières. Cela étant, il ajoute qu'

Un constat supplémentaire devrait susciter une contextualisation de la norme : du moment où le français n'est pas un arbre, on devrait moins se soucier de chercher ses racines dans le sol, mais se préoccuper de l'intercompréhension dans le cadre d'une grammaticalité contextualisée.25(*)

Cependant, le danger majeur à éviter est celui d'assimiler l'enrichissement de la langue à un anarchisme où toutes les structures sont permises sous le manteau d'appropriation.

C'est ce qui justifie ici la position de L. M. ONGUENE ESSONO26(*) qui remarque que les différentes appropriations, la lexicalisation et les néologies débridées dans le cadre d'enrichir la langue française risque de la dénaturer. C'est pourquoi il pense qu'il est nécessaire de recentrer la problématique pour éviter à la sociolinguistique de servir de dépotoir linguistique, malgré les situations dramatiques que vivent des locuteurs soucieux de s'exprimer en français, mais en mal des termes idoines.

Cette nouvelle orientation de la problématique amène à nouveau A. M. NTSOBE à recentrer le débat. De ce fait, il suggère que la norme du français doit être une et commune relativement aux usages particuliers dans les pays francophones. Aussi affirme-t-il :

La norme standard du français s'impose à tous, il convient de la respecter même s'il faut, à chaque fois, adapter la langue à chaque situation de communication. Dès lors, il semble plus raisonnable de parler de problème de niveau, de registre de langue que de norme.27(*)

Cela se vérifie dans la mesure où la norme endogène ne vise nullement pas la déstabilisation de la langue, mais la prise en compte de certaines variations qu'on ne saurait bannir.

C'est en fait ce qui amène G.-M. NOUMSSI et FOSSO28(*) à noter que les variétés rencontrées dans la langue résultent du fait que, le locuteur, soucieux de décrire la réalité de son milieu, ne peut que chercher dans le lexique du français des équivalents périphrastiques.

Dans une position plus tranchée, J. M. ESSONO remet en question l'assimilation à une norme standard comme mentionnée supra. Selon lui, toutes ces barrières normatives des puristes étouffent le locuteur qui voudrait s'exprimer, transmettre librement son message et communiquer son expérience avec autrui. C'est ainsi qu'il présente la langue comme :

Un bien commun, une institution sociale, un trésor collectif au service d'une communauté linguistique bien déterminée [...] le peuple façonne la langue à sa guise au détriment des intellectuels et grammairiens qui formalisent des lois et des règlements pour régenter cette même langue. Or, trop de règles tuent la langue. [...] face à la norme, la masse oppose l'usage. Par la loi du nombre, elle dicte et impose son parler populaire.29(*)

Cette pression de l'usage qui hante désormais toutes les structures du français en Afrique pousse E. BILOA à dire que le français dans divers milieux francophones prend très souvent une coloration locale, au point que sa phonologie, sa morphologie, son lexique, sa syntaxe et sa sémantaxe s'en trouvent affectés.

En somme, cette revue de la littérature fait ressortir l'influence indéniable de la contextualisation et de la variation qui s'impose désormais à l'utilisation de la langue en milieu social. Pour ce qui est de la variation du français en Afrique, elle résulte comme le souligne J. TABI MANGA de la volonté réelle d'appropriation de la langue par les Africains afin de répondre aux besoins langagiers particuliers et ces besoins sont contextualisés.30(*)

Par ailleurs, ces travaux présentés supra montrent que ce phénomène porte non seulement sur l'usage de la langue à l'oral, mais aussi à l'écrit. C'est pourquoi J. TABI MANGA31(*) a relevé les procédés conduisant les auteurs vers une écriture insolite, vers une domestication de l'écriture, ayant pour corollaire la subversion du français. Reste à présent à savoir si ces écarts d'écriture relèvent d'un phénomène expressif ou d'une acquisition insuffisante de la langue.

I.2 Problématique.

Avant d'entrer de plain-pied dans la question centrale de notre recherche, il convient de rappeler que cette étude porte sur le problème de contextualisation, voire d'appropriation de la langue française chez les écrivains noirs africains ; en particulier ceux du Cameroun.

En effet, certaines voix se sont levées pour remarquer que ceux-ci se sont engagés dans un processus de réécriture de la langue française, détachée de toute contrainte normative. C'est à juste titre que G. MENDO ZE affirme :

Ceux qui ont le goût de belles lettres françaises, qui sont soucieux du mot juste et de la belle plume, qui sont jaloux de la belle forme et de l'élégance dans l'expression des idées peuvent constater avec regret la dégradation de la qualité du français au fil des années.32(*)

Au regard de tout ceci, nous pouvons dégager les questions de recherche suivantes : comment se présente le visage du français dans L'invention du beau regard de Patrice NGANANG choisi comme corpus d'étude ? La contextualisation du français dans cette oeuvre peut-elle faire penser à une éventuelle créolisation du français écrit au Cameroun ? Bien plus, à la lecture de cette oeuvre, saurait-on parler d'une subversion linguistique dans l'écriture littéraire camerounaise ?

I.3 Formulation des hypothèses de recherche.

Il ressort des travaux mentionnés supra que, les notions de variation linguistique et de contextualisation sont des phénomènes normaux qui s'imposent désormais et dont il est important d'en chercher les causes profondes et de les élucider. Ainsi, pour ce qui est de leur influence sur l'écriture littéraire en français au Cameroun, nous pouvons dégager les hypothèses de recherche (HR) suivantes :

- HR1 : La contextualisation du français dans l'écriture littéraire camerounaise marque la volonté des écrivains d'adapter celle-ci à l'environnement socioculturel des locuteurs.

- HR2 : Le contact du français et des langues locales entraîne une nouvelle forme de sensibilité dans l'écriture littéraire au Cameroun.

- HR3 : Les variations des niveaux de français constatées dans l'écriture littéraire sont le reflet de cette langue telle qu'elle est parlée par le commun des locuteurs pour traduire leur vision du monde.

I.4 Présentation de la théorie de référence.

Cette étude s'inscrit dans le cadre des principes qui fondent l'appropriation du français en Afrique noire francophone. C'est pourquoi nous nous sommes tourné vers l'hypothèse de la sémantaxe comme théorie de référence de ce travail.

C'est le résultat des travaux de l'École de Nice, réalisé autour de G. MANESSY,33(*) qui a réussi à théoriser l'origine des faits d'appropriation du français par les africains. C'est dans l'un des premiers à avoir dégagé une théorie qui permette d'explorer désormais le français des Africains sur une nouvelle base.

I.4.1 Les fondements de cette théorie.

Parmi les éléments ayant suscité une nouvelle lecture du français en Afrique, on peut noter cette remarque de J. TABI MANGA :

En effet, les particularités du français, lexicales, syntaxiques étaient regardées comme des expressions fautives à proscrire. Cette attitude, faite de réprobation et de mépris à l'égard des autres cultures, s'expliquait par le jacobisme linguistique. À l'aide d'un instrument d'une redoutable efficacité tels que les dictionnaires de référence et les grammaires normatives, la francophonie du Nord a opéré pendant longtemps une idéalisation des faits linguistiques. Cette idéalisation des modèles intellectuels, socioculturels a considérablement différé la connaissance de l'Autre, juste parce qu'il est l'autre.34(*)

Cette remarque fait ressortir la perception que l'on a toujours faite du français d'Afrique. Celui-ci était toujours comme un créole détaché de toute norme structurale de la langue française.

Ainsi, partant de cette conception erronée qui consistait à constituer dans le parler africain d'innombrables relevés de fautes ainsi que des parallèles plus ou moins rigoureux entre la grammaire du français littéraire et l'organisation morphosyntaxique des langues substrats (dans le but de mettre en évidence l'interférence de celle-ci sur celle-là) G. MANESSY a opposé une nouvelle opinion fondée sur l'hypothèse de la sémantaxe.

I.4.2 L'hypothèse de la sémantaxe.

Elle est fondée sur la réactivation de la substance du contenu africain à travers une forme d'expression française, traduisant ainsi un phénomène proprement culturel. En effet, il s'agit d'expliquer ici comment et pourquoi se fait une projection en français local des schèmes syntaxico-sémantiques plus ou moins lexicalisés du substrat linguistique des locuteurs africains.

De ce fait, G. MANESSY se fonde sur l'apparente incompatibilité entre la forme et le contenu du français à rendre compte des réalités africaines pour relever :

Son inaptitude maintes fois affirmée à rendre compte exactement, en dehors du domaine de la communication référentielle de ce qui différencie les civilisations africaines de la civilisation occidentale, et qui fait que celle-ci transposée dans celles-là, cesse d'être identique à elle-même.35(*)

C'est ce sentiment d'inadéquation et la quête d'un français africain voire national qui justifierait, comme l'ajoute G. MANESSY, le travail de remaniement que certains écrivains effectuent sur la langue française.

Aussi dégage-t-il deux hypothèses théoriques permettant de fonder l'appropriation du français en Afrique noire :

- La première, qui stipule que la forme d'un parler, le degré d'élaboration de sa grammaire, la complexité de ses mécanismes morphologiques et syntaxiques, l'organisation de son lexique, sont largement déterminés par les fonctions qui lui sont imparties ; c'est là le principe même de la différenciation d'une langue en variétés.

- La seconde est qu'on n'a pas tout dit lorsqu'on a mis à jour la structure grammaticale d'une langue. Cela dit, il paraît nécessaire, pour rendre compte de l'originalité d'un parler à un moment donné de son évolution, de prendre en considération ce qui est en deçà et au-delà du code linguistique : l'univers conceptuel dans lequel se meuvent ses locuteurs et les singularités de leur performance.

Ces deux hypothèses touchent ce qui constitue désormais la spécificité réelle du français africain, où les écarts constatés ne sont plus à percevoir comme des fautes, mais comme un fait d'appropriation permettant à l'Africain d'exprimer sa vision du monde et sa manière de voir les choses.

Au vu du cadre théorique, notre étude se propose d'analyser les différents niveaux d'appropriation de la langue française dans l'écriture camerounaise à partir de notre corpus. Mais avant, il convient de partir de là pour orienter notre construction de l'outil d'analyse qui sera une synthèse critique de certaines grilles existantes.

CHAPITRE DEUXIÈME : MÉTHODOLOGIE : CONSTRUCTION DE L'OUTIL D'ANALYSE DU CORPUS.

Ce chapitre s'attèle à l'élaboration d'une grille synthétique contenant les éléments sélectifs qui nous permettront d'exploiter notre corpus d'étude. Pour ce faire, nous partirons tout d'abord de la formulation des variables de l'étude, ceci sur la base des hypothèses dégagées supra. Ensuite suivra une lecture critique de certaines grilles d'évaluation du corpus francophone. Tout ceci nous permettra enfin de compte de dégager notre propre outil d'analyse adaptable à l'oeuvre que nous étudions.

2.1 Formulation des variables.

Une variable est un élément dont la valeur peut changer et prendre différentes formes. Notre étude distinguera la variable indépendante et la variable dépendante, cette dernière qui sera à son tour déclinée en indicateurs.

2.1.1 Les variables indépendantes.

Elles désignent les facteurs que l'expérimentateur manipule afin d'observer ou de mesurer les effets sur d'autres facteurs qu'on nomme variables dépendantes ; celles-ci s'inspirent des hypothèses formulées.

Pour ce qui est de notre étude portant sur l'appropriation du français dans l'écriture littéraire au Cameroun, nous pouvons dégager les variables indépendantes suivantes :

- l'inaptitude du français à traduire les réalités culturelles camerounaises.

- Le phénomène de contact entre le français et les langues locales camerounaises ;

- La forte pression de la norme populaire ou endogène de plus en plus évolutive.

2.1.2. Les variables dépendantes.

Celles-ci sont liées à l'objet de la recherche, et renvoient à l'effet présumé du phénomène (de recherche) à étudier. Ce sont les variables passives, encore appelées variables-réponses, parce qu'elles indiquent le phénomène que l'étude essaie d'expliquer.

Nos variables dépendantes sont les suivantes :

- la transformation et le bouleversement des repérages sémantiques, classiquement répertoriés par les dictionnaires de référence, dans l'écriture littéraire ;

- la transformation du lexique et des structures littéraires

- la variation des niveaux de langue et la coloration intense du lexique et des structures syntaxiques.

II.1.3 Les indicateurs.

Les indicateurs sont des données observables, qui permettent de saisir les dimensions, la présence ou l'absence des phénomènes que l'on ne peut appréhender directement.

Ils sont considérés comme outils d'analyse du fait qu'ils permettent d'obtenir des informations précises sur l'élément recherché.

Les indicateurs de notre étude se présentent suivant un regroupement lié aux différentes déclinaisons des hypothèses en variables. Aussi avons-nous trois groupes d'indicateurs conformes aux trois hypothèses dégagées.

Pour l'hypothèse de recherche n°1 (HR1) nous avons :

· les calques sémantiques

· les glissements de sens

· les changements de connotation et de dénotation

Pour l'hypothèse de recherche n°2 (HR2) nous avons :

· les calques syntaxiques

· les calques traductionnels

· les emprunts et les néologismes

· les traits intonationnels

Pour l'hypothèse de recherche n°3 (HR3) nous avons :

· le langage familier et vulgaire

· les constructions syntaxiques populaires

Tout ceci peut être représenté dans le tableau infra.

Tableau n°1 : Les variables et les indicateurs.

Hypothèses

Variables

Indicateurs

Indépendantes

Dépendantes

HR1

-l'inaptitude du français à traduire les réalités culturelles camerounaises

Transformation et bouleversement des repérages sémantiques dans l'écriture littéraire

*Calques sémantiques

*glissement de sens

*changements de connotation et de dénotation

HR2

-Le phénomène de contact entre le français et les langues locales du Cameroun

Transformation du lexique et des structures littéraires

*Calques syntaxiques

*Calques traductionnels

*Les emprunts et les néologismes

*traits intonationnels

HR3

-La pression de la norme populaire ou endogène

-variation des niveaux de langue et coloration intense du lexique et des structures syntaxiques

* langage familier

*constructions syntaxiques populaires

Les éléments résultant de ces variables et indicateurs nous permettront donc d'orienter la construction de notre outil d'analyse. Mais avant, il convient de partir d'une lecture critique de quelques précédentes grilles élaborées en vue d'analyser les corpus africains. La synthèse de celles-ci nous permettra d'en concevoir une, mieux adaptable à notre corpus d'étude.

2.2 Présentation critique des grilles existantes.

L'importance accordée aux variations du français en Afrique a suscité chez plusieurs chercheurs et équipes, la mise sur pied d'instruments permettant d'analyser les corpus tant oraux qu'écrits. Pour la plupart, ces grilles s'attèlent à une description du visage lexical et stylistique du français tel qu'il est parlé ou écrit en Afrique noire francophone, et se rejoignent en ce qu'elles visent à résoudre les mêmes difficultés.

Pour notre étude, nous passerons en revue trois principales grilles (les plus utilisées dans l'ensemble) que nous avons observées : celle de l'Équipe IFA,36(*) celle de C. POIRIER37(*) et celle de S. LAFAGE.38(*) Rappelons toutefois que la grille de R. CHAUDENSON39(*) et celle de G. MENDO ZE40(*) ne sont pas pris ici en compte du fait qu'elles penchent vers une perspective macro-sociolinguistique pour la première ; et stylistique voire esthétique et culturelle pour la seconde.

2.2.1 La grille de l'Équipe IFA.

L'Équipe IFA dans son inventaire des particularités lexicales du français en Afrique a mis sur pied un ensemble fondé sur la typologie de l'écart et structuré en quatre points :

- les particularités lexématiques ;

- les particularités sémantiques

- les particularités grammaticales 

- et les particularités liées aux différences de construction, à des différences de fréquence et de niveau de langue.

Cette grille a le mérite d'être la première description systématique à large échelle de ce qu'on peut appeler les africanismes. Elle offre une vue synoptique du français en Afrique noire francophone, dans une perspective synchronique, descriptive, c'est-à-dire non normative et différentielle.

Toutefois, il convient de noter avec A. FREY41(*) que cette grille typologique reste un schéma abstrait. Par ailleurs, à travers son aspect, on ne peut s'empêcher de se demander, avec J. TABI MANGA42(*) si cette grille est un fait de langue ou un fait de discours, surtout qu'elle reste plus centrée sur le lexique (uniquement) dans une perspective prédictionnairique.

2.2.2. La grille de Claude Poirier.

C. POIRIER dans son étude des variétés géographiques du français a dégagé une grille qui permet d'évaluer les différences entre les usagers du français hors de France sous une base comparative, à partir du français des dictionnaires. Cette grille se présente sous deux axes : différentiel (horizontal) et historique (vertical) et comprend :

- les variantes lexématiques ;

- les variantes sémantiques

- les variantes grammaticales

- les variantes phraséologiques 

- les variantes de statut

- et les emprunts.

Cette grille n'est pas nouvelle pour ce qui est des catégories d'écart par rapport au français de référence. Elle épouse de près les distinctions établies dans l'IFA. Son mérite est peut-être d'apporter des précisions sur certains points et de combiner des dimensions synchronique et historique sans qu'il y ait ambiguïté.

Cependant, bien qu'intégrant ici les variantes phraséologiques qui portent sur les locutions et expressions originales, cette grille comme la précédente s'oriente plus vers l'analyse des faits lexicaux tels qu'ils varient d'une région à l'autre. Bien plus, elle reste schématique car peut-être façonnée en fonction des situations.

2.2.3 La grille de Suzanne Lafage.

S. LAFAGE a établi pour chaque phénomène envisagé, des sous-catégorisations s'appuyant sur quatre critères opérationnels et permettant d'analyser le lexique du français d'Afrique noire. Ce sont :

- la suppression 

- l'adjonction

- la substitution

- et la permutation

Cette grille vise à rendre compte de façon plus détaillée des processus mis en jeu par le changement lexical du français en Afrique.

Bien qu'étudiant en plus des métaplasmes (modification de la structure formelle du mot), des changements de type métataxe (figures portant sur la syntaxe et touchant le mot ou des segments plus vastes), celle-ci dégage un schéma s'appliquant uniquement aux particularismes lexicaux résumés dans l'IFA. Ce qui fait qu'elle s'applique, elle aussi dans une perspective d'étude du visage lexical du français.

Tout compte fait, nous pouvons remarquer que les modes de représentation qu'offrent ces grilles ne permettent pas de saisir l'inter relation de tous les éléments sujets à variation, pourtant étroitement imbriqués dans un système linguistique cohérent.43(*)

C'est donc dans le double souci d'exposer clairement, les différents domaines atteints par la variation linguistique dans notre corpus d'étude, et de montrer comment ceux-ci se conditionnent mutuellement à l'intérieur de l'oeuvre pour faire sens, que nous nous proposons de dégager une grille synthèse applicable au corpus. Celle-ci s'inspire du cadre théorique, des indicateurs dégagés et des grilles d'analyse que nous venons d'étudier.

2.2.4 Présentation de l'outil d'analyse : la grille synthétique.

La grille que nous proposons, relève d'une part de la synthèse critique des précédentes grilles et d'autre part des entrées issues des variables dépendantes et indicateurs formulés supra.

Cela dit, notre grille présente trois critères ayant chacun plusieurs entrées qui doivent être vérifiées dans L'IBR de Patrice NGANANG. Voici du reste sa représentation.

Tableau n°2 : Présentation tabulaire de la grille d'analyse.

Critères

Entrées

1. Variation morphologique

- néologismes simples

- dérivation

- composition

- l'abrègement

- les emprunts

2. Variation syntaxique

- changement de catégorie grammaticale

- calques syntaxiques

- calques d'expression

- changement de construction (les formes de l'interrogation, les constructions syntaxiques populaires, etc.)

3. Variation sémantique

- glissements de sens

- les métaphorisations

- les extensions et restrictions de sens

- les changements de dénotation et de connotation

- calques traductionnels

2.2.5 Limites d'étude

La réflexion suggérée par notre thème de recherche est orientée vers une analyse de la variation linguistique du français dans l'écriture littéraire au Cameroun. L'ampleur d'une telle étude étant considérable, il aurait fallu un corpus plus large et recoupant plusieurs écrivains ; mais nous sommes retranché derrière la seule oeuvre L'IBR de Patrice NGANANG pour des motivations que nous avons soulignées à l'introduction.

Quant au niveau de la grille, elle ne prend pas en compte les variations phonétique et orthographique, ni l'analyse des toponymes et anthroponymes qui entrent ici dans une étude plus large.

Aussi souhaitons-nous que d'autres études soient menées, comme c'est déjà le cas pour l'écriture des médias, prenant en compte toutes les faiblesses de la présente recherche, afin d'avoir une vision plus large sur la question de la variation linguistique dans l'écriture littéraire au Cameroun.

CHAPITRE TROISIÈME : LA VARIATION LEXICO-SÉMANTIQUE

Dans la langue française comme dans toute autre langue, l'utilisation d'un mot en discours est toujours chargé de sens. En effet, comme le remarque L.M. ONGUENE ESSONO,44(*)pour se comprendre, il faut mettre les mêmes sens sous les mêmes mots, les mêmes significations devant correspondre aux mêmes signifiés.

Cependant, l'usage du français au Cameroun présente une autre particularité qui est celle de la resémantisation des lexèmes, les chargeant d'un sens différent de celui qu'offrent les dictionnaires de référence. En réalité, la langue française utilisée ici fait face à une culture camerounaise, qui à travers ses langues la transforme et l'accorde à sa sensibilité. J. TABI MANGA souligne à juste titre que :

Les cultures africaines traversent la langue française en y laissant des traces durables. Ces dernières transforment, bouleversent profondément les repérages sémantiques classiquement répertoriés dans les dictionnaires de référence.45(*)

Notre corpus d'étude, qui est ici l'IBR, n'échappe pas à cette règle. La resémantisation du lexique français s'y opère à travers moult phonèmes tels que : les changements de dénotation et de connotation, les glissements de sens, les extensions sémantiques, les métaphorisations et les calques traductionnels.

Notre analyse a consisté à faire un relevé d'occurrences suivi de quelques interprétations suivant le contexte.

3.1 Le changement dans la dénotation.

La dénotation désigne le noyau sémique fondamental et invariable d'une lexie. Pour G. MOUNIN, il s'agit de :

La relation qui unit une forme linguistique à la classe d'objets du monde observable, cette forme a la propriété d'évoquer dans l'usage de la langue la classe des objets qu'elle dénote.46(*)

En français camerounais par contre, on remarque que les lexies peuvent perdre leur sens premier et en acquérir d'autres, inexistants le plus souvent dans le français central.

Dans l'analyse du corpus, nous avons remarqué que dans l'IBR, les changements dans la dénotation se situent à deux niveaux des classes grammaticales.

3.1.1 Les verbes.

Nous avons recensé à ce niveau les exemples ci-après :

1) Notre homme avait décidé d'inventer tout ce beau monde chez lui après pour arroser-cà. (P.19)

2) Quand il aurait dû réfléchir sur cela qu'il deviendrait durant ces jours si proches ou qu'il n'aurait plus sa tenue fière d'adjoint au commissaire de police à porter. (P.20)

3) Et Taba ne put la croire, vraiment, quand elle le rassura et lui dit : «le médecin n'a rien vu''. (P.134)

4) il se bouchait les oreilles, et il se rendait compte bien vite que cette voix criait des profondeurs de son âme, que cette voix de Mana qui explosait en lui, lui disjonctait les évidences. (P.183)

Ces différents exemples relevés dans l'IBR ont au niveau dénotatif, un sens totalement différent de celui que présente les dictionnaires de référence. Le noyau sémique fondamental que l'on reconnaît à ceux-ci a volé en éclats au profit d'un sens nouveau imposé par le contexte camerounais.

Dans l'exemple (1) arroser-ça, on note que ce groupe verbal qui en réalité signifie humecter, mouiller en versant un liquide, revêt ici une autre dénotation appropriée qui est : festoyer, organiser une grande fête pour marquer un événement heureux. L'événement dont il est question ici est la cérémonie de décoration du commissaire de police adjoint D. Eloundou qui est au seuil de la retraite.

Le verbe porter présent dans l'exemple (2) revêt le sens qui lui est imposé par la traduction dans certaines langues locales camerounaises.47(*) De ce fait, il renvoie ici à l'expression mettre sur soi (un vêtement).

L'occurrence n'à rien vu laisse apparaître l'expression du personnage Mana épouse de Taba. Le changement de dénotation porte ici sur le verbe voir qui signifie ici : «diagnostiquer.'' En fait, Mana rapporte à son mari que les analyses médicales effectuées par le médecin se sont avérées négatives.

Enfin, le dernier verbe disjonctait quant à lui est généralement utilisé par les locuteurs camerounais dans des échanges agressifs. (Exemple : j'ai l'impression que vous disjonctez un peu monsieur). Il renvoie de ce fait à l'expression perdre la tête ou perdre ses repères.

Dans la même perspective, nos analyses nous ont aussi permis de relever certains lexèmes dans le corpus, victimes des changements de dénotation.

3.1.2. Les substantifs.

Les occurrences suivantes ont été relevées :

5) Oh oui, même le temps de Biya passera bientôt fait quoi fait quoi. (P.23)

6) Dans les sous-quartiers, lors d'une rafle, un des jeunes sauveteurs avait soudain tapoté ses poches et s'était écrié que son téléphone cellulaire avait été volé. (P.74)

7) Il ne croit non plus à sa tribu [...] ni dans son quartier qui n'attend plus que le moment de l'arrosage. (P.106)

Ces trois lexèmes qu'offrent ces exemples sont très fréquents dans l'usage du français au Cameroun. Par ailleurs, leur présence sans l'IBR conserve la même coloration sémantique que celle attestée par les locuteurs camerounais qui l'utilisent.

Le lexème temps est généralement utilisé dans les débats politiques pour parler du règne ou du mandat de quelqu'un qui occupe un portefeuille, exerçant ainsi une quelconque influence sociale et politique sur les autres. En effet, il est utilisé ici pour exprimer le ras-le-bol de ceux-là qui se marrent du règne du président.

En ce qui concerne le mot sauveteurs, il renvoie ici aux vendeurs à la sauvette qui exercent dans les grands marchés et les rues du Cameroun. Ceux-ci sont généralement en mouvement avec leurs marchandises et subissent parfois des interpellations policières du fait de leur occupation illicite des voies publiques. C'est en fait un cas de figure qui est présent ici dans l'IBR.

L'occurrence n°7l'arrosage qui revient fréquemment dans L'IBR renvoie à une cérémonie de collation pendant laquelle les gens sont invités à manger, à boire et à danser afin d'accorder leur bénédiction à l'événement et à l'hôte. C'est un phénomène très fréquent dans le contexte camerounais et qui est perçu comme le couronnement de tout succès. Celui dont il s'agit ici est la cérémonie de décoration du commissaire principal adjoint D. Eloundou à laquelle les membres de sa famille et tout le quartier ont été conviés.

Outre les changements de dénotation qui pullulent dans l'oeuvre de Patrice NGANANG, on peut aussi constater des changements qui interviennent dans la connotation, constituant ici ce qu'E. BILOA appelle variation de sens contextuel.48(*)

3.2 Les changements dans la connotation.

La connotation se définit comme l'ensemble des significations qui s'ajoutent au sens dénoté d'un mot. Celle-ci l'enrichit de manière parfois inattendue, en fonction de la sensibilité et de la culture de l'émetteur, de celle du destinataire/récepteur, de l'environnement lexical (contexte) et du sens général d'un texte. Ainsi :

Le domaine des connotations (pour un terme) dit Benveniste, c'est tout ce que ce terme peut évoquer, suggérer, expliciter, impliquer de façon nette ou vague chez des usagers. Ainsi, la connotation est une manière de substrat sémantique, de significations supplémentaires, qui se superposent à la fonction sémiotique ou dénotative.49(*)

Il ressort que ces changements affectent des valeurs supplémentaires aux unités lexicales du français central. E. BILOA affirme qu'en français du Cameroun, les lexies qui étaient mélioratives ou non marquées en français central acquièrent une valeur péjorative.50(*)

Plusieurs exemples ont été relevés dans notre corpus, portant sur les verbes, les substantifs et enfin sur les expressions.

3.2.1. Les verbes connotés.

Les exemples répertoriés se présentent comme suit :

8) Oui, on devrait se féliciter que son activité véritable de commissaire n'ait plus consisté depuis longtemps en fait qu'à calculer la justesse des pots-de-vin. (P.36)

9) comment est-ce possible qu'une Sita ne veuille pas faire avec un policier ? (P.56)

10) la violence naît de la peur, et à ce moment dans son bureau du silence, [...], devant cette femme qui lui donnait, donnait et redonnait sans fin, D. Eloundou eut peur, et il fut donc violent. (P.56)

Ces différents verbes portent d'une manière ou d'une autre des connotations dans l'IBR. Le sens ici ne peut être appréhendé que dans le contexte d'utilisation. Bien plus ces verbes émanent, pour la plupart, de l'usage vulgaire du français au Cameroun.

Pour l'exemple 8, le verbe calculer n'a rien à voir avec des exercices arithmétiques ou de résolution de problèmes. L'emploi fait de ce dernier renvoie à l'expression guetter avec envie ou convoiter quelque chose avec beaucoup d'intérêt. Notre corpus met ici en relief le cas du personnage D. Eloundou, commissaire principal adjoint dans la police camerounaise et qui passe pour expert dans la corruption et quête de pots-de-vin.

Les occurrences faire et donnait quant à elles s'inscrivent dans le registre de la sexualité. En clair, le verbe faire dans le contexte camerounais renvoie au fait pour une femme d'entretenir des rapports sexuels avec un homme. Tandis que le verbe donnait lui, signifie le fait qu'une femme consente de par ses gestes à entretenir des rapports sexuels avec un homme.

Ce contexte de sexualité illégitime est présenté dans l'IBR comme l'apanage des agents de la police camerounaise qui profitent de leurs travaux nocturnes pour entretenir des liens coupables avec des femmes autres que leur épouse légitime.

3.2.2. Les substantifs connotés.

Les occurrences relevées sont les suivants :

11) Et qu'avait-il déjà vu, lui aurait-on dit, car voilà qui, quand il entrait dans le bureau du commissaire principal, « le garçon » s'entendait montrer la chaise de l'autre côté et dire : «assieds-toi Grand'' ( p.77)

12) mais fallait-il qu'avant son couronnement public sa néantisation lui soit signalée dans le secret des bureaux par la bouche d'un enfant oui, d'«un bébé'' (p.79).

Ces substantifs ont tous un usage connoté que leur impose le contexte camerounais dont l'IBR est une illustration.

De ce fait, l'adjectif substantivé Grand (article O + adjectif) employé ici par le commissaire principal a une connotation ironique. Il signifie quelqu'un de respectable, influent et qui cherche à le faire savoir à tout prix à travers un zèle ostensible. Il est ici mis pour le commissaire adjoint D. Eloundou dont les pratiques d'influence qu'il exerce sur son entourage sont connues de tous

Les lexèmes enfant et bébé sont utilisés dans cet exemple pour désigner une personne sans expérience, un mineur de rien du tout dont on ne saurait prendre en considération les prises de décisions. On le retrouve souvent dans les cas d'insubordination, lorsque le supérieur est moins âgé que son suppléant, comme c'est le cas dans l'IBR entre D. Eloundou (Commissaire principal adjoint) et son supérieur hiérarchique, celui-là qui n'a même pas l'âge de son fils.

Les changements dans la connotation sont enfin perçus dans le corpus à travers certaines expressions.

3.2.3. Les expressions connotées.

Nous avons relevé :

13) D. Eloundou [...] avait toujours fermé les yeux sur la vérité quand le tchoko touchait ses mains. (p.31)

14) Ils auraient su que l'adjoint allait être dans déjà moins de vingt-deux heures en retraite qu'ils auraient ri devant sa promesse de les libérer, les condamnés, car après tout eux aussi connaissaient bien le Cameroun.

15) Si et seulement s'il n'avait pas pris tous ces gens-là qu'elle lui jetait à la maison comme ses propres enfants, [...], il n'aurait pas eu à se faire mouiller la barbe par-ci par-là. (P.85).

16) Or y avait-il une possibilité de sinon quand soudain, dans les bureaux de la police un Doyen avait été mis « sans caleçon ». (P.81)

Tout comme le précédent relevé, nous avons ici des expressions dont seul le contexte permet de décrypter le sens qui est de loin celui proposé par les dictionnaires de référence.

Les expressions fermé les yeux sur la réalité (exemple 13) et faire mouiller la barbe (exemple 15) se situent tous deux dans le champ sémantique de la corruption que l'IBR présente comme l'une des tares majeures de la police camerounaise.

Le premier signifie laisser tomber une procédure judiciaire par complicité avec les prétendus coupables.

Le second lui, signifie se laisser corrompre en acceptant les pots-de-vin.

L'exemple 14 : connaissant bien le Cameroun signifie se méfiait. En réalité, il est généralement employé par ceux qui ont été victime d'un phénomène de corruption, d'une promesse non tenue ou de toute autre transaction n'ayant eu aucune issue favorable. Cette expression est donc perçue au Cameroun comme une mesure de prudence dans des situations douteuses. L'IBR présente ici le cas de certains prisonniers qui ont reçu la prétendue promesse d'être libéré par D. Eloundou

Enfin, l'expression avait été mis sans caleçon est une marque d'humiliation .C'est ici le cas du policier D. Eloundou qui vient d'être humilié par son supérieur hiérarchique qui n'a même pas l'âge de son fils. Celui-ci lui refuse désormais la direction de toute patrouille policière.

Toutes ces connotations montrent en fait le niveau de coloration sémantique du français dans l'IBR qui se présente comme un miroir de la société camerounaise dans le parler et la vie quotidienne. Outre ce phénomène, on constate dans ce corpus des processus de glissements de ses.

3.3. Les glissements de sens.

Pour E. Biloa,51(*) il y a glissement de sens lorsque d'autres significations se substituent à celles du français central.

J. TABI MANGA52(*) parle de parasynonymes qui peuvent être de type nominal ou de type verbal, cela du fait que ces lexèmes entretiennent des relations parasynonymiques avec le nouveau sens qu'ils dégagent.

Plusieurs exemples ont été repérés dans l'oeuvre de Patrice NGANANG et portant sur les substantifs et groupes nominaux. Nous les avons enregistrés comme suit :

17) Mais c'était aussi une façon polie de dire que pour la nouvelle génération qui n'avait pas connu l'indépendance, et dont beaucoup était entrée dans la police à cause, et c'est vrai, de pistons par-ci par-là. (P.18)

18) Comment le pouvait-il donc, quand ses mains au lieu de se lever pour dire son abandon, se tendaient plutôt vers son amante. (p.26)

19) la réponse que les frères, fils et beaux du commissaire donnaient à ces questions brûlantes était unique, véhémente et concrète. (p.66)

20) il avait levé un billet au soleil, avait une fois de plus compté le tout, [...] en mouillant son pouce à la salive, car on ne savait jamais aujourd'hui comme il dit «surtout avec ces gros billets.'' (p.122)

Ces substantifs sont tous des parasynonymes de type nominaux, ayant subi une modification de sens pour exprimer une autre réalité extralinguistique.

Le mot piston ici a trait aux différentes recommandations et appuis effectués en vue de faire admettre un tiers à un concours ou à une sélection. Cela traduit ici l'une des pratiques fréquentes dans les recrutements organisés dans la police et dont l'IBR en fait une peinture.

Le lexème amante dont l'usage est récurrent dans notre corpus renvoie ici à une maîtresse ou à toute femme qui entretient des liens sentimentaux avec un homme qui n'est pas son mari. Ce terme a pour masculin le mot amant qui signifie soupirant, amoureux.

L'adjectif substantivé beaux (article zéro + adjectif qualificatif) renvoie ici aux membres de la belle famille et non pas à une quelconque appréciation esthétique.

Quant au groupe nominal ces gros billets (adjectif + nom), il signifie dans le contexte camerounais des billets d'une grande valeur. Ce sont généralement des billets de cinq mille francs ou de dix mille francs. Ce terme est couramment utilisé par des locuteurs démunis et victimes de pauvreté que la seule vue de ceux-ci rend perplexes et aussi prudents. C'est pourquoi il est employé ici par le personnage Taba que l'auteur décrit comme une figure symbolique de la misère.

On voit au bout du compte comment la coloration contextuelle qu'épousent les lexies dans l'IBR serait liée à la situation socioculturelle et économique qui prévaut au Cameroun et dont l'oeuvre s'en fait le miroir.

Par ailleurs, le jeu sémantique présent dans notre corpus s'observe également à travers un autre phénomène insolite qui est l'extension sémantique.

3.4 Les extensions sémantiques.

La procédure d'extension sémantique pour L.M. ONGUENE ESSONO consiste à élargir le sens d'un mot, même si le fond sémantique initial demeure.53(*)

En effet, en plus du sens normalement attesté dans le français central, certaines lexies, souligne E. BILOA,54(*) acquièrent de nouvelles significations qui couvrent le champ réservé à d'autres lexies.

Voici quelques exemples illustratifs qui ont été relevés dans le corpus.

21) L'argent qu'il avait reçu pour son acte disparut dans le quotidien des dépenses de sa famille, et dans la loi implacable de la mangeoire. (p.28)

22) ceci n'aurait été possible que si et seulement s'il n'avait, au sommet de sa déjà nombreuse famille à nourrir, fait comme tous ses amis, pris deuxième bureau, construit une maison à deuxième bureau alors que sa propre famille vivait encore dans les taudis. (p.85)

23) Il ne croit non plus à sa tribu, car le SG, son frère ne l'a pas aidé. (p.106)

24) L'espoir c'était de déboucher sur le goudron en route, or, même en route les gamins ne cessèrent par leur vengeance. (p.165)

Ces différentes lexies sont fréquentes dans le français camerounais et portent avec elles un sens élargi que ne prennent pas en compte les dictionnaires de référence.

Le terme mangeoire ici désigne une fête suivie de collation. Notons en plus que dans l'usage du français au Cameroun, ce lexème désigne le bien public ou les richesses de l'État ; ainsi, parle-t-on généralement au Cameroun de la mangeoire nationale.

En ce qui concerne l'exemple 22 deuxième bureau, ce groupe nominal dans le contexte camerounais signifie maîtresse. C'est en fait l'une des conquêtes d'un homme avec qui il entretient des relations sentimentales voire conjugales en dehors de son épouse légitime.

L'occurrence frère renvoie ici au membre d'une même tribu et non plus nécessairement aux enfants de mêmes parents. Cela fait figure de ce que l'on appelle couramment la famille africaine qui n'a point de limite témoignant ainsi l'importance de la relation parentale qu'il est inutile de découper en morceaux indicatifs (frères, cousins, neveux,etc.).

Le dernier cas ici présent est celui de goudron qui est utilisé ici non pas pour désigner la substance noire et liquide qui contribue à la construction des routes, mais renvoie plutôt à toute la partie goudronnée qui est l'asphalte.

À côté de toutes ces modifications sémantiques des items lexicaux présents dans l'IBR, figure aussi le phénomène de métaphorisation qui crée des rapprochements entre des faisceaux d'objets a priori étrangers les uns aux autres.

3.5 La métaphorisation.

Selon P. FONTANIER, la métaphore est la figure de ressemblance par excellence qui

Présente une idée sous le signe d'une autre idée plus frappante ou plus connue qui d'ailleurs ne tient à la première par aucun autre lien que celui d'une certaine conformité ou analogie.55(*)

Dans la même perspective, M. CRESSOT et J. LAURENCE présentent celle-ci comme

Un changement sémantique par lequel, un signifiant abandonne un signifié auquel il est habituellement lié par un autre, en vertu d'une comparaison non formulée entre ces deux signifiés, comparaison qui retient des ressemblances arbitrairement privilégiées.56(*)

On remarque donc que le phénomène de métaphorisation repose ainsi sur une interaction sémique entre les unités mises en jeu, ce qui lui confère un pouvoir de suggestion au niveau sémantique. L'IBR nous livre les exemples suivants :

25) De tableau vide, en passant par gardien de la paix, il avait atteint au bout de moult stages de recyclage, promotions, jonglages et pistonnages, son grade actuel d'adjoint au commissaire principal. (p.17)

26) Il avait fallu que son regard se plonge directement dans la chose palpitante de sa nouvelle femme, cette chose jeune et sans rides dont même sa Martine ne pouvait plus que lui donner le souvenir. (p.69)

27) On pouvait rappeler à D. Eloundou, pour le consoler [...] qu'il n'était surtout pas un sans caleçon. (p.81)

28) Reconnaissons que sans sans-payer, avec comme patrouille sa femme et ses enfants grands comme petits [...] même sa tenue de commissaire n'était pas suffisante pour convaincre cet homme à qui il parlait. (p.80)

29) Elle qui avait imaginé les éclos d'oasis, devait soudain rétrécir ses fantasmes et les limiter à ces deux mambas verts que son mari lui montrait. (p.119)

En dehors de l'exemple 27, nous avons affaire ici aux cas de métaphore in absentia. En effet, le comparé et le comparant ne sont pas exprimés, il n'y a donc que ce seul cas d'énoncé qui comporte un verbe être d'équivalence.

Dans l'énoncé 25, l'agent de police sans galons (comparé) est assimilé à un tableau vide (comparant) du fait qu'aucun signe de décoration n'est encore porté sur ses épaulettes. Ces agents sont généralement réduits à l'accomplissement des ordres de leurs supérieurs hiérarchiques.

La métaphore chose dans l'occurrence n°26 désigne l'organe génital féminin. Il est utilisé dans le contexte camerounais par souci de pudeur face au sexe qui est parfois perçu comme tabou. En réalité, le mot chose pris hors contexte n'est en fait qu'un référent vide.

L'énoncé 27 présente un cas de métaphore in praesentia ; le groupe prépositionnel sans caleçon (comparant) renvoie ici à l'expression vaurien qui est fréquent dans l'usage populaire au Cameroun pour désigner quelqu'un dépourvu de toute valeur et de toute personnalité. C'est en fait le cas de D. Eloundou dans le corpus qui est désormais néantisé et ridiculisé par les siens.

Les deux dernières occurrences laissent apparaître deux cas de métaphorisation obtenues par composition d'éléments.

Le premier : sans-payer qui est un groupe prépositionnel obtenu par trait d'union est ici comparé au car de police avec lequel ses agents patrouillent dans les villes et sous-quartiers et dans lequel on entre sans payer.

Le second cas : mambas verts qui est un groupe nominal (Nom + adjectif) désigne dans le contexte camerounais, des billets de banque à valeur de dix mille francs chacun. Rappelons cependant que cette comparaison relève de l'ancienne couleur (verte) que présentaient les billets de dix milles francs à l'époque (de 1960-1994) avant leur modification.

Comme on peut le percevoir, le phénomène de métaphorisation, qui est très récurrent dans le français hors de France, est utilisé dans l'IBR pour exprimer la réalité culturelle camerounaise dans une forme imagée et très expressive. En réalité, ces différents phénomènes de resémantisation analysés supra trouvent souvent leur origine dans des traductions littérales ou calques traductionnels.

3.6 Les calques traductionnels.

Les calques traductionnels sont selon A.Lipou57(*) des traductions littérales et des transpositions en français des constructions lexico-sémantiques issues des langues africaines.

En effet, pour J. DUBOIS et alii,

On dit qu'il y a calque quand pour dénommer une notion ou un objet nouveau, une langue A traduit un mot simple ou composé, appartenant à une langue B, en un mot simple existant déjà dans la langue ou en un terme formé de mot existant aussi dans la langue.58(*)

Dans le contexte africain, J. TABI MANGA note que

Ces calques ou particularités phraséologiques représentent la projection en français local de schémas syntactico-sémantiques plus ou moins lexicalisés du substrat linguistique. Sur le plan de la sémantaxe, la réactivation de la substance du contenu africain à travers une forme d'expression française traduit un phénomène proprement culturel.59(*)

Au Cameroun, l'utilisation des calques ressortit à un souci d'expressivité, où les locuteurs parlent français tout en y ajustant une coloration culturelle.

Notre corpus est ici émaillé de calques d'expression qui sont indubitablement des transferts des langues camerounaises en français. Les énoncés ci-après les illustrent parfaitement.

30) C'est le commissaire principal qu'il croisa dans le couloir et il lui offrit un sourire amical. Tu es de la maison, lui dit-il, tu le demeures. (p.26)

31) Il avança d'ailleurs à l'ombre des maisons, en ralentissant son pas, mangeant son ombre à ses pieds. (p.37)

32) Il avait marché dans ses pieds, avait traversé ses intestins, avait pénétré ses bras suivant l'intérieur de son corps. (p.46)

33) Taba était un vendeur de cola, et malgré ses réprimandes qui à la longue faisait chacun se demander qui chez lui portait vraiment le pantalon, personne dans le quartier, mais personne ne pouvait lever le petit doigt. (p.117)

34) Il voyait tous ces gens, Taba, lui bâtir un château d'argent, mais se rendait bien vite compte que toute la fondation était encore dans l'eau quand Moni vint lui annoncer que Mana était à l'hôpital. (p.133)

35) Taba en avait tout d'abord été effrayé imaginant la jalousie des gens du quartier qui lui mangeraient sa truie de loin. (p.137)

36) Tu devrais nous donner la bière lui dit celui qui avait fait l'effort le plus grand, et qui haletait sous les flots. (p.184).

Les énoncés qui précèdent traduisent littéralement, c'est-à-dire mot à mot les expressions telles qu'elles se présentent dans la langue source.

Dans l'exemple 30, l'expression tu es de la maison signifie faire partir des nôtres. Elle est utilisée généralement pour rassurer quelqu'un en difficulté, tout en lui accordant certaines faveurs. Son emploi ici par le commissaire principal vise à redonner confiance à son adjoint qui va bientôt partir à la retraite.

Les expressions littérales mangeant son ombre à ses pieds et marché dans ses pieds traduisent ici le champ sémantique de l'espionnage, qui est dans ce contexte le propre de la police.

Ainsi, mangeant son ombre à ses pieds signifie se dissimuler avec prudence tout en faisant disparaître les reflets de sa silhouette pour ne pas être vu.

Tandis que marché dans ses pieds renvoie à l'expression filer quelqu'un discrètement.

Le calque d'expression portait vraiment le pantalon signifie commander, donner des ordres. C'est une expression couramment utilisée pour se référer au chef de famille dans un couple.

L'occurrence était encore dans l'eau est fréquente dans l'usage du français au Cameroun et signifie être ruiné. Dans le corpus, il s'agit en fait de la situation économique du personnage Taba qui est dramatique.

Quant au calque donner la bière qui est employé ici par l'un des personnages de L'IBR (le gendarme de la GR), il signifie récompenser. C'est une expression très fréquente dans le lexique de la corruption pour ce qui est du français Camerounais.

Enfin, l'expression mangeraient sa truie veut dire tuer celle-ci par des voies mystiques. Elle traduit une réalité ambiante dans le quotidien culturel des camerounais.

Il découle donc de cette analyse que, les calques traductionnels renvoient à un phénomène proprement culturel. Les locuteurs utilisent les éléments linguistiques du français et les transposent littéralement dans leurs langues maternelles pour mieux exprimer leur manière de voir les choses.

Ce phénomène de contextualisation de la langue prend aussi en compte les registres de langue qui émaillent les échanges des locuteurs au quotidien. Dans le cas de l'IBR, il s'agit en particulier du langage familier et vulgaire qui relève du niveau basilectal.

3.7 Le langage familier.

Dans les pratiques langagières, il existe plusieurs registres de langue. En effet, l'Encyclopédie libre WIKIPÉDIA définit les registres ou niveau de langue comme

L'ensemble des différentes formes d'expressions employées par les sujets parlants pour formuler leurs pensées. Généralement, ces diverses manières de s'exprimer s'apparentent comme étant assez ou très proche par le sens les unes des autres. Aussi celles-ci dépendent en grande partie de la culture respective des locuteurs, de leurs degrés d'intimité et les rapports hiérarchiques existant entre eux.60(*)

On distingue à cet effet le soutenu, le courant et le familier. Ce dernier occupe une large place dans notre corpus. Il est émaillé de termes argotiques et d'injures locales.

3.7.1 Les termes argotiques.

Napon définit l'argot comme un système clos utilisé par le groupe pour le distinguer des autres groupes parlant diverses variétés d'une langue.61(*)

Allant dans le même sens, P. Giraud précise que l'argot est un langage artificiel dans son emploi.62(*)

L'IBR présente les exemples ci-après :

37) Des gens s'arrêtaient, lui donnaient un sourire, mais au fond ne répétaient en sa conscience que la question silencieuse que déjà la rue dans un bar têtuement bruyant lui avait lancée. (p.26)

38) Il se rendait compte qu'il avait dans sa main le pistolet de son pouvoir, celui qu'il n'aurait jamais utilisé s'il n'y aurait eu cette maudite mbok. (p.58)

39) c'est au bout de notre cavale litique qu'un jour, dans le salon de notre tante, nous rencontrons un homme que nous croyons être son père à elle. (p.92)

Les termes têtuement bruyant (entêté par ses bruits) maudite mbok (prostituée) cavale litique (relations sexuelles) relèvent bel et bien du langage familier, ils sont généralement employés à l'oral. En effet, leur présence dans l'IBR relève du fait que cette oeuvre est le reflet du langage utilisé dans le quotidien des locuteurs camerounais tant au niveau urbain que rural.

Cet emploi s'étend même au niveau des injures locales.

3.7.2 Les injures locales.

Ce sont des mots ou des jurons généralement présents dans l'usage populaire du français au Cameroun et qui servent d'insultes ou de plaintes à l'endroit d'un tiers.

Nous avons recensé un nombre important dans notre corpus comme laisse apparaître les exemples suivants :

40) Pourquoi avait-elle choisi de se battre, « la sapack », pensa-t-il. (P.56)

41) Notre cher commissaire pouvait même dire trois mouf à la patrouille de police qui lui avait été refusée. (P.98)

42) Tu vas manger tout ça seul ? Chicheron

C'est la chicherie qui va tuer les Bamiléké. (P.138)

43) L'imbouc que le chauffeur impertinent reçut en échange, avec la menace d'un grand couteau. (P.150)

Ces termes injurieux sont puisés dans le répertoire des emplois des locuteurs camerounais. . Ils sont ici assumés par certains personnages et parfois reportés par l'auteur-narrateur. Tous ont à l'évidence une signification particulière.

- Dans l'exemple 40, sapack signifie prostituée.

- Le terme mouf est synonyme d'une insulte quelconque, il signifie en effet que le locuteur s'en fout de quelque chose bien précise.

- Le lexie chicheron qui est une dérivée du mot chiche en français standard renvoie ici à un égoïste.

Quant à l'occurrence imbouc, elle est l'équivalence d'imbécile dont elle semble en être le diminutif. Mais ce terme signifie en réalité illettré dans son usage vulgaire.

En filigrane, l'utilisation du langage familier permet de confirmer le fait que l'IBR reflète le répertoire linguistique du commun des locuteurs camerounais. Bien plus, il apparaît fort bien que cette oeuvre est puisée d'une main légère et puissante dans le langage populaire en vogue au Cameroun et servant à ses locuteurs de s'exprimer sans difficultés.

Au bout du compte, l'IBR de Patrice NGANANG s'inscrit au coeur de la société et des différentes cultures présentes au Cameroun, tout en transcrivant autant que faire se peut, la réalité quotidienne des locuteurs ainsi que leur sensibilité linguistique : d'où la vérification de l'hypothèse de recherche n°1

Par ailleurs, les faits lexico-sémantiques étudiés ici traduisent bien la vision du monde des locuteurs soucieux de faire apparaître leur culture dans la langue française ainsi que l'a souligné J. TABI MANGA :

Les cultures africaines traversent la langue française et y laissent des traces durables. Ces dernières transforment et bouleversent profondément les repérages sémantiques classiquement répertoriés dans les dictionnaires de référence. 63(*)

Ce procédé d'enrichissement peut aussi s'observer au niveau morpho-sémantique à travers le phénomène de créativité néologique.

CHAPITRE QUATRIÈME : LA VARIATION MORPHO-SÉMANTIQUE

La variation morpho-sémantique est liée à la construction de nouvelles unités lexicales aux signifiants des mots tout en leur accordant des significations nouvelles, reflétant le contexte de production.

En fait, au niveau morphologique, l'appropriation du français par les écrivains résulte d'un processus continuel d'enrichissement de la langue au niveau lexical. Ce processus, selon S. MEJRI, vise à répondre aux exigences de l'évolution du monde (sciences, mode de vie, technique, mentalité).64(*)

Par ailleurs, L. GUILBERT ajoute à ce sujet que :

La création lexicale consiste dans l'application d'un certain nombre de règles possédant la même puissance récursive que les règles de la grammaire. Le locuteur dispose de la même faculté de production d'unités lexicales nouvelles par transformation d'une structure syntaxique de phrase en une structure syntaxique d'unité lexicale.65(*)

Notre analyse tout au long de ce chapitre consistera à relever tous les procédés de créativité néologique dans l'IBR, suivie éventuellement des significations particulières que revêt chaque élément créé. Aussi étudierons-nous les phénomènes de siglaison, de dérivation, de composition dans lequel nous rangerons le procédé néologique par emprunt.

4.1 La siglaison.

La siglaison relève du procédé d'abrégement, qui consiste à réduire le signifiant d'un mot, tout en laissant son signifié inchangé. Ce processus contribue à l'extension du vocabulaire, limite l'emploi des longs mots, et économise ainsi la dépense articulatoire et mémorielle.66(*)

En effet, pour L. GUILBERT, la siglaison :

Consiste à assurer la présence de chacun des constituants de l'unité syntagmatique dans la nouvelle séquence, soit par la première lettre de chaque composant, soit par fraction syllabique très réduite.67(*)

Les sigles qui en résultent peuvent être classés en deux principales catégories : les sigles à valeur alphabétique et les sigles à valeur syllabique.

4.1.1 Les sigles à valeur alphabétique.

Ce sont ceux qui se prononcent lettre par lettre ; les graphèmes qui composent le sigle correspondent alors à des phonèmes qui sont lus individuellement.

Dans L'IBR, nous avons relevé les exemples suivants :

44) Le commissaire principal en tête, ayant tenu à remercier au cours d'une cérémonie des plus grandioses, et pas seulement ses collègues et commissaire principal : même le S.G. (p.19)

45) Oh, monsieur l'adjoint n'avait pas espoir de recevoir le ministre de l'A.T. dans sa modeste case. (p.19)

46) Et même s'il vit le jour là dans la voiture qui ne bougea pas d'un pouce malgré mille supplications du conducteur aux gendarmes surarmés de la [...] G.R. impassibles. (p.159)

Ces différentes occurrences renvoient aux portes feuilles qu'occupent les personnages ainsi cités. Cet usage est répandu au Cameroun et permet, dans la majorité des cas, de désigner quelqu'un sans fournir beaucoup d'effort. Bien plus, cette appellation revêt parfois une valeur affective ou de familiarité.

Le sigle S.G. signifie Secrétaire Général.

L'A.T. renvoie à l'Administration Territoriale

Quant à G.R., il désigne la Garde Républicaine. Ce terme n'est plus utilisé au Cameroun pour désigner ce corps de métier ; car il a été remplacé par celui de G.P. (Garde Présidentielle).

4.1.2 Les sigles à valeur syllabique

Les sigles à valeur syllabique sont ceux qui sont formés à la fois par des consonnes et des voyelles, les différentes séquences qui constituent le sigle se présentent à la manière d'une syllabe. Ceux-ci sont aussi appelés des acronymes.

Nous avons relevé les occurrences suivantes :

47) Ici, que valait une telle offre quand on savait que la SOTUC fermerait bientôt ses portes. (p.159)

48) Et voila, c'est lui qui maintenant se transformait en fouilleur de poubelle, discutant sa place avec les fous, ou avec HYSACAM. (p.161)

Ces sigles équivalent, comme le souligne M. Grevisse à des noms communs.68(*)

Le sigle SOTUC est ici sujet de fermerait et signifie : Société des Transports Urbains du Cameroun. Rappelons toutefois que cette société n'est plus fonctionnelle aujourd'hui du fait de sa faillite causée par des malversations financières.

Le sigle HYSACAM qui a pour fonction complément circonstanciel d'accompagnement signifie : Hygiène et Salubrité du Cameroun. Cette société existe jusqu'aujourd'hui au Cameroun et est chargée d'assainir les villes. Ce sigle est aussi utilisé pour désigner les membres de cette société comme c'est le cas ici.

Au regard de ceci, on constate que la siglaison est employée dans L'IBR pour désigner ou décrire un phénomène bien précis existant au Cameroun. Phénomène souvent déplorable comme c'est le cas dans l'exemple 47, où à travers le sigle SOTUC, l'auteur dénonce la mauvaise gestion des entreprises publiques au Cameroun, ce qui entraîne ainsi leur faillite.

Outre le procédé de siglaison, la néologie morphologique s'exprime également dans L'IBR à travers le procédé de dérivation.

4.2 La dérivation.

Selon G. PRIGNITZ, la dérivation est sans conteste le procédé le plus exploité, celui qui est le plus productif dans les particularités africaines du français.69(*)

L. GUILBERT la présente comme un processus qui présuppose un élément lexical de base, morphème ou mot, et un mode de combinaison d'au moins deux éléments.70(*)

La dérivation est donc un procédé qui aboutit à la formation d'unités lexicales à partir d'éléments préexistants dans la langue. Elle peut s'effectuer soit par préfixation soit par suffixation.

4.2.1 La dérivation préfixale.

Un préfixe est selon M. GREVISSE, une suite de sons qui n'a pas d'existence autonome et qui s'ajoute devant un mot existant pour former un mot nouveau.71(*)

En réalité, le préfixe influence le sens du mot auquel il est lié du fait qu'il possède lui-même un sens étymologique. Cette liaison peut s'effectuer avec ou sans soudure. Toutefois, l'analyse de notre corpus fait état des dérivés avec soudure ainsi qu'il suit :

49) En sa solitude effrayée, là dans son bureau d'une vie de faux, sans sourciller, il se décidait à retuer la mort. (p.29)

50) Le pistolet le regardait. Il regardait le pistolet encore, et quand cette fois le pistolet le reregardait, il se voyait définitivement lâche. (p.58)

51) C'est sa première femme qui essaya une parole. D. Eloundou ne pouvant plus se désencolérer, dit tout simplement : Non. (p.88)

52) C'était étonnant cependant, concédons-le, que la dernière énergie qu'elle parvenait encore à arracher à son squelette déviandé, elle le transformait en un plat sourire. (p.147)

Les dérivés contenus dans les exemples qui précèdent sont formés sur la base des préfixes re et .

En effet, le préfixe re exprime l'idée de répétition ; tandis que le préfixe indique la privation, ou le fait de se débarrasser de. Dans les exemples 49 et 50, le préfixe re est joint au verbe tuer et signifie tuer à nouveau, puis au verbe regarder pour signifier regarder à nouveau.

Relevons que ce dernier verbe laisse au substantif pistolet une marque + humain synonyme d'une certaine personificaiton.

Les occurrences désencolérer et déviandé signifient respectivement se débarrasser de sa colère pour le premier et dépourvu de toute chair pour le second. Ce dernier traduit le degré de pauvreté et de misère dans lequel vivent certains personnages de L'IBR réduits à la seule quête de pitance vitale le cas patent étant celui de Taba et sa famille

À côté de cette dérivation préfixale qui resémantise les différentes lexies de base, nous avons aussi la dérivation suffixale qui est aussi porteuse de sens.

4.2.2 La dérivation suffixale.

La dérivation suffixale s'opère à travers l'adjonction d'un suffixe à un radical. En effet un suffixe, comme le définissent J. DUBOIS et alii, est un affixe qui suit le radical auquel il est étroitement lié.72(*)

Notons que ce dernier n'a pas d'existence autonome ; il s'ajoute uniquement à un mot déjà existant pour former un nouveau mot. Par ailleurs, le corpus littéraire africain permet de se rendre compte qu'il n'existe pas une classe exhaustive desdits suffixes. Ils constituent une classe ouverte et les mots sont formés au gré de l'écrivain. Toutefois, ceux-ci s'inscrivent dans la réalité sociale.

· les suffixes en - ment.

De manière générale, le suffixe - ment est considéré comme un suffixe d'adverbe qui, joint à des radicaux adjectivaux, permet de former des adverbes. Il permet aussi de former des noms ; dans ce cas, il n'est plus lié à un adjectif. Notre corpus présente les cas suivants :

53) Sourd, il décomposait la femme dont les parties silencieuses et têtuement ramassées sur la chaise devant son bureau l'énervaient.(p.54)

54) Évidement, ce n'était plus seules les femmes de D. Eloundou qui parlaient, mais toute sa famille, qui pleine d'effroi que la mangement n'ait plus lieu mentionnait avec frénésie. (p.88)

55) Si les membres cette fois ne cotisèrent que chichement, c'était parce que l'homme du jour n'avait que son honneur à offrir aux enchères. (p.118)

les exemples 53 et 55 présentent des dérivés formés à partir des radicaux adjectivaux, tandis que dans l'exemple 54, on a un dérivé mangement formé sur la base du radical verbal mange.

L'occurrence têtuement signifie de manière entêtée. Chichement signifie avec réserve ou rétention. Car dans le cadre de la tontine, chaque individu verse ses cotisations si et seulement s'il est sûr que le bénéficiaire sera en mesure de verser à son tour la même somme qu'il aura déboursé. Or Taba étant reconnu comme pauvre ne bénéficiera pas d'une riche cotisation surtout qu'il n'a aucun gage matériel sur lequel on pourrait compter. Le lexème mangement renvoie à une fête accompagnée de collation (boire et manger). Cette pratique est courante dans le contexte camerounais, et est désormais devenue un rituel servant à ponctuer tout événement heureux.

· les suffixes en -er.

-er selon E. BILOA,73(*) peut être considéré comme un suffixe de verbe qui joint à des noms ou à des éléments tenant lieu de radicaux nominaux, permet de former des verbes.

L'IBR fait état des exemples ci-après.

56) D. Eloundou retrouva son équilibre, car sinon - sinon quoi ? Sinon la secrétaire qu'il avait saluée aurait de quoi kongosser avec les collèges. (p.81)

57) Nous nous en foutons des paroles des garçons de notre quartier qui dans notre dos, se chuchotent que « tout le monde peut la couiller » (p.92)

Le verbe kongosser signifie calomnier quelqu'un c'est en fait un dérivé du mot kongossa qui est un emprunt d'une langue locale camerounaise et renvoie aux différents commérages faits sur une personne qui est absente. Cette pratique est courante dans le quotidien des camerounais et a donné lieu à l'expression familière faire le kongossa sur le nom de quelqu'un.

Le verbe couiller signifie entretenir des rapports sexuels avec une femme. C'est un dérivé du support nominal couilles qui est un emploi vulgaire de testicule.

· Les autres suffixes.

En plus de ces groupes de suffixes mentionnés supra, l'IBR présente encore d'autres cas isolés qui résultent de la créativité de son auteur. Ainsi, nous avons relevé les exemples suivants :

58) Il avait atteint au bout de moult stages de recyclages, promotions, jonglages et pistonnages, son grade actuel d'adjoint au commissaire principal. (p.17)

59) C'est au bout de notre cavale litique qu'un jour, dans le salon de notre tante, nous rencontrons un homme que nous croyons d'abord être son père à elle. (p.92)

Dans le premier cas, jonglages et pistonnages sont des substantifs appartenant au registre familier du français.

Dans ce contexte, jonglages renvoie à toute forme de truquages, de tentatives frauduleuses en vue de faire bénéficier à quelqu'un ce qu'il ne mérite pas. Pistonnages signifie le fait d'apporter son appui à quelqu'un (recommandation) pour qu'il obtienne une place, un avantage dans une sélection.

Ces deux termes sont utilisés dans L'IBR pour mettre à nue les réalités de la société camerounaise en générale et de la police en particulier.

L'occurrence litique s'inscrit aussi dans le langage familier du français au Cameroun. Il s'agit ici de toute action entreprise sur le lit, en particulier les rapports sexuels.

Par ailleurs, le phénomène de dérivation dans L'IBR influence aussi les catégories grammaticales de base qu'il transforme : il s'agit ici de la dérivation impropre.

4.2.3 La dérivation impropre.

La dérivation impropre est une opération qui consiste à changer la fonction habituelle d'un mot sans que ni sa forme, ni sa substance morpho-sémantique n'en soient altérées.

Dans L'IBR, ces transcatégorisations grammaticales s'exercent sur les noms communs et les adjectifs qualificatifs.

· un nom commun devient un nom propre.

En français, les noms communs sont généralement substantivés et s'écrivent en minuscule pour ce qui est de la première lettre, surtout lorsque ceux-ci ne sont pas précédés d'une ponctuation forte, ou lorsqu'ils ne sont pas en début de phrase.

Notre corpus présente plutôt des noms communs assimilables aux noms propres du point de vue morphologique.

60) Il ne reconnut pas sa cour, couverte qu'elle était des milles parties de la vache que Boucher avait déjà abattue. (p.86)

61) Elle l'avait réveillé par des cris, par des jurons, par des menaces, mais aussi par des pleurs, car Voisin s'en était pris plutôt violemment à Gérard. (p.140)

62) Voila certainement pourquoi quand il arriva chez Boutiquier il fut surpris que ce dernier lui donne un sac de riz sans discuter. (p.139)

63) Vendeur de soya ne put s'empêcher d'éclater de rire. (p.131)

Ces lexèmes sont tous précédés de l'article O et portent une majuscule à la première lettre, ce qui en fait des noms propres, surtout qu'ils servent ici à identifier nommément les différents personnages évoqués. Nous obtenons là une structure du type : Article + Nom commun (en majuscule) Nom propre.

· un adjectif qualificatif devient un nom

Généralement, les adjectifs qualificatifs servent de caractérisants, ils apportent une information supplémentaire au nom qu'ils qualifient. C'est pourquoi ils sont considérés comme des expansions du nom.

Cependant, l'une des particularités de l'IBR réside dans la transformation de certains adjectifs qualificatifs en nom, ceci à travers leur substantivation et leur caractère d'écriture.

64) Dans le tableau d'honneur des jeunes policiers, il ne faisait pas seulement figure de doyen, il était le Grand. (p.18).

65) Même si Innocent tombait devant le commissaire principal [...] avec dans sa bouche sa révélation de la Morte, cela ne changerait rien à l'évidence de son sort. (p.73)

66) Comme une diarrhée secoua le derrière du Vieux ! (p.79)

Il est bien évident de remarquer que ces adjectifs se comportent comme des noms, non pas seulement du fait qu'ils soient précédés d'un substantif, mais aussi à travers leur caractère d'écriture (la première lettre est en majuscule), comme s'il s'agissait des noms propres.

À la suite de cette analyse, nous pouvons conclure que la dérivation entre dans le processus de contextualisation de la langue française au Cameroun en général et dans l'IBR en particulier. Toutefois, ce phénomène n'est pas un simple jeu de style, mais une façon de représenter la réalité quotidienne et/ou socio-linguistique des locuteurs, entre autres : la sexualité (prostitution), la corruption, etc. c'est dans cette même lignée que s'inscrit le phénomène de composition.

4.3 La composition

La composition renvoie à la juxtaposition des éléments les uns à côté des autres pour former une nouvelle lexie. Selon J. DUBOIS et alii, le procédé de composition s'opère par la jonction d'au moins deux constituants, ainsi définissent-ils la composition comme étant :

La formation d'une unité sémantique à partir d'éléments lexicaux susceptibles d'avoir par eux-mêmes une autonomie dans la langue.74(*)

N. CATACH (1986 :8) citée par E.DASSI75(*) souligne que le seul critère de la reconnaissance d'un mot composé retenu aujourd'hui est celui de son fonctionnement. Celui-ci se comporte dans une phrase comme un mot simple et répond aux critères de délimitation des unités linguistiques existant dans la langue.

La nouvelle lexie ainsi obtenue est indépendante et autonome sur le plan de la signification comme le relève J. M. ESSONO : les classes sémantiques auxquelles appartiennent les vocables constitutifs du mot composé sont neutralisées au profit de la classe sémantique du composé pris en bloc.76(*)

Nous avons, pour les besoins d'analyse, classé ces mots composés en fonction de leur morphologie. Aussi avons-nous répertoriés : les mots composés graphiquement soudés, les mots composés simples, les mots composés avec trait d'union et enfin les mots composés avec préposition.

4.3.1 Les mots composés graphiquement soudés.

Les mots composés de ce genre sont constitués de deux racines autonomes et ayant un lien morphologique manifeste. Ces mots sont attestés dans l'IBR.

67) Ceux qui avaient investi leur argent dans les affaires du famlaman, comme on disait maintenant [...] n'avaient même plus ce courage de venir lui demander les dividendes. (p.176)

68) Les beauregards du ministre des soyas sont tout simplement les plus appétissants de la terre ! (p.191)

L'occurrence famlaman est formée de l'addition de deux emprunts : à la langue Bamiléké famla et l'anglais man, on a donc une association Nom + Nom qui désigne un individu appartenant à une société mystique dont les pratiques sont pernicieuses. Ce terme revêt une connotation péjorative, ceci du fait que les dégâts causés par ceux-ci coûtent le plus souvent en vies humaines.

Le composé beauregards est synonyme de viande de porc braisé. Il est composé de l'adjectif beau et du substantif regard.

Selon la légende, ce terme est tiré des bars et gargotes du Cameroun, où un homme expérimenté en viande de cochon fut séduit par une tête de porc grillé posée sur une grillade. Ce dernier décida de l'acheter en le baptisant par ce nom qui entre désormais dans la dénomination populaire de la viande de porc braisé au Cameroun.

4.3.2 Les composés simples.

Les mots composés sont formés également de deux racines autonomes et n'ayant aucun lien morphologiquement manifeste.

Notre corpus présente des exemples suivants :

69) Qui s'en plaint n'a qu'à se rappeler le taximan à qui un tableau vide avait tiré une balle dans la nuque jadis. (p.36)

70) Celui-ci refusait de lui donner les mille francs réglementaires que les pièces incomplètes coûtent dans le registre officiel des barbes mouillées. (p.36)

71) Comment pouvait-il donc [...] quand sa bouche, au lieu de dire son innocence, s'ouvrait plutôt pour continuer un ndolo l'amour dont il avait commencé le refrain en route. (p.49)

Les occurrences tableau vide et barbes mouillées sont tous deux formées sur la base Nom + adjectif (N + Adj), et entrent ici dans un champ sémantique se rapportant aux agents de la police camerounaise.

Tableau vide est utilisé pour désigner un jeune policier nouvellement recru et n'ayant pas encore de galon, ni d'expérience poussée.

Barbes mouillées renvoie ici au nom donné aux policiers corrompus. Ce phénomène consiste à soudoyer le policier en lui donnant discrètement une somme d'argent afin qu'il efface tout motif d'accusation vous concernant.

Le mot composé ndolo l'amour résulte de l'addition du mot ndolo (emprunt de la langue duala) et du mot français l'amour. Il renvoie ici au titre d'une chanson de Makossa en langue duala dans laquelle il est question d'une histoire d'amour.

De toute façon, ces mots présents dans L'IBR visent à décrire ou à identifier une réalité présente dans la société camerounaise contemporaine. Réalité qui est aussi peinte à travers les mots composés avec trait d'union.

4.3.3 Les mots composés avec trait d'union.

Les mots composés avec trait d'union sont des unités lexicales formées de deux éléments à forme pleine, ayant pour lien graphique un trait d'union.

Le trait d'union est comme le définit M. GREVISSE, un signe d'unité dont la fonction est de constituer une suite de mots en une unité.77(*) Notre corpus présente les occurrences suivantes :

72) Traquer les assassins était donc redevenu son boulot, lui l'ancien mange-mille. (p.40)

73) Très tôt nous avons trouvé du réconfort dans les bras de l'amitié d'un mari et femme ?

- non d'un copain-copain, juste pour voir comment. (p.90)

74) Un cou-plié, qui s'y connaît, et puis qui nous aura surtout donné une vision claire de cela que peut conquérir notre beauté. (p.91)

Ces différents lexèmes ont pour référents des humains.

Le lexème mange-mille est formé sous la base verbe + trait d'union + déterminant (adjectif numéral cardinal) et désigne un agent de police escroc. Cette triste réputation relève du fait que les policiers lors de leur contrôle routier ont pour habitude d'extorquer une somme de mille francs aux conducteurs.

Le lexème copain-copain est formé sur la base Nom + trait d'union + Nom ; il renvoie à la relation sentimentale qu'entretiennent les amoureux, ceux-ci n'étant pas encore mariés.

Cou-plié lui, relève de l'addition Nom + trait d'union + Adjectif qualificatif. Cet usage désigne un homme âgé et délabré physiquement, ayant pour maîtresse une très jeune fille qui a presque l'âge de sa fille. Ce phénomène est déjà accentué au Cameroun et est dû au problème de pauvreté et de la recherche du bien être qui pousse certaines jeunes filles à se livrer sexuellement à des personnes qui ont l'âge de leur parent.

Dans cette même perspective de peinture du social, on peut aussi relever l'emploi des mots composés prépositionnels, attestés dans l'IBR.

4.3.4 Les mots composés prépositionnels.

Les composés prépositionnels sont formés au moyen d'un élément de jonction qui est la préposition. Cette dernière est un mot invariable établissant un lien de subordination entre des mots ou des syntagmes.78(*) Les occurrences relevées dans L'IBR donnent lieu à des substantifs formés sur la base Nom + Préposition + Nom.

75) Tout le monde ici dirait qu'il l'aurait coffré dans les murs du silence. (p.51)

76) Un policier demeure un policier comme quoi, laissé soudain seul dans un bureau clos avec cette Sita dont il aurait libéré le client du soir faute de preuves. (p.52)

77) Mais la raison de l'étonnante sympathie de cette petite-fille de lutteuses comme il l'appelait [...] peut aussi être vu ailleurs. (p.64).

78) Les beauregards du ministère des soyas sont tout simplement les plus appétissants de la terre. (P.198)

Ces différents composés ont une signification particulière dans le contexte camerounais que reflète l'IBR.

Le composé murs du silence se comporte ici comme une métaphore et désigne l'intérieur de la prison qui est généralement obscure et caractérisé par le silence.

Client du soir est un terme utilisé dans le jargon des prostitués pour désigner l'homme avec qui une prostituée va passer quelques minutes de la soirée. C'est ici le cas de l'amant du personnage Sita qui a été pris en flagrant délit avec qu'elle.

Pour ce qui est de ministère des soyas, ce composé décrit un corps d'activités informelles qui s'est développé dans les rues et bars du Cameroun. Il s'agit du lieu par excellence où l'on braise les viandes (porcs, boeufs, poulets, etc.). La zone désignée ici est la Briqueterie, un des sous-quartiers de Yaoundé.

En filigrane, tous les mots composés relevés dans l'IBR décrivent un référent bien précis. Par ailleurs, les lexies ainsi obtenus s'inspirent sans coup férir de l'actualité et de l'environnement socio-économique et culturel camerounais dont l'auteur présente ici les images saisissantes.

En plus de tous ces procédés de créativité néologique présents dans l'IBR, l'enrichissement de la langue française passe aussi par le phénomène d'emprunt.

4.4 Les emprunts.

Les linguistes classent l'emprunt parmi les procédés néologiques de forme qui s'imposent à la langue tout en enrichissant ses structures.

À cet effet, M. M. NGALASSO souligne que :

Les emprunts sont des éléments qui passent d'une langue à une autre, s'intègrent à la structure lexicale, phonétique et grammaticale de la nouvelle langue et se fixent dans un emploi généralisé par des usagers, que ceux-ci soient bilingues ou non.79(*)

Dans l'écriture littéraire camerounaise, ces emprunts sont souvent dus au fait d'un manque de correspondance entre le français et la réalité culturelle à décrire. Aussi permettent-ils aux locuteurs de puiser dans leur répertoire culturel des formes linguistiques plus propres à exprimer ce qui lui vient à l'esprit.

L'analyse de notre corpus nous a permis de relever deux types d'emprunt : l'emprunt aux langues locales camerounaises et l'emprunt au Pidgin english.

4.4.1 Les emprunts aux langues locales camerounaises.

Ces langues sont ici celles utilisées dans les différents groupes ethniques existants sur le territoire camerounais. Dans L'IBR, nous avons relevé le duala, le béti, le bamiléké et le fulfulde.

4.4.1.1 Le duala, le bassa et le béti.

Les langues duala et bassa sont deux langues parlées par les autochtones de la ville de Douala, bien que le bassa s'étende jusqu'à certaines zones du centre. Quant au béti, cette langue est parlée dans le centre et sud Cameroun.

Nous avons relevé les occurrences de ces langues dans notre corpus.

79) Car il faut bien reconnaître que c'est leur aide qui jeta D. Eloundou dans les mapans des sous-quartiers de Yaoundé. (p.34)

80) Une insulte rapide dans sa langue qu'il avalait avec une grosse salive, ilang et puis une course surprise dans le vide de cette cours qui s'ouvrait devant lui. (p.37)

81) Quand sa bouche, au lieu de dire son innocence, s'ouvrit plutôt pour continuer un ndolo l'amour. (p.49)

82) Elle jouait tellement à la mani nyanga que soudain l'adjoint au commissaire principal sentit se passer en lui cela qui depuis des années ne lui était pas arrivé. (p.53)

83) Ces policiers que l'on surprenait dans les bars du quartier, en train de danser le Makossa avec leur fusil. (p.74)

L'exemple (78) mapans relève de la langue bassa, et est le pluriel de lipan qui signifie brousse. Toutefois, dans ce contexte, ce lexème renvoie aux pistes tortueuses que l'on retrouve dans les bidonvilles de Yaoundé ou encore les sous-quartiers.

Les lexèmes ilang et nyanga sont empruntés à la langue beti. Ilang est une insulte grossière qui veut dire tes fesses ou ton cul.

Quant à nyanga, c'est un mot masculin d'origine beti-bulu-fang qui signifie élégance.

Les occurrences ndolo et Makossa sont d'origine duala. Le premier signifie amour et l'amour dont il s'agit ici est celui qui existe entre les amants.

Le second est une danse traditionnelle duala et qui aujourd'hui est comptée parmi les grandes variétés musicales camerounaises, répandues à l'échelle internationale. Il est utilisé ici pour dénoncer l'attitude de certains agents de police, qui supposés être en train d'assurer la sécurité dans la ville, sont plutôt en train de se livrer à l'alcool et aux danses oisives.

À côté de ces langues bantoues, l'IBR emprunte aussi les langues semi-bantoues et sahéliennes.

4.4.1.2 Le bamiléké et le fulfulde.

Le bamiléké est cette grande famille linguistique qui renferme plusieurs dialectes. Ses locuteurs sont originaires de la province de l'Ouest Cameroun. Quant au fulfulde, c'est la langue maternelle du peuple Foulbé. Elle constitue la langue véhiculaire de la partie septentrionale du Cameroun.

Ces deux variétés linguistiques sont présentes dans l'IBR A travers les exemples ci-après :

84) La vache qu'elle lui avait recommandée d'acheter avait été livrée la veille par le boucher maguida sans failles. (p.64)

85) On pourrait dire que c'était son ultime pacte avec le famla, tout cela ne serait que paroles vides. (p.145)

86) Un grand souffle, un très grand souffle, et voilà l'homme qui se laissait une fois de plus à danser le ben skin de la douleur. (p.186)

Le mot maguida est d'origine fulfulde ; il désigne un père de famille et homme riche. Par extension, on l'utilise pour désigner toute personne originaire de la partie septentrionale du Cameroun (Adamaoua, Nord, et Extrême-nord).

La lexie famla est d'origine bamiléké, celle-ci renvoie à une pratique magique ou de sorcellerie. Ses membres sont très pernicieux et s'enrichissent par des pratiques malsaines comme des sacrifices humains.

Quant au groupe nominal ben skin, il désigne une danse traditionnelle pratiquée par la tribu Bagangté dans l'Ouest-Cameroun. Toutefois, les deux éléments qui constituent cette lexie sont empruntés mot-à-mot au pidgin english.

Un autre versant de l'emprunt dans l'IBR est celui du Pidgin english qui entre désormais dans le répertoire linguistique des locuteurs camerounais.

4.4.2 Les emprunts au pidgin english.

C. De FERAL présente le Pidgin english comme une langue qui a subi des processus d'adaptation, de réduction et de simplification par rapport aux langues dont il est issu.80(*)

L'usage de ce parler est abondant dans l'IBR :

87) L'ultime mariage, ainsi que la naissance des deux derniers enfants du commissaire [...] avaient fabriqué le visage d'un D. Eloundou qui croyait pouvoir éternellement faire la loi dans la ville, qui avait peur de la retraite où il serait un nathin ; avaient ouvert devant les pas de ce D. Eloundou futur - Le Nathin - le sourire caché de tout le Cameroun.(p.23)

88) D. Eloundou [...] avait toujours fermé les yeux sur la vérité quand le tchoko touchait ses mains. (p.31)

89) Il ne pleura pas parce qu'il ne voulait pas montrer ses larmes à ce tchotchoro qui n'a de policier que les diplômes. (p.80)

90) Il voyait sa femme, Taba, chancelant au bon milieu du marché de Mokolo, avec autour d'elle toutes les bayam-sellam, toutes les crieuses de la ville. (p.134)

Le mot pidgin nathin est calqué sur l'anglais nothing (rien) et renvoie à toute personne qui a perdu sa valeur humaine, due soit à un acte ignoble ou à la perte de son emploi. C'est tout dire un vaurien. Ce mot ici caractérise le personnage D. ELoundou qui se trouve aux portes de la retraite et réalise qu'il n'a pas atteint son objectif de vie.

Le lexème tchoko désigne la somme d'argent que le policier demande pour le corrompre ou le soudoyer afin qu'il juge une affaire à votre avantage. Par extension, le lexème renvoie, dans le contexte camerounais, à toute forme de corruption ou de négociation effectuée en vue de bénéficier (illégalement) d'un service.

L'occurrence tchotchoro veut dire enfant, mieux, une personne inexpérimentée dans un domaine, et dont les paroles ne sont pas dignes d'intérêt. Ce terme est utilisé dans le corpus pour souligner le degré d'orgueil qu'a le personnage D. ELoundou envers son supérieur hiérarchique qui n'a même pas l'âge de son fils.

Le groupe composé bayam-sellam est un mot généralement employé dans le contexte camerounais et désigne les commerçantes revendeuses de vivres que l'on rencontre dans tous les marchés de Yaoundé et dans d'autres marchés des villes et villages du Cameroun.

Au bout du compte, la créativité morpho-sémantique dans l'IBR laisse apparaître divers types de procédés mis en oeuvre par son auteur pour rendre compte de la réalité socioculturelle et économique qui prévaut au Cameroun.

Bien plus, ces diverses lexies obtenues sont parfois caractérisées par un habillage sémantique qui laisse quelque peu percevoir l'esprit satirique qui anime l'auteur. Par ailleurs, la rencontre entre le français et les autres langues locales du Cameroun permet d'avoir ici de nouvelles lexies, marque évidente de la nouvelle sensibilité qui traverse l'écriture littéraire au Cameroun : d'où la vérification de l'hypothèse n°2.

Cette forme de contextualisation s'étend au niveau des structures plus large de la phrase française, ce à travers les modifications des constructions syntaxiques dues aux langues du substrat et à la transposition du français oralisé à l'écrit. C'est ce qui constituera la toile de fond du chapitre qui suit.

CHAPITRE CINQUIÈME : LA VARIATION SYNTAXIQUE OU LE FRANÇAIS ORALISÉ

L'appropriation du français par les écrivains négro-africains se manifeste aussi souvent par une restructuration de la syntaxe, élément très peu poreux aux variations.

Pour R. S. WAMBA et G.-M NOUMSSI,81(*) cette modification de la norme syntaxique est due au substrat linguistique, perçu comme influence inconsciente de la langue maternelle sur le français langue seconde.

Plus spécifiquement, la syntaxe s'intéresse à l'architecture de l'énoncé, à la manière dont les unités se combinent les unes aux autres en discours. Sur ce J. Dubois et alii la définissent comme étant :

La partie de la grammaire qui étudie les rapports entre les groupes de termes constituants la phrase (syntagmes), entre les membres de ces groupes (mots) ou entre les phrases dans le discours.82(*)

Dès lors, la syntaxe comporte trois éléments : les mots, les syntagmes, les phrases. Toutefois, il ne s'agit pas pour nous de procéder à une analyse exhaustive de l'agencement linéaire des éléments combinatoires des phrases contenues dans notre corpus. Aussi nous attellerons-nous à relever dans celui-ci des phénomènes qui au niveau syntaxique constituent des particularismes.

À cet égard, notre étude à ce niveau portera sur les changements de construction à travers : les calques syntaxiques, les formes de l'interrogation, la transcription des expressions orales populaires ; puis suivront l'analyse de certains traits énonciatifs ainsi que celle des modifications d'expressions figées.

5.1 Les changements de construction.

Dans le corpus littéraire des écrivains d'Afrique noire, ces changements de construction sont pour la plupart dus au fait que les langues locales, qui sont caractérisées par l'oralité, influencent fortement les locuteurs. À cet effet, R. S. WAMBA et G.-M. NOUMSSI affirme que :

Certaines constructions morpho-syntaxiques originales [du français au Cameroun contemporain], trahissent les usances du français oral dans les textes écrits.83(*)

Dans l'IBR, les constructions s'illustrent à travers la présence des calques syntaxiques, les formes de l'interrogation et la transcription de l'oral populaire.

5.1.1 Les calques syntaxiques.

Les calques syntaxiques, d'après A. LIPOU,84(*) se manifestent par l'importation des structures des langues africaines en français, dans une traduction qui colle au texte de départ.

Au cours de cette transcription, la langue française copie et restitue la structure des langues locales. De même, cette construction s'éloigne du point de vue syntaxique et sémantique des normes prescrites par la grammaire française.

Pour cause, L. M. ONGUENE ESSONO relève que :

Ce phénomène passe par le processus cognitif des locuteurs camerounais qui réfléchissent d'abord en leurs langues et qui reproduisent ensuite le résultat en français.85(*)

Les exemples relevés dans notre corpus sont des paroles proférées par certains personnages et se présentent sous forme d'interrogatoire.

91) Il se calmait, essayait de se concentrer sur l'oreille de la Sitabac, son oreille qui jouait la sourde : tu m'entends ou quoi. (p.54)

92) Tu vas répondre ou quoi, lui demandait-il. (p.54)

93) Tu vas encore faire quoi, non Doyen le temps des patrouilles est fini bientôt, hein. (p.74)

94) Le gars travaille même le vendredi soir, pense D. Eloundou, il est même marié ? (p.108)

95) Que c'est lui qui a travaillé à ta place ?il faut lui montrer que tu t'en fous de lui. (p.102)

Ces énoncés permettent de se rendre compte à quel point le phénomène de calque syntaxique provoque des transformations dans la distribution des catégories grammaticales de la langue réceptrice.

Comme on peut le percevoir, ces énoncés ne fonctionnement qu'à l'oral, avec une certaine intonation particulière permettant de déduire la modalité de phrase.

Ainsi dans les occurrences tu m'entends ou quoi, tu vas répondre ou quoi, on note une certaine sorte d'insistance dans l'interrogatoire qui est effectuée par le commissaire principal adjoint D. Eloundou. En réalité, en dehors de la modification de la structure attestée, le pronom interrogatif quoi utilisé ici remplace la particule négative pas. En fait, la structure normale aurait été : vas-tu répondre ou pas ?; m'entends-tu ou pas ?

Dans l'exemple tu vas encore faire quoi, non, le substrat linguistique se manifeste par la modification du syntagme interrogatif resté in situ complété par la particule non forme d'intonation ascendante. Tout ceci donne à l'énoncé l'allure d'une phrase déclarative.

Dans le cas de l'énoncé il est même marié ?, le même phénomène se produit. Nous avons une phrase interrogative qui se présente sur la structure d'une phrase déclarative. Dans ce contexte seule l'intonation ascendante à l'oral permet de faire savoir qu'il s'agit d'une phrase interrogative, la structure n'ayant subi aucune transformation à l'écrit.

Le dernier énoncé que c'est lui qui a travaillé à ta place ? présente une structure emphatique. Le que présent en tête de phrase ici n'est qu'explétif et n'a aucune fonction syntaxique. En effet, l'interrogation présente ici n'est que formelle du fait qu'il y a une sorte de mélange de modalité : morphologiquement, il s'agit d'une interrogation mais sémantiquement, il s'agit d'une assertion.

Pour se référer au contexte de l'oeuvre, cette assertion est proférée par l'une des femmes du commissaire principal adjoint qui est surprise du fait qu'un prisonnier en liberté puisse empêcher son mari de réaliser sa fête de remise de médaille. Elle l'incite par le fait même à marquer une indifférence à l'égard de ce dernier.

Parlant de la structure interrogative, plusieurs cas sont attestés dans l'IBR, ce qui laisse croire que cette oeuvre serait un reflet des conversations orales populaires.

5.1.2 La modalité interrogative.

La modalité peut être définie comme l'attitude ou le comportement qu'un individu adopte vis-à-vis de l'énoncé qu'il produit. En ce qui concerne les modalités d'énonciation dans le corpus, parmi lesquelles l'assertive ou affirmative ; l'exclamative ; l'injonctive et l'interrogative, nous avons retenu la modalité interrogative du fait qu'elle revêt un intérêt particulier.

En effet, plusieurs usages sont faits de cette modalité dans l'IBR, et ceux-ci s'illustrent par les bouleversements syntaxiques qu'ils entraînent. Syntaxiquement, la phrase interrogative est particulière du fait qu'elle est marquée par une inversion du sujet, et peut également à l'oral être marquée par une certaine intonation.

Dans l'IBR, cette modalité subit quelques bouleversements dus au non respect des règles qui sous-tendent la formation des questions.

5.1.2.1 L'absence du morphème interrogatif.

Certaines interrogations dans l'IBR sont construites sans morphèmes interrogatifs. Ceux-ci relayés par un trait intonationnel. L'intonation qui marque l'interrogation ici, reste ascendante ; et l'énoncé interrogatif ne diffère désormais de l'énoncé déclaratif que par la présence du seul point d'interrogation (à l'écrit) et de l'intonation ascendante (à l'oral).

Dans L'IBR, cette intonation est renforcée par les particules non et hein qui traduisent soit l'étonnement soit la moquerie. Celles-ci remplacent l'expression n'est-ce pas ?

96) Tu voulais faire non ? fais alors (p.56)

97) La retraite, ce n'est pas pour demain, hein ? (p.27)

98) Innocent [...] ? pourquoi pas d'ailleurs, c'est un bassa non ? (p.45)

La présence de ces particules ici traduit l'influence de l'oralité qui pullule notre corpus à plusieurs niveaux. Bien plus, celles-ci permettent de renforcer l'interrogation tout en laissant apparaître parfois un effet de surprise (exemple 96) une ironie (exemple 97) : ou un fait évident (exemple 98).

Par ailleurs, certaines interrogatives sont formées sans déplacement du morphème interrogatif.

5.1.2.2 La présence du morphème interrogatif in situ.

Pour former des questions, les langues utilisent généralement deux stratégies, soit en déplaçant le morphème interrogatif, l'envoyant ainsi en début de la phrase (proposition) ; soit en le laissant à la position de départ (in situ). Cependant, dans la langue française, le déplacement est facultatif dans certains cas pour des éléments qu'on appelle arguments (qui, que, quoi). Mais les autres éléments comme les adjoints référentiels (quand, où, combien...) et les adjoints non référentiels (comment, pourquoi...) doivent toujours être déplacés en français standard.

Les exemples relevés dans notre corpus se comportent plutôt comme des cas de non respect de la norme.

99) - On va faire quoi avec tout ceci alors ? Ici, c'est Chantal qui parlait, montrant au sol les parties de la vache que Boucher accumulait dans son sac en grommelant un peu. (p.88)

100) Ils t'ont donné combien ? Demanda Mana. (p.119)

101) Ce n'étaient plus seulement des regards, mais des paroles qui s'embrouillaient dans ses oreilles. Tu pars avec le cochon là ? (p.141)

102) Qu'est-ce qu'il y a ? [...] - Mon cochon a fait quoi. (p.141)

Ces exemples sont bel et bien construits en marges des prescriptions de la grammaire générative et transformationnelle (G.G.T.), qui auraient imposé un déplacement de tous ces pronoms interrogatifs en tête de phrase. Cependant, dans les langues locales camerounaises, ce déplacement est facultatif ; le morphème interrogatif peut être en tête de phrase ou peut rester in situ sans gêne.

Dans cette même foulée de construction insolite, certaines interrogatives dans L'IBR ne présentent aucun signe de ponctuation (le point d'interrogation) à l'écrit permettant de les identifier.

5.1.2.3 Les interrogatives sans point d'interrogation.

Ces phrases interrogatives à l'oral ne sont perceptibles qu'à travers la prononciation. Il s'agit certainement d'un choix de l'auteur qui recherche des effets de style ou le besoin d'une plus grande expressivité.

Notons à cet effet les exemples suivants :

103) L'aveugle, il avait déjà vu quoi  (p.70)

104) Il allait faire comment alors, D. ELoundou, adossé au mur de son bureau, avec la diarrhée de son humiliation qui lui secouait l'estomac. (p.82)

105) N'est-ce pas je t'avais dit, dit-il, tu as eu ce que tu voulais, non, et dans les délais. (p.178).

Nous remarquons bien que ces différentes interrogatives ne portent aucunement une marque de ponctuation à la fin. Bien plus nous avons ici le reflet des interrogations telles qu'elles sont produites dans le langage oral. De même celles-ci épousent parfois la structure des langues substrats (langues locales). Les exemples 103 et 104 présentent en outre un syntagme interrogatif in situ qui n'est en fait qu'une marque du langage oral dont les illustrations les plus frappantes s'observent à travers un autre fait remarquable qui est la transcription des expressions orales populaires.

5.1.3 La transcription des expressions orales populaires.

Il s'agit ici des expressions figées, utilisées dans le discours oral populaire soit pour se moquer, soit pour lancer un défi ou encore pour exprimer son découragement. Ces expressions sont très nombreuses dans l'IBR et traduisent de ce fait l'originalité de cette oeuvre qui se démarque par sa facilité à retransmettre fidèlement la parole populaire.

Nous les avons regroupés dans les occurrences suivantes :

106) tu vas encore faire quoi, non doyen, le temps de patrouilles fini bientôt, hein. (p.74)

107) Il faut lui montrer que tu t'en fous de lui.

- qu'il n'est même rien. (p.102)

108) Il n'était plus sûr si ce n'était pas lui qui avait éparpillé des morceaux de la Sita dans la cour de sa maison, ou alors si ceux-ci avaient décidé de se rassembler dans son dos et de venir s'éparpiller chez lui, juste pour lui montrer. (p.87)

109) Et quand l'homme ne peut pas, au lieu de lui dire peut alors comme le font d'autres filles au quartier, de nous concentrer plutôt sur sa tenue de commissaire. (p.93)

109. Sa truie ne pouvait que gagner, fait quoi fait quoi. (p.145)

Ces expressions sont toutes puisées dans le langage vulgaire tel qu'il se manifeste dans les rues à travers les couches peu ou non scolarisées. Elles reflètent donc ce que D. BICKERTON86(*) appelle dans sa typologie le français basilectal.

Elles sont cependant expressives et recouvrent bien une signification qui est partagée par ses interlocuteurs.

Les exemples tu vas encore faire quoi et il n'est même rien sont généralement utilisés dans le langage populaire pour ridiculiser quelqu'un en lui faisant découvrir son inefficacité face à une situation. La première occurrence s'adresse au commissaire principal adjoint, D. ELoundou, qui va bientôt à la retraite et ne sera plus en mesure d'exercer des pratiques d'influence sur la population.

La seconde traduit le sursaut d'orgueil et d'indifférence auxquels D. Eloundou est invité à faire preuve, afin de tenir en échec le personnage Innocent qui en veut à sa vie.

Les expressions juste pour lui montrer et peut alors marquent une sorte de défi. La première signifie donner une leçon à quelqu'un, le punir ; elle s'adresse en fait à D. Eloundou qui se voit perturbé par la conscience de son acte criminel effectué sur le personnage Sita.

La seconde expression peut alors quant à elle veut dire montrer de quoi ont est capable. Cette construction impersonnelle s'adresse à D. Eloundou qui ne parvient pas à satisfaire sexuellement la jeune fille qui est en effet sa femme.

Pour ce qui est de l'expression fait quoi fait quoi, elle présente ici une construction syntaxique particulière, (verbe + pronom interrogatif + verbe + pronom interrogatif). Elle traduit la détermination. C'est en fait celle qui anime le personnage Taba qui compte sur la victoire de sa truie aux comices agro-pastoraux pour résoudre ses difficultés financières et sortir ainsi de la pauvreté.

Au bout de l'analyse, on peut retenir que ces changements de construction dans L'IBR sont le résultat de la forte pression du substrat local sur la langue française, ainsi que celle de la norme endogène caractérisée par l'oralité et la liberté dans les constructions phrastiques. C'est dans cette même perspective qu'on peut situer les traits énonciatifs présents dans notre corpus.

5.2 Les marques énonciatives

L'énonciation consiste à produire un énoncé en utilisant les possibilités offertes par la langue. M. PERRET la réfère à l'acte de parler dans chacune des réalisations particulières, c'est-à-dire qu'est acte d'énonciation chaque acte de production d'un certain énoncé.87(*)

Dans le discours, l'énonciation se démarque par la manière dont le locuteur adhère à son énoncé (forte, mitigée, neutre).

À cet effet, A. LIPOU affirme que l'énonciation discursive exploite de manière intensive la modalité du discours oral rapporté sous la forme de la citation.88(*)

Comme traits énonciatifs, nous avons relevé dans notre corpus les marqueurs de modalisation et la fonction déictique des marqueurs -ci et -là.

5.2.1 Les marqueurs de modalisation.

Dans notre corpus, il s'agit des mécanismes de modalisation qui apprécient la valeur de la vérité du discours qu'un locuteur énonce à l'endroit de ses interlocuteurs, en employant une tournure d'emphase.

En réalité, ces mécanismes de modalisation sont selon A. LIPOU des opérateurs argumentatifs dont la fonction est de conclure avec force sur l'authenticité de l'objet du discours.89(*)

Ces marqueurs sont généralement utilisés à l'oral, et leur présence à l'écrit témoigne bien de l'influence de celui-là sur celui-ci.

Voici les exemples qui ont été relevés dans notre corpus.

110) Le commissaire principal était un garçon tout frais sorti de l'École des polices, à peine son propre fils, au nom de Dieu comme il pensait à le dire. (p.17)

111) Je ne vous dis pas, le Secrétaire Général à la sûreté nationale avait en une note de service, fait signe à la hiérarchie qu'il serait présent à la cérémonie honorifique. (p.19)

112) Il suffisait pourtant de voir l'entrain de sa famille, le zèle de ses femmes, l'activité de ses enfants. - mais voyait-il tout ça ? Demandez-moi. (pp.65-66)

113) Elle avait les gestes précipités par la promesse d'une grasse mangeoire, et tout couper court, elle voulait sa part de viande un point un trait. (p.143)

Ces expressions jouent un rôle dans la modalisation des énoncés ici présents et permettent par le fait même de peser l'affirmation du locuteur comme étant vraie sans autre forme de procès.

L'énoncé au nom de Dieu ici marque l'étonnement de D. ELoundou, devant ce supérieur hiérarchique qui est à peine son fils. Dans le discours oral, cette expression sert à jurer ; c'est en fait un marqueur ponctuant un argument d'autorité dont on ne saurait nier la pertinence.

La tournure je ne vous dis pas est une forme de prétérition. Dans le discours oral, elle est l'expression de la surprise de celui qui parle, surprise qu'il veut partager avec ses interlocuteurs, bien qu'il feigne de ne pas le dire. C'est une expression courante dans le discours populaire au Cameroun.

L'occurrence demandez moi est une forme de négation voilée, sous le couvert d'une injonction. C'est en réalité une stratégie argumentative qui vise à amener celui à qui on s'adresse à vérifier lui-même la justesse de l'information. L'expression aurait été : ce n'est pas à moi que vous devez demander (vérifiez-le vous-même).

Enfin, l'exclamation un point un trait est une marque de l'oral qui a une valeur de conclusion intransigeante et sans appel. Elle décrit ici les gestes de Mana épouse de Taba qui veut elle aussi bénéficier des retombées que pourra apporter la viande de leur truie.

On peut donc conclure après cette analyse que les marqueurs de modalisation représentent eux-aussi une forme d'appropriation du français chez l'auteur. Cette forme de contextualisation est fortement colorée par le langage oral. Langage dont l'une des marques non négligeables dans le corpus s'observe à travers des déictiques de monstration -ci et -là.

5.2.2 La valeur des déictiques -ci et -là.

Le terme déictique, du grec déiktikos signifie démontrer. Les déictiques sont des éléments qui servent à désigner des références situées hors discours. Ceux-ci insistent sur le référent ou sur le prédicat dont parle l'énonciateur.

M. PERRET, les considère comme des embrayeurs et les définit comme : Des éléments du lexique qui ont comme spécificité d'avoir des référents très différents, très variables (on parle de labilité référentielle) qui ne sont fonction que de la situation de l'énonciation.90(*)

En ce qui concerne les déictiques -ci et - E. DASSI remarque qu'il y a une sur- emploi de ceux-ci en position post nominale. Il le souligne à juste titre :

En réalité, il s'agit là d'une interférence sémantico-syntaxique des langues camerounaises à la faveur de la création d'un démonstratif nouveau en forme discontinue « articles défini... là...91(*)

Les déictiques à cet effet participent donc de la contextualisation du français au Cameroun. Voici quelques exemples tels qu'ils apparaissent dans le corpus.

114) Car il était évident que D. Eloundou était tout et pouvait être tout dans ce Cameroun-ci. (p.41)

115) Et la femme répondait : je ne sais pas comme si elle ne savait pas que son Innocent là avait annoncé une note significative qu'il le tuerait. (p.53)

116) Qui donc, qui aurait dit à tous ces gens dans sa cour et dans sa maison que le D. Eloundou là dont ils préparaient avec fureur le couronnement de carrière n'existait pas. (p.66)

117) Pourtant, même si ce sang-là traçait une autoroute en dessous de sa cantine (...), il savait D.Eloundou qu'il pouvait tout simplement l'essuyer. (p.70)

118) Le gamin de vingt ans que le ministre lui avait mis au trousses : « le gars là » pensait-il (p.74)

119) Elle savait que dans ce Yaoundé-ci, vingt mille francs ne valaient rien : elle qui avait compté sur cet argent. (p.119)

Le marqueur -là est couplé aux anthroponymes (Innocent et D. Eloundou) et aux substantifs sang et gars ; tandis que le marqueur -ci est couplé aux toponymes (Cameroun et Yaoundé). En plus d'insister sur les référents qu'ils décrivent, ceux-ci décrivent une certaine particularité des personnages, des choses et des lieux qu'ils indiquent, en créant une certaine idée de méfiance vis-à-vis de ces derniers.

À partir de tous ces exemples relevés supra et qui attestent la présence des marques de l'oralité dans notre corpus, il n'en fait plus aucun doute à croire que L'IBR est une sorte de conte populaire, calquée exactement sur la langue telle qu'elle est employée dans les rues et sous-quartiers du Cameroun.

Sous la plume de Patrice NGANANG, cette copie du langage quotidien passe aussi par une modification de certaines expressions figées existant en français standard.

5.3 La modification des expressions figées.

Les expressions figées sont des structures phraséologiques reconnues comme telles dans la langue et se comportant comme des unités lexicales significatives.

Dans notre corpus, les expressions que nous avons relevées ont subi une modification par substitution d'un élément qui est soit un nom soit un verbe. Ceux-ci sont remplacés par d'autres éléments identiques pour ce qui est de leur nature grammaticale.

En voici du reste quelques exemples.

120) Dans cette veille de son épiphanie, nous n'allons pas lui jeter de la boue. (p.18)

121) Il avait passé vingt ans, sans parler de sa famille la plus élargie, ces dizaines de ventres qu'il avait nourris, habillés et parfois même éduqués. (p.20)

122) Comme si cette Chantal savait lire son coeur, comme si elle était entrée dans son ventre. (p.98)

123) Il faut lui présenter l'éclat de sa fête, car alors seulement, il mourra de jalousie qui lui creuse le coeur. (102)

Dans les expressions suivantes, les noms boue, ventres, ventre, et le verbe creuse sont des substituts des éléments de base qui ont été modifiés pour donner lieu à une image expressive et saisissante.

En réalité, on dit généralement : jeter la pierre ; bouches à nourrir ; entrer dans les pensées ; ronger le coeur.

La modification de ces éléments tient à coup sur de l'influence des substrats linguistiques de base dont la traduction ici donne lieu à un autre élément français, plus indicatif et plus significatif.

Tout cela traduit sans coup férir l'ultime geste de l'auteur à faire du français, tant dans sa morphologie, sa syntaxe, que sa signification une langue camerounaise capable de traduire fidèlement les réalités culturelles des camerounais.

Tout compte fait, l'étude de la variation syntaxique dans L'IBR vient une fois de plus renforcer la contextualisation de la langue française dans l'écriture littéraire camerounaise. Bien plus, la forte influence de l'oralité dans les différents aspects que nous avons analysés supra (calques syntaxiques, formulation de l'interrogation, transcription des expressions orales, traits énonciatifs, etc.) nous permet de constater davantage la nouvelle forme de sensibilité naissante dans l'écriture due au contact du français et des langues locales camerounaises. Ceci nous conduit à juste titre à renforcer la vérification de notre hypothèse n°2.

Par ailleurs, la prédominance des expressions vulgaires qui dominent ici les différentes structures de la langue tant au niveau des phrases déclaratives qu'interrogatives ainsi que les autres marques énonciatives analysées, permet enfin de valider l'hypothèse n°3, selon laquelle les formes de français constatées dans l'écriture camerounaise seraient un reflet de cette langue telle qu'elle est parlée au Cameroun par le commun des locuteurs pour exprimer sa vision du monde.

En conclusion, on pourrait noter avec A.-M. NTSOBE que

Mu par une illusion de transitivité linguistique et parfois de translittérarité, le locuteur africain opte pour une transposition des structures syntaxiques morphologiques et énonciatives qui se fonde sur les langues locales. Cette situation rend compte d'une appropriation du français, de sa contextualisation.92(*)

CONCLUSION GÉNÉRALE ET PERSPECTIVES.

Parvenu au terme de ce travail, il convient d'en tirer les conclusions et faire quelques suggestions.

En effet, la présente étude avait pour objectif d'identifier, d'analyser et de dégager la signification contextuelle des différents éléments sujets à la variation dans l'écriture littéraire au Cameroun, ce à travers un corpus d'application choisi pour des raisons mentionnées supra.

Cette étude a révélé que la contextualisation de la langue française sous la plume des écrivains négro-africains passe par la restructuration presque totale des éléments fondamentaux de cette langue, en vue de l'accorder aux contextes des locuteurs africains, de sorte à faciliter l'expression de leur univers culturel.

Dans la pratique, l'exploitation de l'IBR de Patrice NGANANG nous a permis de relever trois grands niveaux de variation du français à savoir : le niveau lexico-sémantique, le niveau morpho-sémantique et le niveau syntaxique.

Au niveau lexico-sémantique, la variation de la langue est rendue par la modification du sens des lexies et expressions existant en français standard. Bien plus, ceux-ci trouvent une signification selon le contexte dans lequel ils sont utilisés. Ainsi, nous avons relevé des exemples liés à la prostitution, à la corruption, aux pratiques mystiques et à la misère, exemples qui sont en fait des réalités entrant dans le quotidien des locuteurs camerounais livrés au joug d'une crise socio-économique.

Par ailleurs, les changements de connotation et de dénotation, les glissements sémantiques et la métaphorisation permettent à Patrice NGANANG de présenter de façon crue, les images saisissantes du Cameroun contemporain, telles qu'elles se vivent, se racontent dans les rues et gargotes par les locuteurs en proie aux tourments multiformes.

De même, les lexèmes et expressions appropriés revêtent non pas le sens créé par l'auteur, mais celui que lui impose le milieu ; car il faut le préciser, cette oeuvre semble se raconter d'elle-même. C'est en fait une sorte de miroir que l'on promène le long de la rue, copiant fidèlement ce qu'il voit.

La présence du langage familier et vulgaire employé par l'auteur et ses personnages est ici une illustration parfaite de la retransmission fidèle des réalités camerounaises tant sociales que linguistiques.

Au niveau morpho-sémantique, la contextualisation du français chez Patrice NGANANG se manifeste à travers une habileté dans la création de nouveaux lexiques, venant s'ajouter à ceux existant déjà en français standard. Ce procédé, loin d'être iconoclaste, apparaît ici plutôt comme un mode d'enrichissement de la langue française, du fait qu'il suit le même processus de créativité des mots nouveaux. De ce fait, l'IBR présente les cas d'abrègement, de dérivation de composition et d'emprunts qui sont des faits naturels à toute langue.

Ceux-ci permettent en même temps de répondre aux exigences langagières des locuteurs et de décrire leur univers culturel par des termes appropriés et que la langue française se révèle incapable de nommer. Bien plus, l'habillage sémantique que revêt ces nouvelles lexies laisse transparaître un regard satirique que jette Patrice NGANANG sur la société camerounaise, société dans laquelle les tracasseries policières (le cas du personnage policier D. Eloundou), la promiscuité et l'avarice (le cas de Taba et sa famille), ainsi que la jalousie et les médisances (caractérisant plusieurs personnages de L'IBR) s'érigent désormais en règles foulant au pied les principes de la morale.

Enfin, le niveau syntaxique que nous avons encore intitulé le français oralisé dans L'IBR présente un visage plus renforcé de la contextualisation de la langue chez les locuteurs camerounais. En fait, les exemples que nous avons relevés laissent apparaître à première vue ce que L.M. ONGUENE ESSONO appelle les techniques d'indigénisation de l'écriture qui, loin d'enrichir le français, le dénaturent et l'altèrent au point de conclure à des dysfonctionnements de discours.93(*)

Toutefois, l'analyse des différents énoncés, tant des personnages que ceux de l'auteur nous a permis de constater qu'il ne s'agit en réalité que d'une transposition des structures du français oral tel qu'on le parle dans les rues et les bidonvilles du Cameroun, par les locuteurs garant d'une certaine norme endogène qui a désormais droit de cité ; le seul souci ici étant de communiquer et de se faire comprendre.

Par ailleurs, la plupart des constructions que nous avons analysées en l'occurrence : les calques syntaxiques et certains traits énonciatifs permettent de se rendre à l'évidence de la forte influence qu'exercent les langues locales camerounaises sur les structures du français. C'est pourquoi J. TABI MANGA mentionne à juste titre que :

Autant la culture et la langue française transforment la culture camerounaise, autant celle-ci, par ses langues influence largement l'usage du français en l'accordant à l'environnement camerounais.94(*)

Ainsi, le français oralisé dans l'IBR cache plusieurs motivations parmi lesquelles l'influence du substrat linguistique, celle du milieu social ainsi que le problème de crise économique qui serait à l'origine de la baisse du taux de scolarisation, laissant ainsi libre cours à la montée du français basilectal acquis dans la rue.

Ces conclusions prises à différents niveaux d'analyse impliquent la forte coloration de l'écriture littéraire au Cameroun à travers une oeuvre qui se fait l'écho du paysage socio-linguistique du milieu. Ceci étant, devrait-on pour autant parler d'une éventuelle subversion linguistique ou d'une créolisation du français comme le dégage notre problématique ?

L'étude de l'oeuvre de Patrice NGANANG, intitulé l'IBR, montre que le français des écrivains négro-africains est variationnel, différentiel et plurilingue à souhait ; posant ainsi le problème d'une norme en éclats. Ce phénomène qui participe de la contextualisation du français contribue à son enrichissement.

Ainsi, J. TABI MANGA remarque que ces mutations qui bouleversent les schémas, les canevas romanesques et dramatiques se doublent sur le plan linguistique d'une approche interculturelle.95(*) De même, il affirme qu'

Enfin, toute créolisation éventuelle du français semble impossible pour l'instant dans la mesure où la syntaxe du français parlé et écrit au Cameroun n'est pas différente de celle du français standard. Il s'agit donc fondamentalement d'une même langue mais accordée à un environnement socioculturel particulier.96(*)

Il en ressort donc que, loin d'une éventuelle subversion linguistique dans l'écriture littéraire au Cameroun, il y a plutôt lieu de parler d'une autre forme d'écriture, née du désir des écrivains de prendre en compte les référents culturels des leurs, tout en traduisant leur vision du monde. Cette pluralité de type d'écriture aujourd'hui permet

À la francophonie africaine [...] de faire connaître ses idiotismes, d'être pleinement vivante à travers la richesse de ses expressions, de contribuer à sa manière du français afin qu'apparaissent sa vérité dans sa variété.97(*)

Cependant, dans le cadre d'une éventuelle recherche, il y a lieu de se demander si cette contextualisation du français serait liée au style particulier de l'auteur ou à l'insuffisance de cette langue à traduire toutes les sensibilités des locuteurs camerounais. Qui plus est, on ne saurait aujourd'hui généraliser l'appropriation du français chez les romanciers et dramaturges camerounais comme par le passé. Car chacun a sa façon de créer ou d'enrichir la langue, d'où l'importance d'une lecture stylistique du corpus africain telle que le font déjà les études ethnostylistiques.

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TABLE DES MATIÈRES

DEDICACE i

REMERCIEMENTS ii

LISTE DES ABRÉVIATIONS ET SIGLES iii

LISTE DES TABLEAUX iv

INTRODUCTION GÉNÉRALE 1

CHAPITRE PREMIER : CADRE THÉORIQUE ET REVUE DE LA LITTÉRATURE. 7

I.1 Mise au point théorique sur le phénomène de variation linguistique. 8

I.1.1 Aux origines de la variation linguistique. 8

I.1.1.1 Les fondements de la variation linguistique. 9

I.1.1.2 La variation linguistique du point de vue variationniste. 10

I.1.1.3 La variation linguistique du point de vue interactionniste. 11

I.1.2 L'économie des travaux sur la variation linguistique du français en Afrique noire francophone. 12

I.1.2.1 Les précurseurs. 12

I.1.2.2 De l'appropriation du français en Afrique perçue par les enseignants de la faculté de lettres de l'université de Yaoundé I. 13

I.2 Problématique. 16

I.3 Formulation des hypothèses de recherche. 16

I.4 Présentation de la théorie de référence. 17

I.4.1 Les fondements de cette théorie. 17

I.4.2 L'hypothèse de la sémantaxe. 18

CHAPITRE DEUXIÈME : MÉTHODOLOGIE : CONSTRUCTION DE L'OUTIL D'ANALYSE DU CORPUS. 20

2.1 Formulation des variables. 21

2.1.1 Les variables indépendantes. 21

2.1.2. Les variables dépendantes. 21

2.2 Présentation critique des grilles existantes. 23

2.2.1 La grille de l'équipe IFA. 24

2.2.2. La grille de Claude Poirier. 24

2.2.3 La grille de Suzanne Lafage. 25

2.2.4 Présentation de l'outil d'analyse : la grille synthétique. 26

2.2.5 Limites d'étude 26

CHAPITRE TROISIÈME : LA VARIATION LEXICO-SÉMANTIQUE 28

3.1 Le changement dans la dénotation. 29

3.1.1 Les verbes. 30

3.1.2. Les substantifs. 31

3.2 Les changements dans la connotation. 32

3.2.1. Les verbes connotés. 32

3.2.2. Les substantifs connotés. 33

3.2.3. Les expressions connotées. 34

3.3. Les glissements de sens. 35

3.4 Les extensions sémantiques. 36

3.5 La métaphorisation. 37

3.6 Les calques traductionnels. 39

3.7 Le langage familier. 41

3.7.1 Les termes argotiques. 41

3.7.2 Les injures locales. 42

CHAPITRE QUATRIÈME : LA VARIATION MORPHO-SÉMANTIQUE 44

4.1 La siglaison. 45

4.1.1 Les sigles à valeurs alphabétique. 46

4.1.2 Les sigles à valeur syllabique 46

4.2 La dérivation. 47

4.2.1 La dérivation préfixale. 47

4.2.2 La dérivation suffixale. 48

4.2.3 La dérivation impropre. 50

4.3 La composition 52

4.3.1 Les mots composés graphiquement soudés. 52

4.3.2 Les composés simples. 53

4.3.3 Les mots composés avec trait d'union. 54

4.3.4 Les mots composés prépositionnels. 55

4.4 Les emprunts. 56

4.4.1 Les emprunts aux langues locales camerounaises. 56

4.4.1.1 Le duala, le bassa et le béti. 56

4.4.1.2 Le bamiléké et le fulfulde. 57

4.4.2 Les emprunts au pidgin english. 58

CHAPITRE CINQUIÈME : LA VARIATION SYNTAXIQUE OU LE FRANÇAIS ORALISÉ 60

5.1 Les changements de construction. 61

5.1.1 Les calques syntaxiques. 62

5.1.2 La modalité interrogative. 63

5.1.2.1 L'absence du morphème interrogatif. 64

5.1.2.2 La présence du morphème interrogatif in situ. 64

5.1.2.3 Les interrogatives sans point d'interrogation. 65

5.1.3 La transcription des expressions orales populaires. 65

5.2 Les marques énonciatives 67

5.2.1 Les marqueurs de modalisation. 67

5.2.2 La valeur des déictiques -ci et -là. 68

5.3 La modification des expressions figées. 70

CONCLUSION GÉNÉRALE ET PERSPECTIVES. 72

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 75

TABLE DES MATIÈRES 75

* 1 A. MARTINET, Éléments de linguistique générale, Paris, Armand Colin, 1980, p.12

* 2 D. COMBE et alii, Poétiques francophones, Paris, Hachette, 1994, p.4

* 3 Ch. BONN et alii, Littérature francophone. Le Roman, Paris, Hatier, AUPELF-UREF, oct. 1997, p.13

* 4 J. TABI MANGA, « Écriture de l'insolite : le français écrit au Cameroun » in Littérature camerounaise, le livre dans tous ses états, Revue du livre n°100, Janvier-mars 1990, p.10

* 5 J. DUBOIS et alii, Dictionnaire de linguistique, Paris, Larousse, 1973, p.507

* 6 G. MANESSY, Le Français en Afrique noire, Mythes, stratégies, pratique, Paris, l'Harmattan, 1994.

* 7 L'Équipe IFA, L'Invention des Particularités lexicales du français en Afrique noire, Paris, EDICEF, AUPELF-UREF, Col, université francophone, 1988

* 8 S.LAFAGE, « Métaboles et changement lexical du français en contexte africain », in Visages du français variétés lexicales de l'espace francophone, Paris, Duculot, De Boeck Université AUPELF-UREF 1995, pp. 13-56

* 9 C.POIRIER, « Les Variantes topolectales du lexique français : propositions de classement à partir d'exemples québécois » in Le Régionalisme lexical, Paris, Duculot, Deboeck Université AUPELF-UREF, 1995, pp.13-56.

* 10 W. LABOV, Sociolinguistique, Paris, les éditions de Minuit, 1976, p.232.

* 11 Idem

* 12 W.D. WHITNEY, Language and the study of language, New , New York, Scribner's, 1901,p401

* 13 U. WEINREICH et alii, «Empirical foundation for a theory of language change», in Lehman et Malkiel, 1968, pp.100-101

* 14 W. LABOV, op.cit, p.282.

* 15 H. FREI, La Grammaire des fautes, Genève-Paris, Slaktine reprints, 1982 (1ère édit, 1929).

* 16 A. MARTINET, Éléments de linguistique générale, Paris, A. Colin, 1960.

* 17 A. MEILLET, Linguistique historique et linguistique générale, 2vol. T1, Paris, Champion, 1921, p.17

* 18 W. LABOV, op.cit.

* 19 J.J. GUMPERZ, La Sociolinguistique interactionnelle, une approche interprétative, Paris, l'Harmattan, 1989.

* 20 L. MESSAOUDI, « Études sociolinguistiques », in http : //www.kenitra sociolinguistique. blogspot.com/ 2003

* 21 P. DUMONT, Le Français langue africaine, Paris, l'Harmattan, 1990, pp.8-9.

* 22 Terme emprunté à P. Dumont, op.cit.

* 23 J. TABI MANGA, « Modèles socioculturels et nomenclatures » in Inventaire des usages de la francophonie : nomenclatures et méthodologies. Éd. AUPELF/ UREF, Paris, 1993, p.37

* 24 P. ZANG ZANG, Le Processus de dialectalisation du français en Afrique : le cas du Cameroun.Etude fonctionnelle des tendances évolutives du français, thèse de Doctorat 3ecycle, Université de Yaoundé I

* 25 A.-M. NTSOBE, « Le Français en Afrique, variation, viabilité, perspective didactiques et mondialisation »in Langue et communication n°03 vol II, oct. 2003, université de Yaoundé I, p.

* 26 L. M. ONGUENE ESSONO, La Norme en éclat pour un français au Cameroun, in Langue et communication n°3, vol II, oct.2003, université de Yaoundé I, pp.

* 27 A.M. NTSOBE, Avant propos à la langue de communication, vol. I. n°1, Université de Yaoundé I, p.12

* 28 G.-M. NOUMSSI et FOSSO, « Le Français en Afrique noire au début du troisième millénaire : variations, problèmes sociolinguistiques et perspectives didactiques », in Présence francophone, n°56, pp.73-91

* 29 J.M. ESSONO, « La faute du français », in Langue et communication n°03, vol.2, oct.2003, université de Yaoundé I., p.219.

* 30 J. TABI MANGA, op.cit, p.40

* 31 J. TABI MANGA, 1990, op.cit pp.10-17

* 32 G. MENDO ZÉ, Une Crise dans les crises, le français en Afrique noire francophone : cas du Cameroun, Paris, ABC, 1992, p.15.

* 33 G. MANESSY, Le français en Afrique noire, Mythe, stratégie, pratiques, Paris, l'Harmattan, 1994.

* 34 J. TABI MANGA,1993, op.cit., p.38.

* 35 G. MANESSY, op.cit, pp .86-87.

* 36 L'EQUIPE IFA, Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire, Paris, EDICEF/AUPELF-UREF, 1988, 1ère édition 1983.

* 37 C. POIRIER, « Les Variantes topolectales du lexique français, proposition de classement à partir d'exemples québécois », in Le Régionalisme lexical, Paris, Duculot, AUPELF-UREF, 1995, pp.13-56.

* 38 S. LAFAGE, « Métaboles et changement lexical du français en contexte africain », in Visages du français variétés lexicales de l'espace francophones, Paris, EUPELF-UREF, 1990, pp.33-46

* 39 R. CHAUDENSON, Propositions pour une grille d'analyse des situations linguistiques de l'espace francophone, ACCT, Paris, 1988.

* 40 G. MENDO ZÉ, « Introduction à la problématique ethnostylistique », in Langues et communication. Propositions pour l'ethnostylistique, n°4, op.cit, pp.30-31

* 41 A. FREY, « Vers une description des variantes du français, l'inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire », in Le Français dans le monde, n°170, juillet 1982, pp.72-73

* 42 J. TABI MANGA, 1993, op. cit. pp.37-46

* 43 P. DUMONT et B. MAURER, La Sociolinguistique du français en Afrique francophone, Paris, Edicef, 1995, Université francophone, p.163.

* 44 L.M. ONGUENE ESSONO, « Normes endogènes et norme standard dans Ndzana Nga Zo'o description des procédés d'enrichississement du français au Cameroun », in NDZANA GA ZOGO, Yaoundé, Presses Universitaires de Yaoundé, 1999, PP.115-134

* 45 J. TABI MANGA, 1993, op.cit. pp.37-46

* 46 G. MOUNIN, Dictionnaire de linguistique, Paris, PUF, 1974, p.77

* 47 L.M. ONGUENE ESSONO (op.cit), p.127, souligne que ce verbe signifie en Eton mettre sur soi et porter (comme un fardeau ou comme un habit)

* 48 E. BILOA, Langue française au Cameroun, Bern, Peter Lang, 2003 P.110

* 49 E. BENVENISTE, cité par G. MENDO ZE, « Introduction à la problématique ethnostylistique », in Langues et communication. Propositions pour l'ethnostylistique, n°4, Université de Yaoundé I, 2005, pp30-31.

* 50 E. BILOA, op.cit, p.110

* 51 E.BILOA, op.cit, p.108

* 52 J. TABI MANGA, « Variation lexicale du français au Cameroun », in Visages du français variétés lexicales de l'espace francophone, Paris, AUPELF-UREF, John Libbey, 1990, PP.91-96

* 53 L.M. ONGUENE ESSONO (1999), p.127

* 54 E. BILOA, op.cit. pp.107-108

* 55 P.FONTANIER, Les Figures du discours, Paris, Flammarion, 1997, p. 99.

* 56 M. CRESSOT, et J. LAURENCE, Le Style et ses techniques, Paris P.U.F., 1977, p.72

* 57 A. LIPOU, Normes et pratiques scripturales africaines, colloque sur la diversité culturelle linguistique : quelles normes pour le français ? Paris, AUF, 2001, P.128

* 58 J. DUBOIS et alii, Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Paris, Larousse-Bordas, 1989, p.73

* 59 J. TABI MANGA, « Prolégomènes à une théorie de l'emprunt en français langue seconde », in Contacts des langues et identités culturelles, Laval, AUF, les Presses Universitaires de Laval, 2000, p.165

* 60 L'Encyclopédie libre WIKIPÉDIA, http://fr.wikipédia.org/wiki/registre-de-langue.

* 61 A. NAPON, « Quelques faits d'appropriation du français à l'école secondaire à Ouagadougou », in Le Français en Afrique, Sud langues, Nice Cedex/n°13, 1999, p.100

* 62 P. GUIRAUD, L'Argot, Paris, PUF, 1985, p.33

* 63 J. TABI MANGA, (1993), op.cit. p.37

* 64 S. MEJRI, « Néologie et variété lexicales », in Visage du français variétés lexicales de l'espace francophone, Paris, AUPELF/UREF, 1990, p.11

* 65 L. GUILBERT, « Peut-on définir un concept de norme lexicale ? » in Langue française n°1972, p.30

* 66 M. RIEGEL et alii, Grammaire méthodique du français, Paris, P.U.F, Coll. linguistique nouvelle, 1999, p.551.

* 67 L. GUILBERT, La Créativité lexicale, Paris, P.U.F, 1975, p.

* .68 M. GREVISSE, Le Bon Usage, Paris, Duculot, 1988, p.278

* 69 G. PRIGNITZ, « Place de l'argot dans la variation linguistique en Afrique : le cas du français à Ouagadougou » in Le français au Burkina Faso, CNR/URA, 1993, p.124

* 70 L. GUILBERT,(1975), op.cit, p.142

* 71 M GREVISSE, op.cit., p.242

* 72 J. DUBOIS et alii, Dictionnaire de linguistique, Paris, Larousse, 1973, p.466

* 73 E. BILOA, La Langue française au Cameroun, Analyse linguistique et didactique, Bern, Peter Lang, 2003, p.131

* 74 J. DUBOIS et alii, op.cit., p.109

* 75 E. DASSI, « De la Création d'emploi à la composition nominale (au Cameroun) », in Revue électronique internationale des sciences du langage, Sudlangues, n°03. 2003, p. 110

* 76 J. M. ESSONO, Précis de linguistique générale, Paris, l'Harmattan, 1998, p.114

* 77 M. GREVISSE, op.cit, p.107

* 78 M. GREVISSE, op.cit, p.1056

* 79 M. M. NGALASSO, « De Les Soleils des indépendances à En attendant le vote des bêtes sauvages : quelles évolutions de la langue chez Ahmadou Kourouma ? » in Littératures francophones :langues et styles, Paris l'Harmattan, 2001, p.166

* 80 C. De FERAL, « Le Français identitaire chez les jeunes au Cameroun et en France » in Corpus et langage, Université de Nice-Sophia Antipolis, 1994, p.39

* 81 R. S. WAMBA et G.- M. NOUMSSI, « Le Français au Cameroun contemporain, statuts, pratiques, problèmes sociolinguistiques », in http://www.refer.sn/sudlangues n°5, 2005 pp.1-20.

* 82 J. DUBOIS et alii, op.cit., p.1825

* 83 R. S. WAMBA et G. M. NOUMSSI, op.cit, p.13

* 84 A. LIPOU, 2001, op.cit, p.127

* 85 L. M. ONGUENE ESSONO, « La Langue française des écrivains camerounais : assimilation et/ou révolution ? » in Patrimoine, n°003, p.24

* 86 D. BICKERTON, Dynamic of Creole System, Cambridge University, Paris, 1975.

* 87 M. PERRET, L'Énonciation en grammaire du texte, Paris, Nathan, 1994, p.9

* 88 A. Lipou, op.cit p.120

* 89 Idem, p.124

* 90 M.PERRET, op.cit., p.59

* 91 E. DASSI, « De l'Esthétisme académique à l'oralisation effrénée de la langue française », in Les Actes du colloque sur la norme en Francophonie, AUPELF-UREF, 2004, p.12

* 92 A.-M. NTSOBE, « Le Français en Afrique : variation, viabilité, perspectives didactiques et mondialisation », in Langue et communication, Université de Yaoundé I, n°03, vol2, oct. 2003, p.103.

* 93 L. M. ONGUENE ESSONO, (1999), op.cit, p.125

* 94 J. TABI MANGA, (1990), op.cit., p.11

* 95 J. TABI MANGA, (1990), op.cit., p.11

* 96 Idem, op.cit., p.17

* 97 Ibidem






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