RESUME
Le village de Wodobéré est sur un foondé
entouré par une vaste plaine alluviale submersible en une certaine
période de l'année. Il est situé à l'extrême
nord Est de la communauté rurale de Ouro-Sidy, dans l'actuelle
circonscription administrative de Kanel. Avec une population de 3873 habitants,
loin devant le chef-lieu de communauté rurale, Wodobéré
est marqué par une prédominance de l'émigration sur les
autres activités. En effet, à l'image du Damga, il est
doté de potentialités naturelles énormes.
Malgré l'existence des ressources foncières et
hydriques potentiellement exploitables, cette partie du Sénégal
se caractérise par une économie attardée et par
l'inexistence d'activités génératrices de revenus pour les
populations. À défaut d'une exploitation agricole rationnelle,
l'émigration est apparue comme une alternative pour combler les
ressources économiques déficitaires.
L'Afrique a, cependant, toujours été en
mouvements. Les déplacements de populations, forcés ou
volontaires ont jalonné son histoire, ici pour répondre à
un manque criard de potentialité et là pour satisfaire des
besoins divers. Les villes littorales font l'objet d'une concentration des
infrastructures et des services au détriment de l'intérieur des
pays. Ce qui se traduit, sur le plan humain, par les migrations des populations
de l'intérieur vers les centres urbains.
Au Sénégal, la concentration des
activités à Dakar a fait de la capitale un pôle
d'immigration et l'intérieur du pays un pourvoyeur potentiel de
migrants. En plus de ces disparités, les cycles épisodiques de
sécheresses des années 70 ont frappé durement le Damga. Il
en résulte une chute des productions agricoles et la rareté des
ressources vivrières. Les secteurs clés de l'économie
locale sont assujettis aux vicissitudes du climat, c'est-à-dire qu'ils
dépendent très fortement des conditions climatiques.
En effet, la réponse de l'homme face à cet
environnement hostile n'était pas la mort mais plutôt la
mobilité. L'émigration est apparue comme une stratégie de
survie des populations. La force du monde rural c'est-à-dire la
population active masculine reste en proie à une émigration sans
commune mesure. Ainsi, dans les villages, comme Wodobéré, on
assiste à une quasi-absence des hommes. Avec une société
hiérarchisée, le village de Wodobéré, est
marqué par la prédominance de l'effectif des jeunes, des femmes
et des vieux sur l'effectif des hommes actifs. L'émigration touche
l'essentiel de la population masculine active.
Cependant, on note aujourd'hui une transformation du
bâti et une hausse substantielle du niveau de vie à
Wodobéré. L'émigration régit l'activité
économique, sociale et culturelle du village. Puisque, dans les
discussions, sous l'arbre à palabre, trouver les moyens de partir reste
l'unique équation des jeunes. Ce qui suscite un certain nombre
d'interrogation qui se résument en ces termes : Quels sont les facteurs
d'émigration ? Quelles sont les stratégies et la finalité
de l'émigration ?
Ainsi, notre TER, « L'émigration dans le Damga :
l'exemple du village de Wodobéré dans la moyenne vallée du
fleuve Sénégal », au-delà de l'initiation à la
recherche nous permettra d'analyser la problématique de
l'émigration dans cette partie du Sénégal. A coté
de cet objectif principal, nous avons élaboré les objectifs
spécifiques suivants:
V1 montrer l'ampleur et la typologie de l'émigration;
V1 faire une analyse des facteurs qui motivent le choix des
populations;
V1 déceler les changements engendrés par
l'émigration sur le milieu d'origine. Pour atteindre ces objectifs, nous
avons dégagé quelques hypothèses :
les motifs d'émigration qui sont étroitement
liés à l'absence d'activités pouvant impulser un
développement endogène seraient à l'origine des
départs ;
la péjoration du climat, des conditions
écologiques et la réussite de ceux qui sont déjà
partis, ne serait ce que par la prise en charge de parents et amis,
constitueraient des facteurs qui suscitent l'envie de ceux qui sont au pays et
le départ de nouveaux candidats ;
malgré les effets positifs de l'émigration sur
le village, elle aurait fortement contribué à la
désagrégation des liens sociaux.
Pour traiter cette problématique, nous avons
adopté une méthodologie qui prend en compte le caractère
spécifique de la population. Elle est structurée en trois parties
: d'abord c'est la revue documentaire qui nous a permis de consulter certains
ouvrages, puis la collecte des données de terrain à l'aide de
questionnaires pour les données quantitatives et de guides d'entretiens
pour les données qualitatives et enfin l'exploitation et le traitement
des données.
Ce travail de terrain n'est pas sans difficultés.
J'étais d'abord confronté à la réticence de
la population dans disposition des données, ensuite à
l'inexistence des travaux précis sur ce
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thème, malgré l'abondance de la
littérature sur les migrations et enfin aux difficultés de
transports liées à la distance à l'état des routes
entre Dakar et notre zone d'étude. L'exploitation des données
nous ont donné les résultats suivants :
IJ Une multitude des facteurs d'émigration :
Il s'agit des effets conjugués de la conjoncture
internationale, de l'histoire même du peuplement du Fouta en
général, des politiques structurelles mais aussi de la
structuration de la société.
Le peuplement du Fouta est étroitement lié aux
vagues migratoires tous azimutes des wolofs, des maures, des peuls, des
soninkés etc. Selon certains traditionnistes la sécheresse dans
le sahel aurait contraint la population de migrer vers le sud et le sud-est. On
rattache le peuplement du Fouta aux migrations des soninkés du Wagadu,
ancien royaume du Ghana.
Il y avait également l'instauration de système
de navétanat et de recrutement musclé des travailleurs par les
colons pour la culture de l'arachide dans le centre du Sénégal.
Ce qui avait conduit, à l'époque, aux déplacements de
plusieurs personnes de la vallée vers le bassin arachidier.
En plus de cela, il y a eu le prosélytisme religieux
qui avait occasionné les déplacements de population vers les
régions où elles pouvaient exercer librement les préceptes
de l'Islam. Il est aujourd'hui admis que, dans le cadre du djihad, El hadji
Oumar Tall, conscient de la disproportion de ses forces et celles de la
puissance coloniale, ordonnait ses nouveaux disciples à migrer.
Les facteurs d'émigration sont aussi d'ordre
conjoncturel. Ils sont relatifs à la structuration actuelle de
l'économie marquée par des perturbations climatiques et par les
effets des PAS. Ce qui se traduit par :
· la chute des productions agricoles. Ainsi, au cours de la
campagne agricole 2008, 79% de la population de Wodobéré ont eu
moins de 60 kilogrammes de mile,
· l'échec des politiques agricoles de l'Etat et
le chômage chronique des jeunes. L'ensemble des aménagements
hydro-agricole de l'Etat par le biais de la SAED ont connu un échec et
n'ont permis ni de retenir la population ni de créer un rapport puissant
entre la population et son terroir.
Les contraintes sociales qui stimulent une émigration
forte chez la population sont multiples et variés. Il s'agit des
regroupements familiaux, de l'émulation entre voisin et surtout des
rivalités entre coépouses.
? une spécificité du phénomène de
l'émigration;
Les départs sont individuels et concernent
principalement les hommes célibataires âgés entre 18 et 35
ans. L'émigration s'organise autour de l'unité familiale
même si l'idée d'émigrer vient, le plus souvent, de la
personne concernée. Ce qui fait que le financement du voyage peut venir
des parents ou du candidat à l'émigration lui-même. A
l'apparition de l'émigration dans les années 60, les candidats
s'autofinançaient pour réaliser leur premier voyage. Mais,
aujourd'hui, plus de 41% des émigrés reçoivent leur billet
à partir de l'étranger.
Plusieurs stratégies sont mises en place par les
candidats à l'émigration. Ces stratégies vont des
itinéraires à la mise en relation des différents acteurs
et processus migratoires. Au début de l'émigration dans la
moyenne vallée du fleuve en général et à
Wodobéré en particulier, les pays africains disposant de
ressources minières étaient les principales régions
d'accueil. Donc l'émigré qui quittait le Fouta passait par le
Mali par la voie terrestre pour se trouver au Congo, en Centre Afrique, en
Angola ou en Cote d'Ivoire. Dans les pays ou l'extraction du diamant
était en vogue, certains émigrés commercialisaient la
pierre précieuse et ensuite approvisionnaient les comptoirs
européens tels qu'Amsterdam, Paris et Londres. Mais, la saturation de ce
marché les obligeait à emprunter d'autres itinéraires. Le
candidat à l'migration qui quitte Wodobéré passait par
Dakar où il peut entrer en contact avec des convoyeurs et des
démarcheurs de visa le permettant de franchir les frontières. Il
peut s'agir également d'une usurpation d'identité car plusieurs
candidats ont réussi à passer les contrôles
aéroportuaires en 2008 pour se retrouver en Europe avec les papiers de
leurs proches.
En effet, cette émigration, masculine dans sa
majorité, est facilitée d'amont en aval par l'existence d'une
chaîne à maillons multiples. Elle est d'abord entretenue par les
revenus qu'elle génère puisque l'essentiel des voyages des
nouveaux candidats à l'émigration est financé par des
parents qui ont déjà émigré. Elle est ensuite le
résultat d'une complicité étroite entre les
émigrés, les démarcheurs de visa et les autorités
administratives. Ce qui se traduit par l'existence de réseaux et de
couloirs migratoires spécifiques pour les migrants.
En ce qui concerne les types d'émigration, nous avons
constaté que, selon la durée, il en existe trois.
L'émigration saisonnière, qui concerne 41% des
émigrés, se caractérise par des mouvements rythmés
par les saisons. En saison sèche, les émigrés migrent vers
les centres urbains et en saison des pluies, ils reviennent épauler
leurs parents dans les travaux champêtres. C'est une émigration de
moindre importance. L'émigration temporaire, 53% des
émigrés, est pratiquée par ceux qui disposent de cartes de
séjour et qui reviennent périodiquement au village. Et enfin,
l'émigration définitive qui résulte de l'échec des
émigrants. Elle se traduit par l'intégration de
l'émigré dans son pays d'accueil et ne représente que
moins de 6% de la diaspora.
Ce qui nous conduit à parler des principaux pays de
destination. La France se taille la part belle dans la distribution des
émigrés du village dans le monde. Cela s'explique par
l'attachement de la population à l'ancienne puissance coloniale. Elle
est suivie, de loin, par l'Espagne et par quelques pays africains comme la Cote
d'Ivoire, le Congo et le Gabon. Les exemples de réussite de
l'émigration dans certains pays plutôt que dans d'autres
pèsent sur le choix des destinations.
Ainsi, le village dépend directement des ressources
tirées de l'émigration. 76% de la population ont
l'émigration comme source de revenu principale. En effet, les flux
financiers en direction de Wodobéré diffèrent selon les
lieux d'immigration : sur les 929.754.199 FCFA envoyés en 2008, les
transferts d'argent venant de la France représentent 720.929.307 FCFA
alors que les fonds venant de l'Afrique ne représentent que moins de 10
millions par an.
Ces fonds sont utilisés différemment selon
qu'ils sont envoyés à titre individuel ou collectif :
IJ Les émigrés agissent collectivement quand il
s'agit de mettre en place des infrastructures et des constructions de
prestiges. Il ressort dans cette étude que les émigrés,
à travers leur association, ont permis la construction et
l'équipement des infrastructures pour les services sociaux de base. Les
fonds envoyés à titre collectif sont consentis à la
réalisation des ouvrages de prestige ou d'infrastructure pour les
services sociaux de base photo de la mosquée, alors que les transferts
d'argent à titre individuel servent à garantir la
sécurité alimentaire et l'entretien de la famille de
l'émigré.
IJ Si plus de 85,1% des fonds envoyé sont
destinés à la famille de l'émigré, les transferts
à vocation économique représentent une part
résiduelle dans les montants envoyés. Ainsi, seulement 3% sont
réservés aux investissements qui sont pour l'essentiel l'achat de
taxis brousse, l'immobilier et le commerce. L'essentiel des transferts est
consenti à l'alimentation et à l'entretien de la famille de
l'émigré.
IJ Malgré les apparences positives, l'émigration
n'est pas exempte de conséquences négatives sur la population
résidente. Elle est à l'origine de plusieurs dysfonctionnements
tant au niveau des familles d'émigrés qu'au niveau de la
communauté villageoise. Elle est à l'origine de
l'avènement de nouveaux rapports sociaux basés sur la
nucléarisation de la société et par l'égocentrisme.
Le fooyré se substitue à la concession créant
ainsi l'éclatement des familles et l'effritement des liens sociaux.
C'est la désintégration totale des liens de solidarité.
L'émigration a également contribué fortement à la
dégénérescence des autres secteurs de l'économie
tels que l'éducation, l'artisanat et l'agriculture et au désamour
de la population à la terre.
Les retombées de l'émigration, loin
d'éradiquer ses facteurs, tuent toutes autres formes d'activité.
Elles entretiennent les migrations. Cependant, l'orientation des flux
financiers vers la création d'activité telles que la
pisciculture, la mise en place des fermes pouvait impulser un
développement endogène. Il faut instaurer des politiques
d'appropriation du terroir par les populations.
* * *
L'étude de la problématique de
l'émigration à partir de Wodobéré a permis de
ressortir plusieurs facteurs dont les principaux sont les effets
conjugués des réminiscences historiques et des vicissitudes
climatiques sur l'économie locale et l'existence d'une chaîne
à maillons multiples qui contribue à la facilitation des
migrations.
Les populations, pour répondre à un besoin
pressant de liquidité devenue nécessaire, ont supplanté
les autres activités économiques, par les ressources
tirées de l'émigration.
En effet, l'émigration a asphyxié l'économie
locale et a fortement contribué au dépeuplement et à la
perte de valeurs qui faisaient naguère la fierté du peuple.
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Les transferts financiers ont supplanté les autres
formes de ressources dans la survie de la population. Ils ont
considérablement contribué à la mutation de la
structuration de la société mais aussi à la
reconfiguration des rapports sociaux.
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