REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO
ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET UNIVERSITAIRE
UNIVERSITE DE KISANGANI
CENTRE UNIVERSITAIRE EXTENSION DE
GOMA UNIKIS\CUEG B.P.204Goma
FACULTE DE DROIT
LA REPARATION DU PREJUDICE MORAL
EN DROIT CONGOLAIS
Par KIRIZA MASHALI ARSENE Gradué en
Droit
Mémoire présenté et défendu en
vue de l obtention du grade de Licencié en Droit
Option : Droit Public
Interne et International
Directeur : Professeur
MICHEL DIKETE Encadreur : Assistant ERICK BIRINDWA
NYAMAZI
Année académique 2004-2005.
DEDICACE
« A notre regretté confrère, Maître
ACHILE MISINGI MUMA, vous qui nous avez donné le goût et la
passion du métier de juriste, vous pour qui ce sujet était
cher,
Reposez en paix ».
A tous mes parents, frères et soeurs, trouvez dans
cette uvre, l expression de ma sincère reconnaissance.
A notre fils KAMIL BRIAN KIRIZA, et mon neveux JOSPIN
MASHALI
KIRIZA MASHALI ARSENE
INTRODUCTION GENERALE
0.1 Généralités
Avant de vous livrer nos réflexions sur la
réparation du préjudice moral en droit congolais, il nous
paraît utile, sinon nécessaire , d indiquer que notre travail s
inscrit dans le cadre général de la responsabilité
civile.
Suivant la théorie traditionnelle, le fondement de la
responsabilité est la faute, c est- à- dire la faute commise par
un être doué de raison et de discernement . Ce principe se trouve
textuellement consacré par les articles 258 et suivants du CCL III dont
il résulte que seul est responsable du dommage , celui par la faute
duquel il est arrivé.1
Cette réglementation ancienne a été
empruntée par notre code au code napoléon de 1804
2pour ne pas citer les codes civils belge et français.
Cependant , s il est vrai que cette réglementation date
de longtemps , il faut aussi souligner qu elle n a guère subi des
modifications alors que la mouvance des faits crée continuellement des
situations nouvelles . C est le cas par exemple du progrès technique et
industriel qui, par le fait du machinisme accroît le nombre de victimes
dues aux fautes directes ou indirectes.3 Et les articles
précités insistent sur le fait que le dommage doit être
réparé intégralement sans distinguer si l auteur a commis
une faute légère ou lourde. Cette position légale
crée une ouverture tendant à stimuler tout individu, c
est-à-dire non seulement la victime du
1 Tout fait quelconque de l homme qui cause un
préjudice à autrui oblige celui par la faute duquel il est
arrivé de le réparer (art 258CCL III)
2 1804, année de la promulgation du code
Napoléon qui a posé le principe de la responsabilité
civile, et aussi géniteur du code civil congolais : des obligations.
3 NIMPAGARITSE : Progrès Technique et
Responsabilité civile, Cours L1 Droit/ ULPGL, U.O.B,
1997,inédit.
comportement incriminé mais également toute
autre personne, quel que soit le niveau de préjudice subi et le niveau
de lien social avec la victime, à réclamer la réparation
des dommages subis.
Cette observation nous amène à dire que si les
articles 258 et suivants déterminent limitativement le responsable et le
civilement responsable incriminé, il reste à savoir
également tranché quant à la limite des
bénéficiaires de l action en responsabilité .
0.2. Problématique et
hypothèses.
Partant du principe tiré de l article 258 du CCL.III et
suivants , nous remarquons que si l hypothèse normale est la
réparation de tout préjudice souffert , il n en demeure pas moins
la difficulté de connaître les bénéficiaires de la
réparation..4
La doctrine enseigne que la responsabilité d un
comportement est fondée sur la faute , le dommage et la relation de
cause à effet entre la faute et le dommage. 5 Ainsi la
victime du dommage a donc droit à l exercice de l action en
réparation. A ce niveau , il n y a pas de problème dès
lors qu on dédommage la victime directe de l acte fautif.
La question devient délicate à partir du moment
où le préjudice atteint indirectement plusieurs sujets à
la fois. C est le cas d un accident mortel portant préjudice à
plusieurs individus du fait du décès d un des leurs. Dès
lors , comment limiter les actions en réparation de préjudice
subi ? Le préjudice moral est il appréciable en argent , faut il
limiter la liste de bénéficiaires ; si oui, comment la fixer ? Et
quels sont les critères limitatifs ? Les juges saisis , sont ils
à même de répondre objectivement à des telles
demandes ? Telles sont les quelques questions auxquelles nous tenterons de
répondre.
S agissant de la possibilité de la réparation du
préjudice moral, nous nous inscrivons, dans le courant qui voudrait que
le préjudice
4 MAZEAUD et TUNC, Traité pratique et
théorique de la responsabilité civile : délictuelle
et Contractuelle : Préface XI, PUF, Paris 1982 p.14
moral soit réparable quoique non évaluable en
argent ; les modes de réparation de tout préjudice
prévoient la réparation en nature, par l équivalent et la
réparation symbolique.6
Cependant, ne seront admis à bénéficier d
une action en réparation que les demandeurs justifiant d un
intérêt et qui jouissent de la qualité pour ce faire. La
doctrine et la jurisprudence nous donnent les critères de limitation des
demandeurs en réparation basés tantôt sur le lien de
parenté ou d alliance, tantôt sur la violation d un
intérêt juridiquement protégé ; critères qui
se sont avérés insuffisants.
De ce qui précède, certes, le juge, disons-le n
est pas à
l aise pour répondre à des nombreuses demandes
en réparation de préjudice moral parce que d abord il s appuie
sur un lien de parenté ou d alliance, tantôt sur la violence d un
intérêt juridiquement protégé ; critères qui
se sont avérés insuffisants . Ensuite, il s appuie sur un article
(art 258 et suivants du code civil livre troisième) qui ouvre la voie
à un nombre presque illimité de demandeurs, enfin, mettant en
uvre le principe de l intime conviction qui veut que le juge rende son jugement
selon (ce qu il estime bon et juste) que sa religion est éclairée
par le droit et le bon sens.
Le principe de l intime conviction, donne au juge des pouvoirs
énormes qu il faut limiter pour ne pas le voir accorder ou
reconnaître des droits à ceux qui n en ont pas et refuser d en
reconnaître à ceux-là qui en ont prouvé ou
justifié l existence.
0.3. Choix et Intérêt du
sujet.
Plus d une personne peut se demander les causes pour
lesquelles ce sujet a fait l objet de notre travail pendant qu au vu de tout le
monde, il ne paraît pas nouveau.
5 KALONGO MBIKAYI, Responsabilité civile et
socialisation des Risques en droit zaïrois, 2e éd.,
KIN, PUZ, 1979, p.45
6 KALOMBO MBIKAYI, Cours de droit civil : des
obligations, UNIKIN et ULPGL, 1995, non polycopié, inédit.
Il sied en ce qui nous concerne d indiquer que nous avons
été frappé par le caractère pluridimensionnel et
rationnel de l institution Responsabilité et son corollaire
Réparation .
Bien plus , le fait qu au regard des articles en étude,
qui devraient justifier toute réparation avec toutes ses formes se sont
limités dans des considérations générales et
laconiques. Pourtant , il faut le souligner, la responsabilité
contractuelle ou délictuelle constitue un élément
très important , quant à la sauvegarde des intérêts
individuels.
C est pour cette raison que le sujet n a pas été
un fait du hasard mais bien au contraire, il a été dicté
par certains mobiles tels que dénoncés et liés à la
réparation des préjudices moraux , c est- à- dire non
évaluables en argent .
0.4. Méthodes d approche.
Pour mieux cerner les aspects de notre travail , nous avons
choisi deux méthodes de travail : La méthode normative qui nous
permet de réfléchir à partir de textes de loi pour
comprendre ses contours, sa dimension et ses aspects pratiques ; ainsi que la
méthode sociologique nous permettant d accueillir des
considérations de différentes personnes qui
bénéficient ou subissent les effets de lois.
Dans la langue imagée , dont il avait le secret ,
Montaigne comparaît son uvre au filet qui sert à lier les fleurs
que les autres ont coupées . Et Paul Valéry ne rappelait il pas
que nous pensons tous sur les pensées des autres 7. Ces
quelques idées résument brièvement la méthode que
nous avons utilisée pour rassembler les données qui constitueront
le corps de ce travail ; cela parce que il est impossible de partir du
néant. Rien ne peut provenir de rien.
7 SOHIER.A, Répertoire général
de la jurisprudence et de la doctrine coutumière du Congo
et du Rwanda-Urundi jusqu au 31/12/1951, Bruxelles, Maison
Larcier, 1957, p.30
C est pourquoi nous avons essayé de
réfléchir à partir de textes de lois, d écrits des
auteurs et de décisions judiciaires ainsi que des comportements des
personnes auteurs ou responsables de dommages et ceux des
bénéficiaires en réparation desdits dommages surtout
moraux.
Le sujet étant extrêmement vaste et complexe ,
nous n avons nullement la prétention de l avoir traité d une
façon exhaustive . La raison est simple : nous n avons pas pu mettre la
main sur une documentation appropriée à la présente
étude ; mais aussi le thème traité par ce travail reste
soumis à l évolution scientifique du monde moderne.
Déjà en 1924 le dommage moral était connu par les
écrits congolais.8
Même prétendre trouver une solution
définitive , serait méconnaître à tout esprit
créateur son droit de réflexion sur ce sujet d
intérêt scientifique. Ce qui n est pas notre intention . Cette
étude a pris l allure d une étude plus théorique que
pratique, mettant l accent sur ce que devrait être le
bénéficiaire de réparation du préjudice moral pour
palier au caractère général dans lequel tend à nous
amener les articles précités et éviter également
que le juge saisi du litige en réparation n ait pas de pouvoirs
énormes tirés de son intime conviction quant à la
souveraineté de sa décision.
0.5 Délimitation du sujet.
Après avoir souligné la méthode
utilisée et tracé ses contours , il convient de donner maintenant
le squelette que nous nous efforcerons d habiller tout au long de notre
démarche. Nous nous proposons d articuler notre travail autour de deux
titres contenant chacun deux Chapitres, inégalement importants et se
termine par une conclusion générale faite de
considérations générales.
Dans le premier titre , nous nous efforcerons de
décortiquer les notions et catégories de dommages moraux, tandis
que dans le deuxième titre, nous traiterons des principes et leurs
controverses relatives à la réparation du dommage moral.
8 1924 ; date de la création de la Revue
juridique du Congo-Belge, ancêtre de la revue juridique du Zaïre.
Notre uvre a un but scientifique, de cela, qu il ne nous soit
pas permis de prétendre épuiser la matière dans tous ses
aspects théoriques et pratiques . Ainsi, nous sollicitons l indulgence
de nos lecteurs chaque fois qu ils auraient à constater certaines
insuffisances .
TITRE I : NOTION ET CATEGORIES DE DOMMAGE MORAL.
CHAPITRE I : NOTION DE DOMMAGE MORAL
Il convient dès le départ de circonscrire la
notion même du dommage moral, d en préciser les contours. Ainsi
notre premier chapitre sera divisé en trois sections qui auront pour
objet la définition du dommage moral, les caractères du
préjudice moral et de la responsabilité civile.
SECTION I : DEFINITION DU DOMMAGE MORAL.
Plusieurs auteurs ont défini le dommage moral ; mais nous
nous contenterons dans le cadre de cette étude de n en retenir que
trois.
Pour définir le dommage moral, H. Lalou part d une
notion fondamentale, la notion de droit et oppose le dommage moral au dommage
matériel en basant cette opposition sur la grande division des droits :
les droits patrimoniaux et les droits extra-patrimoniaux. « Un dommage,
écrit il, est une atteinte à un droit, or il existe deux
variétés de droits »9.
1° Les droits patrimoniaux, lesquels aboutissent à
procurer à leurs titulaires des satisfactions pécuniaires ou tout
au moins appréciables en argent, comme les droits réels, les
droits personnels, les droits intellectuels, les bénéfices
résultant de l'exercice d'une profession.
2° Les droits extra-patrimoniaux comme les droits
politiques, les droits inhérents à la personnalité (droit
à la vie, à la liberté de conscience ou de parole) et les
droits de famille résultant de la qualité d époux, de
parents,
d alliés. La distinction du dommage moral et du dommage
matériel correspond à cette grande division des
droits.10
9 LALOU H. ; Traité pratique de la
responsabilité civile, Paris, librairie Dalloz, ,1955, P. 105
10 LALOU H. ; Traité
élémentaire du droit civil belge, Bruxelles, Etablissements
Bruylant,1964,p 953 Etablissements Bruylant, 1964, p. 953.
C est sans doute cette idée maîtresse qui a
poussé Mazeaud et Tunc à définir cette notion d une
manière lapidaire en disant que : le dommage matériel, c est le
préjudice patrimonial, le préjudice moral, c est le
préjudice extra-patrimonial, non économique ».11
Nous disons quant à nous que le préjudice moral est une
souffrance subie par une personne par le fait d un tiers.
La notion que notre travail se propose d étudier est
une notion abstraite, insaisissable au premier abord. Peut être faudra t
il la concrétiser en relevant à travers la jurisprudence des cas
concrets. Ce sera l objet de notre second chapitre. Mais avant d en arriver
là, voyons dans une deuxième et troisième section les
caractères du dommage moral réparable et le rôle du dommage
dans la responsabilité civile.
SECTION II : LES CARACTERES DU DOMMAGE
MORAL REPARABLE
Tout dommage n est pas réparable. C est dire qu en
droit congolais, comme en droit français et belge, pour être
réparé le dommage doit remplir certaines conditions : il doit
être certain, actuel, direct et consister dans la violation d un
intérêt légitime. Le système congolais de droit
écrit limite donc le nombre des dommages pouvant donner lieu à
réparation. En dehors de cette limitation traduite en forme de condition
que doit remplir tout préjudice, il n y a pas de réparation
possible. Mais qu en est il des bénéficiaires de cette
réparation ? et que dit le droit coutumier ? Le caractère
restrictif du droit écrit est en opposition avec le droit coutumier. En
effet, les actes dommageables pouvant donner lieu à réparation
sont plus nombreux en droit coutumier. Traiter quelqu un d esclave, de sorcier,
constitue un fait dommageable qui doit être réparé Chez les
Nyanga 12 sauf si ses allégations sont vraies. Le fait pour
un mari de dire à sa femme qu elle sent mauvais est un véritable
fait dommageable. Ce sont là quelques cas pris au hasard ; les exemples
sont légion car en droit coutumier « tout est acte dommageable
».
11 MAZEAUD ET TUNC ; Traité théorique
et pratique de la responsabilité civile délictuelle, T.I,
5e éd. Paris Montchrestien, 1957, P. 378.
12 NYANGA : Communauté tribale vivant dans le
territoire de WALIKALE au NORD/KIVU.
Nous comprenons cette conception du droit coutumier, «
quand nous savons que ce dernier traduit la manière de vivre des
autochtones, leur civilisation particulière, leur façon d
envisager le monde, les rapports sociaux, la justice » 13.
Cette observation étant faite, examinons maintenant tour à tour
les différents caractères du dommage réparable.
§ 1. Le dommage doit être certain et
actuel.
Comme le préjudice matériel, pour donner lieu
à réparation, le préjudice moral doit être certain.
Est certain non seulement ce qui est mais aussi ce qui sera
nécessairement. Certes, l intérêt doit être certain
et actuel, mais il faut faire entrer dans l évaluation du
préjudice, le préjudice futur lorsque celui-ci se lie
nécessairement au préjudice présent car un
événement futur peut être aussi certain, le juge devra en
tenir compte dans la mesure où il est « la prolongation certaine et
directe d un état de chose actuel » 14.
Cependant, un préjudice peut-être seulement futur,
sans la prolongation
d un préjudice présent. Même dans ce cas,
le juge doit faire droit à l action de la victime lorsque cette
dernière demande réparation pour offense à un droit
susceptible d évaluation immédiate, toujours à condition
que le préjudice apparaisse déjà comme certain : « un
préjudice qui n est pas réalisé peut justifier une
condamnation actuelle si sa réalisation est dès maintenant
certaine parce qu il sera le développement d un préjudice certain
en évolution 15.
En dehors de ce caractère certain du préjudice,
la victime doit avoir souffert personnellement de ce dommage. Cependant, il n
est pas exclu qu un dommage subi par une personne porte préjudice
à autrui par répercussion. Il faut également tenir compte
du fait que le préjudice frappe à des degrés
différents ceux qui en sont victimes. Cette hypothèse se
rencontre surtout dans le cas d un accident mortel et soulève de
nombreux problèmes, essentiellement celui relatif à la liste des
ayants-droit. Nous aborderons ces problèmes quand nous étudierons
la question de bénéficiaires de l action en réparation
(Section I
13 KALONGO MBIKAYI ; « Problèmes d
adaptation des principes moteurs de la responsabilité civile en droit
privé Zaïrois » in cahiers (ex-études
congolaises) n° 1, mars 1970, p. 81.
14 KALONGO MBIKAYI, Droit Civil des Obligations, notes
de Cours, ULPGL/UNIKIN, 1994, P. 142, Inédit.
15 PLANIOL et RIPERT, les obligations, cités
par KALONGO, op cit. P. 127.
du chap. II, titre II), et la nécessité d
élaboration d une liste d ayants-droit (section 2).
Le caractère certain et actuel du préjudice
moral est fondamental. La jurisprudence congolaise est unanime et constante
à ce sujet 16.
La cour retient cependant pour la fille un dommage moral
certain qui consiste « notamment dans les douleurs et souffrances
causées par les blessures, dans le sentiment pénible que provoque
la conscience d une certaine diminution physique, dans la répercussion
que cette invalidité permanente peut avoir sur toutes les
activités non professionnelles de la victime »17.
Le problème de la certitude du dommage réparable
va de pair avec la question des bénéficiaires de l action en
réparation et de la nécessité de la limitation de leur
nombre. Nous serons donc obligés d y revenir plus loin. Cependant,
disons déjà que la jurisprudence congolaise rend difficile les
conditions d exercice de l action en réparation du dommage moral. Les
décisions auxquelles nous venons de faire allusion confondent deux
notions qui, à notre avis doivent être distinguées : le
caractère certain du préjudice d une part et le degré de
gravité de ce même préjudice d autre part. Un
préjudice tout en étant certain peut être moins important
qu un autre. Aussi, estimons-nous qu il faudrait accorder une indemnité
qui soit proportionnée au degré de gravité du dommage.
Certes, dans certains cas, cette indemnité sera fort réduite et
ne revêtira qu un caractère symbolique, mais, au moins, elle aura
abouti à une chose : l affirmation d un droit.
Certes, certaines personnes se demanderont comment peut-on
apprécier la gravité du préjudice moral ? Cette
gravité s appréciera par rapport aux liens qui unissent la
victime directe d un fait quelconque au demandeur d une action
16 Trib. de 1ère Inst. du kivu, 10
oct. 1953, R.J.C.B 1954, p. 107 ; Cour d Appel d Elis, 26 1964, p. 176 ; Cour d
Appel d Elis
23 mars 1965, R.J.C 1965, p. 121 ; Cour d Appel de Léo, 11
sept. 1958, R.J.C.B 1958, p. 223 ; Cour d Appel de Léo, 4 juin
1957, R.J.C.B 1958, P. 14 Elis. Nov. 1915, Jur. Col. 1926, p.
179.
17: Cour d Appel d Elis. 26 mai 1964, R.J.C.B 1964, p. 176. La
Jurisprudence coutumière affirme aussi le caractère certain du
dommage réparable. Vo à ce sujet. Terr. Elis. N° 161, 21 ct.
1937, R.J.I n° 5, 1941, p. 105 évec note ; Cout. Pama
BAKUTU ; Cout. Banunu ; terr. Lukolela, 11 mai 1940, B.J.I
n° 4, 1943, p. 82. Cité ar T.G.I Goma.
en réparation ; aux caractères certain, actuel,
direct du préjudice moral souffert, préjudice qui est né
suite à la violation d un intérêt légitime. Cette
question a rencontré aussi bien notre préoccupation que celle des
doctrinaires dont les écrits ont retenu note attention (Titre II, chap.
II du présent travail).
§ 2. Le dommage doit être
direct.
Le dommage réparable, qu il soit moral ou
matériel, doit être direct c est à dire une suite directe
et immédiate de la faute. C est ce qui ressort de l art. 258 qui exige
un lien de causalité entre le dommage et la faute : ce qu il faut
réparer, nous dit l art 258, c est « tout fait quelconque de l
homme qui cause à autrui un dommage ».
La tâche du juge ne sera pas facile pour
déterminer ce lien de causalité. Compte tenu de la
complexité de la vie, le problème pour le juge sera de
déterminer la cause exacte ; il peut y avoir plusieurs agissant d une
manière immédiate, lointaine, directe ou indirecte. Plusieurs
théories ont été développées dans ce domaine
; chacune d elles cherchant à mettre en valeur la cause ou les causes
dont il faudrait tenir compte chaque fois qu il y aura un dommage : la
théorie de l équivalence des conditions, la théorie de la
proximité de la causalité adéquate.
Cette matière n a qu une incidence indirecte sur notre
sujet. Aussi ne la développerons-nous pas dans le cadre de cette
étude. Disons toutefois que ce lien de causalité n est pas en soi
une condition s imposant d une manière objective car certains
systèmes juridiques n y attachent pas beaucoup d importance. Il en est
de même pour la plupart des systèmes africains et de certaines
populations paysannes de l occident18.
L originalité africaine dans cette matière s
explique par la place qu occupe la notion de faute en droit coutumier. Comme
nous aurons l occasion de le démontrer dans les lignes qui vont suivre,
le droit traditionnel
qui se soucie plus de la victime que de toute idée de
faute ne cherchera pas à connaître l origine du dommage, mais
il en constatera tout simplement
l existence. Il y a là une objectivation de la
responsabilité civile. Dès lors « on peut comprendre la
préoccupation des gens des milieux traditionnels à attribuer
à l ensorcellement, à l action des ancêtres ou à
toute autre pratique superstitieuse l origine d un dommage qu il viendrait
à subir sans en trouver
l origine et à entreprendre eux-mêmes toute
action superstitieuse ou autre après consultation des devins pour
arriver à la suppression de leur dommage19.
Mais notre système de droit écrit inspiré
du droit franco-belge attache une grande importance à la notion de cause
et fait de ce lien de causalité une des conditions sans laquelle tout
exercice de l action en responsabilité civile est impossible.
Mais que faut-il entendre par dommage direct ? TOULEMON et
MOORE répondent à cette question en ces termes : « pour
employer le langage de la mathématique, on peut dire qu il y a dommage
direct chaque fois que le fait dommageable en est la condition
nécessaire et suffisante ; nécessaire parce que le dommage n
aurait pas eu lieu si la faute ne s était pas produite ; suffisante
parce que la faute s étant produite, le préjudice devait s en
suivre sans qu aucun autre événement, action, ou omission, cas
fortuit ou force majeure n ait concouru d une manière notable à
la réalisation du dommage ; au contraire d une manière
générale, le préjudice indirect sera celui dont la cause
nécessaire sera le fait dommageable mais qui n en sera pas la cause
suffisante, un fait distinct et complémentaire étant venu s
ajouter à cette cause initiale »20.
§ 3. Le préjudice doit consister dans la
violation d un intérêt légitime.
A côté des conditions que nous venons d
étudier une autre condition est exigée : le dommage doit «
porter atteinte à un intérêt légitime ». C est
dire que la situation lésée doit être licite et morale.
21
19 : KALONGO MBIKAYI; Op. cit (article) p. 81.
20 TOULEMON et MOORE, le préjudice corporel
et moral en droit commun,
Paris, Sirey, 1968, P. 130
21MAZEAUD H, la lésion d un «
intérêt juridiquement protégé », condition de
la
responsabilité civile, D. 1954 Chron p. 39 et Ss,
Cité par KALONGO MBIKAYI, op cit, p. 24.
Mais la formule employée par la cour de cassation
Française dans un arrêt de la chambre civile du 27 juillet 1937
semble exiger plus qu un intérêt légitime : « attendu
que le demandeur d indemnité délictuelle ou quasi
délictuelle doit justifier, non d un dommage quelconque mais de la
lésion certaine d un intérêt légitime juridiquement
protégé ».22
Toute l attention a été portée sur l
expression « juridiquement protégé » et l on s est
demandé la valeur qu il fallait accorder à ces mots. Sur base de
ce principe en 1937, la cour rejeta l action de la concubine, non seulement
parce que le préjudice qu elle invoque est immoral ou «
illégitime » mais parce que le concubinage ne lui a pas
donné de « droit » à l encontre de son concubin et qu
il ne peut en conséquence, le lui donner à l encontre des
tiers.23
Nous verrons dans la suite que cette question connaîtra
une évolution. L action de la concubine ne sera plus rejetée sur
base du manque d un intérêt « juridiquement
protégé » mais sur base d autres éléments : le
manque de garanties de stabilité et le caractère
délictueux du concubinage.
Section III : LE PREJUDICE ET LA RESPONSABILITE
L action en responsabilité n est engagée que
lorsqu il y a un dommage, une faute et un lien de causalité entre la
faute et le dommage (art. 258, livre III C.C.C). Le dommage joue un rôle
important car l on ne peut agir en justice que dans la mesure où il y a
atteinte à un droit. C est là l application du principe : «
pas d intérêt, pas d action ». Cet intérêt, nous
l avons vu, peut être pécuniaire ou moral.
Cependant malgré cette importance du dommage que nous
venons de souligner, l institution de la responsabilité civile
était présentée en 1804 sous un aspect essentiellement
répressif. C est dire que les rédacteurs du code de
22 MAZEAUD ET TUNE ; Op. cit., p. 390.
La cour a posé ce principe à l occasion d une
action en responsabilité introduite par une concubine à la suite
de la mort accidentelle de son amant.
23 IDEM, p. 390
1804 se sont plus préoccupés du comportement
fautif de l auteur du dommage que du dommage lui-même.24
Suffit-il qu il y ait dommage pour engager la
responsabilité civile ? Non, le seul dommage ne suffit pas, encore
faut-il que ce dommage provienne d un comportement fautif. C est en fin de
compte l affirmation de la primauté de la faute sur le dommage.
Nous comprenons dès lors que plus tard, c
est-à-dire à la fin du XIXe siècle, le principe de la
responsabilité pour faute se soit avéré inadapté et
insuffisant devant le nombre de dommages toujours croissants à la suite
du progrès technique. Aussi, nous écartons de notre étude
l appréciation du dommage et responsabilité civile du point de
vue de la matière qui intéresse le contentieux administratif,
domaine qui apprécie différemment le concept comme « risque
».
Ainsi poursuivons-nous, l expérience occidentale nous
montre que les tendances modernes vont dans le sens d une responsabilité
collective, plaçant en second plan la notion de faute pour se soucier
plus de la victime et pour lui garantir la réparation de tout dommage qu
elle viendrait à subir.
Cependant malgré ce vent nouveau, notre droit
écrit reste encore cantonné dans la conception classique de la
responsabilité ; consacrant un principe individualiste et subjectiviste
qui relègue au second plan la notion de dommage.
La conception du droit écrit dont nous venons de
dégager les principes directeurs s oppose à la conception du
droit coutumier. « Alors que, écrit KALONGO, la conception de la
responsabilité civile est subjectiviste en droit congolais, la
conception coutumière est objectiviste ; le seul dommage subi suffit
pour donner à la victime le droit d exiger réparation sans
fournir la moindre preuve de la faute ou de toute autre cause
génératrice du dommage. Le droit traditionnel semble se soucier
de la victime plutôt que tout état psychique de l auteur du
dommage »25.
Là ne s arrête pas la différence entre
notre système du droit écrit et le droit traditionnel. Nous avons
déjà signalé le fait que les actes dommageables
24 KALONGO MBIKAYI ; Droit civil-Obligations, Cours
polycopié, UNAZA, 1972, P. 134
25 KALONGO MBIKAYI ; Responsabilité civile
et socialisation des risques en droit zaïrois, PUZ, Kinshasa,1979,
P.13-25
sont plus nombreux en droit coutumier qu en droit
écrit. En outre l individu est essentiellement dépendant du
groupe, toute atteinte portée à ses droits se répercute
sur ceux du groupe.
Rien ne nous surprend, cette conception reflète la
philosophie même des Bantous, leur civilisation et l organisation de l
institution familiale. Et c est non sans raison que TEMPELS écrivait que
« le droit positif des Bantous cadre avec leur morale anthologique et tout
droit coutumier digne de ce nom est inspiré, animé et
justifié du point de vue bantou par sa philosophie de la force vitale,
de l accroissement, de l intelligence, de l influence et de la
hiérarchie vitale »26.
Nous venons de dégager une nette différence
entre le droit coutumier et le droit écrit en matière de la
responsabilité civile quant au rôle joué par le dommage
dans les deux droits. Mais quels sont les mérites et les
inconvénients de la conception objective ?
Le droit traditionnel se soucie plus de la victime que de l
auteur du dommage. Tout danger d insolvabilité est écarté
dans ce système ; c est tout le groupe qui répond du dommage
causé par l un de ses membres. Cette conception a le mérite de
prendre en même temps en considération les notions de faute et de
dommage. En effet, dans ce système, la faute n est pas totalement
exclue, elle sert de mesure de réparation. On doit cependant
déplorer le fait que le groupe sur lequel pèse l obligation de
réparer n est pas toujours bien déterminé. C est une
notion élastique qui varie avec les coutumes : tantôt c est le
clan, tantôt c est la cellule familiale. La conception subjectiviste au
contraire en faisant peser la charge de la preuve de la faute sur le demandeur
risque dans beaucoup de cas de laisser la victime dans l incapacité
éventuelle à démontrer la faute de l auteur du dommage. L
habileté du défendeur à prouver son innocence risque de
laisser le préjudice non réparé.
Le droit coutumier est également imprégné
des croyances religieuses ; il est souvent difficile de distinguer le juridique
du religieux car « droit et religion, droit et morale ne font pas
un». Ce caractère sacré n est pas propre au droit
nègre, il semble que « tous les droits anciens, primitifs, avaient
surtout un
caractère religieux. Ainsi les historiens du droit
romain répètent qu avant le « ius », il y a eu le
« fas ».27
Nous estimons pour notre part, qu il faut également
désacraliser le doit coutumier, car l élasticité de la
notion du dommage en droit coutumier ne s explique que par le caractère
magico religieux de ce même droit. Il faut arriver, nous semble-t-il,
à introduire la notion de lien de causalité pour que tout dommage
ne soit pas réparable. Il faut en d autres termes limiter le nombre de
dommages en excluant de cette matière les causes magiques, les croyances
superstitieuses qui sont loin d être du droit.
Mises à part ces imperfections, la conception
coutumière épouse bien la conception moderne de la
responsabilité civile. Sous l influence de tout un faisceau de facteurs
: machinisme, désir de venir en aide à toute victime la
conception du droit écrit est en voie de virer vers celle du droit
coutumier. Le problème qui se pose, c est de remédier aux
inconvénients signalés plus haut. KALONGO espère «
suppléer à l inefficacité de la garantie clanique en
développant la socialisation moderne des risques grâce à l
assurance et la sécurité sociale qui ont chez nous une structure
monopolistique ».28
La proposition de KALONGO est heureuse, estimons-nous. Cette
situation pourra réussir à concilier la tradition et le
modernisme. Habitué à la dépendance du groupe, à
son contrôle et surtout à sa protection, l africain ne pourra pas
se sentir dépaysé en face « des techniques occidentales de
réparation collective du type assurances ou de la sécurité
sociale ».
Nous ne pensons pas nécessaire de marquer une
insistance sur la capacité ou l incapacité (mineur, dément
) de l auteur du dommage moral parce que cette question trouve sa solution par
l application des articles 258, 260, 261 et 262 du code civil livre
troisième.
Nous aimerions ici fixer la curiosité scientifique de
nos lecteurs : le dommage moral dont il est question ici est la
conséquence d un préjudice principal pour lequel on sollicite sa
réparation. C est le cas d une mort
27LAMY E.; Introduction historique et comparative
à l étude du droit coutumier africain,
cours polycopié, U.O.C, 1967 1968,p. 67 reprenant la
théorie de POSSOZ et de Tempels. Cité par KALONGO MBIKAYI, op.
Cit, p. 83
28 KALONGO MBIKAYI ; Droit civil Obligations,
cours polycopié, ULPGL, 1994, p. 177.
occasionnée par la circulation routière (accident)
d un père de famille qui affecte les survivants de sa famille.
Nous voici à la fin de notre premier chapitre.
Après avoir circonscrit la notion même du dommage moral en faisant
l étude de sa définition, ses caractères et de son
rôle en matière de la responsabilité aquilienne, il nous
faudra rechercher à travers la jurisprudence congolaise les divers cas
pratiques par elle rencontrés de façon à en dégager
les différentes catégories du dommage moral. Ce sera l objet de
notre second chapitre.
CHAPITRE II : LES CATEGORIES DU DOMMAGE MORAL.
Le dommage peut épouser plusieurs formes. Passons-les en
revue en procédant à une classification de différents cas
rencontrés ( I. l atteinte a
l honneur et a la considération, II. Atteinte au sentiment
d affection).
Section 1. L ATTEINTE A L HONNEUR ET A LA
CONSIDERATION.
Toute personne a droit à l honneur et à la
considération. C est un des droits inhérents à la
personnalité. Toute atteinte portée à ce droit cause un
préjudice et l auteur du fait dommageable doit répondre des
conséquences de son acte. La jurisprudence congolaise a rencontré
à plusieurs reprises ce cas et chaque fois que les conditions
étaient réunies, elle a accordé des dommages
intérêts pour préjudice moral. 29
L atteinte à l honneur et à la considération
est punie par notre code pénal30 .
Dès lors, avant d accorder des dommages
intérêts, il faut se référer aux faits constitutifs
de l infraction. Que faut-il pour parler d atteinte à l honneur ? Pour
le cas des imputations dommageables, des injures, la jurisprudence exige une
certaine publicité.31
29 : La Cour d Appel de Lubumbashi par exemple a condamné
le directeur d un journal de la place au paiement d un franc à l U.M.H.K
pour réparation du dommage moral qu elle a subi à la suite de la
publication des propos malveillants tenus à son endroit par le dit
journal. Cour d Appel Elis. 29 sept. 1942, voir aussi Trib. de district de
Kibali-Ituri, 25 avril 1930, R.J.C.B 1932, p. 222, Cour d Appel d Elis. 8
janvier 1946, R.J.C.B 1946, P. 16 Appel Elis, 19 janvier 1946, R.J.C.B, 1946,
20, Cité par l assistant de droit pénal comparé ; Cours
non polycopié. ULPGL 1997, inédit.
30 : Art. 74 : « celui qui méchamment et publiquement
aura imputé à une personne un fait précis qui est de
nature à porter atteinte à l honneur ou à la
considération de cette personne, ou à
l exposer au mépris public sera puni d une servitude
pénale de huit jours à un an et d une amende de vingt-cinq mille
francs ou d une de ces peines seulement ».
31 : MINEUR ; Commentaire du droit pénal congolais,
éd. Maison F larcier, Bruxelles, 1953, p. 52
Dans d autres cas, la publicité servira au juge d
instrument de mesure pour apprécier l importance du préjudice
moral subi : « une gifle qui a causé une blessure a provoqué
un dommage matériel et moral à la victime. La gifle qui n a pas
provoqué de blessure cause un dommage moral d autant plus grave qu elle
a été portée en présence des tiers.
En dehors de la publicité, notre jurisprudence tient
compte d un autre élément : l intention de nuire. C est ainsi qu
elle estime que « ne peut être rendu responsable des
conséquences dommageables de sa dénonciation celui qui adresse
une plainte à l autorité judiciaire alors qu il a des raisons
sérieuses de croire que le fait dénoncé est constituf d
infraction.
Une plainte injustifiée peut également porter
atteinte à l honneur et à la considération de quelqu un.
En effet « celui qui par une plainte injustifiée met
inconsidérablement la justice répressive en mouvement engage sa
responsabilité quant aux conséquences de son acte. Il doit
indemniser celui contre qui il a porté plainte de l
entièreté du dommage que ce dernier a subi de ce fait de son
action téméraire et vexatoire.33
La rupture des fiançailles peut être
également considérée dans une certaine mesure comme une
atteinte à l honneur et peut de ce fait engager la responsabilité
de l auteur de l acte dommageable. Mais le problème des
fiançailles pose la question de leur nature juridique. Les
fiançailles constituentelles un contrat ? Si oui sa rupture peut-elle
entraîner une réparation ?
M. M. Pirson et de Villé signalent que la jurisprudence
Belge est divisée à ce sujet ; une partie de la jurisprudence
estime que le seul fait de la rupture sans motif légitime est
constitutif de faute ; une autre partie est d avis que
l absence de motif légitime ne suffit pas, il faut en
outre une faute distincte de la rupture34.
Cette assertion a été critiquée par M.
BOUILLENNE qui affirme à son tour qu il n existe pas de clans (l
expression est de M. BOUILLENNE) dans la
33 Cour d Appel d Elis. 2 janvier 1925, p. 281.
Cout. Bena Bayashi, Terr. Kongolo n° 45 et n° 89, B.J.L n° 3,
1933, P. 53, Cout. Bangengele, trib.non Cité (Kindu) 1948, B.J.I.
n°8 ? 1952, p. 233 ; Terr. Kasenga n° 23, 20 sept. 1950, B.J.I
n° 7,
1950, p. 218 avec note.
34 BOUILLENNE R. ; La responsabilité civile
extra-contractuelle devant l évolution du droit,
jurisprudence Belge. En effet, chaque fois qu il fallait
savoir si les fiançailles constituaient un contrat, la jurisprudence
Belge a toujours répondu par la négative. Cependant « au nom
de l équité qui exige que tout préjudice réel et
certain soit réparé, elle ordonnait la réparation qui
était due cette fois non pas en raison de la rupture elle-même
mais en raison des faits dommageables dont elle a été l occasion
».
Pour étayer son opinion, Bouillenne fait appel à
plusieurs décisions rendues par les tribunaux belges et qui d
après lui tranchent bien cette question. Un arrêt de la Cour d
Appel de Bruxelles, écrit-il, a nettement situé la position de la
jurisprudence : « attendu que la rupture ne pourrait être
imputée à la faute que dans des cas exceptionnels et lorsque les
circonstances et modalités de cette rupture créeraient des
éléments extrinsèques à la rupture eux-mêmes
; des actes dommageable »35.
Pour cette jurisprudence donc, les fiançailles ne
constituent pas une situation contractuelle, il s agit d un stade pré
conventionnel, d une situation de pur fait ne donnant naissance qu à de
simples obligations morales. Dès lors la faute qui donne naissance
à des dommages-intérêts réside non dans la rupture
comme telle mais bien dans la manière dont celle-ci s est accomplie :
raison injurieuses, publicité outrageante, etc.
La jurisprudence Congolaise a adopté la position de la
jurisprudence Belge. La jurisprudence coutumière semble abonder dans le
même sens : « la rupture d un contrat de fiançailles sans
motif suffisant peut entraîner une condamnation à des
dommages-intérêts ».36
Mais la jurisprudence emploie l expression « contrat de
fiançailles » ; est-ce dire que le droit coutumier a une autre
conception de la nature juridique des fiançailles ? C est notre avis. D
ailleurs l expression même « contrat de fiançailles »
est mal choisie, elle n est pas à sa place. Le droit coutumier ne
Bruxelles,, Ets. Bruylant, Paris, L.G.D.J, 1947, p. 195.
Cité par KALONGO op. Cit.
35 KALONGO MBIKAYI. Op Cit. P 83. La
jurisprudence des cours et tribunaux de Goma semblent s inspirer de ces
convictions sans néanmoins faire référence directe
à ces auteurs.
36 (1) Cour d Appel Goma RPA 509 (rôle
Pénal en appel)
(2) Art. 259 code civil livre 3 « chacun est responsable du
dommage qu il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa
négligence ou par son imprudence »
(3) Cour d Appel de Léopoldville 23 mars 1954 RJCB 1954
p. 198 cité par KALONGO
connaît pas de fiançailles au sens occidental du
terme. C est à dire une situation de pur fait, un stade
précontractuel qui n a d autre effet que la naissance de simples
obligations morales. En droit coutumier, ce que le droit écrit appelle
fiançailles, est un état de droit faisant naître des
obligations réciproques dans le chef des parties en présence.
§1.
Etude de cas d adultère.
Comme l atteinte à l honneur et à la
considération, l adultère peut causer un préjudice moral
certain qui demande réparation. La Cour d Appel de Goma a
déjà corroboré ce point de vue : « l adultère
dont un prévenu s est rendu coupable a causé un préjudice
certain tant à son épouse qu au mari de sa complice,
préjudice dont celui-ci est fondé à réclamer
réparation conformément au principe général de l
article 258 du Code Civil livre troisième».37
§2. Etude du cas de concurrence
illicite.
Dans un régime libéral, basé sur la
liberté de commerce, sur le plan civil, la concurrence illicite peut
causer un dommage soit matériel, soit moral. « Tombe sous le coup
des articles 258 et 259 (2) du Code Civil livre III le fait de dénigrer
le produit d un concurrent pour vanter par comparaison l excellence de ses
propres produits. Si le préjudice causé est d ordre moral
plutôt que matériel, la publication de l arrêt constitue la
réparation la mieux adaptée aux dommages38 ».
Section II. L ATTEINTE AUX SENTIMENTS
D AFFECTION.
Nous sommes ici en plein domaine des sentiments où la
sagacité du juge sera à, maintes reprises mise à l
épreuve. Il s agira pour lui, dans chaque cas
MBIKAYI, idem p. 93
37 (1) : cour d Appel de Goma. RPA 509, annexée
?
(2) : Art. 259 : « Chacun est responsable du dommage qu il
a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence
ou par son imprudence ».
(3) : Cour d Appel de Léo, 23 mars 1954, R.J.C.B 1954, p.
198. Cité par KALONGO MBIKAYI, Op. Cit. p 68
38 : Cour d Appel de Léo, 28 septembre 1954, R.J.C.B 1955,
p. 89
d espèce de calculer, mesurer la souffrance de ses
semblables. La jurisprudence congolaise a rencontré ces cas plusieurs
fois ; les décisions rendues en cette matière sont
nombreuses.39 A la lumière de tous les différents cas
examinés, nous prouvons dire que les dommages moraux les plus
fréquents dans notre jurisprudence restent sans conteste l atteinte
à l honneur et aux sentiments
d affection.
Une fille est écrasée par une voiture, la Cour d
Appel de Léo accorde des indemnités pour dommage moral aux
parents40. Une femme et un enfant perdent leur mari et leur
père dans un accident d automobile, l auteur de l acte dommageable
indemnise la veuve et l enfant pour dommage moral41.
L Administration n échappe pas à cette
obligation de réparer. Si à la suite de sa négligence les
routes publiques mal entretenues constituent à certains endroits un
véritable danger pour la circulation et provoque des accidents où
des vies humaines sont sacrifiées, il y a là lésion
manifeste d un droit civil, l Administration engage sa responsabilité :
la veuve de la victime, le frère du défunt ont droit à des
dommages-intérêts pour réparation du dommage moral qu ils
ont subi.42
Ce premier titre de notre travail nous aura permis de
circonscrire la notion qui fait l objet de notre étude : le dommage
moral. Nous en avons étudié la définition, les
caractères et le rôle dans la responsabilité civile. Nous
avons souligné relativement à ces questions l opposition entre le
droit écrit et le droit coutumier. Après avoir ainsi
défini l objet même de notre étude, voyons maintenant dans
notre second titre, les problèmes posés par la réparation
du dommage moral.
39 : Cour d Appel d Elis. 17 mai 1960, R.J.C.B 1961, p. 13 ;
Cour d Appel d Elis 26 mais 1964, R.J.C.B 1964, P.176, Cour d Appel 23 mars
1965, R.J.C 1965, P. 211, Cour d Appel d Elis. 10 juillet 1943, R.J.C.B 1944,
P.48
40 : Cour d Appel de Léo, 28 septembre 1954, R.J.C.B,
1955, p. 89, R.J.C.B 1955, P. 1944, p. 89.
41 : Cour d Appel d Elis. 17 mai 1960, R.J.C.B 1961, P. 13
TITRE II : DU PRINCIPE DE LA REPARATION DU
PREJUDICE MORAL
CHAPITRE I : CONTROVERSE RELATIVE A LA REPARATION DU
DOMMAGE MORAL
Le problème de la réparation du préjudice
moral est une vieille question. Le droit romain l avait déjà
rencontré et tranché. En effet, dans la vie, la notion de valeur
ne consiste pas seulement en argent, au contraire il y a outre l argent,
d autres biens auxquels l homme civilisé attribue une
valeur et qu il veut voir protéger par le droit.43
Mais si le droit romain a pu trouver une solution à ce
problème, notre doctrine reste encore partagée. Dans ce chapitre,
nous exposerons d abord cette controverse et déterminerons ensuite la
position du droit Congolais.
SECTION 1 : LES OPPOSANTS A LA THESE.
Les négateurs du principe de la réparation du
dommage moral partent des principes généraux qui gouvernent la
responsabilité civile et affirment qu il n est pas possible d assurer
cette réparation sans violer ces principes.44
Il y a d abord le but de l institution elle-même.
Pourquoi l auteur d un dommage doit-il verser des
dommages-intérêts à la victime ? C est pour réparer,
répondent-ils, c est « pour que la victime se retrouve à
nouveau dans la situation où elle était placée
antérieurement ». Et l argent ne répond sûrement pas
à ce but car « mille ou cent mille francs répareront-ils les
blessures qui
42 : Ière Inst. Elis. 8 juillet 1931, RJCB p. 151
43 : PHILIPPE LE TOURNEAU, Responsabilité civile,
Paris,2è édition,1982,P44.
44 : MAZEAUD ET TUNC, op. cit, P. 388
défigurent, les souffrances endurées, un
préjudice moral quelconque ? Certes, non ; le mal est fait, il est trop
tard pour le « réparer » ; l argent n y peut rien, parce qu il
ne s agit pas d argent ».45
Ainsi, la douleur, les souffrances ne peuvent pas se monnayer.
N est-il pas répugnant d égaliser la joie de toucher une somme d
argent avec l atteinte à la pudeur ou à l honneur de la victime
ou avec la peine que lui cause la mort
d un enfant ? Prêter à la victime le but de faire
réparer une souffrance aussi haute par une joie aussi vulgaire, serait
la rendre méprisable.46
C est cette même idée qu exprime sous le
régime des Tsars, Cherchevirch quand il écrit : « la
législation qui établit le principe de la compensation en argent
du préjudice moral inspire dans l esprit des citoyens des motifs
immoraux. Il faut être pénétré d un profond
mépris de la personne
d un homme pour lui suggérer que l argent est capable
de donner une compensation aux souffrances morales de toute sorte. La
transformation d un préjudice moral en argent est le résultat de
l esprit bourgeois qui apprécie tout en argent, qui considère que
tout est à vendre »47. Nous comprenons très vite
cette position qui est le reflet d un courant politique de l époque
« le communisme ».
Le juge se trouve donc dans l impossibilité d
évaluer le juste prix du préjudice moral. Comment évaluer
la douleur, l affection de quelqu un ? Sur quels éléments se
baserait-on ? Question difficile et pour sortir de l impasse, le juge sera
obligé de proportionner la réparation à la faute ; la
réparation prendra ainsi le caractère d une peine privée.
Le juge va par ce fait même violer le principe de la
responsabilité civile : « au lieu de réparer, le juge civil
va punir »48.
45 : IDEM, Op. cit., P.389
46 : SAVATIER, R: Traité de la responsabilité
civile, T. II, 2è éd. Paris PUF, incomplet.
47 : De page, H; Traité élémentaire de
Droit civil Belge, Bruxelles, Ets. Bruylant, 1964, p. 954.
48 : MAZEAUD ET TUNC ; op cit. 389 et 390.
Cependant, à coté de ces négateurs, nous
avons des systèmes intermédiaires accordant des dommages
intérêts dans certains cas et les refusant dans d autres : ces
sont des systèmes mixtes.49
Certains auteurs50 estiment en effet que la
réparation n est possible que dans la mesure où le
préjudice moral a une incidence matérielle.
On a objecté à ces auteurs que cette
façon d envisager le problème reviendrait à affirmer que
seul le dommage matériel pouvait être réparé. «
Autant dire, écrivent MAZEAUD et TUNC que le préjudice moral ne
peut être réparé »51.
D autres font une distinction entre le préjudice moral
causé par une infraction pénale et celui qui n est pas
causé par elle52. Ce n est que dans la première
hypothèse seulement que l on admet la réparation du dommage moral
distinct de tout préjudice pécuniaire.
D autres encore, au lieu de baser leur distinction sur la
nature de la faute, ils tirent cette distinction du dommage. Ils divisent les
préjudices moraux en préjudices moraux relatifs à la
partie sociale du patrimoine moral et à la partie affective de ce
même patrimoine.53 La réparation est admise dans le
premier cas et ne l est pas dans le second cas. Les atteintes à l
honneur, estimet-on, entraînent presque toujours avec elles un
préjudice matériel. Il est dès lors possible de traduire
les atteintes à l honneur en argent et non celles aux sentiments.
Que penser de cette thèse ?
L argumentation des négateurs de la réparation
du préjudice moral est solide. Cependant, faisons remarquer que la
réparation en nature que semblent viser les négateurs du principe
de la réparation du dommage moral n est pas le
49 : IDEM : Op Cit p. 386
50 AUBRY et RAU, 5e éd. T VI §
445, P. 345 cité par MAZEAUD et TUNC, Op Cit, 387
51 TREBUTIEN, cours élémentaire de
droit criminel, T.I n° 129 MANGIN, De l action civile, T.II, N°
123 ; Laborde, « Examen doctrinal », Rev. Crt. Légis et Juris,
1894, p. 26 cités par MAZEAUD ET TUNC : Op Cit. p. 387
52 Voir MAZEAUD et TUNC op cit. 386
53 AUBRY ET RAU ; Op cit 5e
éd. T. VI & 445, p. 345, cité par MAZEAUD et TUNC, Op
Cit, 387
seul mode de réparation. Il en existe d autres qui
pourraient convenir au dommage moral.54
La difficulté d évaluer le préjudice
moral est réel. Nous pensons cependant que ces difficultés d
évaluation se rencontrent également dans le cadre du dommage
matériel. Toute évaluation est subjective et nous ne pouvons pas
prétendre, même dans la réparation du dommage
matériel à une parfaite reconstruction du passé. D
ailleurs, comme nous le verrons dans les développements qui vont suivre,
les partisans du principe de la réparation du dommage moral n ont jamais
perdu de vue tous ces problèmes.
SECTION 2 : LES TENANTS DE LA THESE
Il n existe pas, bien sûr, de commune mesure entre la
souffrance morale et la somme d argent allouée à titre de
dommages-intérêts. Les défenseurs du principe de la
réparation du dommage moral admettent volontiers qu une
équivalence rigoureuse entre l argent et la souffrance ne peut
être établie55.
Mais, pensent-ils, il faudra surtout s entendre sur la
signification du terme « Réparer ». Quelle est sa
portée exacte ? Réparer, ce n est sûrement pas remettre en
état égal à celui qui existait avant l accident.
Réparer pour eux, « ce n est pas toujours refaire ce que l
on a détruit, c est le plus souvent donner à la victime la
possibilité de se procurer des satisfactions équivalentes
à ce qu elle a perdu. Le véritable rôle des
dommages-intérêts est un rôle satisfactoire
»56. Ces dommages-intérêts vont jouer un
rôle compensatoire, ils ont un effet psychologique certain sur la victime
du préjudice.
Cependant les tenants du principe de la réparation du
dommage moral n ont pas complètement ignoré le danger qu il y
avait à « marchander sur
l honneur et la douleur ». Cette critique les a conduits
à la recherche d un autre fondement : l indemnité allouée
n aura plus un caractère compensatoire mais elle est
considérée comme une peine privée ; elle sert plus
à l affirmation d un droit qu à compenser un dommage. R. SAVATIER
explique le rôle joué par les
54 Voir section III titre II du présent
travail.
55 MAZEAUD ET TUNC ; op cit p. 389 et 390.
56 SAVATIER, R ; traité de la
responsabilité civile, T. II, 2ème éd.,
N° 525 et S. DEMONGE : traité des obligations en
général. T IV n° 405 ; Boistel, Philosophie du
Droit T.I, P, 461 ; GANOT ; la réparation du préjudice
moral, thèse Grénoble 1938 cités par MAZEAUD et TUNC
p, 390
dommages-intérêts en pareil cas, en ces termes :
« le rôle que nous donnons aux dommages-intérêts soit
pénal, soit d affirmation permet d éviter le reproche d
arbitraire qui a souvent été fait aux indemnités pour
préjudice moral Notre système permet plus facilement d
éviter au débat le caractère
d un marchandage de l honneur, de l affection puisqu il s agit
de réagir contre
l acte et non de l affamer même par une compensation. Rien
ici n aura le caractère d un bénéfice »57
.
Cette idée de peine privée expliquera l
influence sur l évaluation du dommage moral du degré de
culpabilité de l argent, de l étendue de ses ressources. Elle
poussera également les tribunaux à frapper plus lourdement
l auteur du dommage moral s il n est pas déjà
atteint par la réparation d un préjudice matériel. Aussi
si la victime d un accident mortel blesse beaucoup de parents proches, «
leurs affections réunies ne seront pas indemnisées à
proportion de leur nombre parce que l indemnité dépasserait alors
la sanction équitablement encourue par le responsable. A la limite,
lorsque celui-ci leur semblera déjà suffisamment frappé ;
les tribunaux pourront toujours se restreindre à une condamnation
symbolique.
Le dernier argument présenté par les
défenseurs de la réparation du dommage moral est un argument de
texte. En effet, l article 258 correspondant à l article 1382 du code
Napoléon parle de la réparation du dommage tout court. Il ne fait
pas de distinction entre le dommage matériel et le dommage moral. Ce
serait violer le texte que de vouloir arbitrairement limiter le sens du terme
« dommage » aux seuls dommages matériels58.
Nous adhérons personnellement à cette
thèse. Elle a eu le mérite
d affirmer qu à côté des droits
patrimoniaux, il existe également des droits extra patrimoniaux »,
« non économiques » dont la violation mériterait bien
une sanction, une réparation. Certes, cette réparation reste
difficile, mais nous ne pouvons pas nous retrancher derrière cette
difficulté d appréciation pour
57 SAVATIER, R; Op Cit. p. 51
58 MUKADI BONYI ; Droit civil des obligations,
cours non polycopié p. 34 ULPGL/UNIKIN 1994 1995, inédit.
méconnaître un droit certain et réel.
Cette thèse est d autant plus solide qu elle se fonde sur le texte
même de l article 1382 du code Napoléon. Les dispositions de ce
texte restent générales et n excluent pas le dommage moral. En
outre, l équité exige que celui qui a causé un dommage ;
celui qui a posé un acte fautif puisse répondre des
conséquences de son acte.
SECTION 3: LA THESE CONGOLAISE
La jurisprudence congolaise admet le principe de la
réparation du dommage moral59. Certes, il y a pas de commune
mesure entre l argent et la souffrance, mais la réparation bien qu
imparfaite reste possible. Les dommages-intérêts alloués en
pareil cas revêtent un caractère compensatoire60.
Tout en admettant la réparation du dommage moral, le
juge Congolais ne nie pas la difficulté qu il a à établir
une équivalence entre la souffrance et
l argent. Cette difficulté transparaît à
travers certaines formules employées par notre jurisprudence. En
effet, dire que compte tenu de la délicatesse de la matière,
le droit Congolais reconnaît au juge un certain pouvoir
discrétionnaire.
L appréciation du juge est souveraine. C est lui qui, d
après les circonstances de fait, réduit ou augmente le montant
des dommages-intérêts61.
Cependant, la jurisprudence congolaise entretient parfois une
certaine confusion entre le dommage matériel et le dommage moral.
Certaines décisions traduisent bien la nécessité de
distinguer ces deux catégories de dommage62,
d autres se passent de cette distinction ou ne retiennent qu
un seul aspect là où il faut retenir les deux63. Mais
cette confusion ne sera que temporaire car notre jurisprudence connaîtra
dans la suite une évolution manifeste, elle se rendra compte que la
réduction de la capacité physique peut entraîner un
préjudice
59 Voir Cour d Appel de Léo. 28 septembre 1954
R.J.C.B 1955 p. 89 cour d Appel d Elis. 17 mai 1960 R.J.C.B 1961 p. 13 cour d
Appel 26 mai 1964 R.J.C.B 1946 p 179.
60 Cour d Appel d Elis 19 janvier 1946 R.J.C.B, p. 20,
Cour d Appel d Elis, 29 septembre 1942, R.J.C.B, 1945, p. 1 Trib.
Des District du KIBALI ITURI, 25 Avril 1960 R.J.C.B 1932.
61 Cour d Appel d Elis 17 mai 1960 R.J.C.B 1961 P. 13
Cour d Appel d Elis 23 mars 1965 R.J.C.B 1965 P. 211.
62 Tribunal de 1ère Instance Elis
R.J.C.B 1963 p. 186
63 Cour d Appel Léo 4 octobre 1956 R.J.C.B 1957
p. 87 Trib 1ère instance d Elis, 27 février 1961
R.J.A.C 1962 avec note.
matériel bien distinct du préjudice
moral64. Il est aussi à constater que les juristes (juge ou
avocat) utilisent la formule : tous préjudices confondus.
En relevant cette évolution, nous pouvons donner raison
à LAMY qui en 1961 déjà s insurgeait contre une
décision du Tribunal de 1ère Instance d Elisabethville
qui avait estimé qu il y avait lieu de confondre le dommage
matériel et le dommage moral au cas où le préjudice
atteindrait une victime n exerçant pas de profession lucrative au moment
de l accident. « Nous ne croyons pas, écrivait-il, que ce soit dans
l état actuel de l évolution de la jurisprudence, une
règle constante que de confondre dommage matériel et dommage
moral, même dans le cas où la victime avant l accident qui a
entraîné une invalidité permanente n exerçait pas
une activité lucrative .. A côté du dommage
matériel, il peut toujours subsister un éventuel dommage moral
comme les craintes pour l avenir, le préjudice esthétique, le
sentiment d une déchéance physique, d ennui constant d une
gêne, etc. »65 La position de notre jurisprudence se
justifie. Les raisons qui ont justifié notre adhésion à la
thèse des défenseurs du principe de la réparation du
dommage moral peuvent trouver leur place ici.
Après avoir dégagé la position congolaise de
controverses doctrinales, il nous faudra maintenant examiner les
différentes questions relatives à l action en réparation
du préjudice moral en droit congolais.
64 Notre opinion se fonde sur l étude
même de la jurisprudence. Alors qu avant 1963, certaines décisions
confondaient les deux catégories de dommage (voir note 2) à
partir de 1963 la tendance jurisprudentielle marque bien la
nécessité se distinguer les deux catégories de dommage ;
voyez les références données à la note 1.
65 Confère note sous Trib. De
1ère Instance d Elis ; 27 février 1961 R.J.C.B
1962.
CHAPITRE II : L ACTION EN REPARATION DU PREJUDICE
MORAL EN DROIT CONGOLAIS
SECTION I : LES BENEFICIAIRES DE L ACTION EN
REPARATION.
§ 1. Position doctrinale et légale.
Une fois que le dommage, la faute et le lien de
causalité sont établis66 la victime du dommage a droit
à l exercice de l action en réparation. Le problème ne
présente pas de difficulté quand il s agit de dédommager
la victime directe de l acte fautif.
Mais la question devient difficile à résoudre
à partir du moment où le préjudice atteint plusieurs
personnes à la fois. En effet, les conséquences d un accident
mortel par exemple peuvent porter préjudice à plusieurs individus
; un décès cause presque toujours de « véritables
catastrophes bouleversant la situation de tous ceux qui croyaient pouvoir
compter pécuniairement sur le disparu et semant la douleur chez tous
ceux qui avaient pour lui une affection véritable ». Dès
lors comment limiter des actions en réparation intentées à
la suite d un décès accidentel ?
66 : Voir cependant la valeur de ces éléments en
droit coutumier in : KALONGO MBIKAYI : problèmes d adaptation des
principes moteurs de la responsabilité civile en droit privé
zaïrois in cahiers (ex-études Congolaises), n° 1 mars avril
1970.
Toutes ces personnes peuvent-elles bénéficier d
une action en responsabilité contre l auteur du décès ? C
est là tout le problème des bénéficiaires de l
action en réparation du dommage moral. Faut-il limiter la liste des
bénéficiaires de cette action ? Si oui comment fixer cette limite
; quels sont les critères de limitation ?
§ 2. Adoption d un critère
général : « Les liens de
parenté ou d alliance»
La jurisprudence congolaise a fixé un critère
général au regard duquel doivent s apprécier l affection,
la douleur de la victime d un dommage. « Le dommage moral, en effet,
résulte des liens étroits de parenté ou d alliance qui
unissent la victime à ceux qui demandent réparation, il s
apprécie sur base de ces liens, ex aequo et bono »67. Il
convient d analyser ce critère et en donner la portée
réelle. Que faut-il entendre par « liens de parenté ou d
alliance » ?
§ 3. Analyse de ce
critère.
Le dictionnaire du Droit définit la parenté
comme « le lien entre deux personnes descendant en ligne directe ou en
ligne collatérale soit l une de
l autre soit toutes deux d un auteur commun. La ligne directe
se subdivise en ligne ascendante et en ligne descendante. On distingue
également la ligne paternelle et maternelle »68.
Par ailleurs les alliés sont « des personnes non
parentées qui viendraient à la suite d un mariage se joindre
à la famille. L alliance n engendre des rapports qu entre chaque
époux et les parents de l autre »69.
Ce critère est général. Si notre
jurisprudence veut rester logique avec elle-même, elle devra chaque fois
qu elle y recourra, donner au terme « parent » une portée
générale : ce terme devra viser aussi bien les parents
67 Cour d Appel de Léo, 28 sept 1954, R.J.C.B
1955, p. 89 ; Cour d Appel d Elis. 17 mai 1960, R.J.C.B 1961, p. 13 Cour d
Appel juillet 1943, R.J.C.B 1944, P. 48
68 Dictionnaire de Droit, T II, paris, librairie
Dalloz, 11, 1960.
Nous aurons pu partir des définitions Zaïroises, mais
la jurisprudence écrite qui pose ce critère ne définit
nulle part ce qu elle entend par parenté ou alliance. Il faut donc tenir
compte du fait que les termes parenté et alliance auront une coloration
différente selon que nous voyons les problèmes sous l angle droit
écrit ou celui de droit coutumier. On
consultera à ce sujet pour plus de détail KALONGO
MBIKAYI, in responsabilité civile et socialisation de risque en droit
Zaïrois P. 32 à 37.
69 Dictionnaire de Droit précité, p.
250. D.I.64.1.99, S. 63. 1. 231 cité par H. Mazeaud : op. Cit. p. 79
germains, consanguins qu utérins. Il existe
également plusieurs sortes de parenté : la parenté
naturelle et la parenté adoptive.70
Cette formule a été reprise par la jurisprudence
française. Pour cette jurisprudence, ce critère a
été d une grande utilité dans la recherche des solutions
aux problèmes que pose la réparation du dommage moral. Il traduit
un net progrès quand nous le comparons à la formule encore plus
générale dont a usé la cour de cassation française
dans un arrêt de sa chambre criminelle du 20 février 1863 et dans
lequel elle affirmait qu on ne pouvait pas tenir compte de la nature du lien
qui doit unir en cas de décès la victime du fait avec lui de ses
ayants droit qui en demanderait réparation »71 .
Beaucoup d arrêts de la Cour de cassation
française vont dans la suite reproduire textuellement ce
motif72 sans se rendre compte du fait que la cour de cassation n
avait usé de cette formule que pour « rejeter certaines
distinctions qu on lui demandait d établir entre les membres de la
famille de telle sorte qu elle ne voulait peut-être point affirmer par
là que le cercle des réclamants puisse dépasser celui de
la parenté et d alliance ».
Cette erreur sur la portée réelle de la formule
de la cour de cassation a amené les juridictions inférieures
à interpréter à la lettre l arrêt
précité de 1863. Cette interprétation aboutissait à
l affirmation selon laquelle « toute personne se prévalant d une
douleur réelle, quel que soit le lien l unissant au défunt
(parenté, alliance, amitié ) devait obtenir réparation
». Aussi verrons-nous dans la suite non seulement des parents
éloignés mais aussi des personnes sans lien de parenté ni
d alliance avec la victime, de simples amis et même des concubines
admises à se plaindre de la lésion éprouvée par
leurs sentiments
d affection.
70 Idem p. 249 (Gaz. Pal. 1924.2.145, pars, 6
février 1929 (rapporté sur pouvoir par Crim. 31 oct. 1930, vo
Marty, note S. 1931.1.38 (VI) cités par H. MAZEAUD : op. Cit p. 79,
71 D.I..64.1.99, S.63. 1.231 cité par H.
Mazeaud : Op. Cit p. 79 Req. 2 février 1931 (D.P 1931.1.18) et rapport
Pilon, S.
1931.1.1923 cité par H. MAZEAUD : op.cit.p.79 Voir Pilon
rapport précité (D.P 1931.1.38) (IX-X) cité par H. MAZEAUD
:
Op.cit.p.80 Voir rapport Pilon cité par H. MAZEAUD
:p.80,11 mai 1928 (S.1928.3.98) et note de M. HAURIOU cité par H.
MAZEAUD p ; 80 : op. Cit. p. 80
72 Sur cette jurisprudence, voir Pilon, rapport sous
Reg. 2 février 1931 (D.P 1931.1.38) cité par MAZEAUD H. :Op. Cit.
p.79
Voir rapport Pilon cité par H. MAZEAUD : Op Cit.p.79 H.
MAZEAUD : op.cit p. 79, Montpellier, 24 juin 1924. Gaz. Pal. 1924.2.145, Paris,
6 février 1929 (rapporté sur pouvoir par Crim. 31.10.1930, Vour
Marty, note S.1931.1.38(VI) cité par H. MAZEAUD : op.Cit, P.79
Devant cette multitude d actions contre un seul responsable, il
faudra attendre l arrêt du 2 février 193173 pour voir
apparaître un critère nouveau, une nouvelle formule plus
restrictive que la première : « le lien de parenté ou
d alliance ». Le principe est posé : seuls les
parents et alliés peuvent exercer
l action en réparation. Mais pourquoi la chambre des
requêtes a-t-elle posé ce critère ?
La première explication réside dans le souci de
limiter le nombre d actions. La seconde est celle proposée par la
doctrine. Elle est d ordre juridique et part du fait que le « dommage doit
porter atteinte à un droit acquis ». Ce que l on exige ici est non
seulement la certitude du dommage mais aussi et surtout la lésion a un
droit. C est ce sens qui a été adopté par le conseil d
Etat. Malheureusement comme le souligne H. Mazeaud, cette justification ne
pouvait pas conduire à la limitation admise par la chambre des
requêtes. Dans le cadre de notre travail, le droit lésé
reste sans doute le droit à l affection. Peut-on alors limiter ce droit
à l affection ? il faut admettre que les parents et alliés sont
nombreux. Est-il possible de leur permettre d agir tous, chacun pour son
compte, en réparation de la douleur éprouvée ?
C est ici qu apparaît la faiblesse du critère.
Sans être dépourvu de toute utilité, ce critère ne
joue pas réellement son rôle qui est celui de limiter le nombre d
actions. Cependant il faut reconnaître qu il est difficile de poser dans
une matière aussi délicate, des critères rigides sans
courir le danger de verser dans l arbitraire. Le juge ne devrait pas se sentir
trop prisonnier de ce principe.
Nous venons de situer le critère de « lien de
parenté ou d alliance » et de démontrer en quoi il a
constitué pour la jurisprudence française qui s en est servi la
première, un progrès manifeste. Il nous reste à voir son
application réelle aussi bien en France qu au Congo.
73 Req. 2 février 1931 (D.P 1931.1.18) et
rapport PILON, PILON, S. 1931.1.1923 cité par MAZEAUD H. : Op. Cit, P.79
Voir Pilon.
Rapport précité (D.P 1931.1.18) (IX-X) cité
par H.MAZEAUD :Op.Cit, P.80
a) Sa portée réelle.
Le critère « liens de parenté ou d alliance
» est resté, comme nous venons de le voir, dangereux, il est
général. La jurisprudence française l a exploité
à fond. Elle a allongé la liste des personnes qui peuvent agir en
justice contre le responsable de l acte fautif. Cette action
réservée d abord au conjoint, aux enfants et aux ascendants du
défunt, a été étendue à des frères et
s urs du défunt, aux grands parents d un enfant naturel et finalement
à toute personne pouvant justifier d une simple communauté de vie
avec la victime. C est ainsi que la filleule d une victime peut avoir droit
à l action en réparation, qu une mère naturelle,
même sans avoir reconnu son enfant pouvait bénéficier de l
action dans la mesure où elle avait possession d état de
mère naturelle. N estil pas un cas d indignité ?
Les tribunaux français ont parfois
dépassé le cadre circonscrit par le critère de lien de
parenté ou d alliance en admettant par exemple, l action d une
fiancée, celle de toute personne justifiant d une simple
communauté de vie avec la victime, etc.
Cette « extension funeste » a inquiété
certains auteurs. « Actuellement, écrit DE PAGE, on peut voir des
frères indifférents ou hostiles l un à l autre, de
beaux-parents qui haïssent du fond du c ur leurs beaux enfants, se
souvenir de leur affection « légale » pour la monnayer. Et qui
sait, continue-t-il, où l on s arrêtera dans cette voie, à
présent que toute limitation sérieuse a disparu : l
arrière petit cousin, l ami, le voisin vont bientôt être
conviés au partage du butin »74.
Notre jurisprudence n a pas encore connu de cortège d
ayants droit. Cette situation, nous semble-t-il, s expliquerait par le fait que
le plus souvent les gens ignorent leurs droits et n introduisent pas toujours
des actions en réparation du dommage moral, subi à la suite du
décès accidentel d un parent. Des quelques cas examinés,
il ressort que la liste des « demandeurs se limite soit au conjoint et aux
enfants quand il s agit du père ou de la mère qui est
74 H. DE PAGE; Traité
élémentaire du droit civil belge, Bruxelles, Ets. Bruylant,
1964, P. 953.
victime, soit aux parents au sens strict quand la victime est
un enfant .75 Est-ce à dire que tous les autres parents et
alliés : frères, s urs, neveux, cousins, beaux-parents, amis n
ont pas droit à l action en réparation ? Nous ne le pensons pas.
Et c est ici que l on peut poser le problème de l avenir et se demander
quelle serait la position des tribunaux Congolais devant les actions
d un frère, d une s ur, d un cousin Devront-ils les
déclarer fondées ? C est une question de politique
législative et de culture de prétoire qui semble engendrer peu d
intérêt pour le congolais dans ce cas de question
préjudicielle.
Nous pensons personnellement que pour rester logique avec
elle-même, la jurisprudence congolaise devra admettre toutes ces actions.
Notre opinion se fonde sur le fait que l article 258 de notre code civil, livre
III milite en faveur de cette solution, compte tenu du caractère
général de ses termes ; ensuite le critère de « lien
de parenté ou d alliance » adopté par la même
jurisprudence reste à son tour général ; il inclut aussi
bien l action d un frère, d une s ur,
d un cousin que celle d un beau-père. Néanmoins
une liste, pensons-nous, s impose car le caractère général
de cet article ne saurait à tout coup justifier uniquement cet
article.76 Le problème est encore plus délicat sur le
plan du droit coutumier où la solidarité jouant, la notion de
parenté est encore beaucoup plus ressentie. Peut-être, pour ne pas
retomber dans l excès, faudra-t-il que les tribunaux congolais en
arrivent à une meilleure formule qui « se tiendrait à
égale distance entre l excès de généralité
et l excès de précision », mais osons car dit-on, du choc
des idées jaillit la lumière.
b) Possibilité d une pluralité d ayants
droit
Comme nous venons de le voir, le critère adopté par
notre jurisprudence est général. Son seul avantage, c est qu il
permet d exclure du bénéfice de
l action en réparation tous les non parents et les non
alliés.
75 Cour d Appel de Léo, 27 sept. 1954, RJCB
1955, P. 89 Cour d Appel d Elis, 17 mai 1960, RJCB 1961, P.13 Cour d Appel d
Elis, 26 mai 1964, RJCB 1964, P. 176. Cour d Appel d Elis, 23 mars 1965, RJCB
1965, P. 211.
76 Voir section 2, Titre II du présent
travail.
Cependant le danger de voir le responsable aux prises avec une
multitude d actions subsiste. En effet, il existe encore beaucoup de familles
nombreuses et la jurisprudence française nous donne l exemple d un
responsable aux prises avec une foule d enfants, frères et s urs,
père et mère.
C est encore la jurisprudence française qui nous donne
l exemple d un cas où seize personnes, toutes proches parents
réclament réparation de la douleur causée à chacune
d elle par un décès accidentel.77
En droit coutumier, le problème présente la
même difficulté. Le terme parenté acquiert une acception
plus large compte tenu du rôle joué par les groupes dans ce droit.
En outre, le mariage en droit coutumier apparaît non seulement comme
alliance entre les époux mais aussi comme une alliance entre les deux
familles. « Le mariage, écrit A. Sohier, se présente comme
une institution complexe, composée de deux contrats étroitement
unis, un contrat entre familles et un contrat entre personnes : nous
appellerons le premier
l alliance, le second l union conjugale ».78
Cette conception de la parenté et de l alliance
renforce davantage les liens d affection et complique du même coup le
problème de la réparation du dommage moral. Qu il s agisse du
droit écrit ou du droit coutumier, il sera difficile d épargner
le responsable du dommage de cette multitude d actions.
Le même problème se pose sur le plan de la
réparation. En effet, si la conception occidentale estime que la
réparation doit être l équivalent du préjudice subi
sans se préoccuper de la situation sociale du responsable, la
mentalité africaine s insurge contre une telle conception.
« La mentalité africaine répugne à
condamner une personne à des dommages-intérêts qu elle ne
sera jamais à mesure de payer.
77 1ère Chambre, 17 novembre (arrêt non
publié) (quatre enfants, trois belles-filles, un gendre, huit petits
enfants) cités par H. MAZEAUD, P. 78, cité par KALONGO MBIKAYI,
Op. Cit. UNAZA, P.77.
78 SOHIER, A; Mariage, n° 3, P.5 cité par
PAUWELS, Les droits Zaïrois de la famille, 2ème partie :
droit coutumier et législation en matière coutumière,
cours polycopié, UNAZA, Kinshasa ,1972, P.21.
Il y a là un sentiment de justice sociale. Le droit
soviétique partageait la conception africaine qui, condamnant un
délinquant aux dommages-intérêts, tient des ressources de
la personne à condamner ».79
Ce danger a amené certaines législations
étrangères à se montrer plus restrictives. Le code
libanais des obligations exige un lien de parenté légitime ou
d'alliance; celui de la république de Pologne de 1934 est encore plus
restrictif. En effet, l art. 166 n accorde une réparation du
préjudice moral, facultative pour le juge, qu aux membres les plus
proches de la famille du défunt ». L article 47 du code suisse des
obligations relève également le caractère facultatif de
cette réparation et ce, uniquement à « la famille ». Le
code civil autrichien dans son article 1327 va plus loin car la réforme
apportée à ce texte en 1917 a eu pour but d exclure tous les
parents qui n étaient pas créanciers alimentaires du
défunt.80
De tout ce qui précède, il résulte que le
critère de lien de parenté adopté par notre jurisprudence
risque de susciter de nombreux problèmes insolubles. Peut-être qu
aujourd hui rien ne présage un tel danger, mais le problème se
posera sûrement pour l avenir. Aussi serait-il souhaitable de limiter le
nombre d ayants droit. Cette question fera l objet de notre quatrième
paragraphe. Mais avant cela, examinons quelques cas particuliers.
§ 3. Etude de quelques cas
particuliers.
Dans ce paragraphe, nous nous proposons d examiner quelques
cas qui pendant longtemps ont divisé la doctrine et la jurisprudence. Il
s agit des actions d une concubine, d un enfant adultérin et des parents
naturels. Notons cependant que des termes comme enfant adultérin ont
été abandonnés au Congo avec l avènement de notre
code de la famille.
a) L action d une concubine.
79 BAYONA BAMEYA ; Procédure pénale,
Cours polycopié, UNAZA 1978, P.5, cité par NYABIRUNGU,
Procédure pénale, cours non polycopié, ULPGL,
1992-1993.
80 MAZEAUD et TUNC ; Traité pratique et
théorique de la responsabilité civile, délictuelle et
contractuelle, 5ème Ed. Tome 1, P. 398, cité par
KALONGO MBIKAYI, Op. Cit, P.48.
Une concubine peut-elle exercer l action en réparation
du dommage subi par elle à la suite de la mort accidentelle de son amant
? Cette question a longtemps laissé la doctrine et la jurisprudence
hésitantes. Il nous faudra refaire le chemin parcouru par la
jurisprudence française avant d en arriver à l arrêt de la
chambre mixte du 27 février 1970 qui consacre le principe de l admission
de l action de la concubine.
Pendant longtemps la chambre criminelle et le conseil d Etat
répondaient différemment à cette question.
La chambre criminelle fondera sa position sur le
caractère général des termes de l art 1382 qui exige une
interprétation large de la notion du dommage. C est ainsi que dès
1863 elle affirmait que « l article 1382 du code civil en ordonnant en
temps absolu la réparation de tout fait quelconque de l homme qui cause
à autrui un dommage ne limite en rien la nature du lien qui doit unir au
cas de décès la victime du fait avec celui de ses ayants droit
qui en demanderaient la réparation ».81 Avec une
conception aussi large le seul problème qui se posait était de
déterminer la certitude du dommage.
En 1926, la chambre criminelle accorde à une concubine
réparation du préjudice matériel « subi par elle du
fait du décès de l homme avec lequel elle vivait maritalement
depuis 28 ans ».
Cependant à la même époque, le conseil d
Etat adoptait une solution différente. Il estimait en effet que pour
obtenir réparation « d un préjudice matériel (seul
préjudice réparable à l époque) il ne suffisait pas
d un intérêt, il fallait pouvoir justifier d un droit
lésé »). Dans cette conception restrictive, le conseil d
Etat exigeait un lien de droit. Aussi va-t-il rejeter la demande en
indemnisation de la concubine, celle de la mère d un enfant naturel non
reconnu et « de manière générale, celle des parents
et alliés titulaires d une créance alimentaire dont les
conditions d exigibilité n étaient pas réunies à la
date du décès ».
81 JOSE VEDAL, « L arrêt de la chambre
mixte du 27 février 1970, le droit à réparation de la
concubine et le concept de dommage réparable » in semaine
juridique, 45ème année, 31 mars 1971, n° 13,
cité par H. de Page, Op. Cit. P.50.
Ce jugement du conseil d Etat est sévère ;
heureusement que ce même conseil d Etat accordait aux très proches
parents réparation du préjudice résultant « des
troubles de toute nature apportés dans leurs conditions
d existence »82.
Les solutions apportées par la chambre criminelle dans
cette matière n ont pas laissé la doctrine indifférente.
Certains auteurs les ont critiquées et ont rejeté l action de la
concubine du fait qu il n y avait pas d intérêt légitime en
raison du caractère immoral du concubinage ou du fait du
caractère incertain du préjudice, en raison de la
précarité du concubinage. Cependant d autres auteurs allaient
faire appel à des arguments d ordre général :
« ils considéraient que seules les personnes
liées par un lien de droit à la solution du conseil d Etat en
admettant que seule la lésion d un droit et non celle d un simple
intérêt, pouvait ouvrir à réparation
»83 .
Malgré ces protestations, la chambre criminelle
continuait à admettre la réparation du préjudice
matériel et d affection à la concubine. Devant cette situation
insolite de nombreux pourvois vont être introduits ; ils se fondent tous
sur l instabilité et sur l immoralité des relations nées
du concubinage. A ces pourvois, la chambre criminelle opposait le
caractère général de l article 1382.
La chambre criminelle pouvait-elle maintenir sa position en cas d
un concubinage adultérin si l épouse légitime était
elle-même intervenue à
l instance ? Ici, elle excluait l action de la concubine et
estimait que les liens nés du concubinage ne pouvait donner ouverture
à une action en indemnisation que dans la mesure où ils
offraient des garanties de stabilité et de non
précarité
d une part et d autre part dans la mesure où ils ne
présentaient pas un caractère délictueux.
82 JOSE VEDAL ; dommage réparable in semaine
juridique, 45ème année 31 mars 1971, n°
13.
83 JOSE VEDAL ; V° article précité
in semaine juridique, 45ème année 31 mars 1971,
n° 13, cité par KALONGO, Op. Cit., UNAZA , p.58.
Mais, si la chambre criminelle s était prononcée
clairement en faveur de la recevabilité de l action en réparation
d une concubine, la deuxième chambre civile de son côté n a
pas cessé de rejeter dans ses nombreux arrêts l action de la
concubine qui ne pouvait selon elle invoquer « la lésion d un
intérêt légitime juridiquement
protégé».
De ce qui précède, il se dégage que la
jurisprudence ainsi que la doctrine française ont connu de nombreuses
vicissitudes, et des années durant, les solutions de diverses chambres
de la cour de cassation sont restées divergentes alors que la chambre
criminelle a fini par admettre l action de la concubine en se fondant sur la
généralité de l art. 1382 ; la chambre civile, elle
continuait à la rejeter parce que la concubine n avait pas d
intérêt « juridiquement protégé ».
L arrêt du 27 février 1970 est venu justement
mettre fin à cette opposition entre deux chambres d une même cour.
Aujourd hui, nous pouvons dire que le problème a été
tranché : la cour a abondé dans le sens de la chambre criminelle
à savoir l admission de l action de la concubine.84 Vouloir,
estime la chambre mixte, subordonner l application de l art. 1382 à l
existence d un intérêt légitime protégé
», c est violer le texte.
En effet, la formule d un intérêt «
juridiquement protégé » invoquée a été
critiquée par la doctrine qui a fondé sa critique sur le principe
posé par la même cour de cassation en 1863 : « attendu que l
art 1382 en ordonnant en termes absolus la réparation de tout fait
quelconque de l homme qui cause à autrui un dommage ne limite rien, ni
la nature85 du fait dommageable ni la nature du dommage
éprouvé, ni la nature du lien qui doit unir, au cas de
décès, la victime du fait avec celui de ses ayants-droit qui en
demanderaient la réparation. »
84 KALONGO MBIKAYI, Op. Cit. UNAZA, P. 62.
85 Voir MAZEAUD ET TUNC, Traité pratique de
la responsabilité civile délictuelle et
contractuelle, 5e éd T.I, 1957, p. 360
Crim. 20 fév. 1863, 1321 et rapport Nougier, D.1864, 199 cité par
MAZEAUD et TUNC : Op. Cit, P. 360, Cité par PHILIPPE LE TOURNEAU, la
responsabilité civile 1982, p. 190. Il nous faut noter que ce que nous
disons à propos de « l intérêt juridiquement
protégé » ne concerne que le concubinage non
délictueux
En appliquant cette formule, l action de la concubine sera
rejetée non seulement parce que le préjudice invoqué est
immoral mais aussi parce que le concubinage est une situation qui ne
crée pas de droits. Sur quoi se fonderait-on pour subordonner l
application de l art. 1382 à la lésion d un droit ? Tout
intérêt est juridiquement protégé lorsqu il n est
pas illégitime85.
Cet arrêt a donc posé non seulement le
problème des conditions d application de l art 1382 mais aussi celui du
sens à donner aux expressions licéité,
légitimité et bonnes m urs. Quand peut-on dire qu il y a
violation de droit ou de bonnes m urs ? Peut-on dire que la réparation
du dommage subi par une concubine à la suite du décès
accidentel de son partenaire constitue une violation de l art. 1382 ?
L on pourrait procéder à une
interprétation absolue et dire : pour qu il y ait réparation, il
faut une faute, un dommage et un lien de causalité. Le dommage doit
être juridiquement protégé apparaît comme condition
qui ne ressort pas du texte, c est-à-dire de l art.
1382.86
Cependant, nous ne partageons pas cette interprétation
basée sur un argument fragile : le silence du texte. Certes, l art. 1382
ne fait pas mention de la condition d un intérêt juridiquement
protégé, mais il ne faut pas perdre de vue le caractère
général et abstrait de tout texte, il est souvent
complété par la jurisprudence et la doctrine.
Même les caractères certains et directs
exigés de tout dommage ne ressortent pas du texte. Pour la chambre
mixte, l indemnisation reste possible sans distinction de rapport de fait et de
droit unissant le défunt au demandeur, à condition que ce rapport
ne soit pas délictueux et illicite. Le concubinage non délictueux
est licite.
Cependant subsiste pour certains arrêts une réserve
quant à l action de la concubine. Seul le concubinage sérieux,
stable et non délictueux (pas adultérin)
86 NOOMNA M.K : « La réparation du
dommage et l existence d un intérêt juridiquement
protégé (A propos de l arrêt de la chambre mixte du 27
février 1970 », D.1970 201 in Recueil Dalloz Sirey, 1970, 14
oct.1970.
permettrait à la concubine d obtenir une
réparation intégrale du préjudice matériel et moral
causé par le décès de son compagnon.
Ce « concubinage » est un quasi mariage, un mariage
auquel il ne manque en quelque sorte que la célébration pour
reprendre une définition de Justinien (légitima confunctio sine
honesta celebracione matrimonie)87.
Que signifie illicite ?
Une situation est illicite dans la mesure où elle viole
une ou plusieurs règles de droit, l inverse est la
licéité88. Et nous pouvons conclure que le concubinage
non délictueux ne viole aucune règle de droit positif. Le mariage
est un domaine de liberté89 et que le couple qui n a pas
opté pour ce statut civil n en est pas coupable.
Dès lors, le concubinage ne peut pas être
qualifié d illicite en dehors des rapports intimes entre individus qui
relèvent du domaine du non droit. Le droit ne couvre pas tous les
aspects de la vie sociale ; « il n est qu une mince pellicule à la
surface des relations entre les hommes »90.
Si le concubinage ne constitue pas une violation du droit,
peut-on dire qu il constitue une violation de bonnes m urs ? Mineur
définit les bonnes
m urs comme « certaines règles morales qui s
intègrent dans le cadre juridique de la société et dont le
respect se trouve assuré par les tribunaux. Les règles de droit,
continue-t-il ne sont pas suffisantes pour satisfaire l idéal de la
société. Un minimum des règles morales est
nécessaire pour compléter le droit. Toute demande à la
justice doit être en harmonie avec ce minimum appelé « les
bonnes m urs »91.
En parlant de cette définition, la thèse
idéaliste qui « établit un certain nombre de principes
abstraits conçus d une manière rationnelle et inspirés des
enseignements religieux et du système de valeurs traditionnelles qui
règnent sur
87 PHILIPPE LE TOURNEAU, Op. Cit. p. 175, 1982.
88 DICTIONNAIRE de termes juridiques, op. cit.p. ?
89 CODE DE LA FAMILLE art. 330 335 et suivants ( loi
n°87/010 du 1er Aôut 19987 partout..)
90 CARBONIER J. ; Sociologie juridique, le
procès et le jugement, P.95 et 97. Cité par PHILIPPE LE
TOURNEAU, Op.Cit. P.179, 1982.
91 MINEUR ; Commentaire de droit pénal
congolais p. 68.
la société « estime que les gens qui ne se
conforment pas à ces principes sont de mauvaises gens et que tout
rapport en dehors du mariage est immoral ».
Cette thèse évite les réalités
sociales.
Il faut tenir compte des circonstances réelles car
« la morale doit tenir compte du malheur des gens à juger,
autrement il faudrait procéder à la moralisation de la morale
».
La thèse empirique soutient, au contraire, qu un
rapport sexuel quelconque ne saurait être condamné s il est
toléré et approuvé par l opinion publique et par la
majorité des membres de la société. Le concubinage non
délictueux est-il condamné par l opinion publique ?
« L opinion publique, croyons-nous, ne condamne pas le
concubinage. Les m urs doivent suivre cette opinion car les m urs ne sauraient
incriminer qu une conduite minoritaire. Et si cette conduite se trouve
répandue et généralisée, ce seraient les m urs
elles-mêmes qui seraient à changer ».
L arrêt de la chambre mixte est venue consacrer
juridiquement une situation de fait et montrer que « nous vivons dans une
société en pleine mutation où la famille légitime
au sens classique n est plus le cadre adéquat et unique de la vie en
commun entre un homme et une femme. Et nous nous demandons avec l auteur si la
formule exigeant un « intérêt légitime juridiquement
protégé » ne cédera pas la place à une autre
formule exigeant pour réparer le dommage « un intérêt
socialement protégé ».
Le problème de l action en réparation du
préjudice moral diligentée par une concubine a connu une
évolution certaine. De l admission de cette action, de la notion de
cette action, de la notion de « l intérêt juridiquement
protégé » on est passé aux notions de
stabilité et de délit. Le concubinage stable et non
délictueux n est plus considéré comme un domaine du «
non droit » contrairement à ce qu affirme FRANÇOIS CHABAS :
aux yeux de beaucoup, le dommage doit quand même être un « non
man s land » juridique. La loi ne peut pas réglementer une
situation qui est celle de la facilité et par cela même
offre une redoutable concurrence à une institution
à laquelle tiennent les nations civilisées, à savoir le
mariage92.
Qu en est-il du droit congolais ?
Bien que le droit congolais n a pas encore clairement
posé le principe dans ce domaine, nous osons croire, vu les
jurisprudences peu fournies en matière
d action en réparation d une concubine, néanmoins
nous découvrons dans certaines dispositions de notre code de la
famille la volonté du législateur, lorsque, parlant des
preuves du mariage, il cite en outre la possession d état
d époux et que par ailleurs, face à une action en
divorce initiée par l un des conjoints unis par le mariage coutumier,
suspend la procédure jusqu à
l enregistrement de ce mariage avant que le tribunal puisse en
connaître sur le fond93.
Le législateur ne dit pas qu un tel mariage est
illicite mais il limite seulement ses effets juridiques jusqu à son
enregistrement. Le droit coutumier quant à lui semble tenir compte en
matière de concubinage de son caractère stable. La
stabilité lui sert de critère pour identifier cette situation de
fait à un état de droit qu est le mariage. Un concubinage de
longue durée produit des effets analogues à ceux du
mariage94. Nous pouvons affirmer dès lors qu il suffit qu un
concubinage présente des garanties de stabilité pour que les
tribunaux déclarent recevable l action en réparation d une
concubine. Ce que F. CHABAS a écrit en 1975 est donc
dépassé par l évolution de la société
à l an 2000.
Il semble d ailleurs que le droit coutumier avait, avant de
subir
l influence du droit occidental, une attitude fort
différente de celle du droit écrit envers les formes de
cohabitation et de relation en dehors du mariage. Certes, le droit traditionnel
protégeait et favorisait même l institution du mariage mais il n
était pas comme le droit occidental la servante d une certaine morale et
son attitude n était pas purement négative. Le professeur PAUWELS
affirme que
92 CHABAS, F; le c ur de la cour de cassation (le
droit à la réparation de la concubine
adultère) in recueil Dalloz Sirey 1973,
20e cahier, Chron p. 41, cité par H. de page op., Cit.
P.94
93 : Code de la famille : Art. 330 334
les « relations illicites étaient traitées
moins comme incompatibles avec la morale que comme contraires à certains
intérêts familiaux ou autres. Ainsi la répression de l
adultère et de la séduction tiraient leur justification des
droits exercés par certains hommes (père, mari, oncle) sur les
femmes placées sous leur autorité. Dans la répression, le
droit coutumier prend une attitude beaucoup moins négative que le droit
écrit. Il n y a pas de maximes telles que « nemo auditur » ou
« in pari causa95 ».
Le professeur PAUWELS reconnaît cependant que le
coutumier dans cette matière est peu connu et que le concubinage
était plutôt rare et difficile à déceler compte tenu
de la variété des formes de mariage en droit coutumier.
Ainsi la solution de la chambre mixte se rapproche plus ou
moins de cette conception coutumière. Ce qui est mis en évidence,
c est plus le caractère de stabilité de certains concubinages
plutôt que leur caractère immoral. Demain nos tribunaux seront
peut-être submergés par ce genre d actions, puissent - ils dans
leurs décisions s inspirer du droit coutumier pour que tout en restant
un élément de stabilité dans une société
organisée, le droit puisse cependant évoluer avec la même
société. Dans sa recherche des solutions aux problèmes
congolais, le juge devra d abord et avant tout s inspirer du droit national ;
il ne doit pas perdre de vue que le droit congolais à créer
devrait s assigner deux objectifs : le respect de la mentalité du peuple
et l adaptation aux nouvelles conditions de vie.
C est pourquoi, pensons-nous rappeler ce qui suit : le
préjudice réparable n est pas n importe quel préjudice
certain. S il ne résulte pas nécessairement de l atteinte
portée à un droit, les règles de la responsabilité
civile ne peuvent pas permettre de sanctionner et de reconnaître de l
intérêt ou des situations que le droit condamne parce qu ils sont
contraires à la loi, à
l ordre public ou aux bonnes m urs.
94 : Coutume Bayeke, Coutume Baluba Banza, Coutume du Kasaï,
Coutume Lunda B.S.I N° 1. 1941, p. 26 Centre Elis n° 13 383, CEC Ev.
P. 294
95 : PAUWELS : voir son cours de droit coutumier
précité, P. 23.
PAUWELS : op. Cit. P. 23 24. Cité par KALONGO
MBIKAYI cours de droit civil : les obligations UNAZA.
Pour avoir droit à la réparation, l
intérêt lésé ne doit pas être
illégitime ou, pour dire l autre face, n est réparable que le
préjudice licite. Il est seulement légitime, ne heurtant ni la
loi ni les bonnes m urs (Cass. Mixte 27 février 1970, Veuve Gaudras C.
dangereux ).
Cette conception morale choque certains par son
archaïsme, la réparation découle du dommage qui est un fait
et non d un droit préalable. Dès lors ne conviendrait-il pas de
réparer tout préjudice sans porter un jugement de valeur sur la
conduite de la victime, appréciation forcement subjective et variable.
Nous l avons d ailleurs constaté.
La position inverse conduit au singulier résultat de
faire bénéficier l auteur d un dommage d une
irresponsabilité qui, de son côté, ne se justifie d aucune
façon. Pourtant dans certains cas, il ne paraît pas possible en
morale d accorder une réparation à la victime. La
société fait ici un choix de politique législative.
L action de la concubine a fait couler beaucoup d encre.
En 1970, le principe de la réparation de dommage moral
subi par la concubine est accepté, l avons-nous vu. A partir de 1937, la
cour de cassation française jugea pour que le préjudice fut
réparable qu il ait consisté dans « la lésion d un
intérêt légitime, juridiquement protégé
» (Civ, 27 juillet 1937, Droit 1938, 1.5, NR Savatier, S, 1938.)
Cette formule ambiguë a servi à écarter l
action de la concubine mais sa portée était plus vaste car elle
se dédoublait : il fallait que l intérêt mis en avant par
le demandeur naquit d un droit légitime et de plus, qu un lien de droit
existant entre le demandeur et la personne dont la mort ou les blessures lui
causaient un préjudice.
pas issu de l atteinte à un droit, causé
à toute personne, fut-elle sans lien de droit avec la victime, ouvre
droit à réparation. La concubine peut donc invoquer en justice le
préjudice matériel, que lui cause la mort de son compagnon, ou
moral (douleur, etc).
Le conseil s aligna par la suite sur la Cour de cassation (CE, 3
mars 1978, Dame MUESSER, Droit, 79 in 49, obs Modirne96.
b) L action d un enfant adultérin
Comme le cas de l action d une concubine, l action d un enfant
adultérin a posé le problème de l illicéité
dans la jurisprudence française.
Au nom du principe que l illicéité ne peut
créer le droit, la chambre civile a rejeté l action en
réparation de l accident dont leur auteur a été victime .
Il n existe, estime la jurisprudence, aucun lien juridique de parenté, l
enfant adultérin est un étranger, il ne peut par
conséquent avoir droit à réparation d un préjudice
moral.
Mais TOULEMON et MOORE affirment que « la jurisprudence
la plus récente, s ils remplissent certaines conditions, reconnaît
aux enfants adultérins le droit à réparation du
préjudice moral ». Nous devons cependant reconnaître que
cette affirmation ne nous satisfait pas car, ses auteurs ne mentionnent pas les
dites conditions.
Ici aussi le droit congolais n a pas encore
dégagé des principes stables. Disons cependant que le droit
écrit congolais, influencé lui-même par le droit
franco-belge connaissait la distinction entre enfants légitimes et
enfants naturels simples ou adultérins et mettait ces derniers dans une
situation inférieure par rapport aux premiers.
96 PHILIPPE LE TOURNEAU ; la responsabilité
civile, Paris,1986,P.175.
PAUWELS P. 158 cité par KALAMBAY LUMPUNGU, droit civil
les personnes, cours non pol, ULPGL/UNIKIN, 1992, inédit.
Le droit traditionnel ne connaît pas cette distinction.
Les enfants sans père ne jouissent pas d un statut inférieur
comme en droit écrit. C est dommage qu une partie de la jurisprudence
ait déclaré en matière de reconnaissance qu un enfant
adultérin ne doit pas être reconnu97. Cette influence
du droit occidental sur le droit coutumier est déplorable.
C est pourquoi nous avons salué avec joie le souhait du
chef de l Etat MOBUTU de voir disparaître dans notre droit cette
distinction98. Heureusement la commission de réforme
constituée à ce sujet et chargée de revoir tout notre code
civil n a pas eu de vue ce problème, ce qui a conduit à la
disparition de « toute discrimination entre enfants adultérins et
autres dans notre code de la famille99».
c) L action des parents naturels
Le problème de l illicéité de la cause s
est posé également ici. On s est demandé si les tribunaux
devaient rejeter l action des parents naturels sous prétexte qu elle est
fondée sur des relations immorales.
Nous pouvons résumer la tendance générale
en ces termes : « on ne peut opposer aux parents naturels l
illicéité de la cause car la cause qui sert de fondement à
leur action réside non pas dans les relations immorales mais dans
l obligation naturelle et morale de leur enfant envers eux, du
fait du sinistre, les parents naturels perdent le droit corrélatif
à cette obligation, droit qui existe avant même d être
formulé en une action en pension alimentaire.
Mais la question se pose d une façon plus
délicate encore pour les grands- parents qui eux ne peuvent
prétendre à aucun lien légal avec les petits
enfants. La jurisprudence tenant compte du fait qu on ne peut invoquer aucun
caractère
97 PAUWELS ; op. cit. P. 310Pq Congo Ubangi, 20
mai 1949, B.J.I. 1952, p. 325, répertoire Pauwels P. 158 cité par
KALAMBAY LUMPUNGU, droit civil les personnes, cours non pol,
ULPGL/UNIKIN, 1992, inédit.
98 PAUWELS P. 158 cité par KALAMBAY
LUMPUNGU,
99 MOBUTU : Discours du 21 mai 1972 lors du premier
congrès ordinaire du MPR.
illicite à leur encontre, admet leur action tant au point
de vue du préjudice moral que du préjudice
matériel100.
Quant au droit zaïrois, les observations faites à
propos de la concubine et des enfants naturels sont valables ici aussi : notre
droit n a pas encore posé des principes précis. Nous nous sommes
contentés de relever l opposition entre la conception coutumière
et l esprit du droit occidental et avons émis le souhait de voir
disparaître de notre droit la discrimination entre les enfants
légitimes et naturels.
§ 4. Nécessite d une limitation.
Notre étude sur l exercice de l action en
réparation du préjudice morale nous a conduit à constater
qu il peut y avoir plusieurs ayants-droit. La formule générale de
l article 258 et le critère adopté par notre jurisprudence
confirment cette affirmation. Cette situation a inquiété la
doctrine qui a constamment souligné la nécessité d une
limitation comme nous l avons indiqué. D ailleurs pour plus de
détails, dans l ouvrage (chef d uvre) du professeur KALONGO MBIKAYI
« Responsabilité civile et socialisation des risques en droit
zaïrois » le professeur, dans son introduction a clairement
souligné que l article 1382 et suivants du code Napoléon a
été ébranlé par l essor de techniques nouvelles de
réparation collective telle l assurance privée et la
sécurité sociale. Il ressort de cet ouvrage que le
caractère général de cet article mérite un regard
sévère chaque fois qu il en est fait application.
Dans ce paragraphe, nous allons retracer le chemin parcouru
aussi bien par la jurisprudence que par la doctrine dans leur recherche des
critères de limitation.
100 Nîmes, le 3 avril 1933, Gaz Pal ; 1933 3.54 ; D.H 1934,
1.389 ; Paris, 13 novembre 1933, gaz. Pal ; 1934 1.138, cité par
TOULEMON ET MOORE, p. 155. Voir aussi Lalou : traité
pratique de la responsabilité civile, Paris, librairie
Dalloz, 1955, P. 177 qui relève la même tendance jurisprudentielle
: cfr. Discours du Chef d etat. Cité par KALONGO MBIKAYI,
Op. cit. UNAZA, P. 86.
De notre part, nous constatons qu il suffit de bien
étudier et analyser la procédure civile, le droit civil des
obligations, des personnes et autres pour qu à la fin nous puissions
suggérer une liste limitative des demandeurs en réparation. C est
donc un débat que nous relançons ou mieux, la poudre que nous
mettons sur le feu. C est l évolution du droit civil.
a. Critères de limitation.
Ce n est pas sans raison que nous avons voulu faire de l
introduction d une demande en réparation une question
préalable101. En effet, pour en connaître le fond, le
juge ou le tribunal doit s enquérir de la forme ou de la
recevabilité de l action en vérifiant dans le chef du demandeur :
la qualité, l intérêt et la capacité. Question d
économie du temps pour le juge, et la suite du procès en
dépend. La justice humaine n étant pas parfaite, on risque d
enrichir indûment un demandeur véreux.
La première limitation est tirée de l article
258 CCL III lui-même. En effet, cet article exige pour toute action en
responsabilité la triple nécessité d un préjudice,
d une faute et d un lien de causalité entre la faute et le
préjudice.
Nous avons souligné cependant, le rôle
joué par ces trois éléments en droit coutumier. En droit
écrit, la réunion de ces trois éléments dans le
chef du demandeur vanté. Mettons de côté l
ébranlement de cette notion en droit des assurances. Toute action qui ne
répondrait pas à ces trois conditions serait
déclarée non fondée. A contrario donc, l action serait
déclarée recevable et fondée. Le juge aurait
vérifié la forme et le fond.
Le préjudice doit porter atteinte à un droit
acquis. La possibilité de prouver la certitude du dommage ne peut
être accordée qu à ceux qui auraient une créance
alimentaire contre le défunt. Cependant le caractère certain d un
préjudice ne peut constituer une barrière au nombre des actions
intentées que pour dommage matériel. Ce frein ne peut pas avoir
le même effet pour le dommage moral car « l affection que l on
éprouve pour une personne ne
101 : Section 3, Titre II du présent travail.
dépend en rien de l existence d une créance d
aliments à son encontre.102 Le danger d une pluralité
de demandes en réparation n est pas écarté.
L arrêt du 2 février 1931 nous proposera un
critère nouveau : les liens de parenté ou d alliance. Ce
critère a joué un grand rôle dans la recherche d une
solution au problème de la limitation du nombre des
bénéficiaires de l action en réparation. Cependant, les
critiques n ont pas manqué. RIPERT pense « qu il oublie le conjoint
qui n est ni parent ni allié et qu il parle des ayants-droit alors qu il
s agit d une action personnelle ». En outre cette formule a un
caractère de rigidité qui ne lui a pas permis de faire
jurisprudence. Prise à la lettre, cette formule permet de recevoir l
action du collatéral du plus éloigné degré et de
repousser l action du fiancé ou du parrain qui a élevé son
filleul.103
Ce principe demeure insuffisant à notre avis, les parents
et alliés du défunt étant trop nombreux pour qu il soit
possible de permettre à chacun d eux
d agir pour son propre compte en réparation de la
douleur qu il éprouve. Le caractère légitime de la douleur
a été souvent aussi invoqué comme moyen de limitation du
nombre d actions en réparation du préjudice moral104.
C est sur cette base que l action de la concubine sera rejetée. Mais
cette solution, nous
l avons vu, est largement dépassée aujourd hui.
En effet, depuis l arrêt du 27 février 1970 de la chambre mixte,
on admet sous certaines conditions l action en réparation d une
concubine.
Confrontés à toutes ces incertitudes, certains
auteurs, notamment H. Mazeaud et Ripert105 vont se fier au pouvoir d
appréciation des juges du fond.
C est grâce aux pouvoirs qui lui sont reconnus quant
à l appréciation de
l existence du préjudice que le juge du fond doit trouver
un frein à
l exagération du nombre de demandes. Remarquons tout de
suite que l intime conviction du juge lui accorde un large pouvoir d
appréciation, nous pensons que ce pouvoir doit être limité
par une liste des demandeurs en réparation.
102 MAZEAUD H.; op. Cit P. 78 Cité par KALONGO. Op
Cit. P.78 .
MPINDA ; cours de procédure civile, 2001,
inédit, ULPGL, P 134.
103 RIPERT, G; Le prix de la douleur, D.H.1948 Chron p. 2
cité par De Page, Op. Cit, P. 30
104 Rp. Oct. 1921 (D.P. 1922 1.163, gaz. Pal ; 1921 2.558, H. et
L. MAZEAUD : T.I n° 327 ; JOSSERAND :, D.H 1932, Chron p.p. 501
cité par De Page Op. Cit. p. 90.
Il faut établir la preuve de la douleur.
Cette preuve sera plus facile à apporter pour les
parents ou alliés très proches que pour n importe qui. Mais ce
degré de parenté ne joue que le rôle d une
présomption ; une « présomption simple que l existence des
circonstances particulières peut toujours détruire ». C est
le cas d un héritier qui a attenté à la vie de son auteur,
éprouverait-il douleur à la mort de celui-ci ?
Une autre barrière consisterait à donner
à l action en réparation un caractère familial. Cela s
expliquerait par le fait qu on partirait de l existence d un «
véritable patrimoine familial comprenant à côté de l
honneur de la famille, la « cohésion familiale », l amour et l
affection qui unissent les uns aux autres les parents et
alliés106 ; dès lors la lésion de ce patrimoine
familial ne donnerait lieu qu à une action unique qui serait alors
exercée au nom de la famille » par le conjoint, à
défaut par le parent le plus proche en degré
subséquent107. Ici aussi, la famille étant
dépourvue de la personnalité juridique, on imaginerait mal la
recevabilité de cette action ; aussi, la douleur est une question
personnelle.
b) Le sens de l expression « circonstances
exceptionnelles et graves »
A tous ces critères que nous venons d analyser, la
jurisprudence congolaise ajoute un autre critère qui constitue
également un obstacle sérieux à l exercice de l action en
réparation du dommage moral.
D une manière générale, les tribunaux
congolais n accordent des dommages-intérêts pour dommage moral que
dans des « circonstances graves et exceptionnelles ». Cela revient
à dire que le droit congolais estime qu un
105 MAZEAUD, H : Op. Cit. P. 82, G. RIPERT : Op. Cit. p.
3
106.MAZEAUD, H : Op. Cit. p. 82
107 MAZEAUD, H : Op. Cit. P. 82. Cette solution a
été déjà admise par la jurisprudence
belge : Charleroi, 15 avril 1931 (S.1931 4.21). Le jugement n
admet que l action du père du défunt à l exclusion de
celle formée par les frères et s urs. Ve aussi Savatier,
Traité de la responsabilité civile, T. II ; 2e
éd. Paris, L.G.D.J. 1955, qui propose une solution plus ou moins
identique.
dommage moral n est certain que dans la mesure où les
lésions de la victime sont particulièrement
graves108.
Désormais, il ne suffira pas de prouver l existence des
liens de parenté ou d alliance avec la victime directe du dommage,
encore faudra-t-il prouver la gravité des lésions de la victime
de l acte fautif. Cette preuve nous paraît difficile à fournir ;
elle ne pourra être facilitée qu en cas d accident mortel.
L examen de notre jurisprudence nous montre, en effet, que
chaque fois qu il y a dommage moral, les tribunaux n accordent
réparation que lorsque l accident entraîne la mort de la victime.
La simple vue, par exemple, pour les parents des souffrances de leur enfant
accidenté ne suffit pas pour fonder leur action en
réparation109.
Ce point de vue de la jurisprudence rejoint celui de DE PAGE qui
s indignait du fait qu aujourd hui on accorde, lorsque la victime est à
la suite
d un accident atteinte de déchéance physique
grave qui la laisse complètement défigurée et en proie
à des souffrances qui perdureront toute sa vie, non seulement à
elle-même un droit à la réparation du dommage moral
résultant de sa souffrance et de son état, mais encore à
son conjoint ou à ses parents en raison « du spectacle affligeant
que ceux-ci ont subi à la vue de leur époux ou de leur enfant
».
Où donc, estime-t-on devoir s arrêter, se demande DE
PAGE110.
Loin de nous l intention de contester la
nécessité de limiter le nombre de bénéficiaires de
l action en réparation. Ce qui reste notre préoccupation. Nous
pensons cependant que cette limitation ne doit pas être arbitraire. Le
juge devra dans chaque cas d espèce, chercher des circonstances
objectives susceptibles
d éclairer sa religion. Il est fort possible que
même en cas d accident non
108 Cour d Appel d Elis 26 mai 1964, R.J.C.B 1964, p. 176, Cour d
Appel d Elis 23 mars 1965, R.J.C.B 1965, p. 211.
109 Cour d Appel de Léo, 28 sept. 1954, R.J.C.B 1955, p.
89
Cour d Appel d Elis, 17 mai 1960, R.J.C.B 1961, p. 13
Cour d Appel d Elis, 10 juillet 1943, R.J.C.B 1944, p. 48
110 DE PAGE, H: Traité élémentaire du
droit civil belge, Bruxelles, établissements Bruylant, , 1964, p.
957.
mortel, les parents ou le conjoint de la victime aient subi un
dommage moral certain. Qui nous prouvera qu il n y a dommage certain qu en cas
d accident mortel ?
En guise de conclusion, nous dirons que la
nécessité d une limitation s impose ; elle est impérieuse.
Cependant il reste malaisé de fixer avec précision ces limites.
Cette difficulté due au caractère extra-patrimonial du dommage
moral transparaît à travers les nombreux tâtonnements que la
doctrine ainsi que la jurisprudence ont connus en cette matière : aucun
des critères proposés ne se suffit à lui-même.
Les liens de parenté ou d alliance ne pourraient jouer
leur véritable rôle de frein que dans la mesure où ce
critère ne constitue qu une simple présomption, un commencement
de preuve que certains événements pourraient
éventuellement renverser. Il ne suffirait plus, dans ce cas, d
être parent ou allié, encore faudrait-il que certaines
circonstances de fait établissent la certitude du dommage.
Ce critère jouerait encore mieux son rôle si l on
donnait à l action en réparation un caractère familial.
Cette situation est d autant plus souhaitable qu elle épouse la
conception coutumière où la notion de « paternat »
domine toute la vie familiale. Dépositaire de l autorité
suprême, le « sui juris » pourra au nom de la famille exercer l
action en réparation chaque fois qu il y aura un dommage qui atteint la
communauté. Comme le fait remarquer E. LAMY « les rapports
juridiques dans les coutumes africaines remontaient tous à l idée
première de l autorité suprême du « paternat »,
continué, représentant la volonté et la causalité
ancestrale et où les individus ne peuvent pas par euxmêmes
être auteurs et titulaires de droits »111.
En adoptant cette conception , le doit congolais pourra donner
de nouvelles dimensions au critère de « liens de parenté ou
d alliance » en l adaptant à la mentalité des peuples qu il
régit et en corrigeant certaines faiblesses que nous lui avons reconnues
plus haut.
111 LAMY, E ; Introduction historique et comparative à
l étude du droit coutumier africain,
Les tribunaux congolais ont rendu trop difficiles les
conditions d exercice de l action en réparation en cas d accident : ils
n accordent des dommages intérêts aux parents ou au conjoint que
si l accident est mortel. Comme nous l avons déjà signalé
, le juge devra plutôt chercher dans chaque cas d espèce des
circonstances objectives susceptibles d éclairer sa religion. Certes, la
certitude d un dommage moral subi à la suite d un accident mortel est
plus facile à déceler ; mais cela n empêche nullement qu un
accident non mortel cause un dommage moral aux parents et au conjoint.
Entre les deux situations, il n y a qu une différence
de degré. Le problème qui se pose ici n est pas celui de
déterminer la réalité, l existence du préjudice,
mais bien celui de la détermination de l importance du préjudice.
Aussi estimons-nous que le juge Congolais s est engagé sur une voie
timide.
Voilà pourquoi pensons nous limiter le nombre des
bénéficiaires de l action en réparation issue du
caractère général de l art 258 CCC livre III en
suggérant aux décideurs l élaboration d une loi
secondaire, qui viendrait limiter le nombre de demandeurs de réparation,
notamment en se fondant sur la personne du demandeur en réparation.
SECTION 2. LES DEMANDEURS EN REPARATION :
QUESTION PREALABLE.
Nous avons préféré intituler notre
section ainsi, pour mieux comprendre la personne du demandeur en
réparation qui assigne l auteur d un fait dommageable d abord sur la
personne d autrui, et, dont estime-t-elle, les effets l ont atteint, pour
lesquels il réclame réparation.
Il est donc normal que soit écarté, des
bénéficiaires d une action en réparation du
préjudice moral le demandeur n ayant pas qualité, capacité
ou justifiant d un intérêt dérisoire, car il tomberait sous
le coup d un enrichissement sans cause. Pouvons-nous enfin souligner que nous
sommes en
cours polycopié, U.O.C, 1967 1968, p. 96 Cité par
KALONGO MBIKAYI, op.Cit. p. 82
présence de deux enjeux majeurs : la personne du demandeur
et ses prétentions à la réparation du préjudice
moral. Question préalable et question principale.112
Que signifie question préalable ?
Une question préalable est celle que le juge doit examiner
pour vérifier si certaines conditions sont requises pour l existence de
la question principale.
Ainsi l action en réclamation d une succession
(question principale) suppose que la qualité d héritier (question
préalable) appartient bien au demandeur.
Comprenant bien la pertinence de la question, il appartiendra
donc au demandeur de justifier de l intérêt, de la qualité,
et de la capacité dans son chef avant de prétendre à une
réparation d un préjudice moral subi, question principale ou
objet de sa demande.
A présent, voyons ce que renferme en droit les concepts
comme : intérêt, capacité et qualité, conditions d
admission d une action en justice et fins de non-recevoir lorsque le demandeur
n en justifie pas dans son chef.113
§ 1. L intérêt.
MPINDA écrit à ce propos : « une condition
jugée indispensable par
l ensemble de la doctrine et de la jurisprudence pour l exercice
d une action est
l intérêt. Cette règle trouve son fondement
dans les maximes anciennes « pas
d intérêt, pas d action » ou encore l
intérêt est la mesure de l action. L intérêt
légitime forme la base de l action judiciaire comme il en est la mesure.
Dès qu il y a action, l adage « SANS INTERET, PAS D ACTION »
est un axiome de droit admis de tout temps ».
Cela signifie qu une personne n a pas le droit de soulever des
contestations inutiles et d occuper les juges dont le temps est
précieux, des contestations auxquelles ils sont indifférents.
112 MPINDA , op.cit. P.134
113 KATUALA KABA KASHALA, Les causes d irrecevabilité
de l appel en matière civile, commerciale et sociale, Kin 1991,
p.17
Ex : Mon voisin a été victime d un accident de
circulation qui lui a fait perdre une jambe. Moi je vais saisir le tribunal
pour demander des dommages intérêts pour cet accident au
conducteur du véhicule alors que mon voisin, qui est vivant et d un
esprit sain, ne le fait pas et ne m a pas mandaté. Cette action sera
déclarée irrecevable faute d intérêt dans mon chef,
laquelle action étant de caractère personnel ; aussi,
ajoutons-nous, si la mort s en suive ! le préjudice moral
prétendument souffert par cet homme est-il réparable ?
A. CARACTERE DE L INTERET OU SA NATURE.
Il est important d examiner ce que renferme la notion de l
intérêt ; étant entendu que notre démarche vise
à cerner la personne qui doit réellement être
bénéficiaire d une demande en réparation d un
préjudice moral.
Ainsi, l intérêt moral ou pécuniaire que doit
justifier le demandeur en réparation doit être :
A1. Légitime et
sérieux.
C est-à-dire qu il ne doit pas être insuffisant.
Il est en outre indispensable qu il présente un certain caractère
de gravité. Ainsi par exemple le mécontentement provoqué
chez un citoyen par une émission de télévision dont la
qualité est contestable ne saurait justifier une action.
A2.
L intérêt né
actuel.
Ce qui signifie qu il doit exister au moment où la
demande est formée devant le tribunal. Mais, il a été
très souvent admis qu il n est pas nécessaire que le
préjudice à raison duquel l action est intentée soit
réalisé ni que l exercice du droit que l on veut défendre
soit entravé au moment où on intente l action. En effet, il peut
arriver qu il soit imminent de prévenir un dommage
ou de mettre le droit à l abri d une contestation
ultérieure. Tel est le cas des actions préventives (action
interrogatoire, provocatoire, déclaratoire) et des actions ad
futurum.
A3. Enfin, l intérêt doit être
direct et personnel
Ce qui veut dire que pour pouvoir ester en justice il faut
avoir été directement et personnellement lésé dans
ses intérêts propres. Il n est pas question en
général de venir au tribunal pour invoquer les
intérêts d autrui. Mais s il est vrai que cette exigence est
évidente lorsque l action est exercée par le titulaire du droit,
le problème devient complexe quand il s agit d une autre personne
agissant sans mandat du titulaire de ce droit. Hors mis le cas de certains
syndicats et ordres pour lesquels la jurisprudence française a reconnu l
exercice de l action pour l intérêt collectif,114 qui d
autre viendrait pour réclamer réparation du préjudice
moral du fait d un tiers sur ses parents ou alliés ?
En dépit de l importance qu il présente, l
intérêt condition nécessaire à l admission d une
action en justice n a fait l objet d aucune disposition générale
dans le code de procédure civile du Congo. Mais la jurisprudence a admis
dans de nombreux cas que l intérêt est une condition indispensable
pour ester en justice.
§ 2. LA QUALITE.
La qualité est le pouvoir en vertu duquel une personne
exerce l action en justice. Ainsi, la qualité apparaît comme une
telle affinité que l on a parfois pu en déduire qu elle ne
constitue que l un des aspects de la condition de l intérêt. (pour
plus de détails lire MPINDA, P. 58 60, op. cit.)
Nous venons ainsi de préciser que la personne du demandeur
doit justifier de la qualité, de l intérêt et de la
capacité. La réunion de ces éléments
114 MPINDA, op. Cit, p. 134 et suivants.
fera l objet d un jugement avant dire droit qui ouvrera au
juge la possibilité de connaître le fond du litige et donc de
consacrer son temps aux prétentions du demandeur.
§ 3. DES DEMANDEURS EN REPARATION DU PREJUDICE
MORAL.
Les motivations d une liste limitative des
bénéficiaires, d une action en réparation du
préjudice moral trouvent leur résonance dans les lois congolaises
et l expérience jurisprudentielle qu elles ont connues. A
présent, dégageons les personnes généralement
connues et traitées par le législateur dans les différents
codes.
1° Code de la famille.
Voici les personnes généralement connues ou
traitées par le code : - les conjoints (art. 330) et la fiancée
(art. 337) ;
- Père et mère, tuteur, personne qui exerce un
droit d autorité sur l individu (336) ;
- Le conjoint d un mariage coutumier (438) ;
- Entant allié ou non (590 649) ;
- L adopté et non sa famille d origine (679) ;
- L adopté et ses descendants (690) ;
- Le débiteur d aliments (728) ;
- Les héritiers (758), à l exception de ceux
frappés par l indignité prévue à l article 765.
2° Code Civil des obligations.
Cet article parle de la responsabilité civile qu assume le
père, et la mère après le décès du mari, du
dommage causé par leurs enfants, habitant avec eux.
Mais, pourquoi parler de tous ces articles dans la recherche d
élaboration d une liste limitative de demandeurs en réparation
?
La réponse est simple. En lisant la loi, il se
dégage que, il existe des rapports juridiques entre ces personnes et qu
un ami par exemple ne serait pas apprécié comme lesdites
personnes, lorsqu ils sont en concours d intérêts en justice.
Aussi, pensons-nous, il faut partir de ce qui existe pour enfin consacrer ce
qui doit être pris en considération en procédant par
élimination au regard de la jurisprudence et de la doctrine que nous
avons étudiées au chapitre 2, titre 1 et chapitre 1 titre deux,
du présent travail.
Il sera ainsi aisé de retenir de notre liste de demandeurs
en réparation :
1° Les (parents) père et mère ainsi que leurs
enfants pour les dommages causés par un tiers sur eux ou sur les
personnes de l un d eux et vice-versa.
Ces personnes, ont-elles qualité, intérêt et
jouissent-elles d une capacité pour initier une action en
réparation de préjudice moral subi par l une d elles ?
A première vue, dirons-nous oui, l exercice de cette
action pour ces personnes justifient d un intérêt, et d une
qualité et, eu égard à l âge, jouissent d une
capacité pour ce faire. Néanmoins dans le cas prévu
à l art 765 du code de la famille, l enfant frappé d
indignité ne saurait initier une telle action parce qu il ne peut
invoquer une douleur subie par lui du fait d un dommage causé par un
tiers sur la personne de ses père et mère, alors que lui
même n accordait aucune importance sur la personne de ces derniers. D
où, à cette occasion, le juge doit, par un avant dire droit, dire
si oui ou non cette personne indigne a été violentée dans
ses droits, par la mort de ses parents ou l handicap par eux subi du fait de
tiers. L irrecevabilité de son action sera donc déclarée
faute d intérêt.
Il s agit pour cette première réflexion de :
- Père et mère, enfant né dans le mariage
et enfant affilié et l adopté. Nous concluons l enfant non
affilié, pour la simple raison que l affiliation est une question de
procédure, bien appliquée dans le code de la famille (notamment l
action en recherche de paternité.) .
Quant aux conjoints entr eux le problème ne se pose pas
pour autant qu ils demeurent liés par le contrat de mariage.
2° Les frères et s urs de la victime de la faute
dommageable. Descendants et ascendants.
Ils seront retenus pour autant que soit, ils
dépendaient psychologiquement de la victime soit pécuniairement,
et qu ils soient à l abri de tout reproche d inimitié permanente
et scandaleuse.
Certes, les termes inimitié permanente et scandaleuse
ouvre la voie à qui le veut d évoquer la difficulté qu
éprouverait le juge pour apprécier le degré de cette
inimitié. Il aurait peut être raison. Néanmoins, la
philosophie de base qui a conduit le législateur congolais à
disposer que l obligation alimentaire « est d ordre public » (art.
750) est éloquente.
En effet, les traditions africaines et congolaises en
particulier, imposent la solidarité sans faille entre frères et s
urs ou ascendants et descendants. Il serait donc mal venue de reconnaître
à un frère ou une s ur le pouvoir d initier une action en
réparation du préjudice moral suite au fait dommageable qu aurait
subi son consanguin alors qu avant la survenance de la faute dommageable, il ne
s acquittait par exemple pas de son obligations alimentaire.
3° Les descendants et ascendants par alliance. Le terme
« alliance », nous rappelle ici toute la théorie, la
jurisprudence et la thèse qui ont soldé par des
démonstrations, l inefficacité du critère de
parenté et alliance étudié sous le chapitre 1, titre II,
dans toutes ses sections. Nous pensons ici que ces derniers
ne seront justifiés à diligenter la
procédure quant à ce, que si effectivement ils
bénéficiaient et vivaient de cette assistance de la victime
prévue par l obligation alimentaire ; mais ceux là, pour qui
cette obligation n était que théorique, n auraient pas à
justifier une lésion par la mort ou l incapacité de leur
débiteur.
Quant à la réflexion découlant de l
article 758 du code de la famille, il est aisé de constater que
même le législateur a prévu que lors d une ouverture
successorale, ne sont invités à succéder que :
- d abord les héritiers de la première
catégorie ;
- ensuite ceux de la deuxième catégorie ;
- puis la 3ème catégorie.
Les adverbes d abord, ensuite, puis, marquent les
différents degrés de rapport juridique, psychologique et social
qui existent entre chaque catégorie et le de cujus ; une manière,
pensons-nous aussi, de souligner qui de ces 3 catégories seraient
touchées par cette mort, pourquoi pas de l inimitié permanente ou
temporaire qui pourrait exister entre ces différentes catégories.
Toutefois la preuve contraire sera apportée par toute voie de droit.
Les mêmes observations valent aussi pour les
considérations sur les personnes reprises à l article 260 CCL
III.
Ainsi, après analyse légale, jurisprudentielle,
doctrinale et sociologique nous pensons, proposer comme demandeurs en
réparation du préjudice moral les personnes suivantes :
- les conjoints ;
- les enfants nés pendant le mariage, les enfants
affiliés et non, l adopté ; - les frères et s urs ;
- le débiteur d aliments retenu par notre étude
;
- le (la) fiancé(e) : pour autant que la rupture
écrase ses aspirations conjugales ;
- le tuteur (art. 336 code de la famille).
Gardant à l esprit cependant que, le jugement de
responsabilité est un jugement déclaratif et non attributif de
droit ; le doit naît dès que les trois conditions sont
réunies : dommage, faute et lien de causalité entre le dommage et
la faute. D où l étude de la personne du demandeur évitera
au juge la perte de temps mais aussi de déclarer le droit dans le chef d
une personne complètement tierce à la victime.
SECTION 3: MODES DE REPARATION.
La réparation d un dommage moral peut se faire en nature
ou par équivalent ; elle peut être aussi symbolique.
§ 1. La réparation en
nature.
Réparer en nature, c est reconstituer la valeur
détruite115. A SOHIER affirme que cette réparation est
impossible en cas d atteinte à l intégrité physique, en
cas de dommage moral. L opinion de SOHIER traduit certes, la difficulté
d évaluation du dommage moral, mais notre jurisprudence a cependant
admis que ce mode de réparation était possible.
En effet, en cas d injures ou de diffamation, la
réparation se réalise par la publication du jugement statuant sur
le cas116. Si la réparation du dommage en nature est
impossible, elle peut être en toute autre mode de réparation. La
victime peut refuser cette réparation.
115 SOHIER, A; Droit civil du Congo-Belge, Bruxelles,
Maison Larcier, , 1956, P. 438.
116 Cour d Appel de Léo, 23 mars 1944, RJCB, 1954, P. 198,
Elis 13 mars 1926, Kat II, P. 164, District de Léo, 19 mai 1928, RJCB,
1931, P. 302.
Quand il existe deux moyens de remplacer la victime dans une
situation identique à celle qu elle avait avant le fait dommageable, il
n y a aucun intérêt légitime d imposer le plus
onéreux au défendeur.
Le montant du dommage dépend uniquement de l
étendue du dommage, le degré de la faute est sans importance.
Bref, la réparation en nature du dommage moral est
possible. Elle se réalise le plus souvent en cas d imputations
dommageables par la publication du jugement statuant sur la condamnation aux
dommages-intérêts.
§ 2. La réparation par
équivalent.
Il s agit ici de l allocation d une somme d argent en vue de
compenser le préjudice subi. C est le mode le plus courant en
matière de réparation du dommage moral117.
Ainsi le juge devra évaluer le préjudice et
fixer l indemnité de manière à « rétablir
aussi exactement que possible l équilibre détruit par le dommage
et remplacer la victime aux dépens du responsable du préjudice
dans la situation où elle se serait trouvée si l acte dommageable
n avait pas eu lieu ».
L appréciation du montant du dommage se fait « ex
aequo et bono ». Ces dommages-intérêts peuvent être
réduits et proportionnés aux possibilités
financières du redevable.
Il semble que selon la coutume « le tribunal ne statue
pas sur le montant des dommages intérêts : les parties doivent se
mettre d accord sur le montant . Si le préjudicié ne
déclarait pas satisfaction la réparation offerte par l auteur du
dommage, il peut y avoir lieu à nouvelle instance118.
§ 3. La réparation
symbolique
117 Boma, 8 déc. 1914, Jur. Col. 1925, P. 283, Elis 19
janv. 1946, RJCB, P.20 ; Cour d Appel d Elis. 11 janv. 1946, P.20 ;
Cour d Appel d Elis, 29 sept. 1924.
118 PINDI-MBENSA KIFU : Etude comparative de la
responsabilité civile coutumière et de droit écrit au
Zaïre : Dissertation, UNAZA, 1972, P.46, cité par KALONGO
MBIKAYI, Op. Cit. P. 153 154.
La réparation symbolique peut être «
comparée » dans sa première acception à la
réparation par équivalent. On s imaginerait alors dans ce cas un
tribunal accorder un likuta symbolique pour réparation du dommage moral
subi par la victime d un fait dommageable. Comme dans la réparation par
équivalent, ici encore c est au moyen de l argent que l on veut panser
les blessures subies par la victime.
Cependant dans sa seconde acception, la réparation
symbolique ou rituelle apparaît comme un mode de réparation propre
au droit coutumier. Comme nous l avons vu précédemment, il existe
en droit coutumier une série d actes dommageables qui lui sont propres.
Nous citerons à titre d exemple l inceste ou la violation de certains
rites commémoratifs des morts. La réparation de ce genre de
dommages est symbolique ou rituelle.
Nous aurons également ce que KALONGO appelle « la
réparation spontanée du coupable lui-même ». En effet,
« la peur de la vengeance automatique de la force invisible des
trépassés pousse souvent les auteurs de certains dommages
à se révéler et à faire des sacrifices aux morts
pour implorer leur pardon et avant même toute action de la victime.
De tout ce que nous venons d examiner nous pouvons dire que la
réparation en nature et par équivalent se rencontrent dans le
cadre du dommage moral. Mais si le droit écrit ne connaît
essentiellement que ces deux modes, le droit coutumier nous en fournit un
troisième qui reste rituel, attestant ainsi du caractère
sacré des droits coutumiers. « Le mode de réparation en
droit écrit, remarque KALONGO s écarte de beaucoup de ces
pratiques ; c est un droit essentiellement laïc qui ignore toutes les
réparations rituelles ou tous autres procédés imaginaires
qui ne peuvent permettre une réparation appréciable en argent ou
en nature119. »
119 : KALONGO MBIKAYI,op.cit, P. 81.
CONCLUSION GENERALE
L étude de la notion du dommage moral nous a conduit
à constater qu il s agit de la violation d un droit extra patrimonial,
non évaluable en argent.
Cependant comme tout dommage, pour être
réparé le dommage moral doit remplir certaines conditions :
notamment être certain, actuel, direct et consister dans la violation d
un intérêt légitime.
Nous avons signalé à ce niveau la
différence fondamentale qui existe entre le droit écrit et le
droit coutumier. Alors que le droit écrit limite le nombre de dommages
réparables, le droit coutumier connaît de nombreux actes
dommageables propres à lui. Par ailleurs l article 258 de notre code
civil exige un lien de causalité entre le dommage et la faute pour
engager l action en responsabilité tandis que le droit coutumier ignore
cette condition.
Cette originalité s explique par la place qu occupe la
notion de faute dans ce droit. En effet, notre droit écrit revêt
un caractère essentiellement répressif ; il se préoccupe
plus du comportement fautif de l auteur du dommage alors que le droit coutumier
se préoccupe plus du sort de la victime. Ce droit
ne cherchera pas à connaître l origine du dommage
mais il se contentera d en constater l existence. La faute n interviendra que
comme mesure de réparation.
La responsabilité coutumière est objective et
collective ; celle du droit écrit est subjective et individuelle. Cette
conception subjective et individualiste a rendu à la fin du XIXe
siècle l institution même de la responsabilité civile
inadaptée et dès lors incapable de jouer réellement son
rôle dans un monde moderne vivant sous l emprise du machinisme : le
progrès technique a entraîné avec lui de nombreux dommages
dont il n était pas toujours aisé de connaître l
origine.
La conception coutumière, en dépit de certaines
déficiences que présente la garantie clanique, répondrait
mieux aux nouvelles conditions de vie et pourrait en la revalorisant
grâce aux « techniques occidentales de réparation collective
du type des assurances ou de la sécurité sociale », venir au
secours de cette institution essoufflée et lui apporter ce «
supplément d âme » qui lui manque en ce moment. L occident
lui-même, jadis confronté à tous ces problèmes
recourut à un système de responsabilité collective qui
consacre la primauté du dommage sur la faute, garantissant ainsi
à la victime la réparation de tout dommage quelle que soit son
origine. L apport du droit coutumier dans cette matière est donc grand.
Heureusement la commission de réforme de notre code civil n a pas perdu
de vue ce problème et a évité le danger de consacrer les
principes vieillis d une institution dont la philosophie ne répond plus
aux réalités du moment. En consacrant juridiquement une
responsabilité collective et objective au Congo (ex-Zaïre) la
commission de réforme pourrait avoir le mérite de nous forger un
droit nouveau adapté à la mentalité du peuple qu il
régit et répondant aux impératifs du
développement.
Mais le caractère extra patrimonial du préjudice
moral a suscité de nombreuses controverses doctrinales quant à sa
réparation. Les négateurs du principe de la réparation ont
estimé que l évaluation en argent d un préjudice moral
était impossible. En voulant admettre ce principe, le juge risquerait de
punir. Tout en admettant ces difficultés d évaluation, les
tenants du principe pensent que le caractère général des
termes de l article 258 ne permet pas
d exclure de son champ d application le dommage moral et que la
réparation dans cette matière revêt un caractère
plutôt compensatoire.
Nous avons soutenu avec la jurisprudence congolaise, le
principe de la réparation du dommage moral, le caractère
compensatoire de cette réparation peut, nous semble-t-il, avoir un effet
psychologique certain sur la victime du dommage. Aussi est il admis en droit
congolais que les atteintes à l honneur, la rupture fautive des
fiançailles, l adultère, la concurrence illicite, les atteintes
aux sentiments d affection, le préjudice esthétique peuvent
donner lieu à une action en réparation du dommage moral.
Cette réparation peut se faire en nature ou par
équivalent. Mais si le droit congolais ne connaît que ces deux
modes de réparation, le droit coutumier connaît aussi la
réparation symbolique ou rituelle. Ce mode de réparation atteste
du caractère sacré du droit coutumier. Cependant dans cette
matière la jurisprudence congolaise a entretenu une confusion entre le
dommage matériel et le dommage moral, surtout en cas de
déchéance physique ou lorsque la victime n exerçait pas d
activité lucrative au moment de l accident. Mais une évolution s
est dessinée à travers la même jurisprudence, marquant de
plus en plus la nécessité de distinguer clairement le dommage
matériel du dommage moral car à côté du dommage
matériel, il peut toujours subsister un éventuel dommage moral
comme les craintes pour l avenir, le préjudice esthétique, le
sentiment d une déchéance physique, l ennui constant d une
gêne, etc.
L étude de l exercice de l action en réparation
a soulevé plusieurs problèmes notamment ceux relatifs aux
bénéficiaires de cette action, à la limitation de la liste
des demandeurs. En effet, un décès accidentel pouvant causer
préjudice à plusieurs individus à la fois, nous nous
sommes demandé si toutes ces personnes pouvaient
bénéficier d une action en responsabilité contre l auteur
du décès. Si oui, au regard de quel critère fallait-il
apprécier la certitude de leur douleur. A tous ces problèmes
déjà importants, est venu se greffer un autre non moins important
: la question de la recevabilité de l action d une concubine, des
enfants adultérins, etc.
La jurisprudence congolaise a cru résoudre le
problème de l appréciation de la certitude de la douleur en
posant le critère de la parenté et de l alliance repris de la
jurisprudence française. L analyse de ce critère nous a
amené à constater qu en France, tout en étant un symbole
de progrès certain, l application de ce critère a conduit
à des conséquences pratiques désastreuses : au nom des
« liens de parenté ou d alliance » avec la victime, du
défunt aux grands parents d un enfant naturel Ainsi ce critère
manquait de répondre au but que la chambre des requêtes lui avait
assigné : limiter le nombre d actions en responsabilité.
Nous avons marqué l adhésion de la jurisprudence
congolaise à la même formule tout en montrant que l occasion ne
lui a pas encore été jusqu ici fournie d avoir à l
instance plusieurs ayants droit se prévalant de liens de parenté
ou d alliance avec la victime. Cette situation semble s expliquer par le fait
que les gens ignorent encore leurs droits et ne savent pas toujours quand
faut-il intenter une action en réparation du dommage moral contre le
responsable du décès d un parent ou d un allié. En outre,
la mentalité africaine semble s intéresser plus à la
répression d un fait plutôt qu à sa réparation.
Constatant l absence des principes stables dans cette
matière en droit congolais, nous nous sommes contenté de poser le
problème de l avenir : quelle serait la position des tribunaux congolais
devant les actions d un frère, d une s ur, d un cousin, d un
beau-père ; les déclareraient-ils fondées comme c est le
cas en France ? dans l état actuel de notre législation, nous
avons répondu par l affirmative. Notre opinion s est fondée sur
le caractère général des termes de l art. 258 et sur le
critère même qu adopte notre jurisprudence. Nous avons
également démontré que la demande en justice dans ce
domaine doit être une question préalable. Ce qui nous oblige
à proposer une liste qui serait consacrée par le
législateur comme une loi secondaire. A ce stade de notre étude,
nous avons donc dénoncé le danger d avoir une multitude d actions
contre un seul responsable. Ce danger est d autant plus grand chez nous qu en
droit coutumier les notions de parenté ou d alliance sont plus
ressenties et intensément vécues
par la population. Il fallait naturellement nous poser le
problème de la limitation de cette liste d ayants-droit qui demain
envahiront peut-être nos tribunaux.
Les recherches de la doctrine dans ce domaine ont
été décevantes car ni les conditions imposées par l
article 258 C.C.C.L III, ni le caractère de certitude exigé du
dommage réparable, ni le critère de liens de parenté ou d
alliance, etc, n ont donné une solution satisfaisante. Devant ces
tâtonnements nous avons donné notre adhésion à la
solution préconisée par H. Mazeaud ; donner à l action en
réparation un caractère familial et faire confiance aux juges en
se fiant à leur pouvoir d appréciation quant à l existence
du préjudice. Loin d être absolu, le critère des liens de
parenté ou d alliance ne jouera plus dans cette solution que le
rôle d une présomption « juris tantum » que certaines
circonstances de fait pourraient renverser.
Certes, cette solution comporte un danger d arbitraire, mais
elle présente moins d inconvénients. En outre, cette solution
nous a semblé plus conforme à la mentalité africaine car,
l africain plus que quiconque croit fermement à l existence d un
véritable patrimoine familial comprenant à côté de l
honneur de la famille, la « cohésion familiale », l amour et l
affection qui unissent les uns aux autres, les parents et alliés.
Dépositaire de l autorité suprême, «
le père de famille » pourra au nom de toute la famille, toutes les
fois qu un de ses membres sera lésé dans ses droits exercer l
action en réparation du dommage moral. Nous émettons dès
lors le souhait de voir le législateur congolais introduire dans notre
législation à l instar de certains codes étrangers, des
dispositions expresses relatives au dommage moral en suivant la voie que nous
venons d indiquer.
Notre étude nous a permis d aborder d autres
problèmes : l action de la concubine, de l enfant adultérin, et
celle de grands-parents naturels. La jurisprudence et la doctrine
françaises sont restées hésitantes pendant plusieurs
années. Alors que la chambre criminelle n a pas hésité
à admettre l action de la concubine, fondant son opinion sur la
généralité des termes de l art. 1382, la chambre civile
pour sa part continuait à débouter la concubine parce que,
selon
elle, la concubine n avait pas d intérêt «
juridiquement protégé ». Il fallut attendre l arrêt du
27 février 1970 de la chambre mixte pour voir unifiée la
jurisprudence de deux chambres et consacré le principe de la
recevabilité de l action de la concubine. L exigence d un
intérêt légitime « juridiquement protégé
» est une condition supplémentaire qui ne ressort pas de l art.
1382. Le principe est donc posé : l action de la concubine est recevable
à condition que ce concubinage présente des garanties de
stabilité et soit non délictueux. Des considérations d
ordre sociologique ont largement justifié cette position de la chambre
mixte : « la famille légitime au sens classique n est plus le cadre
unique de la vie en commun entre un homme et une femme »120.
Ici encore, nos recherches sur le terrain congolais nous ont
révélé une évolution à propos de l absence
de principes précis en droit écrit ; il fallait attendre le Code
de la Famille pour voir les concepts, tels « la possession d état d
époux ou la commune renommée » apparaître. Nous
constatons que le droit coutumier consacre une solution plus ou moins analogue
à celle de la chambre mixte française. En effet, un concubinage
de longue durée en droit coutumier produit les mêmes effets que le
mariage. Partant de cette constatation, nous avons préconisé au
nom des principes du droit africain qui, contrairement au droit occidental, n
est pas « la servante d une certaine morale », la consécration
de cette solution par le législateur congolais. Ce concubinage est pour
nous ici, une union libre qui ne manque que son enregistrement à l
état civil.
La chambre civile a également rejeté l action
des enfants adultérins, estimant que l illicite ne pouvait pas fonder le
droit. Nous sommes ici en 1970, nous estimons que cette position est
déjà dépassée et battue en brèche par le
code de la famille.
Nous pensons ainsi que notre analyse, loin d avoir
épuisé le sujet, permettra de relancer le débat sur cet
état de choses caractéristique de l évolution des peuples
et du droit, auquel nous venons d apporter notre modeste contribution.
120 : Confère Section II du présent travail.
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B. ARTICLES et COURS.
1. CHABAS F. ; « Le c ur de la Cour de cassation (le droit
à la réparation de la concubine adultère) » in
Recueil Dalloz-Sirey, 1973, 26è Cahier.
2. LAMY E., Introduction historique et comparative à l
étude du droit coutumier africain ; cours polycopié, U.O.C, 1967
1968, inédit.
3. RIPERT G. ; « Le prix de la douleur », D.H. Charon
1948, p.1.
4. VINEY G.; « L autonomie du droit à
réparation de la victime par ricochet par rapport à celui de la
victime initiale », in Recueil Dalloz-Sirey , 2janvier 1974.
5. JOHAN M. PAUWELS ; Le droit Zaïrois de la
famille , 2è partie : droit coutumier et législation en
matière coutumière, cours polycopié, UNAZA , Kin. 1972,
inédit.
6. JOHAN M. PAUWELS : Répertoire du Droit coutumier
congolais jurisprudence et doctrine 1954 1967.
7. JOSE VIDAL, L arrêt de la chambre mixte du 27
février 1970, « le droit à réparation de la concubine
et le concept du dommage réparable » in Semaine juridique,
45ème année, 3 mars 1971, n° 13.
8. KALONGO MBIKAYI : Droit Civil des Obligations cours
polycopié, UNAZA, 1972, inédit.
9. MPINDA, Procédure civile, cours inédit, 1994
1995, ULPGL/Goma.
10. MUKADI BONYI, Droit civil des obligations, cours
inédit, ULPGL UNIKIN, 1994 1995.
11. PINDI MBENSA KIFU : Etude comparative de la
responsabilité civile coutumière et de droit écrit au
Zaïre, dissertation, UNAZA, 1972, inédit.
12. RENE MAURICE : « Les effets de la parenté et de
l alliance en ligne collatérale » in revue trimestrielle de
droit civil, avril juin 1971, n° 2.
13. Revue générale des assurances et des
responsabilités, mars 1973, 46ème année n°
3.
14. SAVATIER R., « Comment repenser la conception
française actuelle de la responsabilité civile » in
Recueil Dalloz Sirey, 1966, 9 novembre 1966.
15. OLAWALE ELIAS T. : « La nature du droit coutumier,
africain » in présence africaine, 42, rue Descartes, Paris
Ve, 1961.
JURISPRUDENCE
1. Appel Elis 17 mai 1960, RJ.B 1961, p.13
2. Cour d Appel de Léon 23 mars 1954 RJCB 1954. P.198
3. Cour d Appel de Léon, 04 juin 1955 RJCB 1958 ; p 14
4. Cour d Appel de Léon, 11 septembre 1958 ; RJCB. 1959 ;
p 223
5. Cour d Appel de LUBUMBASHI 1er décembre
1970 RJC 1971, p 35
6. Cour d Appel de Léon, 07 sept 1965, RJC 1966 .
7. Cour d Appel d Elis, 3 juillet 1965, RJC 1966. P 287
8. Cour d Appel de LUBUMBASHI, 27 juillet 1965, RJC 1967 p
287
9. Cour 1ère instance de Léon, 18
septembre 1929, RJCB 1930, p 30
10. Cour d Appel d Elis, 02 juin 1925, RJCB 1925 p 81
11. Cour d Appel d Elis, 19 janvier 1946, RJCB 1946, p 20
12. Cour d Appel d Elis, 29 septembre 1940 RJCB 1945, p 1.
13. Cour d Appel de Léon, 17 novembre 1942,RJCB 1932, p
154.
14. Coutume BENA BAYASHI ; Territoire KONGOLO n° 23 BJU
n° 3, 1933, p 47.
15. Centre Elis n° 13 383, CEC Ev. p 234
16. Coutume Baluba-Bambo, secteur DOMBI, (LUEBO) 5 octobre 1951,
BJI n°3, 1953, p 67 avec note
17. Coutume Warega, Territoire PANGI n°435,16 mars 1941,
BJI n°6, 1953, p 128
18. Coutume Warega, secteur Wakabango n°1519, BJI n°6,
1953, p128
19. Coutume Bena kasinge, chef Bena kasinge ( kabalo) n°42,
1951,BJIn°41953, p92 avec note
20. Coutume Batetela, sect. Batetela (Lomela) n°34 8 avril
1952, BJI n°51953, p 17 avec note.
21. Coutume Bayeke, chef Bukeya n°85, 1935, BJI n°7,
1938, p53
22. Coutume Bayeke, chef Bukenya n°106-1932, BJI n°2,
19337, p 38
23. Coutume Pama-bakutu, coutume Banunu, Territoire Lukolela, 11
mai 1940, BJI n°4, 1943, p 82
24. Coutume Bayeke, chef Bukenya n° 16, 1933, BJI n°
3, 1937, p 70
25. Centre Elis n°13, 730, CEC Ev. p 250
26. Coutume Warega, Territoire Pangi n° 431, 12 mars
1941, cent. Kamituga n° 171, 1949 et n° 143, 1951, chef Loindi
n° 470, 4 octobre 1951, BJI n° 6, 1953, p 128
27. Coutume Warega Territoire Pangi n° 435, 16 mars 1941,
chef Wamuzimu II n° 164, janvier 1951, BJI n° 6, 1953, p 128
28. Tribunal de 1ère instance du Kivu, 10
octobre 1953, RJCB 1953, RJCB 1954, p 409
29. Territoire Kasenga n° 23, 20 septembre 1950, BJI
n° 7, 1952 p 218 avec note
30. Territoire Elis n° 161, 21 octobre 1937, BJI n° 5,
1941 p 105 avec note
31. Tribunal de district du Haut-katanga 22 novembre 1960 RJCB
1962 p 37
32. Tribunal de 1ere instance d Elis, 27 février 1961,
RJCB 1962 ? p 171
33. Tribunal de 1ère instance d Elis, 14 juin
1961 RJAC 1964, p 186. Tribunal de 1ère instance d Elis, 8
juillet 1931, RJCB, 1930 p 154
34. Tribunal de district du Kibali-ituri, 25 avril 1930, RJCB
1932 p 222
35. Territoire Léo 1er mars 1955 (
2ème espèce ) JTO 1955, 105 notes A. SOHIER
36. Territoire Léo n° 6.543/MP, 7 juin 1955, BJI
1952 p 56
37. Tribunal : Territoire Mitwaba n° 285, 1er
décembre 1952, BJI 1955, p 45
TABLE DES MATIERES AVANT PROPOS
Introduction
.
3
01. Généralités .
|
..3
|
02. Problématique et hypothèses
|
. 4
|
03. Choix et intérêt du sujet
|
5
|
04. Méthodes d approche ..
|
6
|
05. Délimitation du sujet
|
.7
|
TITRE I. NOTION ET CATEGORIES DU DOMMAGE
MORAL
..
... 9
Chapitre I. NOTION DE DOMMAGE
MORAL . . ....9
Section 1 : Définition du dommage moral
. . .
..9
Section 2 : Caractères du dommage moral
réparable
10
§ 1. Certain et actuel 11
§ 2. Direct 13
§ 3. Préjudice doit consister à la violation
d un intérêt légitime 15
Section 3 : Le préjudice et la responsabilité .
15
Chapitre II. LES CATEGORIES DU DOMMAGE
MORAL ...20
§ 1.
Atteinte à l honneur et à la
considération et à la réputation .. 20
§ 2. Etude de quelques cas .23
- cas d adultère ; ..23
- Concurrence illicite ; 23
§ 3. Atteinte aux sentiments d affection
23
TITRE II. DU PRINCIPE DE LA REPARATION DU PREJUDICE MORAL
..25
Chapitre 1. Controverses relatives à la
réparation du dommage moral ..25
Section 1 : Les opposants à la thèse .25
Section 2 : Les tenants de la thèse 28
Section 3 : La thèse congolaise .30
Chapitre 2. Action en réparation du
préjudice moral en droit congolais
32
..
Section 1 : Les bénéficiaires de l action en
réparation .32
§ 1. Position doctrinale et légale 32
§ 2.
Adoption d un critère général ( le lien de
parenté ou d alliance) . 32
§ 3. Analyse de ce critère
|
|
...33
|
a) Sa portée réelle .
|
.35
|
|
b) Position d une pluralité d ayants droit
|
37
|
|
|
§ 4. Etude de quelques cas particuliers
|
|
39
|
a) l action d une concubine
|
|
..39
|
b) l action d un enfant adultérin
|
|
..49
|
c) l action des parents naturels
|
|
...50
|
|
§ 5. Nécessité d une limitation ..51
a) Critère de limitation . 51
b) Le sens de l expression « circonstances exceptionnelles
et graves » ...54
Section 2 : LES DEMANDEURS EN REPARATION : QUESTION PREALABLE ..
57
A. Que signifie question préalable ...57
§ 1. Intérêt .58
a). Caractères de l intérêt ou sa nature
..59
b). Légitime et sérieux 59
c). L intérêt né et actuel 59
d). L intérêt direct et personnel 59
§ 2. La qualité 59
B. Des demandeurs en réparation du préjudice moral
.60
§1 Code de la famille . 61
§2 Code civil des obligations . .61
Section 3 : Modes de réparation 65
§ 1. Réparation en nature .65
§ 2. Réparation par l équivalent ..66
§ 3. Réparation symbolique 66
CONCLUSION GENERALE ..
. ..68
BIBLIOGRAPHIE 74
ANNEXE I. . .78
ANNEXE I
Premier feuillet
COUR D APPEL DU NORD-KIVU, SEANT A GOMA, Y SIEGEANT EN
MATIERE REPRESSIVE AU DEGRE D APPEL A RENDU SON ARRET DONT LA TENEUR SUIT
:
AUDIENCE PUBLIQUE DU DIX SEPT ONZE MIL NEUF CENT 99
EN CAUSE : Ministère Public et P.C. RUS.
CONTRE : 1) CHIR, Congolais, né à Bukavu, le 01
août 1979, fils de SAHA. (ev) et de TABA. (ev), originaire de la
localité NGWESHE, Collectivité NGWESHE, Territoire de WALUNGU,
Province du Sud-Kivu, Célibataire et père d un enfant,
élève, résidant à Goma, Quartier Mikeno, Avenue
Kasongo n°38.
2) MAH ., Congolais, né à Goma, le 17 mai 1979 ,
fils de MAHESHE MJOK. ( ev) et de SINAND. ( ev), originaire de la
localité de NGWESHE, Groupement Izege, Collectivité de NGWESHE,
Territoire de WALUNGU, Province du Sud-Kivu, célibataire sans enfant,
élève résidant à Goma.
ARRET
Aux termes de son jugement RP. 14.469
contradictoirement rendu le 08 mars 1999, et qui a ordonné la
disjonction des poursuites en ce qui concerne les prévenus
ADJI et BLAI non autrement identifiés,
le Tribunal de Grande Instance de Goma a déclaré non
établie dans le chef du prévenu MAHE NZIR le
prévention de viol et l en a acquitté ; il a, par contre,
déclaré établie en fait comme en droit la même
infraction dans le chef du prévenu CHIRU MUR, avant de
l en condamner à 12 mois de servitude pénale avec sursis de 12
mois, à la moitié des frais d instance récupérables
par 14 jours de contrainte par corps en cas de non paiement dans le
délai et à l équivalent en francs congolais de 500 dollars
américains au titre de dommages-intérêts à la partie
civile RUSA MAK ;
Contre ce jugement, deux appels ont été
interjetés par déclarations faites et reçues au greffe du
tribunal a quo, d abord, par la partie civile RUS MAK,
père de la victime SIF RUS le 12 mars 1999 et, ensuite,
par le Procureur de la République près ce tribunal, le 13 du
même mois. La partie civile a consigné au greffe de la Cour les
frais y afférents le 07 juin 1999.
Exercés dans les délais et forme de la loi, ces
deux appels sont réguliers et recevables.
Concernant les faits, il est reproché aux
prévenus
CHIR. et MAH. d avoir violé
Mademoiselle SIF. RUS. le 29 septembre 1998 dans la maison du nommé
ADJILI WACHI, avec le concours d un certain nombre de leurs amis non encore
tous identifiés, qui la maîtrisaient et l empêchaient de
crier pendant ces actes.
La victime n est sortie de cette maison que grâce
à sa belle-s ur, Madame
KAB. AW. qui, alertée par des
passants indignés de ce qui se passait dans cette chambre, Il y a lieu
de noter que devant l'OPJ verbalisant, le prévenu CHIR. a
déclaré à propos de MAH. " je l'avais tout seulement
tiré de son tricot quand il se défendait contre la fille SAF.".
Le prévenu MAH. lui a déclaré au même OPJ avoir
entendu du bruit dans la chambre où se trouvaient SAFI et CHIRUCHIRU
quand il était au salon et que ce bruit a cessé lorsqu'il s'en
est approché.
Ces déclarations attestent sans conteste les violences
exercées sur la fille SAF. par ses agresseurs pour arriver à leur
fin, lesquelles violences sont confirmées par le rapport
médical.
Les prévenus n'ont pas pu renverser les
dépositions de leur ami ADJILI, propriétaire de la maison
où ils ont commis leur forfait, qui a déclaré devant la
Cour avoir appris de ses petits-frères lorsqu'il est rentré chez
lui qu'une jeune fille était sortie de sa chambre sous la huée
des badeaux et des petits enfants ni celles du chef de l'avenue Kisangani,
Monsieur BULIK. NSO., et du chef de la Cellule Mapendo
Quatrième feuillet
Monsieur KABAL., qui a reçu Madame KABALA et sa
belle-soeur SIFA en pleurs sous la huée des badeaux et des petits
enfants qui leur jetaient des pierres, vers 17 heures.
La cour en infère que les faits incriminés ont
été perpétrés par les deux prévenus. CHIR.
en reconnaît la matérialité; tandis que les
déclarations cidessus faites par les prévenus au niveau de
l'instruction préparatoire et par les témoins dans les
dépositions devant la Cour, démontrent que le prévenu
MAHESHE y a été mêlé. Sa participation a
consisté à maîtriser la victime pendant que son ami
réalisait la conjonction sexuelle avec elle. Sans cette aide, le viol
n'aurait pas été commis comme il l'a été.
Il en découle que le premier juge a mal
apprécié les faits en estimant que la prévention
libellée n'était pas établie dans le chef du
prévenu MAH. Il a aussi minoré sans raison, d'une part, le danger
que court la société par la témérité de ces
deux prévenus qui, bien qu apparemment délinquants primaires,
doivent être découragés pour l'avenir dans leurs
comportements de ce genre, et d'autre part, les préjudices dûs au
déshonneur de la victime, qui pourrait avoir des difficultés pour
se trouver facilement un mari, et à l opprobre jeté sur la
famille par l'acte perpétré par les prévenus.
l'infraction retenue et les condamnera chacun à huit
mois de servitude pénale principale ferme, tout en ordonnant leur
arrestation immédiate, ainsi qu'à la moitié des frais
récupérables par 7 jours de contrainte par corps en cas de non
paiement dans le délai de la loi, et solidairement à
l'équivalent en franc congolais de 800 dollars américains, au
titre des dommages - intérêts fixés ex aequo et bono", tous
les éléments d'appréciation mathématique de la
hauteur des préjudices ci-dessus évoqués n'étant
pas fournis avec précisions par la partie civile ( cfr.kin.,12 avril
1972, RJZ 1976, n°.1 et 2, p.89, rapporté par KATUALA KABA KASHALA,
in jurisprudence des Cours et Tribunaux ( 1975 - 1987 ) , Kinshasa, 1992, p.26,
point 6°; Goma, RPA. 504 du 29 avril 1998, aff.MP et PC BUHEN. c/
DJUMAP. et crts; RPA.515 du 15 juin 1998,
aff.MP et PC KALIB. BUY. C/ AMULI MUS.; inédits).
C'EST POURQUOI
La Cour, Section Judiciaire;
Statuant contradictoirement après avoir entendu le
Ministère Public, représenté par Monsieur l'Avocat
Général KAZADI NDUBA, en ses réquisitions;
Accueille les deux appels et les dit fondés;
Infirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris, et
statuant à nouveau, déclare établie en fait comme en droit
la prévention libellée à charge de deux
prévenus;
Les en condamne chacun à huit mois de servitude
pénale principale avec arrestation immédiate, à la
moitié des frais
Cinquième feuillet. R.P.A.565
d'instance tarif réduit, récupérables par 7
jours de contrainte par corps en cas de non paiement dans le délai de la
loi;
Dit recevable et fondée la constitution de partie
civile du Sieur RUSANGIZA MAKALA et condamne en conséquence les
prévenus à payer solidairement l'équivalent en franc
congolais de 800 $ ( dollars américains huit cents ) au titre de
dommages-intérêts fixés " ex aequo et bono".
Ainsi jugé et prononcé par la Cour d'Appel de
Goma Section Judiciaire, à son audience publique du 17/11/1999,
où siégeaient Messieurs MPINDA BAKANDOWA et KIBASHIMBA bin
LULONGE, Conseillers, avec le concours de Monsieur HITIMANA, officier du
Ministère public et l'assurance de Monsieur SELEMANI, Greffier du
siège.
LE GREFFIER, LES CONSEILLERS, LE PRESIDENT DE LA CHAMBRE
SELEMANI MALIKIDOGO MUS. MPINDA BANKADOWA.
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