CHAPITRE
II
ADOPTION DE L'INTERNET A DOMICILE
Il est important tout d'abord d'expliquer le terme adopter.
Adopter et utiliser...deux termes qui sont
très souvent utilisés comme synonyme, mais qui renvoient pourtant
à des logiques différentes. Cet abus de langage repose
très largement sur l'idée d'un déterminisme entre
l'adoption et les usages. Or, l'adoption d'une technologie ne s'accompagne pas
mécaniquement d'un usage de cette technologie ou du moins peut conduire
à une sous-utilisation de cette dernière (des usages peu
fréquents ou limités à une partie des
fonctionnalités offertes). Par ailleurs, les usages d'une technologie
peuvent être très différents de ceux initialement attendus
par les concepteurs de cette technologie. Entre l'adoption et l'usage, il
existe un processus d'appropriation de la technologie qui n'est pas toujours
bien pris en compte dans les études sur la diffusion des innovations.
Dans le cas de l'Internet, l'adoption renvoie tout d'abord
à l'acquisition du matériel informatique nécessaire pour
accéder à Internet, puis au choix d'un abonnement auprès
d'un FAI. Ensuite, se pose la question des usages de l'Internet.
Internet est un réseau qui
interconnecte à l'échelle mondiale des systèmes
informatiques selon un jeu de protocoles (langage de communication entre
ordinateurs) de communications communes. L'origine du réseau et la
décentralisation qu'il permet est militaire et avait pour objectif de
pouvoir fonctionner en cas de destruction partielle. Devenu un réseau
public, Internet a connu un développement fulgurant en standardisant et
en simplifiant les échanges d'informations électroniques ainsi
que l'accès à celles-ci.
Dans ce chapitre notre objectif est de faire un bref survol de
la littérature sur les déterminants de l'adoption de l'Internet
au foyer objet de la première section. Dans la seconde section, nous
présentons l'adoption de l'Internet au Cameroun.
SECTION I : Revue de la littérature sur
les Déterminants de l'adoption de l'Internet au foyer
Le taux de connexion à Internet dépend fortement de
la localité géographique oühabitent les
ménages. Ainsi, des études portant sur les facteurs d'adoption de
l'Internet à
domicile ont montré que la probabilité pour un
ménage d'avoir une connexion Internet à la maison dépend
fortement du taux d'équipement informatique des ménages
résidents dans la même ville. En outre, la localisation
géographique (milieu urbain/ zone rurale) est un facteur de la connexion
à Internet. Ainsi, la densité en équipement informatique
et en connexion Internet est plus élevée en milieu urbain qu'en
zone rurale.
Il est nécessaire de passer en revue les facteurs qui
expliquent ou non la demande de l'Internet chez les ménages.
§1. Le niveau de revenu des ménages
Le revenu se définit comme la part de la production qui
revient au sujet économique (individu ou collectivité), comme
rémunération de son travail et/ou fruit de son capital. Les
grandes catégories de revenu sont : le salaire, l'intérêt,
le profit et la rente.
Le revenu semble être un facteur essentiel dans
l'accès et l'utilisation de l'internet. En effet, les ménages
à bas revenus ont moins accès à Internet que ceux aux
revenus plus élevés. De nombreuses études
américaines ont mis en évidence un effet revenu (par exemple
NTIA, 1998). Plus le revenu du ménage est élevé, plus le
taux de connexion des foyers à Internet est important. Par ailleurs,
d'autres caractéristiques des ménages tels que le niveau de vie
apparaissent étroitement corrélées à l'adoption de
l'Internet. En effet, si le revenu constitue habituellement le
déterminant essentiel, il semble que beaucoup d'autres facteurs exercent
une influence notamment le niveau d'éducation ou de scolarité,
l'âge, le sexe, le lieu de résidence ou localisation, la
composition du ménage, le voisinage social ou entourage etc.
§2. Le niveau
d'éducation
L'éducation est l'activité sociale de
transmission de connaissances structurées. Ses finalités sont
sociales (faciliter l'intégration de l'individu), économique
(faciliter la décision et augmenter l'efficacité du travail
humain) et culturelle.
Nous pouvons supposer que le niveau d'étude a une
influence positive sur l'adoption de l'Internet à la maison. En effet,
il est probable que les plus diplômés, qui ont exploité
l'outil informatique durant leur scolarité, apprécient mieux les
possibilités offertes par cette technologie.
§3. La composition ou la taille du
ménage
L'adoption de l'Internet à la maison peut être
une décision de l'ensemble des membres du ménage car chacun y
trouve un intérêt : les plus jeunes peuvent vouloir
télécharger de la musique ou faire des jeux en réseau, les
plus âgés rechercher des informations sur des biens et service...
Nous supposons donc que la taille du ménage a un effet positif sur la
probabilité d'avoir une connexion Internet à domicile.
§4.La localisation ou le lieu de
résidence
Plusieurs rapports ont relevé l'effet de la
localisation des ménages sur l'adoption de l'Internet (par exemple :
Montagnier, Muller et Alii, 2002 ; CEE, 2002). Mais peu d'études
économétriques ont utilisé le lieu de résidence
comme déterminant. Pourtant, le fait d'habiter dans une zone urbaine ou
dans une zone rurale n'est pas neutre. On pourrait par exemple penser que la
propension à adopter Internet à domicile devrait être plus
grande lorsque le ménage réside en zone rurale, loin d'une grande
ville, Internet pouvant ainsi permettre de remédier à
l'éloignement et aux difficultés d'offre culturelle et
d'information. A l'inverse, les offres d'accès à internet
étant plus nombreuses et de meilleure qualité en zone urbaine
(câble, ADSL), on peut s'attendre à ce que la diffusion de
l'Internet soit plus large dans les zones urbaines (l'offre stimulant la
demande). Au final, l'impact de la localisation sur l'adoption de l'Internet
est ambigu.
§5.Le sexe de l'individu
En 2001, le taux d'accès des ménages
américains était de 54% que le chef de ménage soit un
homme ou une femme (Montagnier, Muller, Vickery, 2002p.33).Cependant, dans la
plupart des autres pays, on observe des disparités entre hommes et
femmes. Ainsi une enquête de la commission européenne (CEE, 2002)
a montré par exemple qu'en moyenne le taux de connexion à
Internet était de 46% lorsque le répondant était un homme,
contre 36% lorsque le répondant était une femme. Ainsi donc, nous
pouvons affirmer que l'influence du sexe dans l'accès à Internet
est ambiguë.
§6. L'âge de l'individu
L'âge de l'individu entendu comme période
écoulée depuis la naissance doit vraisemblablement influencer
négativement la probabilité d'avoir une connexion Internet
à la maison, car les individus d'un certain âge ne sont peut
être pas conscients de l'intérêt d'un tel outil dont ils ont
toujours su se passer pendant de nombreuses années.
§7.Le style de vie
L'adoption de l'Internet pourrait être positivement
corrélée à la possession d'équipement
électronique et informatique (lecteur DVD, console de jeu vidéo,
appareil photo numérique, ordinateur de poche ou agenda
électronique etc.). Un individu est d'autant plus technophile qu'il
possède des équipements de ce type. Penard et Poussing (2006)
démontrent que l'Internet entre en concurrence avec d'autres loisirs
comme la télévision et les jeux vidéo.
§8.Le voisinage social ou
l'entourage.
Le choix d'acquérir un ordinateur ou de s'abonner
à Internet ne dépend pas seulement de l'utilité
intrinsèque des services auxquels donne accès ces
équipements informatiques, mais dépend aussi des choix
effectués dans l'entourage de l'individu. Comme tous les services
présentant des externalités de réseau, la satisfaction
retirée est une fonction croissante du
nombre d'utilisateurs du service. Ainsi, un
téléphone portable, un fax ou un abonnement Internet apporteront
d'autant plus de satisfaction individuelle que le nombre d'utilisateurs ou
d'abonnés est important dans la population totale, mais surtout dans son
voisinage social. Par voisinage social, nous entendons un voisinage
d'interactions individuelles, c'est-à-dire un ensemble d'individus dont
les comportements comptent pour le décideur. Un individu dont une grande
partie de son entourage est connecté à Internet sera
incité à son tour à s'abonner pour communiquer par
courrier électronique ou échanger des fichiers, etc. Il pourra
bénéficier aussi des conseils et expertises du voisinage pour
apprendre plus rapidement. A l'inverse, un entourage social faiblement
équipé d'un ordinateur et/ou d'une connexion à Internet
peut constituer un frein à l'adoption des équipements
informatiques.
Après cet exposé des déterminants de
l'adoption de l'Internet au foyer, nous allons nous appesantir, dans la section
qui suit à la présentation de l'adoption de l'Internet au
Cameroun.
SECTION II : Adoption de l'Internet au Cameroun
Toutes les statistiques présentées dans cette
section proviennent du rapport final de l'enquête nationale sur le niveau
de pénétration et d'utilisation des TIC au Cameroun,
enquête diligentée par le Minpostel (2006).
L'Afrique accuse un grand retard dans la transition vers la
société de l'information. Avec plus de 800 millions d'habitants,
soit 13% de la population mondiale, seulement un Africain sur 160 a
accès à l'Internet (Gyewu, 2003). Par ailleurs, maints pays
africains ne disposent pas d'indicateurs de TIC pertinents, nécessaires
à la prise de décision stratégique et à
l'élaboration des politiques de développement en la
matière. C'est la raison pour laquelle le Cameroun, comme la plupart des
pays d'Afrique s'est lancé dans plusieurs projets (comme l'Initiative
pour la Société de l'Information en Afrique en 1996) dont
l'objectif principal est
de réduire le fossé numérique et aider le
pays à utiliser les opportunités qu'offrent les TIC dans la
promotion du développement économique et social.
En ce qui concerne l'accès à l'Internet, le
Cameroun connaît une croissance assez soutenue du marché depuis la
libéralisation du secteur des télécommunications en 1998.
Les services Internet les plus courants sur le marché sont : le web,
l'hébergement des sites, la messagerie, le forum et la
téléphonie IP (bien qu'elle ne soit pas encore
réglementée). Les connexions des utilisateurs s'effectuent par
VSAT, réseau téléphonique public commuté (RTPC) ou
par liaison spécialisée radioélectrique ou filaire.
CAMTEL assure par ailleurs la gestion du point «cm»
et exploite huit noeuds Internet à Yaoundé, Douala, Bafoussam,
Garoua, Ebolowa, Buéa, Sangmélima, Kribi. Ces noeuds offrent des
accès de 2 Mbits/s.
Il y a une hausse régulière du nombre
d'abonnés professionnels alors que le nombre d'abonnés par
individu a une tendance à la baisse. Cette baisse se traduit par
l'entrée de nouveaux opérateurs sur le segment Internet et
l'utilisation très prisée de la téléphonie IP
offerte à prix abordable par les nouveaux entrants. Des investissements
visant à moderniser le réseau de l'opérateur historique
peuvent justifier l'accroissement des abonnés professionnels.
Les droits d'accès à l'Internet via CAMNET sont
très élevés par rapport au niveau de revenus des citoyens
pour une offre à un débit acceptable ; ce qui constitue un frein
à l'accès à l'Internet par les ménages et les
institutions et donc à la pénétration du service.
Au niveau national, il y a un peu plus de structures disposant
d'un site WEB. Près d'un tiers (31%) des sites Web enregistrés
sont majoritairement jeunes de moins d'un an. Les secteurs santé et
éducation ont le record des sites les plus jeunes.
§1-Niveau de connaissance, utilisation et
formation à l'usage de l'Internet
Nous allons parler dans cette sous-section (dans l'ordre) du
niveau de connaissance et d'utilisation, des formations personnelles et des
formations organisées.
§1.1. Niveau de connaissance et d'utiisation
de l'internet
Sur l'ensemble, 44% des personnes interrogées ont une
adresse électronique. L'analyse selon le lieu de résidence
indique que l'adresse reste encore plus courante chez les personnes habitant
les chefs-lieux de région (54,4%) que toutes les autres (31,1% pour les
chefs-lieux de département).
La proportion de personnes ayant un e-mail croît avec le
niveau d'instruction. En effet, 63,8% d'enquêtés de niveau
universitaire ont un e-mail. Cette proportion est de 21,7% pour le niveau
secondaire et de 5,3% seulement pour le primaire.
La proportion de personnes possédant une adresse mail
décroît régulièrement avec l'âge. Près
de trois personnes de moins de 25 ans sur cinq (soit 56,8%) ont une adresse
mail, ce qui représente plus du double de la proportion des personnes de
plus de 55 ans ayant un email.
Yahoo est utilisé par la très grande
majorité des utilisateurs de messagerie. 92,7% y ont un e-mail. Ensuite
le site Hotmail est utilisé par 16% des détenteurs d'e-mail.
Les internautes au Cameroun sollicitent le plus les sites de
messagerie (70%). Les sites académiques et scientifiques sont
sollicités respectivement par 46,1% et 34,8% des internautes.
Pour ce qui concerne la répartition par sexe, un peu
plus du tiers des femmes consultent les sites de messagerie ; leur proportion
dépasse celle des hommes. La proportion des hommes qui
s'intéressent aux sites scientifiques est pratiquement le double de
celle des femmes et inversement la proportion de femmes qui
s'intéressent aux sites de divertissement fait le double de celle des
hommes.
Au Cameroun, l'utilisation de l'Internet se fait
majoritairement dans les cybercafés (à ce jour, il faut
débourser environ 200fcfa pour une heure de connexion). En effet, 86,1%
des utilisateurs de ce service affirment se connecter dans un cybercafé
contre 28,2% en milieu professionnel.
La bureautique de base est le niveau le plus
prépondérant quelque soit le secteur alors que l'utilisation de
l'Extranet et du commerce électronique est encore marginale.
§1.2.Formations personnelles à l'usage
d'Internet.
Concernant les formations reçues sur l'utilisation
d'Internet, on constate qu'il n'y a pas de disparités selon le sexe et
la proportion d'hommes ayant reçu une formation sur l'Internet est de
31,6%.
Par contre, la proportion des personnes ayant reçu une
formation sur l'utilisation d'Internet croît avec le niveau
d'instruction. Il ressort aussi que près de la moitié de ces
formations ont été reçues sur le tas contre 46%
reçues dans les structures de formation.
§1.3. Formations organisées par les
institutions utilisatrices
Seulement 23,3% d'institutions ont organisé des
formations sur les TIC dans leur enceinte (2006). De plus, l'administration est
le secteur qui organise le plus les formations sur les TIC (36,6% des
institutions). Le milieu éducatif a la plus faible proportion
(19,5%).
Selon le statut, les institutions du parapublic sont les plus
nombreuses à organiser les formations pour leur personnel : 53,8% des
institutions du secteur parapublic contre 19,7% et 23,1% pour le public et le
privé respectivement.
§2.Contraintes d'accès à Internet au
Cameroun.
Même si la majorité des camerounais reconnaissent
les avantages que l'Internet procure, son usage reste encore timide et
limité ceci pour plusieurs raisons : accès et
accessibilité limitée, coût élevé, manque
d'intérêt et, pour la femme en particulier, manque de temps et
faible contrôle de son agenda. Seulement 20% des femmes naviguent sur
Internet contre 22% d'hommes.
Le milieu de résidence est un facteur
déterminant dans son accessibilité et son usage. C'est ainsi
qu'en milieu rural et dans une certaine mesure en milieu périurbain
où les infrastructures d'accès sont peu disponibles, les
individus ne sont pas en mesure de bénéficier des bienfaits
qu'offrent internet. Cet état des lieux pénalise davantage la
femme
que l'homme, car la majorité de la population
féminine camerounaise se trouve en milieu rural.
Au terme de ce chapitre, nous avons exposé dans la
première section quelques facteurs les plus souvent cités comme
déterminants de l'adoption de l'Internet dans les ménages
notamment : le niveau de revenu mensuel du ménage, le niveau
d'étude, la composition du ménage, le lieu de résidence,
le genre, l'âge de l'individu, le style de vie et l'entourage. Ensuite,
dans la seconde section, nous nous sommes intéressés à
l'adoption de l'Internet au Cameroun. Il ressort de cette section que : les
cybercafés sont les lieux où les camerounais utilisent plus
Internet ; et parmi les utilisations faites c'est l'adresse électronique
qui ravit la vedette. Le nombre d'E-mail croit avec le niveau d'instruction.
Les limites à l'accès à l'Internet les plus citées
sont : l'accessibilité, le coût élevé,
l'inutilité.
|