Conclusion générale
« Line des di icultes les plus cruciales en sciences
sociales est de conclure. Et ce serait meme une erreur que de vouloir conclure
si on ne prend pas au prealable un certain nombre de precautions
>>243. Cela suppose pour un sujet comme le nitre, qu'on ait
toujours a l'esprit le point oil l'on est parti : Il etait question pour nous
de demontrer qu'apres avoir acquis leurs lettres de noblesse en droit
international de l'environnement, les principes de prevention et de precaution
ont connu progressivement une valeur normative et une application effective en
Afrique centrale. En effet, cette normativite est dejà etablie lorsque
les principes sont expressement formules dans une loi, et qu'ils encadrent
l'exercice d'un pouvoir decisionnel de l'administration a l'endroit d'une
activite, d'une substance ou d'un produit susceptible de comporter des risques
de dommage graves ou irreversibles pour l'environnement ou la sante
humaine244. De cette normativite decouleront de nouvelles
obligations tant pour les autorites publiques que pour les particuliers.
L'exemple le plus accompli a cet egard resulte de l'integration des traites ou
des conventions du droit international de l'environnement dans les textes de la
sous-region. De fait, une fois que ces valeurs declaratoires et symboliques
penetrent dans l'ordre juridique communautaire, elles acquierent une force
juridique incontestable et beneficient non seulement de la primaute sur les
droits internes, mais jouissent aussi de l'effet direct ; les autorites
nationales y compris le juge etant les principaux garants de l'application de
ce droit communautaire245.
S'il etait indique de degager au prealable notre problematique
axee essentiellement sur les acteurs de l'application des principes du DIE en
Afrique Centrale, il etait tout aussi important d'envisager le domaine et les
modalites (techniques) d'application de ces instruments. Ceci devrait
permettre, et nous n'en sommes pas arrives tres loin, de constater que le
controle par le juge de ladite
243. KEMFOUET KENGNY (E. D.), op ; cit, p.
409.
244 TRUDEAU (H.), op., cit., p. 60.
245 KEMFOUET KENGNY (E. D.), op ; cit, p.
173.
application serait d'une contribution inestimable pour la
protection efficace de l'environnement. A cet egard, nous avons note que,
contrairement a ce que l'on peut penser concernant le reglement des differends,
les textes sous-regionaux d'environnement consacrent pour l'essentiel
l'arbitrage d'un organe ad hoc246, le reglement amiable entre les
parties247, et la negociation248. C'est en dernier
ressort249 et notamment en cas d'echec des autres procedures
reputees plus douces25° que les parties « peuvent >>
recourir a la procedure juridictionnelle, notamment a la Cour de l'Union
Africaine251 ou la Cour Internationale de Justice
( C.I.J.)252 ;
Quoi qu'il en soit et nous l'avons egalement releve, les
principes de prevention et de precaution ont un domaine vaste et sont mis en
oeuvre par des instruments connus indiques plus haut. Certes, precaution et
prevention ont en commun de situer l'action a entreprendre avant la
materialisation du risque253, mais la confusion ne pourrait se
radicaliser a l'extreme et confondre les deux principes. Tout au plus, nous
avons releve au dela de notre analyse, que le principe de prevention implique
la prise en compte par le droit des risques potentiels de fa~on a eviter que
ceux-ci n'entrainent eventuellement des dommages graves ou irreversibles pour
l'environnement ou la sante humaine. Pour emprunter l'heureuse expression de
Monsieur Jean Marc LAVIEILLE, il s'agit des « mesures de gestion d'un
risque connu >>254. Nous aurons aussi demontre que la
singularite du principe de precaution reside dans l'insuffisance des
connaissances qui conduit parfois a l'incertitude scientifique255.
Au demeurant et il convient de le relever, si la
246 C'est le cas des articles 20 alinea 3 de la
Convention de Bamako et 24 alinea 2 de la Convention d'Abidjan.
247 Article XXX alinea 1 de la Convention africaine
sur la conservation de la nature et des ressources naturelles.
248 Article 24 alinea 1 de la Convention d'Abidjan et article 20
alinea 1 de la Convention de Bamako
249 KEMFOUET KENGNY (E. D.), op., cit., p. 77.
250 Ibidem
251 Article XXX alinea 1 de la Convention africaine
sur la conservation de la nature et des ressources naturelles.
252 Article 20 alinea 2 de la Convention de Bamako
253 - ·- ·,.-
LUCCHIN1 (L.), op., cit., p. 714.
254 LAVIEILLE (J. M.), op. cit., p. 89.
255 -
LUCCHina (L.), op., cit., p. 715.
prévention, forme de gestion des risques, vise un
objectif imparfait certes mais rationnellement fondé et économe,
la précaution, basée sur l'absence de certitudes scientifiques
sur la peur, promet peu ou prou un idéal de « risque zéro
>>256.
Cependant que l'application des principes objet de notre
travail incombe a plusieurs types d'acteurs : des autorités
administratives centrales et déconcentrées en passant par les
collectivités locales, les personnes privées, les associations et
les ONGs.
Nous sommes donc convenus sur la base des études
récentes, que le probleme de l'application de la norme internationale en
droit interne est une question classique du droit des gens257. Car
depuis sa reconnaissance internationale, le principe de précaution
confere de nouveaux pouvoirs aux autorités publiques pour suspendre
l'effet des regles économiques et commerciales ordinaires258.
Il n'en va pas autrement pour ce qui est de son corollaire, le principe de
prévention. Ainsi, l'application de ces principes est tout d'abord
l'apanage des pouvoirs publics. Il est en effet certain que dans le domaine de
l'environnement il existe des reglements de police visant a interdire et a
controler certaines activités humaines perturbatrices du milieu naturel.
Les autorités publiques appliquent ces principes en correspondance
légale avec la nécessité d'assurer les objectifs d'ordre
public que sont traditionnellement la sécurité, la
tranquillité et la salubrité publique259 pour mettre
en oeuvre la politique diplomatique courante des Etats qui consiste a
"réagir et corriger'', laquelle semble devoir être
remplacée par une politique du "prévoir et
prévenir''260.
Cette application est ensuite pour les citoyens « a la
fois un droit a exercer et un devoir a respecter
>>261. Ceux-ci l'exercent comme droit quand ils
dénoncent devant
256 GUIBERT ( C.) ; LOUKAKOS (N.), op.,
cit.,
257 KEMFOUET KENGNY (E. D.), op. cit., p.
178.
258 GODARD (O.) ; et alt., op. cit.,
p. 170.
259 PRIEUR (M.), « Les principes
généraux du droit de l'environnement >>, op. cit.,
p. 7 ; Voir aussi BILONG (S.) : op. cit.
268 Environment security, International Peace Research
Institute-United Nations Environnement Programme, p. 9 ; cité par PAYE
(O.) et alt., op. cit., p.211.
261 LAVIEILLE (J.M.), op. cit., p. 99.
l'administration ou la juridiction compétente, les
atteintes qu'un projet peut causer a l'environnement. En revanche, ils se
doivent aussi de respecter les décisions administratives ou
juridictionnelles prises pour la poursuite d'un projet dont la nocivité
sur l'environnement n'est pas avérée. Il s'agit au sens large
d'un instrument d'action pour controler la conformité de textes
postérieurs et pour contester des décisions publiques ou
privées qui y seraient contraires. De maniere synthétique, c'est
« un devoir a respecter par les autorités politiques,
administratives qui, dans leurs compétences respectives, vont ou non,
autoriser la mise en oeuvre de projets, devoir a respecter également par
les créateurs de risques ainsi des scientifiques, des industriels ;
devoir a respecter par les générations présentes qui
devraient titre "gardiennes'' des générations futures
>>262. C'est ainsi que nous sommes parvenus, dans les
conditions de travail qui étaient les nitres, a une conclusion a
laquelle tout apprenant qui s'essaye dans la recherche n'aurait pu que
adhérer, a savoir que l'application des principes de prévention
et de précaution est certainement partout ailleurs et davantage en
Afrique centrale, l'affaire de tous.
Cependant, d'autres recherches ultérieures plus
pointues, axées par exemple sur une étude de cas
spécifique nous permettraient sans doute de fixer définitivement
les esprits sur la réalité de l'application de ces principes
phares du droit international de l'environnement dans l'un des Etats de
l'Afrique Centrale. Nous aurons peut-titre commencé a remplir notre
obligation fut-elle morale ; celle de restituer a qui de droit une
société écologiquement viable ; car le dommage
écologique s'étalant souvent dans le temps, il faut comprendre
des lors que nous sommes tous responsables vis-à-vis des
générations futures. Finalement, comme le disait Antoine De Saint
EXUPERY, « Nous ne léguons pas la nature a nos enfants, nous la
leur empruntons >>263
262 Ibidem.
263 DUPUY (P.M.), op. cit.
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