Paragraphe 1 : La competence des juridictions
nationales
L'etude de la competence de la juridiction administrative (A)
precedera celle de la competence de la juridiction judiciaire (B).
A- La competence de la juridiction administrative en
matiere de protection des principes du droit de l'environnement
En Afrique Centrale notamment au Cameroun et au Gabon, la
juridiction administrative fonctionne suivant des regles derogatoires au droit
commun. Ces juridictions administratives ont reçu les principes du droit
international de l'environnement qu'elles appliquent d'ailleurs même en
l'absence de textes de loi ou en presence des textes opaques ou de portee
limitee. C'est un peu par le biais de la jurisprudence que le principe de
precaution par exemple a acquis une portee effective dans ces pays comme en
France. Si nous prenons le cas camerounais, nous y verrons que le juge
administratif s'est en effet montre tres receptif a l'esprit porte par le
principe de precaution et l'a applique dans sa jurisprudence même en
189 Lexique des termes juridiques op. cit.,
p. 122.
198 La competence materielle ou competence rationne
materiae est aussi appelee competence d'attribution.
191 Competence territoriale ou rationne loci.
192 Competence personnelle ou rationne personae.
193 Competence temporelle ou rationne temporis.
l'absence de fondement écrit précis. Il s'est
montré relativement prudent en se limitant autant que possible au
contrôle de la légalité externe des actes.
Le contrôle juridictionnel de l'application des
principes de précaution et de prévention trouve un terrain
fertile dans des procédures d'urgence notamment dans le
référé et sursis a exécution oil le juge
administratif est appelé a prendre des mesures urgentes et
conservatoires194 pour sauvegarder une situation susceptible de
nuire a l'environnement. Et le juge administratif ne tarde pas a mettre en
évidence le principe de précaution ou de prévention dans
sa jurisprudence chaque fois que subsiste un doute sur la survenance
éventuelle d'un fait susceptible de troubler l'équilibre de
l'environnement ou la santé et la sécurité publique,
répondant ainsi aux exigences de l'adage « prévenir vaut
mieux que guérir », car comme nous le disions supra avec la voix
autorisée du Doyen Michel PRIEUR, « l'action préventive est
une action anticipatrice et a priori qui depuis fort longtemps est
préférée aux mesures a posteriori du type
réparation, restauration ou répression qui interviennent apres
une atteinte avérée a l'environnement »195.
D'ailleurs, la responsabilité d'appliquer le principe
de précaution incombe essentiellement aux juridictions administratives.
En effet, l'influence du principe de précaution est nettement plus
diffuse et malaisée a définir dans le droit de la
responsabilité civile, enfermé dans l'idée de
réparation a posteriori d'un dommage déjà survenu que dans
le droit administratif oil il s'agit de poser des regles d'action a priori. Par
ailleurs, la jurisprudence administrative nationale tend a faire du principe de
précaution une véritable regle de droit dotée d'une
portée propre, en dépit de l'absence des textes accordant a ce
principe une portée juridique autonome et directe. Ce qui permet a ce
principe d'acquérir une dimension beaucoup plus contraignante et de
démontrer que bien que formellement reconnu dans le seul domaine du
droit de l'environnement, il pourrait être appliqué a des
situations beaucoup plus larges.
194 Lire a cet effet ROMI (R.), Droit et
administration de l'environnement, op. cit., pp. 348 et s.
195 PRIEUR (M.), « Les principes
généraux du droit de l'environnement », Cours
polycopié n° 5 de tronc commun de Master 2 par Satellite
en Droit international et comparé de l'environnement, Université
de Limoges, année universitaire 2009-2010, p. 21.
Enfin, l'adhésion du juge administratif national dans
l'espace CEMA C au principe de précaution implique la prise en compte
des risques potentiels dans le jugement des litiges de fa~on a éviter
que ceux-ci n'entrainent éventuellement des dommages graves ou
irréversibles pour l'environnement ou la santé humaine « le
risque potentiel est ici compris comme un risque qui n'est pas
avéré, c'est-à-dire que son existence ou sa
réalité ne peut etre prouvé compte tenu de l'état
actuel des connaissances scientifiques »196. En postulant ainsi
que le droit doit s'intéresser au risque incertain, le principe de
précaution se présente comme un prolongement naturel de la
philosophie juridique qui prédomine jusqu'ici dans les rapports entre le
droit et les avancées scientifiques.
A coté de la compétence des juridictions
administratives d'Afrique Centrale pour ce qui est du contrôle de
l'application des principes de précaution et de prévention, se
peaufine celle des juridictions judiciaires nationales.
B- La competence des juridictions judiciaires nationales
d'Afrique Centrale en matiere de contrôle de l'application des principes
de prevention et de precaution
La juridiction judiciaire se subdivise en deux poles : Il
s'agit d'une part de la juridiction civile qui ne condamne qu'à des
réparations matérielles du dommage et d'autre part de la
juridiction pénale qui en plus des réparations matérielles
et pécuniaires, prononce des condamnations a des peines privatives de
libertés. Mais pour des besoins de la synthese de notre travail, nous ne
ferons pas de développements séparés.
196 En vertu cependant de l'interprétation
doctrinale majoritaire, le principe de précaution ne devrait pas trouver
application a l'endroit des risques potentiels qui ne font pas au moins l'objet
d'un début de preuve scientifique. Sur la distinction entre d'une part
les risques certains (ou avérés) et les risques incertains (ou
potentiels) et d'autre part les risques incertains et les risques
résiduels (ceux qui ne font pas a tout le moins l'objet d'un
début de preuve scientifique), voir DE SADELEER (N.) : « Les
principes du pollueur-payeur, de prévention et de précaution
», cité par TRUDEAU (H.), op. cit., note de bas de page
n° 108, p. 39.
Notons que tout comme la juridiction administrative,
l'adhesion au principe de precaution donne competence aux juridictions civiles
d'ordonner la cessation d'une activite generant les risques potentiels de
dommages graves ou irreversibles a l'environnement ou a la sante humaine, alors
meme que le dommage n'est en quelque sorte, qu'une vue de l'esprit. Ainsi,
d'apres le Professeur MAZEAUD, il serait question des lors d'une «
responsabilite nouvelle, une responsabilite en quelque sorte sans victime, sans
prejudice et sans indemnisation »197
Par application des principes de prevention et de precaution,
le juge judiciaire camerounais sanctionne tout producteur ou importateur des
dechets dangereux, se conformant aux prescriptions de la loi camerounaise en la
matiere198. Cette loi considere comme telles « les matieres
contenant des substances inflammables, explosives, toxiques presentant un
danger pour la vie des personnes, des animaux, des plantes et pour
l'environnement »199. Elle interdit de meme sans aucune
derogation possible, « l'introduction, la production, le stockage, la
detention, le transport, le transit et le deversement sur le territoire
national des dechets toxiques et/ou dangereux sous toutes les formes
»200. Dans le meme sens, la loi congolaise « interdit a
toute personne physique ou morale, publique ou privee, d'importer ou de faire
importer, de faciliter ou de tenter de faciliter l'importation des dechets
nucleaires et des dechets industriels dangereux ou autres dechets de meme
nature ». Il en est de meme du code de l'environnement de la Guinee
notamment l'article 75.
Dans les differentes lois des pays de l'Afrique Centrale,
obligation est faite au juge de sevir avec la derniere energie. On en voudra
pour exemple le cas du Cameroun oil le juge saisi doit imperativement ordonner
a toute personne coupable de l'une de ces infractions « de les eliminer
immediatement et de restituer les lieux en leur etat anterieur ». Le cas
echeant, le juge pourra ordonner la fermeture de
197 Sur la question, lire MAZEAUD (D.) : «
Responsabilite civile et precaution dans la responsabilite a l'aube du XXleme
siècle », bilan prospectif, responsabilite assurances, cite par
TRUDEAU (H.), op. cit., p. 59.
198 Loi camerounaise n° 89/027 du 29
Decembre 1989 portant sur les dechets toxiques
199 Article 2 de la loi camerounaise de 1989
precitee.
200 Article 1 de la loi camerounaise de 1989 precitee.
l'établissement. Au Congo par contre, la
loi201 prescrit au juge saisi de demander a tout producteur de ce
type de déchets de mettre tout eu oeuvre pour assurer ou
améliorer la gestion écologiquement rationnelle de ceux-ci,
appliquer de nouvelles techniques produisant peu de déchets, veiller au
stockage et a l'élimination séparée desdits
déchets202.
Les juges ne lésinent pas sur les moyens quant a
l'application exemplaire des dispositions légales, ils appliquent
vigoureusement des sanctions prévues par le législateur. Par
exemple, par application des prescriptions légales du Code de
l'environnement guinéen, le juge de ce pays punit d'une amende de cent
mille a un million de francs guinéens et d'une peine d'emprisonnement de
deux a cinq ans ou l'une des deux peines, toute personne qui contrevient a la
loi203.
Au Congo, toute personne coupable d'une telle infraction est
punie d'une amende de 10.000.000 francs cfa a 50.000.000 francs cfa et d'une
peine de 10 a 20 ans de réclusion meme si l'importateur en cause a
été suspendue.
La loi camerounaise précitée donne
compétence au juge de frapper encore plus fort, elle punit « de la
peine de mort, toute personne non autorisée qui procede a
l'introduction, a la production, au stockage, a la détention, au
transit, au déversement sur le territoire camerounais des déchets
toxiques et ou dangereux sous toutes leurs formes >>204.
Le juge judiciaire national est aussi compétent dans la
lutte contre les nuisances. De fa~on générale, on entend par
nuisance, toute agression d'origine humaine contre le milieu physique, ou
biologique, naturel ou artificiel entourant l'homme205 et causant un
simple désagrément ou un véritable dommage a ce dernier.
La jurisprudence camerounaise inspirée de celle francaise integre dans
cette notion entre autre, les activités d'une société de
travaux publics qui entraine la stagnation
201 Il s'agit notamment de la loi congolaise de
1991.
202 Voir article 54 de la loi congolaise
précitée.
203 Article 11 du Code de l'environnement de la
Guinée Equatoriale.
204 Article 4, alinéa 2 de la loi camerounaise
précitée.
205 CABALLERO (F), cité par KAMTO
(M.), op., cit., p. 339
des eaux de pluie a l'entrée de la concession d'un
particulier. Il s'agit généralement de troubles de voisinage,
notion résultant d'une construction prétorienne.
Quelques décisions ne serait-ce que dans le cadre du
Cameroun méritent qu'on s'y attarde. Le Tribunal de Grande Instance de
Yaoundé, 12 octobre 1983, NKUENDJI YONTDA contre Société
EXAR COS a propos des travaux d'aménagement effectués sur son
terrain par un propriétaire et qui causent un « trouble de fait
» a un voisin. Une agression matérielle entre la possession ; Cour
d'Appel de Yaoundé, 03 Juin 1987, NGUEMA MBO Samuel contre ANOUKAHA
François, l'évacuation par deux entreprises industrielles vers la
propriété d'un voisin de toutes les eaux recueillies sur leurs
terrains et qui accroissent le volume initial des eaux et leur nocivité
; Tribunal de Grande Instance de Douala, jugement du 03 Octobre 1983, DIMITE
Thomas contre CI CAM et Guinness-Cameroun.
La question du contrôle de l'application des principes
de prévention et de précaution revêt-elle la même
pertinence au niveau de la juridiction supra nationale de l'espace
géographique Afrique Centrale qu'elle l'est devant les juridictions
nationales objet des développements précédents ?
Paragraphe 2 : La competence de la juridiction supra
nationale dans l'espace Afrique Centrale en matière d'application des
principes de prevention et de precaution
La particularité d'une juridiction communautaire est de
rompre avec les solutions prévalant habituellement en droit
international pour s'affirmer en de véritables pouvoirs judiciaires.
Répugnant le tout étatique, leur prétoire est donc ouvert
aux particuliers, ce qui est intéressant pour la protection de
l'environnement, les particuliers pouvant saisir le juge communautaire afin
qu'il sanctionne tout fauteur de trouble écologique206. Mais
une telle affirmation ne saurait être accueillie comme une parole
d'évangile car la réalité est que, a défaut
d'être
206 KEMFOUET KENGNY (E. D.), op. cit., p.
106.
selectif, l'acces a la justice communautaire tant vantee se fait
souvent par une porte d'une exiguIte etonnante.
La competence de la Cour de justice de la CEMA C comme
juridiction communautaire est mitigee. D'abord elle est une juridiction non
permanente puisqu'elle ne se reunit que sur convocation de son President qui du
reste fixe en fonction du role de la Cour, les dates et durees des sessions.
Ensuite, elle ne peut etre saisie que par les Etats et les Institutions de la
communaute. Enfin, cette Cour comporte des lacunes majeures quant au droit des
juges. Ceux-ci sont designes directement par les Etats membres, sans que les
organes de l'union n'interviennent a aucun moment dans la procedure. Cela fait
bien emettre des doutes sur l'aptitude a l'impartialite de ces juges presumes
de droit communautaire.
Neanmoins, cette juridiction est competente pour sanctionner
les comportements desagreables des Etats membres de la communaute et empecher
que l'Etat initialement promoteur du droit de l'environnement n'en devienne par
la suite predateur numero 1. Tout comme le contrôle effectue par le juge
administratif207, le contrôle du juge communautaire porte sur
l'examen de la legalite des etudes d'impact uniquement a l'occasion des recours
contre les actes de la communaute soumis a etude ou notice d'impact.
Cependant, l'existence des juridictions comme gage de controle de
l'application de ces principes se trouve limitee par certains goulots
d'etranglement.
207 HEBRARD (S.) : Les etudes d'impact sur
l'environnement et le juge administratif, RJE, 2 p. 129, « Les etudes
d'impact dans la jurisprudence administrative », CJE, 1982, p. 421 ;
Chapitre 2 : Les entraves a l'application efficace de ces
principes en Afrique Centrale
Le controle de l'application des principes de
prévention et de précaution que garantit tant bien que mal le
juge dans l'espace Afrique Centrale n'est pas parfait, avons-nous dit, a cause
des goulots d'étranglement au rang desquels les entraves intrinseques
(Section 1) et extrinseques (Section 2).
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