Section 1 : La nature des juridictions en presence
Dans la sous région Afrique Centrale, il existe les
juridictions internes ou nationales et une juridiction supranationale ou
sous-régionale.
La juridiction sous-régionale est l'outil idéal
de mise en oeuvre du principe de primauté qui signifie que la norme
communautaire prévaut sur le droit national et implique qu'en cas de
conflit interne entre une norme communautaire et une norme interne,
l'application de la seconde soit écartée au profit de la
premiere.
176 Les Cours de Justice de la CEMA C, de l'UEMOA
et du COMESA sont inspirées de la CJ CE. Cette filiation au modele
européen apparait tant au niveau de leur organisation interne, leurs
compétences et leurs regles de procédure. Cf. Conventions et
Actes additionnels régissant et organisant la Cour de justice de la CEMA
C.
L'application immédiate et directe resterait lettre morte
si un Etat pouvait s'y soustraire par un acte législatif opposable aux
textes communautaires.
C'est la Cour de justice des Communautés
Européennes qui a posé solennellement ce principe pour la
premiere fois dans l'arrêt Costa en affirmant, par une formule
synthétique et dense, qu' « issu d'une source autonome, le droit
né d'un traité ne pourrait, en raison de sa nature
spécifique originale, se voir judiciairement opposer un texte interne
quel qu'il soit, sans perdre son caractere communautaire et sans que soit mise
en cause la base juridique de la Communauté elle-même ».
C'est donc la logique propre au droit communautaire qui
commande de consacrer sa primauté sur les droits des Etats membres : la
primauté est « une condition existentielle » du droit
communautaire qui ne saurait exister en tant que droit qu'à la condition
de ne pas pouvoir être mis en échec par le droit des Etats
membres177; elle ne vient pas d'une hiérarchie entre les
autorités nationales et communautaires mais se fonde sur ce que la regle
communautaire doit prévaloir sous peine de cesser d'être commune ;
or a défaut d'être commune, elle cesse d'exister et il n'y a plus
de communauté. Ainsi pour les besoins de la clarté de ce travail,
nous examinerons les juridictions nationales des Etats (Paragraphe 1) ensuite
la juridiction communautaire (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Les juridictions nationales
Si nous nous référons au cadre camerounais, nous
distinguerons deux types de juridictions susceptibles de garantir l'application
des principes du droit international de l'environnement a savoir l'instance
administrative et l'instance judiciaire. Cet état de chose tire sa
légitimité dans le fait que la plupart des pays francophones
d'Afrique Centrale ont hérité de la tradition francaise du
dualisme juridictionnel, comme indiqué précédemment. Etant
parties a diverses conventions et déclarations sur l'environnement, ces
pays sont par la suite appelés
177 CJ CE, 15 juillet 1964. Aff. COSTA C/ ENEL aff.
6/64. Rec. 1141.
a mettre en application ces textes. De fait « une fois
que ces valeurs déclaratoires et symboliques pénetrent dans
l'ordre juridique communautaire, elles acquierent une force juridique
incontestable et bénéficient non seulement de la primauté
sur le droit interne mais jouissent aussi de l'effet direct ; les
autorités nationales y compris le juge étant des principaux
garants de l'application de ce droit communautaire >>178. Pour
se convaincre de la réalité de l'application de ces textes par
les autorités juridictionnelles, il est tout a fait indiqué,
d'une part, d'analyser les conditions de recevabilité de la demande en
justice (A) et d'autre part les regles de fonctionnement des juridictions
nationales d'Afrique Centrale (B).
A- Conditions de recevabilite de la demande en justice en
matiere environnementale
Comme pour toute demande en justice, certaines conditions de
recevabilité tiennent a la personne du requérant, on parle de
recevabilité subjective (1) tandis que d'autres tiennent a la
requête et on dira alors qu'elles sont objectives (2).
1) La recevabilite subjective
La condition de recevabilité subjective renvoie a un
certain nombre d'éléments tenant a la personne du
requérant désireux de porter la cause environnementale devant un
juge. L'usage qu'en font les juges internes n'est pas toujours propice et
profitable au droit de l'environnement. La condition de capacité
n'appelle pas de remarques particulieres. L'intérêt et la
capacité sont cependant problématiques au vu de la rigueur que
les juges y attachent. C'est fort de cela que Monsieur Emile Derlin KEMFOUET,
analysant la question, plaide pour une relativité de ces deux notions en
ces termes : « concevoir de fa~on restrictive ces deux notions exposent au
risque de ne pas servir la cause de la protection de l'environnement. En effet,
une des questions auxquelles les juridictions doivent répondre
lorsqu'elles sont
178 KEMFOUET KENGNY (E. D.), op. cit., p.
173
sollicitées est la nécessité, voire
l'urgence de prendre en considération la nature spécifique des
intérêts violés. Or la vérité est que ce ne
sont pas toujours les intérêts propres qui sont violés,
mais des intérêts communs peu divisibles et touchent un nombre
indéterminé de personnes. La prise en compte de cette
spécificité devrait donc se traduire dans la pratique
contentieuse par une large acception des notions de l'intérêt et
de qualité pour agir >>179. Par ailleurs, devant les
juridictions d'Afrique Centrale, les demandes collectives comme celles des
groupements et associations ayant pour objectif la protection de
l'environnement ne sont pas recevables parce qu'on ne leur reconnait pas la
qualité pour agir. Sont illustratives de cette tendance subjectiviste,
les traditions juridiques nationales du Cameroun (confere affaire BOUENDEU) et
du Gabon.
S'il est constant que la recevabilité subjective constitue
un serpent de mer, la recevabilité objective en revanche pose moins de
problemes.
2) La recevabilite objective
La recevabilité objective renvoie a l'ensemble des
regles concernant la requête a l'instar des délais, des regles
relatives a la présentation matérielle et formelle de la
requête, etc. Ces exigences légales ne créent pas toujours
un rapport favorable a la cause de l'environnement. Ainsi en est-il de la
notion de délai pour agir qui n'est pas toujours précis a cause
du flou autour de sa computation et de ses hypotheses de prorogation. Les
questions d'environnement sont une affaire de temps, celui-ci pouvant
être compris dans un double sens comme « un tres long terme ou une
tres breve échéance >>180. Il est donc attendu
de l'autorité judiciaire l'adaptation des regles traditionnelles en
matiere de recevabilité pour répondre aux exigences d'une
protection efficace de l'environnement. Malheureusement, il n'en est pas
toujours le cas. Les juges procédant tres souvent d'une
interprétation stricte des prescriptions légales même en
cas d'urgence. Du moment oil le droit international
179 Ibid., p. 175.
180 Ibid., p. 176.
de l'environnement repose sur une logique preventive et de
precaution, une place de choix devrait être accordée aux
procedures qui doivent surseoir a l'exécution des decisions susceptibles
d'affecter l'environnement.
La lumiere sur les conditions de recevabilité de la
demande en justice en matiere environnementale ayant été faite,
celle sur les regles de fonctionnement des juridictions d'environnement ne sera
pas en reste.
B- Les regles de fonctionnement des juridictions
d'Afrique Centrale en matiere de protection de l'environnement
En general, le fonctionnement des institutions
juridictionnelles d'Afrique Centrale repose sur un ensemble de regles dont
l'inobservation expose le contrevenant a des surprises peu agreables. Cela
etant le justiciable soucieux de voir sa cause tranchée devra observer
une certaine démarche. En effet, il ne suffit pas simplement a ce
dernier d'être bien fondé dans sa demande pour attendre du juge
qu'il prononce et exige le respect de ses droits. Il lui faut en outre avant de
soumettre sa prétention a l'examen du tribunal, accomplir un ensemble de
formalités et observer une procedure en l'absence desquelles il serait
irrecevable a agir. Cette exigence fait dire par exemple en droit interne que
les regles de fonctionnement des juridictions sont d'ordre public et explique
que le mecanisme de leur reconnaissance puisse être soulevé
d'office par le juge qui, rappelons-le demeure un tiers au litige. On exige a
l'appui de cette position, la necessite d'une bonne administration de la
justice. Ainsi, il faut eviter d'encombrer les prétoires des recours
inutiles, ce qui permettra au juge de faire l'économie du temps et de se
consacrer aux affaires beaucoup plus pertinentes181. Les
juridictions internationales en raison de leur caractere purement conventionnel
repondent
181 Ibid.
difficilement aux memes criteres que les juridictions
internes182, pareil pour les juridictions communautaires ou meme
sous régionales.
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