1 REALITE ET IDENTITE DE LA SPECULATION SUR LE MARCHE
DES
CHANGES p. 6
1.1 Définition de l'objectif de spéculation
p. 6
1.1.1 Qui sont les spéculateurs sur le
marché des changes p. 6
1.1.1.1 Les autres institutions financières
p. 7
1.1.1.2 Les banques (« reported dealers ») p.
8
1.1.2 Performance disponible p. 9
1.2 Résultats empiriques : une martingale ? p.
12
1.2.1 Faits stylisés p. 13
1.2.2 Le jeu des déséquilibres p.
14
1.2.3 Le transfert de risques p. 16
2 EFFICIENCE DE L'INFORMATION ET
INCITATION A SPECULER p. 19
2.1 Paradoxe Grossman-Stiglitz p. 19
2.1.1 Présentation du modèle de
départ p. 19
2.1.2 Développements académiques
subséquents p. 21
2.1.2.1 Complétude des marchés et
efficience informative p. 21
2.1.2.2 Accès à l'information et
efficience informative p. 22
2.1.2.3 Anticipations et efficience informative p. 23
2.2 Problématique de l'ancrage des anticipations
p. 25
2.3 Approche microstructurelle p. 26
2.3.1 Flux des ordres et rétention de
l'information p. 26
2.3.2 Bruit des teneurs de marchés
(market-makers) p. 27
2.3.3 Volatilité et volume des ordres p.
30
3 ANTICIPATIONS, RATIONNALITE DES AGENTS ET REALITE DE
LA PRISE DE RISQUE p. 33
3.1 Hétérogénéité des
agents : les modèles de bruit
sur le marché p. 33
3.1.1 Modèle de Noise Trading p.
34
3.1.1.1 Principe du modèle p. 34
3.1.1.2 De la crainte du marché p. 35
3.1.2 Une approche par la théorie des
jeux p. 37
3.1.2.1 Croyances d'ordre supérieur (Higher order
belief) p. 37
3.1.2.2 Cascades informatives p. 38
3.1.2.3 Croyances a priori
hétérogènes p. 39
3.2 Anticipations rationnelles subjectives : risque
d'entêtement et de crise p. 40
3.2.1 Une inexactitude constante p.
40
3.2.2 Nature autoréférentielle et
risques de bulle p. 42
Conclusion p. 45
Notice bibliographique p. 47
Annexes p. 50
Introduction
Maudite spéculation ! Telle est encore la
réflexion logique qu'inspirent les récents
événements sur les bourses mondiales de cet été.
Cette course effrénée au profit qui se révèle titre
un château de carte branlant, une tour de Babel de l'avidité que
la raison subite, tel le souffle divin, renverse. Bougres de financiers qui,
affolant l'émoi collectif, exacerbent le spectre de crises
économiques majeures, bouleversantes, conséquence peureuse de
leurs actes gourmands...
Plus académiquement, ce phénomène se
définit classiquement comme une opération financière qui
consiste à profiter des fluctuations des marchés en anticipant
l'évolution d'un prix pour réaliser une plus-value en
contrepartie d'un risque. Elle tend à vouloir profiter d'un mouvement de
prix subséquent au changement d'une ou plusieurs variables qui
l'affectent. Pour se faire, elle anticipe sur un phénomène
économique d'offre, de demande sur cet actif, ou d'une valorisation
perçue comme insuffisante ou trop élevée. Selon
l'historien et économiste Kindlerberger1, tout mouvement
spéculatif part d'une observation fondamentale qu'il nomme «
déplacement ».
Portant sur une variété d'actifs tant physiques
(immobilier, matières premières) que financiers (actions,
obligations, taux de change), son existence se fonde sur la possibilité
de tirer profit d'un mouvement de marché à venir en contrepartie
d'une prise de risque. Par exemple, nombreux furent les fonds
spéculatifs dits de couverture (« hedge funds ») à
parier fortement sur les variations du prix du pétrole en raison de son
offre limitée par rapport à une demande croissante voire a priori
illimitée de cet or noir. Elle pose donc la notion d'inefficience des
prix de marchés. Sont-ils justes ? Telle est la problématique
existentielle de la spéculation.
1 . ,1 ' / ( 5 V( 5 * ( 5 ACK.,A«Histoire
mondiale de la Spéculation', A XE1-LtA* 1-141n,A21:1:1
Plus précisément, le prix d'un actif financier
étant défini comme la valeur actualisée des flux
financiers futurs qu'il générera nette de la prime de risque, il
est fonction des informations le concernant. Celles-ci permettent en effet de
pouvoir déterminer l'exactitude de ces flux futurs. Si les
marchés financiers sont donc efficients comme l'a démontré
Fama (1970), chaque prix est le juste reflet de l'ensemble des informations
passées (hypothèse faible), publiques (hypothèse
semi-forte) et privées (hypothèse forte) le concernant. Il ne
peut y avoir d'écart entre son prix de marché et sa valeur
fondamentale. Tout écart éventuel ferait donc l'objet d'un
arbitrage, processus de vente de l'actif surévalué et d'achat de
l'actif sous-évalué qui ramènerait les prix à leur
valeur fondamentale.
L'arbitrage est donc le mécanisme qui assure la
validité de la loi du prix unique. Il est aussi défini comme
neutre en risque de par la nature systématique et évidemment
réalisable du profit généré de la sorte. Ainsi, il
ne peut y avoir de facto de gain supérieur au rendement de
marché à moins de prendre des risques spécifiques plus
élevés.
Cette définition contraste pleinement celle de la
spéculation. Pour que celle-ci soit rentable, il faut que le prix des
actifs financiers ne reflète pas l'ensemble des informations les
concernant. Sinon, elle ne peut fonctionner car l'espérance de gain
serait vaine. A moins, selon les teneurs de la pleine efficience des
marchés, de prendre un risque supplémentaire par rapport à
celui incarné par le marché dans son ensemble. Toutefois la
spéculation ne pourrait-elle pas relever de ce processus d'efficience
des marchés en ce sens qu'elle contribue à révéler
les informations disponibles quant à l'actif sur lequel elle jette son
dévolu ? Ne serait-elle pas en réalité une forme
d'arbitrage à risque non neutre ?
Evaluer la rentabilité de la spéculation pose le
problème du périmètre et revient donc à
l'évaluer sur deux dimensions possibles : l'une microéconomique
se concentrant sur la capacité d'un agent à générer
un gain : cette problématique se limite à analyser la
manière de tirer profit d'une inefficience éventuelle des
marchés ; l'autre, plus macroéconomique jaugeant l'effet de la
spéculation sur le bon fonctionnement des marchés financiers en
particulier et de l'économie en général. Nous nous
plaçons plutôt dans la deuxième configuration : nous nous
interrogeons à la justesse des prix de marché, de la
qualité comme de l'accessibilité des informations qui les
influencent, à la pertinence du mode de formation des anticipations
ainsi qu'à la réalité de la prise de risque. Peut-elle
être une « fonction support » de l'efficience et jusqu'à
quelle mesure eu égard aux débordements spéculatifs dont
l'histoire économique regorge ?
Par conséquent, dans une première partie,
après une analyse de la manière dont l'information est
révélée sur les marchés d'un point de vue
fondamental (Paradoxe Grossman Stiglitz) et microstructurel (Lyons, University
of California, Berkeley), nous définissons la fonction objectif du
spéculateur dans le cadre d'une analyse plus empirique des
résultats de la spéculation. Ensuite, à l'aide des
modèles de la finance comportementale (Shleifer, Harvard University) et
cognitive (Orléan, CEPREMAP, EHESS), nous allons tenter
d'élucider le mode de formation des anticipations sur les
marchés, les stratégies d'investissement subséquents et le
risque de bulle.
Dans le cadre présent, nous nous concentrons uniquement
sur le marché des changes pour cinq raisons. Celui-ci est le
marché :
- le plus liquide au Monde (volume quotidien de US$ 1.900
milliards),
- le plus complet en termes de transactions possibles : achat de
devises au
comptant (échange immédiat), à terme via
des contrats dérivés listés sur des
marchés centralisés (futures, options) comme de
gré à gré (forward,
swaps...)
- a priori un marché efficient eu égard à
la non corrélation des variations quotidiennes des principales paires de
change. Celles-ci sont au nombre de 4 comme l'indique le tableau ci-dessous
provenant des études statistiques de la Banque des Règlements
Internationaux :
![](La-speculation-est-elle-rentable-1.png)
En décalant leurs rendements quotidiens,
l'autocorrélation des rendements obtenus sur l'Euro/Dollar est de -3%.
En comparant, par exemple, l'Euro avec les devises britanniques et japonaises,
les autocorrélations suivantes sont obtenues :
![](La-speculation-est-elle-rentable-2.png)
Il est toutefois aussi intéressant de noter certaine
corrélation, somme toute relative, entre les paires Euro/Dollar et
l'Euro/Livre sterling (GBP) tout comme avec l'Euro/Yen (JPY) comme l'indique la
table ci-dessous :
![](La-speculation-est-elle-rentable-3.png)
- le moins évident à évaluer :
contrairement aux modèles d'évaluation d'actions ou d'obligation,
il existe plusieurs modèles d'évaluation du taux de change,
d'équilibre général ou non, linéaire ou non sans
pour autant qu'il y ait un modèle qui permette de prévoir
efficacement la valeur des taux de changes à court et moyen termes. Tout
complet et liquide qu'il soit, le marché des changes semble ouvert au
bruit. L'abondance de littérature académique s'intéressant
au puzzle du taux de change ne fait que le confirmer.
- Nombreuses furent les crises de change imputables à la
spéculation, comme, par exemple, la crise du Franc français en
1993.
Notre analyse se concentrera préalablement sur la
réalité d'une spéculation rentable sur les marchés
des changes pour ensuite étudier dans une deuxième partie la
notion de révélation des informations incitant dès lors
à spéculer pour enfin analyser la qualité des
anticipations des agents. Cette analyse aura aussi recours à deux
exemples plus microéconomiques, les fonds spéculatifs de Sanford
Grossman et de George Soros. En annexe seront aussi fournis les
résultats des paris sur devise d'un bureau québécois
d'analyse économique, BCA Research.
4 REALITE ET IDENTITE DE LA SPECULATION SUR LE MARCHE DES
CHANGES
Comme indiqué en introduction, la rentabilité de
la spéculation induit clairement la notion d'efficience de
marché. Pour ce faire, avant d'aller plus loin, il semble pertinent de
préalablement mesurer si cette dernière est effectivement
rentable à partir des chiffres publiés notamment par divers fonds
spéculatifs. Pour se faire, nous tentons préalablement
d'identifier les différents groupes de spéculateur, leur fonction
objectif et les processus d'investissement qu'ils déclinent pour
atteindre leurs objectifs. Ainsi, le constat de leurs résultats mieux
appréhendés permettra de corroborer ou infirmer a priori la
notion de marchés et de prix efficients.
4.1 Définition de l'objectif de
spéculation
Mesurer la rentabilité de la spéculation sur le
marché des changes n'est pas chose aisée. Les acteurs sont
multiples et variés. C'est pourquoi nous cherchons préalablement
à identifier les différents groupes spéculant sur les
marchés des changes. De plus, tous ne publient pas leurs données
de performance et de risque. Seules quelques bases de données et
études publiées par le FMI ou la BRI rendent l'information plus
accessible.
4.1.1 Qui sont les spéculateurs sur le
marché des changes
Identifier le flux spéculatif sur le marché des
changes est aussi difficile : qui spécule vraiment ? Un fonds mutuel
européen libellé en Euro pour une clientèle
européenne, investi en actions américaines qui décide
ponctuellement de ne pas couvrir sa position Euro/Dollar car il a une opinion
positive sur la devise américaine ? Un trésorier d'une entreprise
industrielle qui ne rapatrie pas ses devises étrangères ni
même ne les couvre pour la même raison ?
Néanmoins le tableau ci-dessous publié par la BRI
permet de dégager les principaux intervenants : les autres institutions
financières et les banques (reported dealers).
![](La-speculation-est-elle-rentable-4.png)
Parmi tous les différents intervenants, seuls deux
grands groupes sont plus aisément identifiables d'après le
tableau de la BRI : les autres institutions financières et les banques
(« reported dealers »).
4.1.1.1 Les autres institutions financières
Ceux-ci sont de deux natures. La première recouvre les
fonds dits de couverture aussi appelés « hedge funds », comme
ceux, plus récents, d'allocation tactique. Tous2 deux
participent du même mouvement, prendre position sur des scénarii
de réévaluation ou de dévaluation issus eux-mêmes
d'un scénario économique globale. Les plus célèbres
sont notamment le fonds Quantum de George Soros connu pour les crises de change
européenne en 1992 et en 1993, le fonds « Grossman currency fund
» du Professeur Sanford Grossman, et le fonds d'allocation d'actifs de la
banque d'affaires américaine Goldman Sachs, géré par le
Professeur Bob Littermann.
Cette catégorie est aussi elle-même
hétérogène dans son contenu : tous ne déploient pas
les mêmes sous-stratégies. Tous n'utilisent pas les mêmes
techniques, ces dernières pouvant se résumer à du suivi de
tendance quand d'autres sont plus élaborées en termes de
prévisions économiques et financières. Certains fonds
peuvent aussi être très qualitatifs dans leur approche quand
d'autres sont très quantitatifs.
2 LAVINIO S., «The Hedge Funds
Handbook», Irwin Library of Investments & Finance, 1994
La deuxième catégorie englobe l'ensemble des
fonds mutuels obligataires internationaux. Pour eux, le pari sur devise est
intrinsèque à leurs processus d'investissement visant à
cibler les pays sur lesquels se positionner au-delà de la simple
sélection de valeur obligataire, taux d'intérêt et taux de
change pouvant être liés comme il le sera montré
ultérieurement.
L'ensemble de ces intervenants est toutefois
évalué de manière commune en termes de risque-rendement.
Ils sont comparés les uns aux autres en fonction de leur ratio de
Sharpe. Celui-ci vise à mesurer l'excès de performance du
portefeuille Rp de ces gérants de portefeuilles par rapport au
taux sans risque Rf nets du risque de ce portefeuille mesuré en
termes de volatilité vó2. Etant donné que ces
gérants gèrent selon un processus compétitif les fonds
d'investisseurs tiers dont une forme d'épargne collective (fonds de
pension...), leur but est de maximiser ce ratio de Sharpe Max (Sharpe),
c'est-à-dire de maximiser le numérateur en minimisant la prise de
risque pour être ainsi rémunérés au mieux. Telle est
leur fonction objectif :
Max [(Rp - Rf)/ vó2]
Il est intéressant de noter que cette maximisation peut
être atteinte par une meilleure diversification des risques minimisant
vó2 au mieux, venant a priori potentiellement contredire la
dimension de prise de risques associée à la
spéculation.
4.1.1.2 Les banques (« reported dealers »)
Celles-ci ont un rôle plus complexe. Premièrement
elles assurent la majorité des transactions sur le marché des
changes d'après le tableau ci-dessus publié de la BRI : 53%. Leur
présence est fondée d'une part par la nécessité de
fournir à leurs clients un accès au marché de change, et
à leur rôle de teneur de marché, c'est-àdire
d'assurer la liquidité du marché des changes en maintenant un
stock de positions en devises qui leur permettent d'assumer cette fonction.
C'est précisément en cela que leur rôle de
spéculateur est plus dissimulé. Sur quelles bases
déterminent-elles leurs stocks de devises : par la simple fonction du
livre des ordres limités ? Ces teneurs de marchés étant
associés à des fonctions de gestion de capital pour compte
propre, se rémunèrent-elles uniquement sur la base de commissions
et de marge sur les taux fournis à leurs clients ? Ce mélange des
genres rend très opaque la contribution du flux spéculatif dans
leurs résultats financiers globaux au titre de leurs activités de
marché.
Et ce d'autant plus que ces acteurs sont
rémunérés tant sur les commissions de change
générées que sur les profits obtenus par l'écart de
prix d'achat et de vente de ces devises.
Nous retiendrons donc comme spéculateur les fonds
spéculatifs et les Market makers. Ceux-ci participent clairement au jeu
spéculatif dans leurs décisions de gestion.3
4.1.2 Performance disponible
Comme évoqué ci-dessus, isoler le flux
spéculatif pour apprécier sa rentabilité de manière
exhaustive, c'est-à-dire pour l'ensemble des intervenants sur les
marchés des changes, est chose ardue. Ceci est particulièrement
vrai pour les banques, les hedge funds « Global Macro 4»
comme les fonds obligataires internationaux. Il faudrait pouvoir collecter
l'ensemble de leurs données et les mouliner au moyen d'outils
d'attribution de performance capable de prendre en compte l'effet de change. Et
ces derniers5 n'existant pas, il faut les créer. Ainsi, dans
le cadre du fonds global macro Quantum de George Soros, il n'est pas possible
de déterminer la part de ses paris sur devises. Seuls ses quelques coups
contre la Livre sterling en 1992 ou le Franc français en 1993 peuvent
servir de référence.
Par conséquent, nous n'avons que les données
rendues publiques uniquement pour les hedge funds et fonds
réglementés6 formellement spécialisés
sur les devises collectées sur la base de données «
Tass-HedgeWorld », Bloomberg et sur la revue International Pension Europe
(« IPE »). Sans pouvoir fusionner ces tables (problème de
licence), nous obtenons les tables de résultats suivantes :
3 BRENDER A., «La France face aux marches
financiers», Collection Repqres, Vuibert Gestion, 2002
4 La stratégie « Global Macro »
représente le mandat le plus vaste en termes de stratégies de
hedge funds. Il s'agit de pouvoir profiter des changements économiques
mondiaux, telle une modification de la croissance mondiale comme
régionale, en prenant des positions acheteuses ou vendeuses sur les
actifs dont les cours seront affectés par ces changements (actions,
obligations, matières premières etc.)
5 L'ensemble des outils d'attribution de performance
ne prend en compte que l'effet d'allocation pays, de sélection de titres
et la corrélation entre les deux effets.
6 Les fonds réglementés divergent des
hedge funds en ce sens que n'étant pas incorporés dans un paradis
fiscal, ils sont soumis à des règles fiduciaires strictes
interdisant par exemple l'effet de levier (investir plusieurs fois ses actifs
au moyen d'emprunts), le recours aux dérivés etc.
HEDGE FUNDS BLOOMBERG
|
1 Week rtn
|
1 Month rtn
|
3 Months rtn
|
6 Months rtn
|
1 Yr rtn
|
3 Yrs rtn
|
5 Yrs rtn
|
10 Yrs rtn
|
Asset Class Focus
|
Assets in US$(M)
|
ABN AMRO FDS-CURRENCY FD-Al-
|
0.76
|
-4.555
|
-0.384
|
1.442
|
10.529
|
6.46
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
Asset Allocation
|
180.71
|
ABSOLUTE TRADING FX 2
|
#N/A N.A.
|
-1.917
|
-3.441
|
-10.054
|
-32.588
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
Akernative
|
13.86
|
AXA IM XP-CU RR ULTM FD I C
|
-16.173
|
-23.357
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
Asset Allocation
|
83.07
|
AMERICAN EXP WLD-CRY AL-IE=
|
-2.438
|
-3.106
|
-0.842
|
1.096
|
3.818
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
Asset Allocation
|
112.57
|
DEXIA ALL CASH SHORT-C
|
0.056
|
0.32
|
0.925
|
1.869
|
3.531
|
2.555
|
2.454
|
2.967
|
Asset Allocation
|
653.36
|
CAAM DYNARBITRAGE FOREX-IC=
|
-1.46
|
-1.4
|
-1.631
|
-2.315
|
1.441
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
Asset Allocation
|
569.91
|
GOLD SACHS GLB CURRENCY-AA:
|
-2.277
|
-3.895
|
-3.33
|
-2.18
|
-0.303
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
Asset Allocation
|
306.68
|
LSAM SF1-G10 FX CARR EN =-1A
|
5.778
|
11.537
|
17.314
|
9.433
|
17.469
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
Asset Allocation
|
84.67
|
MELLON GLOBAL-EV CU ALPHA-C.
|
1.139
|
2.997
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
Asset Allocation
|
#N/A N.A.
|
MORGAN ST SICAV FX 400 =-1
|
-0.852
|
-1.082
|
0.353
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
Asset Allocation
|
1,452.93
|
MORGAN ST SICAV FX 400 $-1
|
-0.81
|
-1.077
|
0.469
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
Asset Allocation
|
111.97
|
MORGAN ST SICAV FX 200 =-1
|
-0.352
|
-0.352
|
0.672
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
Asset Allocation
|
527.53
|
MORGAN ST SICAV FX 800 =-1
|
-1.752
|
-2.385
|
-0.077
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
Asset Allocation
|
855.95
|
NIKKO GLOBAL HI YLD CRNCY F
|
1.493
|
5.074
|
2.035
|
6.053
|
1.953
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
#N/A N.A.
|
Asset Allocation
|
#N/A N.A.
|
![](La-speculation-est-elle-rentable-5.png)
Ces tables permettent de constater tout d'abord que les fonds
spécialisés sur devises publiant leurs données sont rares
en comparaison des millions de fonds d'investissement disponibles à
travers le Monde. Il s'agit bien de fonds strictement spécialisés
sur la spéculation sur devises. Ils ne servent pas de « currency
1 Week rtn 1 Month 3 Mos rtn Months rtn 1 Yr rtn Yrs rtn 5 Yrs
rtn 10 Yrs Ass Cass cus Assets in $(M) H$ 7overlay7
». Le deuxième constat est que oui, la spéculation sur
devises peut être
N 91 8 # A. A A. ve
-16.173 -2357 #A N.A. #N/A N.A. #N/A N.A. #NA N.A. #N/A N.A #N/A
NA. Aset Allocation 830 8 N/ 06 03 255 s 36C= rentable. En revanche,
le troisième constat pondérant le précédent est
-1.46 -1.4 -1.631 -2.31 1 #N/A N.A #N/A N #N/A N.A. Asse ocation
91 l'hétérogénéité des tailles, des
performances (données brutes et ratio de Sharpe) et
5 537 1 N NA Aln 4
C= 1.139 2997 #NA NA #N/A N.A. #N/A N.A #N/A N.A. #N/A N.A. #N/A
N.A Asset Allocatin #N/A NA.
de prise de risque (volatilité des rendements) : seul un
fond sur deux a un ratio de
- NA. N N # NA At
-0.352 -0.32 0.62 #N/A N.A. #N NA. #/A N.A #N/A NA #N/A A Asset
Aocato 5273
Sharpe supérieur à 1.
1.43 5.74 203
Toutefois, quelle que soit leur zone d'origine ou
d'activité, elles sont toutes homogènes dans leur
instabilité sans pour autant être synchrones. Aucun fond ne semble
capable d'aligner le même niveau de performance d'une année sur
l'autre. Par exemple, le hedge fund sud-américain Tykhe qui offre le
meilleur ratio de Sharpe (3.21) a une performance nette du simple au double
entre 2005 et 2006.
7 / eL«FTIIIe;F\ LRMIlD\ »
LesVLTI;LIIIviFeLviAD;VLàLIIPIeILleiLelSIsiVE;sLSWARLdFLVWIFeALSeIM;;eALVD;VLe;L
termes de couverture que de paris directionnels.
Seuls deux fonds offrent un historique supérieur
à un an, Dexia Short Cash et ABN AMRO Currency funds. Leurs
données de performance sont faibles et ne dépassent pas le
rendement monétaire sur les mêmes horizons, induisant un ratio de
Sharpe nul.
Enfin, comment ont-ils concrètement
généré ce rendement, le manque de profondeur d'historique
ne permet pas une étude de corrélation avec les principales
paires de devises traitées sur les marchés. De plus, cette
insuffisance de données ne permet pas de conclure pleinement sur la
courte durée des performances obtenues au moyen de la spéculation
sur les changes.
Par ailleurs, le recours au ratio de Sharpe est biaisé
par le fait que le rendement des fonds soit comparé au taux sans risque
américain, le Fed Fund rate maintenu par la banque centrale
américaine, qui était à ses plus bas en 2004-2005. Il
faudrait le comparer à la performance d'un portefeuille agrégeant
la performance de l'ensemble des devises pondérées en fonction de
leur poids pour évaluer une éventuelle valeur ajoutée.
Peut-être est-ce en raison de cette déception que les fonds
spéculatifs focalisés sur le marché des changes souffrent
d'une faible collecte à partir du deuxième semestre 2000,
particulièrement nulle de 2001 à 2002. Néanmoins, il est
important de noter que c'est en période de plus forte volatilité
macroéconomique comme de 1997 à 1998 que les fonds sur devises
collectent le plus.
![](La-speculation-est-elle-rentable-6.png)
En revanche, à cet effet, le fond Grossman currency
fund offre plus de détails : il présente un profil
intéressant. Sa performance annuelle à fin Juillet 2007 est de
+1.28% sur le mois, 4.56% depuis le début de l'année 2007, 1.55%
sur 3 ans, 9.77% sur 5 ans. Depuis son lancement à la fin des
années 90, il produit un rendement annualisé de 12% pour une
volatilité de 14% induisant un ratio de Sharpe inférieur à
1 sur toute son existence. Son instabilité est en outre extrême
avec un pic de rendement de 62% en 2003 et ce, après avoir perdu
près de 10% un an auparavant.
Les deux graphiques ci-dessous comparant sa performance
à l'ensemble de l'univers Global Macro plus enclin à prendre des
paris sur devises illustre cette grande instabilité des
résultats.
![](La-speculation-est-elle-rentable-7.png)
Par conséquent la spéculation semble porter ses
fruits avec une extrême instabilité. Les gains ne semblent pas se
maintenir d'une période à l'autre mais, lissés à
plus long terme, restent positifs au point de pouvoir, selon la
compétence des gérants de ces fonds, toujours nourrir un attrait
fiduciaire.
4.2 Résultats empiriques : une martingale
?
Bien que les données et outils disponibles sur ces
fonds restent mineures et en dépit du fait que les marchés des
changes se comportent selon une marche aléatoire (autocorrélation
nulle), il existe une batterie de faits connus qui permettent d'anticiper
l'évolution des taux de change. Les fonds qui suivent des processus de
gestion fondamentaux (prise de décision en fonction de l'état des
fondamentaux et de leur évolution) comme ceux gérés par
Grossman, y portent une attention particulière.
4.2.1 Faits stylisés
Ces faits stylisés sont ceux issus de la recherche
macroéconomique. Ils explicitent les facteurs affectant les taux de
change. Ils portent plus précisément sur la politique
économique d'une Nation, la politique monétaire menée par
les différentes banques centrales. Le taux de change devant assurer
l'équilibre économique tant en interne qu'en externe, il
évolue au gré de la demande de la devise. Celle-ci dépend
aumoins de cinq facteurs.
Le taux de change varie en fonction des changements des taux
d'intérêts domestiques et de leurs écarts avec les taux
étrangers. Cet écart de taux nourrit la spéculation en ce
sens qu'elle va tenter de profiter de ce différentiel pour s'endetter
dans la devise à plus faible taux d'intérêt, convertir ce
montant dans la devise à plus fort rendement et à profiter des
mouvements de taux de change que leurs flux suscitent. Il s'agit de l'effet
« allocatif » auquel sont soumis les cours des devises définis
par Grossman8. Cela crée un bruit à court terme sur
les taux de change empêchant les phénomènes
d'équilibrage prévus par la règle de parité de
pouvoir d'achat ou de modèles de taux de changes d'équilibre.
Un autre facteur d'influence liée à la politique
monétaire, écho direct du précédent, est les
anticipations d'inflation domestiques et notamment la crédibilité
des banques centrales dans la conduite de leurs objectifs. Ceci constitue en
sus une garantie pour le spéculateur ou l'investisseur sur la
qualité de ses avoirs et de ses revenus dans cette devise.
Corollairement à ces deux sources de variation des taux
d'intérêt s'ajoutent le dynamisme économique d'un pays par
rapport à ses partenaires. Le premier élément
représente sa productivité relative : s'enrichit-il plus ou moins
vite que ces derniers et les effets subséquents sur les termes de
l'échange qu'il entretient avec ses partenaires. Le deuxième
élément intrinsèquement lié au
précédent est l'état de la balance des paiements et les
anticipations sur son évolution : amélioration
(dégradation) grâce à une hausse (baisse) des exportations
ou baisse (hausse) des importations.
8 GROSSMAN S., «Dynamic Asset Allocation and
the Informational Efficiency of Markets», The Journal of Finance,
Vol. 1, Numéro 3, Juillet 1996
Enfin, le cinquième élément
influençant les taux de change dépendant de la politique
économique sont les politiques protectionnistes menées par les
gouvernements. Rendant les biens importés moins compétitifs, ceci
affecte l'offre et la demande de la devise.
Ceci correspond pleinement à l'approche du fond
Grossman currency. Il cherche à évaluer la qualité de la
croissance économique d'une région relativement aux autres, le
niveau d'inflation au moyen de l'agrégat M2, le niveau des taux
d'intérêt et la cohérence de la politique monétaire.
Ceci permet d'anticiper les mouvements de taux de change. Ceux-ci
répondant à un gain d'au-moins 5% seront
implémentés au moyen du carry trade et seront maintenus aussi
longtemps que de besoin expliquant la grande volatilité de sa
performance à court terme et positive à plus long terme.
4.2.2 Le jeu des déséquilibres
L'un des scénarii favoris de la spéculation sur
devises est celui du déséquilibre macroéconomique. Le taux
de change dépendant d'un cocktail subtil de variables
macroéconomiques, son niveau dépend aussi du bien-fondé
des décisions comme de la crédibilité des gouvernements et
des banques centrales. Parfois, sous l'effet des décisions de ces deux
autorités politique et économique, certaines situations
deviennent insoutenables pour l'économie. C'est le cas notamment de
déficits gouvernementaux peu compatibles avec une politique de change
fixe ou semi-flexible exigeant des autorités monétaires une
politique restrictive, à moins de stimuler une inflation etc. N'est-ce
pas là l'origine des modèles de crise de change de
première et deuxième générations ? Une situation
intenable ou un manque de confiance dans les autorités de par la
présence de déséquilibres économiques, et la
spéculation se fait les faussaires de leurs choix de politique
économique. Cela correspond à la notion de déplacement
définie par Kindlerberger9 qui montre que la première
étape d'un jeu spéculatif résulte d'un constat fondamental
non apprécié.
9 Op. cit
Si de tels jeux peuvent bénéficier aux
spéculateurs lorsque les autorités politiques et
économiques cèdent sur le poids de cette pression, les
conséquences macroéconomiques pour le pays peuvent être
dures. L'économie locale est bousculée,
déstabilisée et souffre d'un manque de confiance de la part des
agents. Les crises de change qui ont affecté les économies
émergentes en attestent. Elles se retrouvent soumises à de forts
taux d'intérêt pour retenir les capitaux, limiter leur fuite. Les
bénéfices macroéconomiques de ces attaques ne se
ressentent qu'à plus long terme une fois ces déséquilibres
résorbés. Toutefois, dans certains cas, elles peuvent être
bénéfiques comme ce fût le cas pour le Royaume-Uni en
1992.
En effet, ce pays, traversant une crise économique,
était contraint de maintenir une politique de taux
d'intérêt élevés pour maintenir sa parité
vis-à-vis des autres devises européennes dans le cadre du serpent
monétaire européen (SME, canal de flottement des devises par
rapport à l'ECU). Soulignant cette contradiction, le renommé
spéculateur Soros s'est donc attaqué à la Livre sterling
en la vendant massivement contre le Deutschemark. Sans soutien de la Banque
centrale allemande, la Banque d'Angleterre est sortie du SME laissant la Livre
sterling flotter librement. Ceci a permis une politique de taux plus bas qui
ont stimulé la reprise de l'économie britannique.
Néanmoins, si la présence de
déséquilibres évidents peut être rentable et en
dépit d'une forte conviction, cette stratégie n'est pas
nécessairement « gagnante ». Tel le cas de la
spéculation contre le Franc Français en 1993 lancé par le
même George Soros. Convaincu de la contradiction entre la situation
économique française et la politique monétaire de la
Banque de France rivée sur la parité du Franc français
avec le Deutschemark, devise du premier partenaire économique de la
France, Soros a appliqué la même stratégie que pour la
Livre sterling. Il s'est trouvé perdant car la Bundesbank a
accepté de prêter à la Banque de France tous les
Deutschemarks dont elle avait besoin pour maintenir son taux de change. La
dimension fondamentale s'est trouvée mise à mal et
invalidée en termes d'investissement rentable en raison du jeu des
antagonistes. C'est un point que nous élucidons dans la deuxième
partie.
4.2.3 Le transfert de risques
Cet élément représente le pain quotidien
de la spéculation. Il s'agit d'être la contrepartie des
transactions au jour le jour, rôle principalement occupé par les
banques intervenant sur les marchés des changes. A chaque demande, il
faut un vendeur et vice-versa. En étant présente sur le
marché des changes, la spéculation permet d'apporter la
liquidité nécessaire pour concrétiser un plus grand nombre
d'opérations. Ceci permet d'amoindrir la volatilité des taux de
changes car chaque transaction trouve preneur tant dans le sens de l'achat que
de la vente10.
Le tableau des transactions réalisées sur les
marchés des changes publié par la BRI est assez éloquent
en la matière. Il détaille le volume quotidien moyen par
instrument par contrepartie.
![](La-speculation-est-elle-rentable-8.png)
10 BRENDER A., Op. cit.
Il permet de constater que le flux de transactions croissant
porte sur les contrats de swaps de court terme (98% inférieur à
un an, 73% pour moins d'une semaine) entre banques et institutions
financières pour 91% du volume quotidien. Ceci signifie que la plus
grande partie du marché des changes porte désormais
essentiellement sur des positions de couverture entre professionnels de la
finance. Ce sont des opérations de transfert de risque de court terme
contractées pour externaliser une partie des risques pris pour
satisfaire une demande client, et ainsi profiter d'une divergence d'opinions
sur les mouvements de taux. Ainsi, par cette échange de risque, les
marchés des changes peuvent maintenir leur complétude en termes
d'instruments qui bénéficient aussi d'une liquidité plus
constante permettant tous types de transaction.
De plus, cette participation au transfert des risques par la
spéculation, au niveau des fonds, relève de la propre couverture
de leurs propres portefeuilles afin de minimiser sa volatilité pour
accroître son ratio de Sharpe.
Par conséquent la spéculation sur les
marchés des changes produit des résultats instables à
court terme pouvant être plus bénéfique à plus long
terme. Elle est hétérogène en soi ne répondant pas
à un seul concept spéculatif. Les processus sont multiples mais
ne partagent que la même volatilité. Sa présence sur le
marché des changes s'explique par l'identification de faits
stylisés déterminant l'évolution des taux de change.
Si elle a tendance a plutôt marqué les
marchés par son action sur des déséquilibres
macroéconomiques, son pain quotidien reste la transaction au jour le
jour sur les marchés permettant dès lors de rendre ces derniers
plus liquides, les cours moins volatiles et favorisant le transfert de risques
entre agents. En revanche, ses effets macroéconomiques sont
contrastés au-moins à court terme.
Si la spéculation semble donc bel et bien exister de
manière relativement rentable, rien ne permet encore de juger pleinement
de l'inefficience des marchés. Il semble en revanche clair que le
processus d'ajustement des prix semble complexe. Tout s'articule autour de
l'analyse de facteurs clés influençant les prix, à
commencer par l'approche fondamentale qui consiste à anticiper les
variations d'indicateurs qui se traduiront par des mouvements de taux de
change. Or si les marchés sont efficients, l'information les concernant
doit être identiquement disponible pour tous. C'est pourquoi nous nous
intéressons à ce processus d'acquisition de l'information :
peut-il être générateur d'informations uniques et
privilégiées permettant une prise de position spéculative
?
5 EFFICIENCE DE L'INFORMATION ET INCITATION A
SPECULER
Dans cette partie, l'objectif est d'envisager s'il existe une
opportunité en termes d'avantage informationnel dont la
spéculation pourrait tirer profit. Cette analyse tente
d'appréhender s'il existe un avantage informationnel sur les
marchés et si les prix offrent dans ce cadre un point d'ancrage
pertinent à partir duquel il est possible de savoir s'il est
fondamentalement juste. Cet élément amène à
considérer comment les nouvelles informations se retranscrivent dans les
prix. Dans ce cadre, nous abordons la notion d'anticipation de mouvements
à venir que nous détaillerons d'avantage dans la troisième
partie.
5.1 Paradoxe Grossman-Stiglitz
S'il existe une
hétérogénéité des modèles, il existe
aussi une hétérogénéité des agents sur les
marchés de change comme la première partie l'a laissée
entrevoir. Sont-ils tous égaux devant les marchés financiers et
l'accès à l'information ? Eu égard à la
présence récurrente de la spéculation et de son bien
fondé, Grossman et Stiglitz ont étudié la
réalité de l'efficience informationnelle des
marchés11. Si il y a une spéculation qui
génère un rendement financier, n'est-ce pas lié à
une défaillance des marchés financiers dans leur rôle de
révélation de l'information ?
5.1.1 Présentation du modèle de
départ
Leur modèle est celui d'un équilibre en
anticipations rationnelles non révélateur. Il met en scène
des investisseurs incompétents et compétents dont les
anticipations sur les taux de change sont rationnelles, c'est-à-dire se
fondant sur les informations dont les agents disposent. Leurs transactions des
premiers génèrent un bruit sur les prix de marchés qui
résultent plus exactement d'une offre exogène aléatoire.
Chaque investisseur forme ses anticipations lui permettant de définir un
ordre à cours limité maximisant sa fonction objectif.
11 GROSSMAN S.,STIGLITZ J., « On the
impossibility of informational efficient markets », NBER, 1980
L'équilibre sur les marchés est obtenu par un
commissaire-priseur walrassien. Assimilable aux teneurs de marchés
nommés market-makers, il reçoit l'ensemble des offres et demandes
à cours limité des investisseurs et tranche sur le prix
d'équilibre qui satisfait ces ordres en limitant les écarts. Ce
modèle se décompose donc en plusieurs périodes : l'envoi
des ordres, la satisfaction de ces derniers puis retour à la
première séquence et ainsi de suite.
Les agents forment leurs anticipations à partir de
l'information privée qu'ils obtiennent par la variation des prix. Les
prix suivent une fonction linéaire combinant information privée
theta pour l'agent x, qui s'écrit :
![](La-speculation-est-elle-rentable-9.png)
Où la deuxième partie de l'addition de
l'information privée retranscrite par l'agent dans la formation de ses
anticipations. Alpha traduit l'aversion au risque : plus il est faible, plus
les agents traitent agressivement rendant les prix plus
révélateurs. Plus l'information acquise est précise, plus
le prix est révélateur. Donc lorsque alpha est égal
à 0, le marché est en plein équilibre, les prix sont
pleinement révélateurs.
De par la présence de deux groupes d'agents
compétents et incompétents, plus l'information des agents
incompétents est bruitée, c'est-à-dire de moindre
qualité, moins l'efficience est grande. Plus on tend vers cet
état, plus grande est l'incitation à s'informer. Or quel est le
gain à s'informer lorsque Lambda --la proportion d'informés- est
égal à 0, lorsque le bruit de l'offre est faible ou en face d'un
coOt d'acquisition de l'information trop faible ? Il n'existe pas
d'équilibre Nash-bayésien en ce sens que personne ne tire un
profit au détriment des autres en s'étant informés. La
situation est celle d'un équilibre où personne ne s'informe donc
avec des prix.
Ainsi, lorsque Lambda est égal à 0, les prix ne
reflètent plus aucune information : il n'y a pas de bruit, donc pas de
raison d'échanger pour redistribuer le risque. Lorsqu'en revanche Lambda
est supérieur à 0, le prix tend vers l'efficience forte
révélant quasiment toute l'information des informés,
ôtant toute incitation d'acquisition d'information car le coOt de ce
processus ne serait pas compensé par le gain obtenu sur le
marché.
C'est pourquoi, si un équilibre existe et est
pleinement révélateur, les prix ne sont plus informatifs car
personne ne souhaite supporter le coOt d'acquisition de l'information. Les
marchés financiers ne peuvent donc être pleinement efficients.
C'est ainsi que s'est défini le paradoxe Grossman-Stiglitz.
Il existe donc une disparité entre les agents
autorisant la spéculation. Il faut qu'il y ait une action sur les prix
au moyen de cette dernière pour que les prix de marchés soient
suivis. C'est une condamnation radicale de l'efficience des marchés car
si cette dernière existe vraiment, il n'y a plus d'efficience a
posteriori car personne ne recherchera l'information dont la retranscription
dans les prix est nécessaire à la condition des prix. Donc
l'efficience ne peut exister qu'à partir d'une situation inefficiente.
Mais est-ce la responsabilité de la spéculation ou de l'arbitrage
? Sans répondre d'emblée à cette question (voir la
troisième partie), ce paradoxe met en avant une incitation claire
à s'informer pour tirer un meilleur profit de ses paris.
5.1.2 Développements académiques
subséquents
Ce modèle a connu plusieurs apports académiques
qui sont venus le préciser. Ils peuvent se résumer en trois
grandes familles. La première s'intéresse aux marchés
incomplets12 en ce sens que le transfert des risques n'est pas
optimal et de l'incitation à négocier dans ces conditions. La
deuxième se concentre sur la méthode d'acquisition d'informations
en la considérant endogène aux marchés13. Le
troisième se penche d'avantage sur le mode de formation des
anticipations et de leur qualité.
5.1.2.1 Complétude des marchés et
efficience informative
La dimension d'incomplétude permet en
réalité de ne pas intégrer le recours à des
substituts pour se concentrer sur l'effet d'une transaction
privilégiée sur un seul et unique segment de marché. Si
cette dernière est effectivement privilégiée, elle rend
les prix plus informatifs car elle les influence de facto. Cette situation
permet-elle de faire coexister transactions informées avec des prix plus
informatifs ?
12 COURY T, << Informational efficiency, Trade
and Incomplete markets >>, Cornell University, 2002
13 LITVINOVA, OU-YANG, << Endogenous Information
Acquisition: a revisit of the Grossman-Stiglitz model>>, Duke University,
2002
Dans une condition d'incomplétude, les deux peuvent
coexister : il n'y aurait pas de liens entre le bruit, le volume des
transactions et les informations clés. Voilà donc le paradoxe
amoindri dans des conditions spécifiques toutefois peu applicables aux
marchés des changes reconnus pour leur complétude, à
l'exception de ceux d'économies émergentes. La spéculation
dans ces derniers peut de facto pleinement exister.
Une autre approche de l'incomplétude des marchés
dans leur rôle de transfert des risques a été
développée par Grossman14. Il ne s'agit pas de
considérer les marchés comme incomplets selon le critère
des instruments et des transactions possibles mais de considérer que les
actifs financiers ne fournissent pas le flux financier nécessaire pour
répondre de manière durable et optimale aux fonctions
d'utilité des agents. Ces derniers investissent pour maintenir
intertemporellement leur consommation. Théoriquement ceci se fait au
moyen des flux financiers générés par les actifs
détenus.
Or ces derniers sont défaillants car ils ne permettent
pas une juste répartition complète des risques entre les agents :
le flux financier espéré d'un actif n'est pas constant.
Détenir un actif jusqu'à son terme est vain. Les agents sont donc
amenés à effectuer plus agressivement des transactions sur les
marchés. Ceci modifie les termes présidant à l'offre et
à la demande des actifs donc les prix. Cette situation renvoie au
concept de prix « allocatif » évoqué
antérieurement qui intègre les mouvements de prix
résultant de ces changements dans l'allocation d'actifs des agents. Ce
bruit supplémentaire accroît l'inefficience potentielle des prix
en tant que pourvoyeur d'information. Il est donc impératif pour le
spéculateur de pouvoir déterminer si les variations de taux
relèvent d'un mouvement d'allocation ou de la révélation
d'une information fondamentale, rendant plus impérieuse la
nécessité d'être supérieurement informé.
5.1.2.2 Accès à l'information et
efficience informative
Le postulat de départ du principe est la
capacité à accéder à l'information. Plus celuici
est coûteux, plus précise est cette information, plus grand est
l'effort de l'agent. Or en dépit d'un nombre croissant d'agents
informés, le prix n'est pas nécessairement informatif à
l'équilibre. Tout dépend du poids de chacun.
14 GROSSMAN S., «Dynamic Asset Allocation and the
Informational Efficiency of Markets», Journal of Finance, Vol. 1,
Numéro 3, Juillet 1996
En revanche, est-ce que cela n'induirait pas un
équilibre de Pareto où, en guise de prix fondamentaux, les agents
trouveraient une forme d'ophémélité à traiter
à un certains cours quel que soit l'écart vis-à-vis de sa
valeur fondamentale. Le taux de change obtenu les satisfait compte tenu de
leurs besoins subséquents à leur propre compréhension de
l'information. Cette éventualité abonde dans le sens de la
théorie de Grossman sur les phénomènes allocatifs
renforçant la notion de différence de sophistication et de
compétence entre les différents groupes d'investisseurs.
5.1.2.3 Anticipations et efficience informative
Jusqu'à présent l'avantage informationnel est
défini comme un accès supérieur à l'information. La
notion d'anticipations en tant que prédiction sur les variations d'un
cours eu égard aux informations détenues est ici mieux prise en
compte. L'objectif est de savoir si les anticipations peuvent être plus
justes permettant une efficience informationnelle à terme.
En se concentrant sur le marché des changes, Villa
(2004)15 reprend le paradoxe de Grossman-Stiglitz, il montre qu'il
n'existe pas d'informations privilégiées sur les marchés
des changes. Les anticipations sont biaisées et ne sont pas
rationnelles. Elles ne se basent que sur les conjectures concernant la
politique économique qui sera menée. Cette analyse rejoint les
conclusions d'une autre étude du CEPII conduite par Agnès
Bénassy-Quéré16 sur les modes
d'élaboration des anticipations des agents qui forment le consensus de
Londres (groupe de banques commerciales). Ces dernières sont une savante
mais instable combinaison entre les anticipations extrapolatives (se passera en
t+1 l'inverse de t), adaptatives (t induit t+1) et régressives
(modèles mathématiques fondamentaux linéaires ou non).
15 VILLA P., «Ces taux de change qui bifurquent
ou pourquoi ne peut-on pas anticiper les taux de change », CEPII, Avril
2004
16 BENASSY-QUERE, LARRIBEAU, McDONALD: « Models
of Exchange Rate Expectations: Heterogeneous Evidence from Panel Data »,
CEPII, 1999
Les prix ne peuvent donc être efficients. Devant ce
constat et eu égard à l'extrême difficulté de
prédire les taux de change, les banques préfèrent vendre
des produits de couverture à leurs clients plutôt que de leur
fournir de l'information sur les mouvements de taux de change à
venir17. Si les données fondamentales sont aisément
rendues publiques, elles sont connues ex post avec un retard. La conclusion,
sans appel, est néanmoins surprenante en raison du nombre de publication
sur les changes et leurs évolutions prévisibles (cf. annexe 2 sur
les travaux du BCA, cabinet de recherche québécois).
En revanche, ceci fait écho aux principes
d'investissement de George Soros. Spéculateur devant l'Eternel, il fonde
précisément ses stratégies sur le principe que les
marchés financiers sont chaotiques et ne réagissent qu'aux
réactions émotionnelles des agents devant le flux d'information
et la formation des prix, bougeant de situations déstabilisantes en
situations déstabilisantes18. Cette instabilité
évoquée par Villa peut au contraire alimenter une autre forme de
spéculation.
Par conséquent, il existence une incitation à
spéculer en raison de l'inefficience informationnelle des prix.
L'accès à une information privilégiée est source de
rendement supplémentaire. L'efficience ne pouvant vivre sans
l'inefficience, c'est la présence de cette dernière qui incite
à rechercher l'efficience pour maximiser son gain. Arbitrage ou
spéculation, cet avantage peut néanmoins ne pas
nécessairement induire une plus pleine efficience des marchés en
fonction de leur complétude et de leur capacité à
pleinement répartir de manière durable les risques entre les
agents.
En revanche, son application au marché des changes ne
semble pas pleinement acquise en raison de la nature des anticipations et du
coOt d'acquisition de l'information qui exige une trop grande expertise
technique et des outils innovants pour justifier dans la rentabilité sur
les marchés de cette démarche. C'est pourquoi nous nous
intéressons sur la capacité des agents à pouvoir s'ancrer
sur une notion de prix fondamentale fiable.
17 VILLA P. Op. cit
18 SOROS G., «L'Alchimie de la
Finance», Editions Valor, 1998
5.2 Problématique de l'ancrage des
anticipations
Si dans la première partie, nous avons perçu les
facteurs fondamentaux influençant les mouvements de taux de change, la
question est de savoir si les taux de change affichés sur les
marchés sont justes et sur quelles bases valider leur justesse. Puisque
l'avantage informationnel porte sur les facteurs déterminant sa
variation, il faut que les investisseurs puissent se déterminer par
rapport aux prix actuels. Il s'agit de la notion d'ancrage de valeurs,
c'est-à-dire un point de référence permettant de juger de
l'exactitude fondamentale d'un taux de change. Ceci est capital pour envisager
un mouvement de hausse ou de baisse, donc un pari spéculatif.
Celui-ci se distingue toutefois de l'arbitrage classique. Ce
dernier est le mécanisme de la loi unique faisant converger une valeur
sous-évaluée et celle surévaluée de manière
neutre en risque alors que la spéculation cherche à
bénéficier du seul mouvement sans pour autant être risque
neutre. Sans cet ancrage possible, la spéculation marche à
l'aveuglette. Plus concrètement, s'il a été mis en avant
que ce sont les anticipations de variations des écarts de taux
d'intérêt réels qui influencent le plus les taux de change,
comment s'assurer que ces derniers prennent en compte ou non cette
éventualité afin de précisément pouvoir valider une
décision d'investissement subséquente à ces
anticipations.
La difficulté sur le marché des changes est
qu'il n'existe pas de modèles uniformes de valorisation des taux de
change contrairement aux actions et aux obligations. Cette difficulté
est d'autant plus flagrante qu'aucun modèle économique ne
parvient à produire des résultats durablement pertinents. A ce
jour, les modèles utilisés définissent le taux de change
comme le moyen d'assurer l'équilibre tant interne qu'externe d'une
économie sans s'accorder tant sur l'ensemble des variables
influençant le taux de change que sur les modèles
économétriques, les méthodes de combinaison. Ce niveau
d'équilibre est fréquemment éloigné du taux de
change obtenu sur les marchés. Les résultats produits ne sont pas
supérieurs à une marche aléatoire19. Seulement
sur des horizons de très long terme est-il encore possible d'obtenir des
résultats satisfaisants comme au moyen de la parité de pouvoir
d'achat relative20 ou obtenue de manière non
linéaire21.
19 BENASSY-QUERE A., LARRIBEAU, McDONALD, «
Models of Exchange Rate Expectations: Heterogeneous Evidence from Panel Data
», CEPII, 1999
20 Op. Cit
Aucune méthode ne parvient en outre à produire
le même résultat en termes de taux de change d'équilibre
sauf à un instant précis passé ou présent,
démontrant que ces derniers évoluent aléatoirement au
gré des découvertes de l'économie. Donc il est possible,
que les spéculateurs soient des adeptes de la parité des pouvoirs
d'achats ou des modèles d'équilibre fondamentaux à la
Samuelson (FEER) ou comportementaux (BEER), il serait possible
d'appréhender si un taux de change est effectivement sur- ou
sous-évalué.22
Ceci autorise donc un ancrage sur la valeur fondamentale des
taux de change permettant d'envisager un mouvement. Le concept
développé par Grossman de prix « allocatif
23» selon lequel les taux de change seraient soumis à
des pressions d'offre et de demande liés aux transactions des acteurs
institutionnels dans leur allocation d'actifs stratégique
générale (choix des classes d'actifs, des zones et des supports
d'investissement) viendrait d'autant plus inciter à la
spéculation dans une espérance d'un retour aux fondamentaux.
Celui-ci semble d'ailleurs exister en ce sens qu'un retour à la moyenne
des taux de change fondamentaux est constaté sur des horizons plus longs
et en cas de forte volatilité et de crise sur les marchés des
changes24.
Cet ancrage exige de pouvoir isoler les flux affectant les
taux de change pour des raisons d'allocation d'actifs, des autres bruits de
marchés et des flux fondamentaux comme celui de vouloir profiter des
écarts de taux d'intérêts réels (principe de la
parité de pouvoir d'achat) d'une part, et de savoir combiner les
différents facteurs fondamentaux affectant l'évolution des taux
de change dans un environnement très hétérogène eu
égard à la variété des modèles
évoqués. Le prix devient une fonction de la valeur fondamentale,
des flux de marchés et de la disparité dans la qualité des
investisseurs et de leur accès à l'information.
21 SARNO L., << Non linear exchange rate models,
a selective overview », IMF (2003). Selon lui les mod~les classiques de
calcul de la parité de pouvoir d'achat ne permettent de prédire
les taux de change car elles ne prennent pas en compte les mouvements
extrêmes contrairement aux modèles non linéaires.
22 Op. cit
23 Op. cit
24 CAMPA, WOLF << Is real exchange rate mean
reversion caused arbitrage », NBER, 1997
Par ailleurs, est-ce que les prix de marché ne sont-ils
pas affectés durablement par ces bruits comme l'indique Villa. Ainsi,
l'information privilégiée peut-elle porter ses fruits ? C'est en
cela que la finance microstructurelle peut permettre d'entrevoir une
réponse : comment se forment les prix sur les marchés en fonction
du bruit et de l'information ?
5.3 Approche microstructurelle
La finance microstructurelle s'est développée
à la marge de la finance traditionnelle en raison de l'incapacité
des modèles fondamentaux classiques à prédire
convenablement le cours des actifs financiers, à commencer par le taux
de change. Elle détermine le précédent comme une somme de
vues microéconomiques au lieu d'une approche d'équilibre
général. Constatant la persistance d'une prime de risque sur les
taux de change, l'hétérogénéité des agents
comme le biais a priori structurel de leurs
anticipations25, cette approche analyse comment ces derniers
interagissent et de facto contribuent à la formation des prix.
Cet élément permet de mieux comprendre le processus d'obtention
et de révélation de l'information par les agents ainsi que
l'étonnante volatilité des marchés des changes qui,
imputée à la spéculation, étonnent de nombreux
économistes.
5.3.1 Flux des ordres et rétention de
l'information
Au jour le jour, les taux de change sont affectés par
le flux des ordres. Ces derniers contribuent à comprendre le
comportement des premiers sans pour autant titre le facteur déterminant
de leur valeur. Ils constituent néanmoins pour Evans et Lyons un bon
moyen d'approximer les forces fondamentales qui guideraient les taux de change
dans le temps. Contrairement à la vue macroéconomique globale
d'équilibre qui anticipe le taux de change en fonction des fondamentaux,
l'approche microstructurelle fait intervenir cette étape
supplémentaire : elle produit des résultats supérieurs aux
modèles fondés sur les anticipations car ils reflètent une
véritable conviction26. Elle s'inscrit en sus en toute
cohérence avec le paradoxe GrossmanStiglitz en ce sens qu'elle
intègre la notion d'information privée.
25 SARNO L., TAYLOR M., «The Microstructure of
the Foreign Exchange Market: a Selective Survey of the Literature»,
Princeton Studies in International Economics, Numéro 89, Mai 2001
26 LYONS R., «The Microstructure Approach to
Exchange Rates», The MIT Press, 2001
Le marché des changes n'est pas un marché
centralisé comme l'est, par exemple, le marché des actions.
Fragmenté il fonctionne de gré à gré. Les agents
reportent leurs ordres à plusieurs teneurs de marché pour obtenir
des cotations plus compétitives. Cette structure peut être
complexifié par l'existence d'intermédiaires
supplémentaires qui se substituent aux agents finals pour obtenir la
meilleure cotation. Nous sommes dans un monde de passation d'ordres
dominé par des spéculateurs en puissance.
Dans ce contexte, la crainte de l'agent et du
spéculateur en particulier est de révéler d'emblée
son information privilégiée. En effet, son passage d'ordre peut
indiquer à ses concurrents qu'ils ignorent quelque chose eu égard
à l'ordre qu'il passe. Ceci conduit le spéculateur à ne
dévoiler que progressivement sa stratégie et ainsi maintenir un
flou quant à l'information qu'il possède27. Ce dilemme
semble perdurer quelle que soit l'intensité des transactions sur le
marché. Que ce soit le concept d'incertitude développé par
Easley et O'Hara (1992) qui teste positivement le fait que les transactions
sont révélatrices en nouvelles informations en période de
fortes transactions ou celui, inverse (faible volume de transactions), de la
patate chaude (« Hot Potatoe ») fondé sur les modèles
d'asymétrie de l'information développés par Admati, les
transactions ont effectivement un biais révélateur. Cette
situation s'intègre parfaitement dans la logique du paradoxe de
Grossman-Stiglitz : l'inefficience des prix est rendue plus constante pour
maintenir un gain.
5.3.2 Bruit des teneurs de marchés
(market-makers)
Comme surligné dans la partie précédente
les teneurs de marchés sont comme tout-puissant. Détenant 90% du
volume quotidien28 sur les marchés des changes, ils
constituent l'agent privilégié par excellence. Ils ont la
quasi-mainmise sur la liquidité et connaissent les transactions de tout
le monde. Ils sont juge et partie, c'est-à-dire dépositaire d'un
stock de devises pour satisfaire leurs clients mais aussi spéculateur
exploitant son avantage informationnel.
27 SARNO L., TAYLOR M., op. cit
28 Op. Cit. Si les teneurs de marchés
(reported dealers) représentent 53% des transactions quotidiennes, ils
sont la contreparties des autres types d'intervenant sur les marchés.
Ainsi, s'ils acceptent de traiter, c'est
précisément parce qu'ils ne partagent pas les mêmes
convictions que leurs contreparties. En outre, quand bien même ils
peuvent être d'accord sur les niveaux de valorisation : les motivations
à réaliser une transaction ne sont nécessairement pas les
mêmes. Ce peut être par exemple l'aversion au risque.
Là où les modèles classiques
définissent la détermination du prix d'équilibre comme un
résultat direct de la confrontation de la demande pour un actif
risqué de deux agents, un informé et un faiseur de bruit, la
microstructure met au contraire en évidence que l'obtention de
l'information privée est concomitante au processus transactionnel : elle
résulte d'une interaction continue entre les convictions privées,
le volume et la volatilité29.
Par conséquent le double rôle des teneurs de
marché vient alors créer une forme d'externalité
informative qui se concrétise dans les prix au gré de leur
aversion au risque (incitation notamment à traiter conformément
au principe de Grossman « incomplete equitization of risks
») et de leurs poids sur les marchés30. Ceci
constitue une opportunité supplémentaire pour la
spéculation : au lieu d'un jeu de pouvoir a priori entre
informés et non informés, il s'agit de profiter de l'interaction
entre agents de marché comme a tenté de le faire Soros et ce, de
manière très profitable.
Néanmoins ils sont fragmentés et ne sont pas
agrégés les uns aux autres tel le commissaire-priseur walrassien.
Ceci vient accroître le bruit que ces intervenants suscitent. Comme
l'induit Lyons, les cotations faites par ces intervenants ne sont pas à
l'équilibre : elles sont porteuses, d'une part, de leur aversion au
risque comme le démontre la persistance d'une prime de risque sur les
taux de change, d'autre part, de leur propension à effectuer une forme
de rétention d'information.
29 LYONS L. Op. cit
30 Op. cit
En outre celles-ci sont aussi influencées par un
intérêt clientèle. Conformément à un rapport
de la Banque centrale suédoise31, les cotations faites
dépendent aussi de la qualité et du pouvoir de négociation
de la contrepartie et de la volonté à maintenir une bonne
relation avec cette dernière. Bien que se compensant sur des clients
moins affectionnés, cette pratique crée une disparité
supplémentaire profitable à certains groupes de
spéculateurs dans le cadre de transactions intra-journalières.
5.3.3 Volatilité et volume des
ordres
Ce point reste un élément d'achoppement avec les
modèles classiques de taux de change d'équilibre. Il est en
réalité une des conséquences pratiques de
l'hétérogénéité des agents, de leurs
croyances et de la dimension privée des certaines informations. Ces
dernières se révèlent de manière progressive. De ce
fait les agents réagissent au fur et à mesure qu'elle devient
connue. Cela alimente précisément la volatilité des
marchés des changes. C'est d'ailleurs dans ce cadre que les analyses
dites techniques et considérées comme polluantes car augmentant
la volatilité, ont été initialement
développées : tel un indicateur avancé conçu
précisément pour identifier les changements de comportement des
investisseurs et ainsi tenter de différencier l'existence d'informations
privées, des mimétismes et autres anticipations adaptatives comme
extrapolatives répandues chez les agents32.
31 AKRAM, DAGFINN et SARNO, << Arbitrage in the
Foreign Exchange Market: turning on the Microscope », Swedish Institute
for Financial Research (Riksbank), 2000
32 BENASSY-QUERE A., LARRIBEAU, McDONALD, <<
Models of Exchange Rate Expectations: Heterogeneous Evidence from Panel Data
», CEPII, 1999
Cette dernière s'identifie donc plus à un effet
météorite plus qu'à une vague de chaleur. Elle est
concomitante à l'incertitude des agents. Plus précisément
au lieu qu'elle apparaisse telle une vague de chaleur, la volatilité
tombe tel un météorite au moment où les informations se
révèlent. Cette volatilité connaît d'ailleurs des
faits stylisés quand des mauvaises nouvelles arrivent sur les
marchés comme lorsque ces derniers ouvrent, concentrant le plus grand
nombre d'intervenants actifs au même moment. C'est plus exactement
lorsque les anticipations de trajectoire de taux de change se trouvent
bousculées dans leurs fondements (généralement une
nouvelle information sur les fondamentaux économiques) que la
volatilité augmente subitement33. Celle-ci est naturellement
constante de par le processus de révélation d'information
élaboré par Lyons mais s'accroît plus substantiellement en
cas de nouvelles adverses. Ces dernières modifient profondément
l'aversion au risque des agents induisant des réactions en
chaîne34.
En revanche, il n'est pas évident de déterminer
si ces niveaux de volatilité sont dus à une compréhension
efficiente des informations ou à des facteurs liés au bruit de
marché. Il est évident que les stratégies d'investissement
fondées sur la captation de tendance ou des niveaux accrus de
liquidité répondant à une motivation autre que la
spéculation mais l'exécution simplement facilitée,
viennent amplifier les niveaux de volatilité. Néanmoins, ces
derniers apparaissent aussi liés de manière évidente aux
mouvements des écarts de taux d'intérêt que la
spéculation magnifie, particulièrement en période de
faibles volumes selon Carlson et Oslen35.
Parallèlement la spéculation a besoin de cette
volatilité pour vivre. Si ce jeu est macroéconomiquement à
somme nulle --ce que gagne l'un est ce que perd l'autre- elle est au niveau
microéconomique une condition sine qua non pour spéculer donc
maintenir une liquidité sur les marchés et mieux contribuer au
transfert des risques. Elle est un indicateur de l'intensité de
l'activité, de sa tendance et du niveau d'aversion au risque.
Reflétant les changements de volume et l'orientation des transactions,
elle constitue un indicateur facilitant la mise en place de certaines
stratégies : sa constance et son caractère chaotique offre une
plus grande discrétion de paris. Spécialement ceux
intégrant les produits optionnels dont la volatilité est un
élément positif de revalorisation.
33 SARNO, TAYLOR op. cit
34 KINDLERBERGER Op. cit
35 Op. cit
C'est pourquoi certaines stratégies spéculatives
comme celle déclinée par Soros se concentre sur ces
phénomènes micro-structurels préférant
l'appréciation plus régulière de la volatilité
à celle des grands fondamentaux révélés
ponctuellement avec un retard au-moins trimestriel.
En réalité, seule une coordination
crédible des politiques monétaires facilitant l'ancrage des
anticipations dans une seule direction semble venir baisser cette
volatilité et ainsi contrarier le flux spéculatif. Rivés
sur le même horizon, toute vue divergente apparaît suspicieuse :
elle est jugée comme infondée et les marchés
n'évoluent plus car les autorités monétaires, fortes de
leur crédibilité, constituent le seul indicateur pertinent.
Sinon, elle profite du bénéfice du doute, contrariant l'aversion
au risque entraînant des réactions plus irrationnelles.
Par conséquent l'approche microstructurelle permet de
mieux mesurer le processus de révélation des informations sur le
marché. Celui-ci est constant, progressif. Conjugué à des
techniques d'investissement ou des besoins de liquidité
générateurs de bruit, il explique les niveaux soutenus de
volatilité au jour le jour. Seuls une variation du nombre d'intervenants
au marché, un chocs informatif ou une modification de paramètres
d'évaluation des changes (nommément les variations
d'écarts de rendement des taux), viennent amplifier les niveaux de
volatilité. En outre cette volatilité contribue à stimuler
micro-économiquement la spéculation.
Le contexte favorable à la spéculation
s'identifie donc à la conjonction de deux éléments :
l'accès à une information privilégiée tant sur les
marchés que sur les facteurs de valorisation des taux de change dont
plus particulièrement les mouvements sur les différentiels de
taux, et la capacité de pouvoir mettre ses ordres en place au bon moment
en fonction des niveaux de volatilité.
Par ailleurs une question reste en suspend : qu'est-ce qui
amène un spéculateur à exprimer ses anticipations de
marchés en paris réels ? Nous abordons là toute la
relation entre prise de risque, compréhension des marchés et
fondement des anticipations. En effet, si nous venons d'identifier le contexte
qui incite à spéculer, il nous manque le chaînon permettant
de transformer une information en anticipation puis en prise de positions en
monnaie sonnante et trébuchante. C'est toute la dimension de la
maximisation du ratio de Sharpe.
6 ANTICIPATIONS, RATIONNALITE DES AGENTS ET REALITE DE LA
PRISE DE RISQUE
La précédente partie a permis d'identifier les
conditions plus favorables à la spéculation, stimulant cette
dernière. Au-delà des conditions de fonctionnement des
marchés et de l'accès à l'information, un
élément constant mentionné à plusieurs reprises
revient systématiquement, celui des anticipations. Comme
évoqué, celles-ci sont de quatre natures : extrapolative,
adaptative, régressive ou une synthèse des trois
précédents. Elles ont fait l'objet de plusieurs études qui
ont mis à jour leur
hétérogénéité36. Mais pourquoi ne
sont-elles pas nécessairement traduites en paris spéculatifs
actifs ?
Cette partie a pour but d'identifier ce frein qui se
résume tout simplement à la prise de risque effective voire
à une navigation à très courte vue. Les
spéculateurs sont contraints dans leur risque en raison de leur fonction
objectif, maximiser leur ratio de Sharpe en sus des règles prudentielles
applicables aux institutions bancaires et financières de
marché.
En outre, dans un contexte de recherche de l'information
privilégiée rentable, comment une bulle peut-elle perdurer et se
solder par sa simple explosion ? Jusqu'à quel niveau un
spéculateur peut s'opposer au marché ? Soros lui-même ne
jouait-il pas plusieurs scénarii à la fois pour se
protéger des mouvements qu'il considérait chaotiques de ces
derniers ?
Nous étudions en conséquence les modèles de
marché à bruit de la finance comportementale avant de
s'intéresser aux apports de la finance cognitive.
6.1 Hétérogénéité
des agents : les modèles de bruit sur le marché
Cette partie se concentre plus particulièrement sur la
manière dont l'hétérogénéité des
marchés contraint la prise de risque. Celle-ci se décompose entre
les modèles dits de bruit issus de la finance comportementale et
l'apport de la théorie des jeux.
36 BENASSY-QUERE A., LARRIBEAU, McDONALD, «
Models of Exchange Rate Expectations: Heterogeneous Evidence from Panel Data
», CEPII, 1999
6.1.1 Modèle de Noise Trading37
Au même titre que l'approche microstructurelle, la
finance comportementale cherche à pallier les insuffisances des
modèles fondamentaux dans leur capacité à prédire
les cours et les rendements des actifs. Si l'un s'intéresse à la
formation des prix dans confrontation des anticipations sur les marchés
et leurs cortèges d'effets secondaires comme la volatilité, la
finance comportementale se focalise d'avantage sur le processus
décisionnel tout en s'appuyant sur l'apport microstructurel.
6.1.1.1 Principe du modèle
Communément à l'approche prise par Grossman et
Stiglitz dans leur constat de l'impossibilité d'avoir des marchés
efficients en tant que pourvoyeur d'informations, nous sommes ici dans un
modèle avec deux types d'agent : compétent et non
compétent. Ici les investisseurs sont restreints aux arbitrageurs. Tout
agent non arbitrageur est faiseur de bruit.
La principale conclusion de ce modèle est
l'impossibilité de l'arbitrage au sens neutre en risque. Il est
nécessairement porteur d'un risque car l'existence de parfaits
substituts entre les positions acheteuses et vendeuses est illusoire. Un risque
perdure par la non substituabilité exacte des titres en termes de
profils de risquerendement. Cette inadéquation est en outre
accentuée par le risque.
En effet, les intervenants incompétents sont mus par
leurs propres sentiments. Ils ne fondent pas leurs décisions
d'investissement sur une analyse fondamentale mais sur une impression de
continuité de tendance transformant ces sentiments en anticipations
potentiellement auto-réalisatrices. Dans cette perspective, tout
arbitrageur à horizon fini de court terme se trouve donc exposé
au bruit de marché rendant son opération vaine. C'est la crainte
de mouvements adverses qui vient restreindre l'arbitrageur dans ses
stratégies d'investissement. Non seulement il assume un risque
intrinsèquement non nul mais aussi un risque de marché
général naturel qui peut lui être défavorable car
nourri par l'inconstance, le bruit... des autres participants.
37 SHLEIFER A., «Inefficient Markets: an
Introduction to Behavioral Finance», Clarendon Lecture in Economics,
Oxford University Press, 2000
Au même titre que l'efficience des marchés ne
peut durablement exister, l'arbitrage n'existe pas à moins d'être
de long terme. Sinon, il se réduit à une forme de
spéculation se contentant de mettre en place des stratégies
d'investissement les moins incertaines possibles. L'arbitrage s'intègre
dans la spéculation qui s'étaye en voulant capter un mouvement ce
correction des prix. Les marchés peuvent rester illogiques plus
longtemps que les arbitrageurs ne demeureront rentables. Ainsi se crée
un effet de sélection adverse sur les marchés.
6.1.1.2 De la crainte du marché
Les arbitrageurs ne peuvent fonctionner que s'ils constituent
le poids majeur des marchés, auquel cas nous retombons dans une autre
forme du paradoxe GrossmanStiglitz. L'agent informé compétent
s'apparente plus à une communauté minoritaire et ne rassemble pas
l'ensemble des intervenants professionnels. Même les market-makers et les
spéculateurs peuvent inclure des faiseurs de bruit potentiel (cf.
résultats disparates). Ce qui induit donc la prise de position est le
phénomène de la moindre incertitude. La spéculation
compétente ne semble donc mettre ses stratégies en place que si
elle est certaine de maîtriser au mieux son risque de marché.
Sinon elle capte une tendance et cherche à sortir de cette
dernière lorsqu'une nouvelle information l'incite à sortir d'un
point de vue microéconomique, tel Jacob Rothschild qui dit être
devenu riche au XVIIIième siècle pour avoir toujours vendu trop
tôt.
Cette crainte du marché est alimentée par trois
phénomènes avérés :
- Le sentiment des investisseurs qui apparaît comme
visqueux. Lent à la réaction, il sous-réagit aux bonnes
nouvelles mais sur-réagit aux mauvaises informations. Il est l'un des
vecteurs de la volatilité.38 Néanmoins ceci peut
représenter une opportunité pour la spéculation dans
l'acquisition d'information privilégiée.
- Les stratégies d'investissement à retour
positif. Il s'agit du principe selon lequel plus un agent gagne, plus il
investit. Ce dernier n'est intéressé que par les mouvements de
prix en soi, en déconnexion de leur environnement fondamental. Ces
environnements s'autoentretiennent pouvant mener à une bulle.
38 &2 8 ' ( 5 7 R9 1R1 ( ;RM1,R/Les
iQ3MMEIRMaversion pour le risque peuvent-ils anticiper les crises
financières », Banque de France, Revue de stabilité
financière, Numéro 9, Décembre 2006
- L'effet d'agence. La majorité des spéculateurs
gèrent des actifs qui ne sont pas les leurs : ils collectent une
fraction de l'épargne (fonds de pensions, actionnariat des banques...).
Ils se voient soumis à des règles de bonne gestion diligente et
prudentielle. Leur seul moyen de continuer à gérer ces capitaux
est de produire des rendements positifs, les plus élevés
possibles de manière la moins volatile possible. C'est tout l'enjeu de
la maximisation de leur ratio de Sharpe. Cet effet de l'agence les incite
à une prudence, à protéger leur performance, accroissant
de facto leur aversion au risque donc à ne favoriser que les situations
certaines. Cette réalité semble particulièrement visible
sur les marchés des changes comme l'atteste la difficulté
rencontrée par les fonds spéculatifs pour préserver leurs
gains comme leurs actifs sous gestion (cf. première partie).
Cet apport de la finance comportementale met en exergue une
ambivalence déconcertante. La spéculation éclairée
est extrêmement vigilante à ne pas dévoiler ses
informations de façon trop évidente pour être captée
par ses concurrents, profitant de la volatilité, un risque de
marché évident, pour décliner ses stratégies
d'investissement et, paradoxalement, elle craint la tendance du marché
en général en minimisant ses paris ou en couvrant ses positions.
Ainsi elle contribue notamment à la prime de risque constatée en
tant que différence de valorisation entre les instruments comptant et
à terme nets des coûts de portage sur les mêmes actifs
sous-jacents39. Cette ambivalence est celle de la construction de
portefeuille dont l'objectif est de minimiser au mieux les risques en les
diversifiant (positions moindres) et les couvrant de tous risques de
marchés (recours aux dérivés).
Enfin, pour être exhaustive, cette vision pourrait
incorporer le coOt d'un accès à l'information pour prédire
le comportement des agents non compétents comme celui de transactions
afin de sélectionner uniquement les opportunités les plus
rentables.
39 SARNO L., TAYLOR M. op. cit
6.1.2 Une approche par la théorie des jeux40
Cette approche de la théorie des jeux appliquée
à la finance offre une vision plus dynamique de la construction de
portefeuilles en termes de concrétisation des anticipations en positions
spéculatives. Déformée sous l'appellation de «
réflexivité » par Soros41, ce modèle met
en scène deux agents avec une asymétrie d'information
complète : ils ignorent les anticipations et les contraintes de leurs
congénères. Ils se retrouvent confrontés à un choix
: mettre en place leurs paris les plus risqués ou se contenter de
profiter de l'actif sans risque. Ceci constitue en réalité un jeu
probabiliste mesurant le risque et l'opportunité de chacune des
solutions. Nous sommes dans une configuration d'interaction
stratégique.
Appliquée à la valorisation des actifs financiers
dont les taux de change, quatre phénomènes en ressortent :
- Croyances d'ordre supérieure
- Cascades informatives
- Croyances a priori hétérogènes
6.1.2.1 Croyances d'ordreLsupérieur (Higher order
belief)
La sagesse conventionnelle pose comme postulat que les
participants sur les marchés sont autant intéressés par
les fondamentaux que par les opinions de leurs pairs. Dans le cadre de la
finance classique, cette situation n'est envisagée qu'avec des acteurs
irrationnels. La littérature disponible en matière de
théorie des jeux en revanche révèle qu'en situation de
coordination stratégique semblable au processus de formation des prix
définis par la finance microstructurelle, la présence de
conviction supérieure est cruciale pour les agents pleinement
rationnels.
Chaque joueur envoie un signal sur ses convictions en traitant
sur les marchés. Ce signal est perçu par les autres protagonistes
comme une vision, une compréhension différente sur les autres
fondamentaux que les autres agents analysent en fonction de leur propre vision
sur les fondamentaux. Qui a raison ? Qui a tort ? Se met dès lors en
place une forme de coordination entre les anticipations fondée sur
l'existence d'événements quasi-publics, c'est-à-dire que
chacun croit plausible car vrai, quand bien même il ne se
réaliserait pas.
40 ALLEN F., MORRIS St. «Finance Applications of
Game Theory», Financial Institutions Center, The Wharton School,
Université de Pensylvanie, Numéro 98-23-B
41 SOROS G. op. cit
Ainsi le marché est tenu par une conviction commune
supérieure sur ce qui peut se passer et à partir duquel les
participants révisent rationnellement leurs propres opinions.
Typiquement, certains actifs peuvent être côtés en
dépit de leur non valeur pour la seule et bonne raison que les
intervenants sont communément convaincus que ces actifs peuvent avoir
à terme une utilité positive pour un agent tiers. Ramené
plus concrètement au jeu spéculatif, ceci explique l'effritement
des convictions individuelles au profit d'un scénario maître
induisant une réduction des positions contraires ou divergentes.
Toutefois, ce processus semble plus visible sur les
marchés centralisés que de gré à gré comme
sur le marché des changes. Ces derniers requièrent une
coordination sensible au manque de connaissance intrinsèque à ce
mode de fonctionnement. En revanche, ce système peut se retrouver dans
le marché des changes sur les craintes de crise, des bulles
spéculatives ou des raisonnements non fondamentaux comme la conviction
en 2000-2001 de la supériorité du Dollar américain par
rapport à l'Euro.
6.1.2.2 Cascades informatives
Cette théorie se concentre sur les inefficiences
liées à l'agrégation d'informations privées, les
actions des investisseurs produisant évidemment un signal sur leurs
informations privées. Si celui-ci est positif, il peut induire un
deuxième signal positif de la part d'un agent. Dans ce cadre, il est
plausible de déboucher sur des situations où les
stratégies d'investissement à retour positif entraînant des
risques de bulles. Elle alimente le processus de s'aligner sur les consensus de
marché.
Dans un marché à formation des prix
endogènes comme le marché des changes, les investisseurs
n'agiront pas si les coUts de transaction sont trop élevés eu
égard au gain escompté grace à des pièces
d'information petites et disparates. Par exemple une succession de petites
mauvaises nouvelles peut ne pas provoquer de transactions expliquant la
présence d'anticipations a priori visqueuses. Seul un signal
public peut les pousser à traiter en dépit du coût de
transaction, telle les réactions en chaîne lors de la crise de
change asiatique en 1997 ou russe en 1998.
Cet effet est toutefois pondéré par le fait
repris par Zemsky et Avery (1996) que si les prix fournissent des signaux sur
l'information privée et si cette dernière est suffisamment riche,
il ne sera pas possible pour le marché d'isoler l'information
privée à partir des prix. On retombe donc dans un environnement
plus enclin à la spéculation mais où l'incertitude est
plus grande donc obligeant les acteurs à restreindre leurs paris pour
une plus grande diversification a priori salvatrice en termes de
protection de performance.
6.1.2.3 Croyances a priori
hétérogènes
Toutes les différences de croyance sont, selon la
finance classique, le résultat de différentes informations :
personne n'a les mêmes. Or selon Milgrom et Stokey (1982), ce n'est pas
la différence d'informations détenues qui incite à la
transaction mais la présence de convictions différentes. Par
exemple en reprenant le modèle dynamique d'Harrison et Kreps (1978)
où les agents sont neutres en risque mais avec des croyances a priori
hétérogènes, aucun actif n'est traité à sa
valeur fondamentale en raison de l'éventualité de pouvoir le
revendre plus cher à un autre agent. Ce que A pense ne correspond pas au
point de vue de B qui peut accepter d'acheter à un prix plus
élevé ou non.
C'est donc tout le processus d'apprentissage par les prix qui
se retrouve potentiellement déstabilisé, en se focalisant sur la
différence de croyance. Tout dépend ensuite de la capacité
des agents à déterminer la nature de ses différences
à partir des changements de prix. Dans la perspective de la construction
de portefeuille appréhendé à l'aune de la théorie
des jeux, c'est la lenteur de cet apprentissage des différences
d'opinion qui induit des prises de risque initialement mineures qui
s'accroîtront au fil de l'eau en fonction de l'interaction
stratégique des agents et des flux d'information privée ou
publique.
Par conséquent, la crainte des mouvements adverses du
marché vient restreindre la spéculation dans sa prise de risque.
Ces événements proviennent plus statiquement de la
présence d'agents incompétents ou, plus dynamiquement de la
capacité des agents à interagir stratégiquement entre eux.
Nous abordons là le paradoxe de la spéculation contrainte de
maximiser son ratio de Sharpe : parier en se soumettant d'une certaine
manière au marché et à son consensus.
Si théoriquement il existe bien une incitation à
spéculer, plus concrètement, sa mise en oeuvre n'est pas
nécessairement viable pour le spéculateur. Est-ce aussi la raison
pour laquelle la spéculation se fait remarquer uniquement sur des
situations de déséquilibre évident ?
Si la notion de croyance d'ordre supérieur abonde dans
le sens d'une crainte du marché par la spéculation, les
modèles opèrent une dichotomie dogmatique entre les groupes qui,
en leur sein, opèrent de manière non identique et
aléatoire. Si ceci explique la diversité du nombre d'agents
irrationnels ou d'opinions hétérogènes, elle ne permet pas
d'élucider les bulles et autres phénomènes de
marché qui invalident une position adverse bien que fondamentalement
saine. Nombreux furent d'ailleurs quelques spéculateurs à crier
dès 1998 à la bulle Internet...
6.2 Anticipations rationnelles subjectives : risque
d'entêtement et de crise
Contrairement aux autres approches que nous avons
abordées, la finance cognitive se focalise sur le processus de prise de
connaissance des informations à commencer par celles
véhiculées par les prix. Cette approche se fonde sur la remarque
du sociologue Durkheim selon laquelle la valeur n'est que le fruit d'un
contexte social. Elle se concentre sur la méthode dont la valeur des
choses est établie et acceptée au sein d'un groupe.
Ensuite, cette approche analyse les anticipations dans leur
mode de formation et leur viscosité conduisant à une
homogénéisation des dernières. Cette étape induit
des comportements de masse qui ne sont pas nécessairement irrationnels.
Ils permettent ainsi d'estimer comment la spéculation se fonde dans ce
processus expliquant la prise de risque limitée en dépit
d'anticipations fortes. Le « que fait le marché ? » aussi
appelé « bêta » par les théories
microéconomiques de la finance...
6.2.1 Une inexactitude constante
Les modèles économiques partent de
l'hypothèse que la finance est le fidèle reflet de
l'économie réelle. Dans ce cadre la valorisation se
caractérise comme la valeur d'équilibre future. Ce futur est
appréhendé comme existant objectivement sous forme probabiliste.
Ainsi les méthodes de valorisation sont objectivistes par nature.
Or le futur est subjectif. Rien n'est formellement
définissable ex ante. Le futur est fonction de vues individuelles prises
dans une complète incertitude knigthienne42. Du nom de son
auteur John Knight, celui-ci introduit une distinction entre risque et
incertitude.
Le risque est un futur dont la distribution des états
possibles est connue. L'incertitude correspond à un futur dont la
distribution d'états est non seulement inconnue mais impossible à
connaître. Elle ne tient pas au manque d'information ou à
l'incompétence de l'observateur, mais à la nature même du
phénomène. Nous passons donc ainsi de la prise de risque à
la décision dans l'incertitude avec toutes les contingences
présentes comme l'impératif de rendement à risque
maîtrisé. L'incapacité des analystes financiers, par
exemple, à atteindre leurs objectifs illustrent ce
phénomène : ces derniers fonctionnent sur une base
d'anticipations adaptatives où le futur sera semblable au
présent, toutes choses égales par ailleurs. D'où les
réactions substantielles des marchés et de ses intervenants aux
surprises. Les anticipations ne sont ainsi que friables par conjonction des
faits et une incapacité à être devin.
Par conséquent, l'ensemble des anticipations et des
conjectures est intrinsèquement inexacte. Non pas parce que c'est
difficile comme le suggère Villa (2004) mais simplement parce que les
marchés sont dans le règne de l'incertitude quant aux
événements à venir et à la réaction des
autres agents. Ceci fait clairement référence à la
philosophie d'investissement fondant les décisions d'investissement du
fonds Quantum de Soros : comprendre les participants dans l'incertitude de
l'avenir tout en s'ancrant dans des vues fondamentales. Ceci permet de jouer
plusieurs scénarii spéculatifs adaptés en permanence selon
les signaux de marchés.
42 ORLEAN A. « Efficience, finance
comportementale et convention : une synthèse, CEPREMAP, ( + (
66T H&RQseIlH135 QMVH( FRQRP IDITH«
Les crises ».
A l'aune de cette approche de l'efficience des marchés,
les prix de marché ne sont que la sommation des estimations subjectives
individuelles pondérées par le poids de chaque
investisseur43. Il n'est que le reflet chaotique de visions
divergentes. Ces cours sont nécessairement un pari de par cette
incertitude naturelle dans un monde non stationnaire. Aucun équilibre ne
fonctionne sur une base de conjecture établis ex ante mais sur une
réalisation a posteriori de vues différentes. C'est
à ce seul moment que les prix sont informatifs mais uniquement sur
l'état des visions passées quant au futur à venir.
Ainsi le marché fonctionne comme une marche cognitive
faisant émerger, comme une synthèse, une opinion de
référence perçue par tous comme une expression de ce que
pense le marché et vis-à-vis desquels les intervenants se
positionnent. Le marché se rend plus intelligible. Les acteurs passent
d'un état de croyances divergentes non stationnaires où les gains
sont aléatoires à une convention financière. Celle-ci se
définit comme une manière partagée d'appréhender le
futur.
Rationalité des agents, qualité des
anticipations et prise de risque ne constituent plus les éléments
à investiguer. Nous sommes dans la dimension sociale des marchés
où la rationalité financière, première et unique
est de vouloir réaliser un profit maximal par le jeu de l'investissement
boursier. Plus précisément elle porte sur l'évolution des
cours. Elle ne se confond pas néanmoins la rationalité
fondamentaliste. Celle-ci n'est qu'une approche dans la formation de son
opinion personnelle initiale.
6.2.2 Nature autoréférentielle et risques
de bulle44
Les marchés assument une fonction cognitive où
les prix ne sont que la sommation de vues divergentes eu égard aux poids
des différents investisseurs sur le marché. La rationalité
première qui vaille est de vouloir maximiser son profit boursier dans
cette perspective. La dimension fondamentale ou microstructurelle n'est qu'un
facteur d'analyse menant à des anticipations en pleine incertitude
knightienne. Nous rejoignons ici le concept de déplacement initial
à tout mouvement spéculatif cher à Kindlerberger.
43 Op. Cit
44 ORLEAN A. Op. cit
Dans cette situation récurrente, un investisseur
rationnel -et le spéculateur en particulier, doit tenir compte de
l'opinion du marché, fruit d'une rationalité financière
collective réduite à la recherche du profit, c'est-à-dire
maximiser le numérateur de sa fonction objectif réduite à
une maximisation de son ratio de Sharpe. De ce fait, l'investisseur doit
déterminer l'investissement le plus rentable. Nous sommes jusqu'ici dans
la même perspective que celle soulevée par la finance
comportementale et la théorie des jeux. Celles-ci sont toutefois
dépassées car le spéculateur doit anticiper sur l'opinion
du marché : elle influence sa prise de position. Il est ainsi
confronté à une multiplicité d'équilibres
possibles. Il ne s'agit plus d'être seulement mieux informé dans
un processus de formation des prix de marché mais réagir sur ce
dernier.
Les marchés ne font que permettre une mise en
concurrence des idées et des conjectures. Il s'agit en
réalité pour les agents de chercher au mieux ce que sera
l'opinion majoritaire tout en se prémunissant contre ses effets
adverses. Pour se faire, les agents s'y adaptent en les intégrant dans
la formation de leurs anticipations.
Ainsi, se forment à chaque instant sur ces
marchés des croyances partagées sur la notion de valeur
fondamentale. Elles aboutissent à une convention d'évaluation
temporaire, à longévité variable selon l'évolution
des vues initialement divergentes. Il se met en place une certaine
interprétation commune de l'évolution future de l'économie
associée à un ensemble de conventions d'évaluation
spécifiques à chaque instrument, taux de change, classe
d'actifs... Les opinions se cristallisent autour d'une vision plus saillante de
l'économie que les autres, nourrie par une information qui abonde dans
son sens.
Les conventions financières deviennent donc
autoréférentielles car elles sont à la fois moteur et
conséquence des anticipations de marchés. Les marchés
entrent dans une logique d'opinion autoréférentielle.
Conformément au postulat de Durkheim, la notion de valeur dépend
du contexte social, c'est-à-dire du groupe. Ce phénomène
conduit à des anticipations visqueuses, génératrice
d'entêtements comme en 2000- 2001 sur l'Euro/Dollar : les agents
étaient convaincus de la supériorité économique des
Etats-Unis et l'échec probable de l'Euro. Nourri par cette convention
que nourrissaient les statistiques économiques, l'Euro a chuté
par rapport au Dollar. Jusqu'au prochain déplacement qui favorise l'Euro
depuis 2002 au point d'atteindre son taux record à US$ 1.39 début
Septembre 2007.
Cette viscosité des anticipations induite par le
consensus dépasse le concept de prophétie
autoréalisatrice. Il permet d'aborder les bulles sous l'angle d'une
rationalité primaire, acheter pour vendre plus cher. Les anticipations
se déplacent d'un ancrage qui intègre des données
notamment fondamentales pour se focaliser sur le seul mouvement de
marché en fonction des convention acceptées. Le plus bel exemple
est la remarque de l'économiste américain Irving Fisher qui,
quelques jours avant le krach de 1929, prédisait une continuité
de la hausse du prix des actions américaines. Si la finance cognitive
considère ces bulles comme rationnelles car suivant un processus logique
irréprochable, le manque d'ancrage dans les règles fondamentales
laissent entrevoir si ce n'est une irrationalité, en tout cas une
immaturité des agents. C'est sur ce versant que la spéculation
est porteuse d'un risque car potentiellement déstabilisatrice, n'en
déplaise à Milton Friedman.
Par conséquent, nous avons pu voir que les
anticipations ne se transformaient pas nécessairement en prise de
position actives sur les marchés. Les spéculateurs, contraints
par un impératif de performance, ne s'engagent que si les transactions
offrent un rendement supérieur au risque de marché pris ou que
s'ils peuvent se couvrir. Le risque permanent est intrinsèque aux
marchés financiers en général, celui des devises en
particulier. De ce fait, l'arbitrage classique garantissant la loi du prix
unique ne peut exister, tombant alors dans le périmètre de la
spéculation. Au-delà des principes des modèles classiques,
le manque de maîtrise des marchés financiers en raison de la
présence notamment d'agents mal informés ou irrationnels, peut
ruiner le spéculateur. Ce risque de marché général
permanent requière une diversification des paris sur des transactions
offrant les meilleurs profils de risquerendement.
Toutefois le recours au concept ex ante d'agents
informés ou compétents en concurrence avec des agents
irrationnels ou mal informés n'est pas exhaustif. Tout comme le simple
concept de prise de risque. Les anticipations se forment dans l'incertitude
totale et non sur une stricte loi probabiliste connue. Le processus de
révélation d'information est intrinsèque à la mise
en concurrence de vues divergentes sur les marchés.
La crainte de positions adverses conduit donc les agents
à anticiper l'évolution non seulement de données
fondamentales mais aussi du consensus de marchés et de ses effets sur
les prix. Prudent vis-à-vis de ce dernier, les anticipations se muent en
convention financière qui ensuite alimente ces mêmes
anticipations. Ce processus homogénéise les vues qui se
cristallisent sur le scénario économique le plus saillant. Une
telle agrégation des vues souscrivant à l'opinion maîtresse
peut amener à des errements voire des bulles de marchés.
Conclusion
Conformément aux données collectées, la
spéculation est rentable de manière instable, plus
particulièrement à court terme mais de manière
suffisamment récurrente à long terme pour perdurer et attirer des
capitaux. Ce gain s'obtient tant par des processus de décision
fondamentaux que sur ceux plus comportementaux. Si cette rentabilité
microéconomique relève de la qualité individuelle du
spéculateur, macroéconomiquement elle contribue positivement au
jour le jour au fonctionnement des marchés en contribuant activement
à leur liquidité et au transfert de risques.
Si l'incitation à spéculer réside a
priori dans l'inefficience informative des prix de marchés comme le
démontre le paradoxe Grossman-Stiglitz, la spéculation ne
contribue pas à pallier cette déficience qui, au contraire,
l'alimente. L'approche microstructurelle apporte dans cette perspective de
nouveaux facteurs nourrissant la spéculation à savoir la
présence d'agents non informés et la formation des prix dont les
mouvements volatiles auxquels elle contribue activement, constituent une
opportunité supplémentaire de rendement spéculatif.
En revanche, comme le démontre la finance
comportementale, il existe un risque de marché structurel qui
réfute l'arbitrage neutre en risque en raison de l'imparfaite
substituabilité des titres et les écarts d'horizon
d'investissement entre les catégories d'investisseurs. La
présence persistante d'acteurs irrationnels ou incompétents
prolonge le bruit de marchés au point d'avoir raison des arbitrageurs.
Ces derniers se fondent alors dans des mouvements spéculatifs qui se
trouvent tout autant affectés par la présence de ces agents. Eu
égard aux impératifs de performance de la spéculation pour
bénéficier d'afflux de capitaux, la présence d'acteurs
irrationnels constitue un véritable frein à la prise de risque.
Les anticipations de mouvement ne sont pas nécessairement retranscrites
en paris actifs ou de manière amoindrie par un souci de diversification.
Seules les situations de moindre incertitude ou une interaction
stratégique continue des agents conforme à la théorie des
jeux, peut permettre une prise de position progressivement plus agressive.
Toutefois, le jeu de la spéculation est aussi celui de l'interaction
avec les autres agents.
De plus, cette prise de position peut être
affectée par le concept de convention autoréférentielle
défini par la finance cognitive. Au-delà de leurs vues
individuelles, les agents cherchent à déterminer les mouvements
des marchés dans un cadre qui n'est pas strictement fondamental. Ce
dernier n'est qu'un facteur de décision parmi d'autres. Ainsi,
résultant d'une confrontation de vues divergentes dont les prix de
marchés ne sont que la sommation relative de ces dernières, les
marchés produisent un consensus, convention maîtresse autour
duquel se cristallisent les opinions. Ce phénomène crée
une viscosité des anticipations capables dès lors de se
déconnecter de l'économie réelle au point d'évoluer
en bulle. Ceci rend donc la spéculation intrinsèquement porteuse
d'un risque économique en contrepartie d'un fonctionnement plus souple
des marchés au jour le jour et d'une rémunération de
l'épargne.
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BASES DE DONNEES
Bloomberg
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ANNEXES
Annexe 1 - Commentaire sur le Modèle
Grossman-Stiglitz
Annexe 2 - Performance de la prévision de taux
de change : un exemple un cabinet indépendant
québécois en recherche économiques
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