Section 1. Les théories explicatives de la
décision d'externalisation
Le choix d'une organisation particulière doit permettre
de répondre à la question suivante : quel est l'agencement
structurel qui permet de contribuer au mieux à la stratégie de
l'entreprise en termes de maîtrise des coûts, de
flexibilité, d'aide à la décision, de qualité
informationnelle et de production de connaissances ? Au-delà des
agencements intra-organisationnels, l'entreprise est face à un choix
binaire, celui de faire (en interne) ou celui de faire faire notamment au
travers de l'externalisation.
Généralement, pour justifier le choix de
réaliser en interne ou d'externaliser une activité ou une
fonction les théories de la contingence et des coûts de
transaction sont souvent évoquées. Toutefois, dès lors que
nous nous fixons comme objectif d'analyser le contenu de l'externalisation
(l'élaboration du contrat, sa mise en oeuvre, la gestion de la relation)
ces théories ne sont plus suffisantes. Pour positionner
l'externalisation dans un cadre théorique il faut revenir à sa
définition (Lacity et Hirschheim, 1993) : « l'externalisation peut
etre conçue comme l'achat d'un bien ou d'un service qui était
auparavant fourni en interne. Elle représente un transfert significatif
d'actifs, de beaux et de personnel à un vendeur qui est responsable des
pertes et profits ». Cette définition nous permet de distinguer
l'externalisation d'un certain nombre de pratiques et d'élargir le cadre
théorique d'explication du phénomène.
L'externalisation se distingue de la sous-traitance dans la
mesure où il s'agit de confier à un prestataire une
activité ou une fonction qui était réalisée en
interne. Cette précision a deux implications. Il ne peut pas y avoir
externalisation d'un processus ou d'une production qui jusqu'alors
n'était pas réalisé en interne. En cas d'externalisation,
il y a eu des investissements préalables qui devront etre
redéployés auprès du prestataire externe.
Ce redéploiement n'est pas une cession pure et simple,
il s'agit d'un transfert ce qui induit une relation étroite entre
l'entreprise procédant à l'externalisation et le prestataire
externe. Ce transfert s'oppose à un désinvestissement par cession
d'actifs et licenciement du personnel dans la mesure où
l'externalisation porte sur des activités nécessaires au
fonctionnement de l'entreprise qui feront l'objet d'une relation contractuelle
prévoyant notamment les conditions de sortie de la relation,
c'est-à-dire la réinternalisation de l'activité ou le
changement de prestataire.
L'externalisation en tant que forme particulière de
coopération interorganisationnelle2 comprend deux aspects :
d'une part la ré-allocation des ressources existantes qui peut notamment
etre expliquée par l'analyse des coûts de transaction et d'autre
part la mise en place de la relation contractuelle et la production de savoirs
et de savoir-faire qui nécessitent de recourir à d'autres cadres
théoriques. Ainsi les théories le plus fréquemment
mobilisées pour expliquer la décision d'externaliser sont elles
la théorie des coûts de transaction et la théorie des
ressources (Poppo et Zenger, 1998 ; Barthélémy 2004). Toutefois,
des théories aussi différentes que la théorie
institutionnelle et la théorie de la contingence apportent un regard
complémentaire sur la phase de décision, d'autres cadres pouvant
etre mobilisés pour comprendre d'autres phases du processus, telle la
théorie de l'agence pour la formalisation de la relation au moyen du
contrat.
2
Selon Koening (1996), les coopérations inter
organisationnelles correspondent à des démarches
stratégiques destinées à
coordonner les actions d'organisations juridiquement
autonomes.
§ 1. La théorie des coûts de
transaction
La théorie des coûts de transaction (TCT) permet
d'expliquer le choix du recours à l'externalisation au travers du
renversement de l'analyse de l'optimisation organisationnelle par le recours
à l'intégration verticale (la désintégration
verticale). La forme organisationnelle optimale pour réaliser une
transaction doit permettre de minimiser les coûts de production et de
transaction.
Il existe trois dimensions fondamentales caractérisant
une transaction et déterminant la forme organisationnelle optimale :
l'incertitude, la fréquence des échanges et le degré
d'investissements spécifiques nécessaires à la
réalisation de la transaction. Ces trois caractéristiques
influenceront le comportement organisationnel des agents économiques et
influeront sur les coûts de transaction. En matière
d'externalisation : l'incertitude est reliée à la
dépendance du client par rapport à son prestataire. L'incertitude
peut aussi s'analyser par la dépendance ex-post et le hasard moral : en
externalisant, le client s'expose à une perte de contrôle ; la
fréquence est à relier à la
répétitivité des tâches et à leur
degré de complexité. Plus les tâches sont
répétitives et peu complexes plus elles peuvent s'inscrire dans
le cadre d'une externalisation ; la spécificité des actifs
(matériels et immatériels) est la dimension la plus importante
relative à la décision du choix de la structure de gouvernance.
Elle détermine la possibilité ou non de redéployer l'actif
dans d'autres contextes économiques, sans altération de la valeur
de production (Williamson, 1985) et donc de le transférer à un
autre agent économique qui prendra en charge la réalisation de la
transaction. En réalité, la solution adoptée n'est pas
toujours rationnelle, c'est-à-dire qu'elle n'est pas
nécessairement basée sur le critère d'efficience. Elle est
aussi influencée par des logiques institutionnelles, notamment pour les
activités réglementées telle que la comptabilité.
« Les institutions de la gouvernance (firme, marché, hybrides,
bureaucratie) sont encastrées dans l'environnement institutionnel »
(Williamson, 1992).
Néanmoins, la vision de l'environnement institutionnel
de la TCT semble restreinte car elle ne prend pas en compte les
éléments sociologiques et cognitifs. La théorie
institutionnelle propose une vision complémentaire de la décision
d'externalisation.
§ 2. La théorie institutionnelle
Meyer et Rowan (1977) analysent les impacts des environnements
institutionnels sur les organisations Les arguments de DiMaggio et Powell
(1983) permettent une compréhension plus approfondie de
l'externalisation de la fonction comptable. Il s'agirait d'un moyen d'atteindre
une certaine légitimité, de se conformer aux règles. Les
auteurs identifient trois types d'isomorphismes qui ne sont pas toujours
faciles à dissocier :
- isomorphisme coercitif : les textes législatifs et
réglementaires qui régissent l'activité comptable (ex :
l'ordre des experts comptables) ;
-isomorphisme normatif : lié à la formation
professionnelle, l'activité professionnelle ou les réseaux
professionnels (ex : les syndicats professionnels) ;
- isomorphisme mimétique : induit des réponses
standard aux incertitudes. Quand l'environnement est incertain et les objectifs
sont ambigus, l'organisation a tendance à imiter le modèle des
autres organisations qu'elle perçoit comme réussies.
S'inscrivant dans le même courant de pensée,
Roberts et Greenwood (1997) analysent l'environnement institutionnel en
distinguant deux sortes de contraintes :
- les contraintes « pré-conscientes » : ce sont
les facteurs que les acteurs ne perçoivent pas parce qu'ils leurs
semblent évidents. Par exemple : des règles sociales ou des
guides de conduite...
- les contraintes « post-conscientes » : dans ce
cas, les acteurs sont conscients de la nécessité de changement et
des facteurs qui conditionnent leur solution. Cependant, les pressions
environnementales empêchent tout changement. Par exemple, on parlera de
contrainte « post- consciente » si une organisation ne fait pas le
choix de l'externalisation du fait de l'absence de références
alors qu'il s'agit de la solution la plus efficiente.
Le processus du choix de l'externalisation de la fonction
comptable dans le cadre d'analyse de Roberts et Greenwood (1997) appelé
« efficience contrainte » peut être schématisé
ainsi :
La compétition fondée sur l'efficience conduit
l'organisation à dresser un diagnostic de sa situation actuelle.
Ensuite, les solutions sont identifiées et évaluées afin
de choisir la plus efficiente. Le critère de l'efficience est
présent à toutes les étapes, mais la nouveauté de
la vision de Roberts et Greenwood (1997) est d'introduire l'environnement
institutionnel. En effet, tout au long du processus, le choix organisationnel
est influencé par des multiples contraintes : contraintes cognitives,
« pré-conscientes » et « post-conscientes ».
La théorie des coûts de transaction a
constitué un cadre théorique largement utilisé dans
l'analyse de l'externalisation et ce quelle que soit la fonction
analysée. Toutefois, comme cette théorie est attachée
à l'analyse du phénomène de l'intégration verticale
qui est une forme organisationnelle d'optimisation des coûts de
transaction, elle présente quelques limites notamment dans son apport
quant à la rédaction des contrats qui vont permettre de recourir
au marché tout en limitant les coûts d'agence ainsi que dans son
absence d'approche de la gestion du transfert initial et de la gestion future
des ressources et des compétences de l'entreprise vers le prestataire
avec comme contrainte de permettre une éventuelle
réintégration.
Outre la théorie des coûts de transaction
l'approche ressources est le cadre théorique le plus fréquemment
mobilisé pour expliquer la décision d'externaliser (Poppo et
Zenger, 1998 ; Barthélémy 2004).
§ 3. La théorie des ressources et des
connaissances
La théorie des ressources et des connaissances permet
d'expliquer le recours à l'externalisation comme un moyen d'optimiser
l'utilisation de ses ressources pour son coeur de métier et de recourir
à la complémentarité de l'offre des prestataires externes,
dès lors que celle-ci est jugée plus performante que la
prestation réalisée en interne. De plus, la problématique
de la gestion des compétences est au coeur de la problématique
des entreprises dès lors que l'on s'interroge sur la gestion de la
réintégration de la fonction externalisée.
L'approche fondée sur les ressources et les
compétences conçoit l'entreprise comme une collection de
ressources productives (Penrose, 1959) dont l'objectif est de créer et
d'allouer ces ressources mais également de valoriser des rentes
(Quélin, 1997). L'entreprise n'est pas un outil d'optimisation
organisationnelle opposé au marché mais un outil de
création de ressources. Les ressources bien que définies de
différentes façon peuvent etre selon Barney (1991)
considérées comme « tous les actifs, capacités,
processus organisationnels, attributs de la firme, informations, savoir...,
contrôlés par une firme qui lui permettent de concevoir et de
mettre en oeuvre des stratégies susceptibles d'accroître son
efficacité et son efficience. »
Quant aux compétences, il s'agit d'ensemble de
ressources individuelles et collectives qui permettent de réaliser une
activité composée de routines organisationnelles ou de processus.
Ces compétences seront stratégiques lorsqu'elles sont a la base
d'un avantage concurrentiel et quelles sont durables, non transparentes,
difficilement transférables et réplicables.
Dans le cadre de l'externalisation qui consiste a
transférer a un tiers une activité réalisée en
interne en transférant a la fois les actifs physiques et humains, la
notion de transfert et de gestion des ressources et des compétences est
au coeur de la relation entre les deux parties au contrat.
C'est pourquoi, cette théorie est utile a
différents niveaux pour éclairer le phénomène de
l'externalisation : elle peut permettre de justifier l'externalisation au
travers du transfert a un prestataire de compétences jugées non
stratégiques (n'ayant pas les qualités évoquées
précédemment) afin de recentrer l'utilisation de ses ressources
sur les compétences jugées stratégiques ; elle peut
éclairer la prise en compte de la nécessiter de développer
de nouvelles compétences dites stratégiques celles qui permettent
de gérer la relation avec le prestataire du fait de
l'incomplétude des contrats notamment la création de ressources
et de compétences nécessaires a la réintégration
des fonctions.
La « théorie » de l'apprentissage
organisationnel vise a construire « une organisation qui est habile a
créer, a acquérir et a transférer des connaissances ainsi
qu'a modifier son comportement de manière a refléter leurs
nouvelles connaissances et leurs réflexions stratégiques »
(Garvin, 1993).
Dans un contexte turbulent et incertain, cela permet a
l'organisation de se transformer au moins aussi rapidement, voire plus vite que
l'environnement par anticipation. Cette théorie constitue un cadre
d'analyse de l'externalisation de la fonction comptable en étudiant le
processus d'apprentissage de l'entreprise lors de la mise en place de
l'externalisation et lors du déroulement de la prestation. Une analyse
similaire peut etre développée du côté du
prestataire.
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