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Contre histoire de la philosophie / le laboratoire de la philosophie vivante chez Michel Onfray

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par Rania Kassir
Universite Libanaise - DEA 2008
  

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Chapitre VI : Mort de Dieu, suite :

A. L'esthétique cynique :

Tout d'abord, pour achever la mort de Dieu sur le terrain esthétique638(*), Michel Onfray fait appel à Marcel Duchamp639(*), ce second assassin qui a déclaré haut et clair la mort du Beau. Pour Michel Onfray, la mort de Dieu c'est aussi la mort du Beau. « Dieu et le Beau entretiennent une relation homothétique : la matière de l'un, c'est souvent celle de l'autre (...) Beau et Dieu conduisent ensemble leurs affaires. »640(*). Mais quelle définition peut-on donner au Beau et comment Duchamp réussit-il à s'en débarrasser ? Depuis longtemps, remarque Onfray, l'art a été confiné tout comme la philosophie idéaliste à un exercice autiste et solipsiste. La raison de ce solipsisme en est le recours des spiritualistes chrétiens et des idéalistes allemands au Beau en soi inéffable, indécible, désincarné et loin du monde réel. Pour ces amateurs d'Idées platoniciennes (Vrai, Beau, Bien, Juste), seule la participation d'une oeuvre d'art au Beau en soi est garante de valeur. Afin d'asseoir l'art sur de nouveaux principes, Duchamp met au point la révolution du ready-made 641(*).

En considérant l'objet « préfait » comme objet d'art, Marcel Duchamp vient montrer que tout peut servir de support esthétique et, ce qui est le plus important, c'est que le regardeur est celui qui fait le tableau. Ceci veut dire que l'objet « préfait » appelle le regardeur à déchiffrer son sens et son aspect rebus. Cet objet cesse d'être le Beau qui vit dans un monde intelligible pour devenir ce beau relatif qui interpelle chaque personne en fonction de ses acquis éthiques, politiques, philosophiques... En ce sens, l'art contemporain qui naît avec la révolution du ready-made devient plus que jamais un « agir communicationnel »642(*), une cosa mentale (la valeur de l'objet consiste dans son dévoilement) et une matrice pour les révolutions existentielles (l'oeuvre d'art cesse d'être autiste et entre dans l'histoire, dans la matière du monde.).

Le triomphe du regardeur sur le plan esthétique est suivi du triomphe du gourmet sur le plan gastronomique.

B. La gastronomie :

Contre la tradition idéaliste, Michel Onfray entend mettre, après Brillat-Savarin643(*), la gastronomie644(*) au rang des plus grandes sciences. A travers cette nouvelle science, il voulait montrer que le corps en tant qu'une machine qui goûte les aliments (autrement dit le goût) est le lieu dans lequel se constituent les systèmes philosophiques et les visions du monde.

Depuis toujours, les idéalistes ont récusé l'idée selon laquelle la connaissance vient des sens du corps et de l'interaction du réel. A ce titre, ils ont établi une hiérarchie entre les cinq sens bien qu'ils soient tous repoussés. Cette hiérarchie dépend de leur plus ou moins proximité avec le réel. Kant, l'un des idéalistes, a distingué par exemple entre les trois sens externes (la vue, l'ouïe et le toucher) et les trois sens dits subjectifs (l'olfaction et le goût). Les premiers ne saisissent le réel ou le monde que de l'extérieur alors que les seconds sont selon Kant « les sens de la délectation » (l'absorption la plus intérieure) et en tant que tels ils doivent être rejetés.645(*)

Pour déclencher la colère des idéalistes, Onfray vient élire le goût, l'un des sens les plus décriés, et fonder la gastronomie. Dans son ouvrage Le ventre des philosophes, Michel Onfray a inventé, à l'instar de Platon, un Banquet dans lequel Diogène, un personnage principal, a convié six philosophes : Rousseau, Kant, Fourrier, Nietzsche, Marinetti et Sartre. Chacun de ces philosophes va montrer à travers ces choix culinaires qu'on peut « entrer en philosophie par la bouche ». Pour ne prendre que deux exemples, nous parlons de Rousseau646(*) et de Sartre647(*).

Rousseau n'aurait pas à critiquer la modernité ou la civilisation et n'aurait pas à se rappeler avec nostalgie l'humanité primitive sans son goût pour les nourritures lactées. Pour Rousseau, le lait est le plus simple, le plus sain et le plus naturel des aliments. Le goût de la viande, même crue, n'est jamais naturel. Rousseau apporte la preuve suivante : les enfants sont indifférents à l'égard du régime carné, tandis qu'ils sont attirés par les produits laitiers. Sur ce, Michel Onfray remarque que la philosophie de Rousseau « la nature contre la civilisation » est consécutive de son goût « le lait contre le ragoût ».

Dans le même ordre d'idées, Sartre n'aurait pas détesté l'acte sexuel et la nourriture, donc le corps et ses plaisirs, sans son dégoût des crustacés, des huîtres et des coquillages. Sartre rapporte la cause de son refus en disant : « c'est de la nourriture enfuie dans un objet et qu'il faut extirper. C'est surtout cette notion d'extirper qui me dégoûte. »648(*). Refuser d'extirper pour Sartre c'est refuser « le trou béant de la chair ». Cette haine des trous en matière de gastronomie va être élargie à la philosophie de Sartre qui dans Les carnets de la drôle de guerre et l'Etre et le Néant établit une parenté entre les trous, la bouche et le sexe : boucher les trous, c'est manger et copuler. Onfray remarque que ceci a été bien relaté par Simone de Beauvoir qui dit : « l'acte sexuel proprement dit n'intéressait pas particulièrement Sartre. »649(*) 650(*)

Enfin, pour accomplir le dépassement de l'épistémè judéo-chrétienne, Michel Onfray aborde le continent politique651(*).

C. La politique libertaire :

Onfray voulait montrer que la droite religieuse qui régit le pays ne fait que maintenir le peuple dans la paupérisation et accumuler, en contrepartie, la richesse. Or, affirmait Onfray : « l'épistémè de droite est nourrie du catholicisme apostique et romain. »652(*). Quelle est cette épistémè en matière politique ? C'est le culte de l'argent, de la richesse pour les gouverneurs et de la pauvreté pour le peuple. Cette corrélation entre l'argent et le christianisme est manifeste dans l'entretien suivant :

« Q. : Quand on est un penseur comme vous, comment s'extraire de cette omniprésence d'une pensée ou d'un corps chrétien ?

M.O : Ma chance, c'est ma névrose. J'étais très sensible à la douleur et la souffrance sociale de mes parents. Je m'étais promis, enfant de ne jamais l'oublier. De rester fidèle à cela. Je n'ai jamais trop aimé les histoires qu'on racontait aux sans-grade pour les tenir en laisse. Les arguments d'autorité, de force pour contraindre les gens. J'ai eu la chance de mener une existence à côté de tout cela (...) »653(*)

En lisant ce passage, on s'aperçoit qu'Onfray établit un rapport de cause à effet entre le christianisme et ses arguments d'autorité (cause) et la souffrance sociale de ses parents654(*) et des sans-grade (effet). Pour comprendre le comment de ce rapport et pour le dépasser, il nous faut analyser certains arguments d'autorité, certains concepts vus par le christianisme comme des vertus. Ces concepts sont la Liberté et le Travail.

Michel Onfray nous rapporte que le christianisme voit en les diverses malédictions sociales un mauvais usage d'une vertu bien déterminée, du libre arbitre. Alors que la réussite sociale est perçue comme une récompense pour tous ceux qui font un bon usage de la liberté. Dans cette logique, explique Onfray, le christianisme au lieu de repérer les conditions matérielles qui sont derrière l'état des sans-grade et essayer de les résoudre, il ne fait par cette cause transcendantale (Liberté) que croupir les malchanceux dans leurs enfers terrestres. Le christianisme leur fait penser qu'ils sont responsables de préférer le chômage à l'emploi, la misère à la richesse... Ce qui est erroné655(*).

La Liberté s'accompagne d'une autre catégorie qui fait fi du réel, c'est le Travail. Dans la morale chrétienne, le Travail est célébré et est considéré comme un impératif. Dans la Politique du Rebelle, Michel Onfray écrit qu'il y a « une logique qui a fait du travail une valeur absolue, une éthique à proprement parler. Or cette morale doloriste découle directement des schémas chrétiens selon lesquels le labeur a pour généalogie la nature pécheresse des hommes et qu'il en va de la souffrance consubstantielle au travail comme d'une punition, d'une expiation, nécessaires en vertu de fautes commises par le premier homme : le travail doit être souffrance, pour ceux qui en ont, et malédiction pour ceux qui en sont privés. Alors triomphe l'idéologie de l'idéal ascétique : ceux qui le subissent n'ont pas les moyens d'y accéder. En attendant, tous souffrent par lui, pour lui. »656(*). Dans cette perspective, on fait penser aux pauvres qu'ils doivent travailler pour gagner leur pain quotidien. Et aux chômeurs qu'ils sont exclus de la société.

On leur fait oublier que leur aliénation provient de ceux qui détiennent le pouvoir, de ceux qui s'enrichissent de leur dos. Pour se démarquer de cette conception, Michel Onfray renoue avec l'étymologie du travail souvent répétée par Nietzsche et les cyniques657(*). Le travail est en affinité profonde avec le terme latin tripalium  qui veut dire instrument de torture. Dès lors, travailler c'est souffrir et se tourmenter658(*).

Aux yeux d'Onfray, seule « la gauche de gauche » (c.à.d la gauche qui est restée de gauche et n'a pas trahi en s'alliant à la droite) est capable de mêler sa voix à tous les miséreux et les exploités et de réaliser leur bonheur en protégeant leurs droits. Dans cette perspective, Michel Onfray s'exprime clairement : « J'associe la droite à la promotion, en politique de l'idéal ascétique et de ce qu'il suppose de souffrances et d'expiations nécessaires pour le bon fonctionnement de l'ordre social. En revanche, la gauche me paraît fournir, après la colère, son mode dynamique, l'occasion de promouvoir l'hédonisme, son contenu. »659(*)

* 638 L'ouvrage de Michel Onfray qui traite d'esthétique s'intitule L'archéologie du présent mais cet ouvrage est épuisé. Dès lors, on a abordé ce thème en se référant aux deux ouvrages suivants: La lueur des orages désirés, op.cit, pp.62-78. et La puissance d'exister, op.cit, pp.147-172.

* 639 Duchamp (1887-1968) est un peintre et sculpteur franco-américain. Il est l'inventeur du ready-made.

* 640 La puissance d'exister, op.cit., p.150.

* 641 Ready made est un objet manufacturé, donc non fabriqué par l'artiste mais qui serait utilisé comme oeuvre d'art. Exemple de ready made : roue de bicyclette (1913), le célèbre Urinoir-Fontaine ( 1917)

* 642 Ce terme est inventé par le philosophe allemand Jürgen Habermas. Pour ce philosophe, on doit faire notre deuil de la métaphysique car elle développe des concepts désintégrés.

Rejetant la métaphysique, Habermas se dirige vers le langage et les signes linguistiques.

Il fonde alors « l'activité communicationnelle » dans laquelle les sujets agissent en vue de l'intercompréhension.

Cf Jacqueline RUSS, La pensée éthique contemporaine, Que sais-je ?, P.U.F, 1994, pp.62-67.

* 643 Jean Anthelme Savarin (1755 - 1826) est un illustre gastronome français. Il étudie le droit, la chimie et la médecine et il publie plusieurs travaux de droit et d'économie politique. Mais sa publication la plus célèbre reste un ouvrage de gastronomie intitulé La physiologie du goût (1825).

Le fromage français « brillat-savarin » a été crée en 1890 en son honneur.

* 644 La gastonomie est traitée dans les deux ouvrages suivants: ONFRAY Michel, Le Ventre des philosophes - Critique de la raison diététique -, Paris, Grasset & Fasquelle, Livre de poche,1989. Et La Raison gourmande - Philosophie du goût-, Paris, Grasset & Fasquelle, Livre de poche, 1995.

* 645 Cf. L'Art de jouir, op.cit, pp.100-111

* 646 Pour Rousseau, Cf. Le Ventre des philosophes, op.cit., pp.45-59.

* 647 Pour Sartre, voir Ibid., pp.133-146

* 648 Simone de Beauvoir, La cérémonie des adieux, suivie de Entretiens avec J.-P. Sartre, août-septembre, 1974. Gallimard., 1981, p.422 ; p.423 in Le Ventre des philosophes, op.cit., p.133.

* 649 Alice Schwarzer, Simone de Beauvoir aujourd'hui- six entretiens, Mercure de France, 1984, p.113 in Le ventre des philosophes, op.cit., p.135.

* 650 Sur ce point, on se demande si on pourra excuser les philosophes idéalistes puisque, comme venait de montrer Onfray, l'orientation de n'importe quelle philosophie provient du corps.

* 651 Voir Politique du rebelle de Michel Onfray

* 652 Ibid., p.142

* 653 Voir l'entretien avec Onfray déjà cité :

http://chrysalide44.free.fr/dotclear/index.php?2005/04/16/207-michel-onfray

* 654 Sa mère était une femme de ménage et son père un ouvrier agricole.

* 655 Cf. Michel ONFRAY, Célébration du génie colérique - Tombeau de Pierre Bourdieu - Paris, Galilée, 2002, pp.26-30

* 656 Politique du rebelle, op.cit., p.83 ; p.84.

* 657 Cf. Cynismes, op.cit, pp.134-137 et La Sagesse tragique, op.cit., pp.98-102

* 658 Nietzsche dans Aurore a porté un jugement négatif sur le travail défini comme « le dur labeur du matin au soi ». Pour lui, le travail a considérablement contribué à la défaite de la raison, de la réflexion, des désirs et du goût de l'indépendance.( Cf. Nietzsche, Aurore, op.cit, Livre premier,§42, p.45 ; p.46)

Dans ce contexte, il ne faut pas oublier aussi la célèbre phrase de Nietzsche selon laquelle : « celui qui n'a pas les deux tiers de sa journée pour lui-même est un esclave. (...) » (Nietzsche, Humain, trop humain, op.cit., §283, p.55)

* 659 Traité d'athéologie, op.cit., p.136 ; p.137

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe