Approche des représentations du "participatif" des journalistes des sites indépendants d'information @rrêtsurimages et Médiapart( Télécharger le fichier original )par Claire PHILIPP EAC - Master de Manager de projet culturel 2009 |
INTRODUCTIONEn 2000, se déroule ce que l'on nomme l'éclatement de la . bulle Internet . (dot corn buble)2. 0n considère communément cette date comme le passage du web 1.0, a savoir un web linéaire sur lequel les internautes n'ont aucun pouvoir avec des services médiocres et peu adaptés a leurs besoins, au web 2.0. Cette appellation définit le réseau comme un web participatif et interactif, continuellement a l'écoute des attentes des consommateurs et qui sait s'adapter rapidement. Cette transition a été favorisée par l'arrivée du haut débit (2002 en France), qui a permis le développement de nouveaux services et de pratiques participatives telles que le partage de fichiers (peer to peer). Les chantres du web 2.03 voient dans cette nouvelle phase d'Internet le passage d'un média . horizontal ., oil les internautes sont cantonnés a un role de récepteurs, a un média plus . vertical ., oil les internautes sont a la fois récepteurs et émetteurs. Il s'agirait ainsi d'une révolution du schéma de communication, qui ferait d'Internet une agora démocratique oil tout un chacun aurait la possibilité d'exprimer son point de vue et de partager ses connaissances grace a des interfaces simplifiées. De ce concept est née la vision du . tous journalistes ., dans la mesure oil les internautes pairs se substituent en partie aux intermédiaires médiatiques traditionnels aussi bien pour la production de contenus que leur hiérarchisation (sélection par recommandations et réactions critiques). Internet est alors considéré comme un média offrant une possibilité de constituer une nouvelle structure de production de l'information. Des lors le « participatif » devient un « buzz word », autrement dit un concept a la mode, qu'il s'agit, pour les entreprises ou les médias de masse, de décliner au travers de nouveaux services (tels que les « wikis », chats en direct), afin de s'engouffrer dans la bréche de ce nouveau dispositif. 2 ,4 Quand Internet fait des bulles ., reportage réalisé par Benjamin Rassat, produit par La Générale de production et 13eme rue, diffusé sur cette chaine le 13 juin 2007, http://www.youtube.com/watch?gl=FREhl=frav=Hj7KoLITX0k 3 « 2.0 . correspond a la seconde version améliorée d'un logiciel. 0r, avec un peu de recul historique, on peut avancer que la notion de participation pré-existait au web grand public, même si ce dernier a pu lui conférer une visibilité a grande échelle du fait de son réseau mondial. En effet, on observe notamment dans les mouvements activistes dès la fin des années 1970 une volonté de construire les bases d'un système d'information alternatif aux grands médias via des procédés recombinants et décentralisés qui permettraient une réappropriation des médias par le public. L'objectif n'est pas alors de modifier le contenu véhiculé, mais également la structure médiumnique en elle-même pour permettre l'émergence de « points de fuite » au système panoptique des médias de masse4. Se joue dans les mouvements militants une volonté de mettre en place des dispositifs communicationnels a la fois collectifs et atomisés, qui ne prévalent pas d'une destruction du système en place, mais comme une alternative dissidente a ce dernier. Par ailleurs, les premiers pas d'Internet aux Etats-Unis sont fortement marqués par une culture « collaborative . des universitaires et des premiers hackers. Ces développeurs de la première heure étaient animés par une éthique de travail reposant sur le libre échange de données, ainsi qu'un mouvement d'innovation émulé par la reconnaissance et la compétition entre pairs. C'est dans ce contexte que s'origine la culture participative, voire militante, du web, notamment basée sur une forte aversion de tout pouvoir central, en particulier de l'état. De la se serait opéré selon Franck Rebillard un glissement entre la philosophie libertaire du Web (liberté d'expression) et libérale des grandes entreprises des NTIC (libre échange). Les propos de cet auteur sont en ce sens éclairants : « Il faut bien comprendre ici qu'a la triade Etat / Prive / internaute, se superpose une acception triple de la liberte : liberte d'expression, libreechange et libre circulation de l'information. L'ideologie liberale promue par certains entrepreneurs prives et l'ideologie libertaire des premiers internautes se rejoignent dans une meme aversion pour l'Etat, accuse de faillir a sa mission de garant de la liberte d'expression. >>5 4 H0LMES Brian, QUERRIEN Anne, VIDEC0Q Emmanuel, « Les trois plis du média activisme ., Multitudes, dossier « Majeure. Subjectivation du Net : post-média, réseaux, mise en commun ., n°21, été 2005, http://multitudes.samizdat.net/Les-trois-plis-du-media-activisme, mis en ligne le 31 mai 2005. 5 REBILLARD Franck, Le Web 2.0 en perspective, une analyse socio-économique de l'Internet, Paris, L'Harmattan, 2008, p. 94. Des lors, le web 2.0 est concu comme un marché auto-régulé et sans frictions dans la mesure oil l'Etat n'intervient que de maniere minimale. Ainsi, Mark Deuze et Joël de Rosnay parlent d'un « écosystème informationnel » ou d'une société de l'information dans laquelle, la fluidité des échanges entre les utilisateurs et les producteurs de contenus ont bien plus que la valeur des informations en ellesmeme6. Cette utopie organisationnelle moderniste, que Rebillard nomme le « nouvel esprit du capitalisme », allie les valeurs d'autonomie, d'horizontalité et de liberté du mouvement libertaire et se confond avec lui dans le discours de la « révolution 2.0 ». Ce faisant, elle fait entrer ce dernier dans une ere oil les différents niveaux de médiation, a l'instar des journalistes, sont peu ou prou évacués au profit d'une organisation mécanisée. 0n peut rapprocher ces propos des agrégateurs de contenus des grandes « plates-formes d'audience »7, tels que Google news/iGoogle/Google headlines8, Msn actualités9 ou Yahoo actualités10/11. Ces taches de tri et de hiérarchisation de l'information, traditionnellement assimilées au travail journalistique, peuvent désormais etre faites individuellement grace a ces interfaces. D'oil la crainte d'un certain nombre de journalistes que le web 2.0, et ses services personnalisés et interactifs, n'entralnent la « mort » de leur profession. L'avenir promis a l'information étant de devenir une matière premiere a base de dépêches d'agence de presse dont chacun pourrait disposer tel qu'il en a envie. Cependant, il s'agit de ne pas évacuer les aspects communautaires et inter relationnels du réseau, qui vont de pair avec les nouveaux outils « web 2.0 ». 6 « For journalism, all of thie means, in part, that value attributed to media content will be increasingly determined by the interactions between users and producers rather than the product (cf. News) itself." Extrait de: DEUZE Mark, Liquid journalism, Political Communication Report, 2006, http://frank.mtsu.edu/-pcr/1601_2005_winter/roundtable_Deuze.htm 7 Cette catégorie comprends les moteurs de recherche, les portails de services de messagerie et les sites des journaux traditionnels, qui valorisent une audience captive a la fois quantitative et qualitative en la mettant a la disposition des annonceurs. EVANS Et SCHMALENSEE, "The Industrial organization of markets with two-sided platforms", in NBER Working Papers, n°11603, National Bureau of Economic Research Inc., 2005. 8 http://news.google.fr/ 9 http://news.fr.msn.com/ 10 http://fr.news.yahoo.com/ 11 Ces sites compilent des flux RSS, voire proposent un journal personnalisé en enregistrant les préférences de lecture de l'utilisateur comme parametres de sélection de sa Une. Selon Bruno Patino : . Si tout le monde devient journaliste, il n'y a plus de journalisme >. Cette réaction de l'ancien Directeur du Monde Interactive résume bien l'ambivalence des représentations que peuvent avoir des web journalistes : ils officient sur le . web 2.0 . et peuvent aller jusqu'à le considérer comme l'avenir de l'information, tout en considérant le . participatif . comme une menace par certains aspects. Certains professionnels, inquiets de la remise en question de leur profession ont quant a eux fait le pari de migrer totalement sur le web. Ils ont créé des sites d'information, qui, tout en surfant sur la vague du . participatif ., remettent le travail d'enquete du journaliste au centre. Ainsi on peut lire dans la note d'intention présentant le projet de Médiapart : 3 ce projet est ne d'un double constat partage par une equipe de journalistes experimentes : la crise de la presse papier qui est une crise de l'offre editoriale ; la crise de croissance du web, dont les potentialites au service des citoyens eclaires ne sont pas exploitees au mieux et qui appelle l'invention d'un nouveau modele d'information de presse. [...] Elle [l'information de référence] suppose de remettre a l'honneur un genre trop delaisse et injustement decrie : l'enquete, avec ses decouvertes, ses surprises, ses revelations inedites..12 Ces nouveaux web journalistes mettent également en avant l'implication de leur communauté d'abonnés dans le fonctionnement de leurs sites13, faisant en partie le jeu de l'idéologie web 2.0, tout en affirmant que le role du journaliste n'en est que plus essentiel. Ces pure players reprennent a leur compte la tradition de l'enquête en partie délaissée par les médias traditionnels, ainsi que la logique des réseaux qui s'impose dans les circuits de l'information. Ce parti pris part du principe qu'il n'y a peut etre pas assez de travail journalistique de fonds dans les médias de masse, qui tentent de courir après le rythme imposé par les nouvelles technologies, et pas non plus assez du « participatif » de ces dernières. En somme, ils essaient d'ouvrir empiriquement une troisième voie, un modèle mixte alliant les meilleurs aspects des anciens et des nouveaux médias. Cependant, ces tentatives semblent créer une situation d'entre-deux, qui placent les web 12,4 Le Projet Médiapart ., Déclaration d'intention mise en ligne le 07.12.07. 13 Dans l'interview de Pierre Haski précédemment citée, il déclare au sujet de la participation des internautes (en l'occurrence via des témoignages) : <4 C'est aussi ce qui contribue au bon developpement de notre audience. . journalistes a la jonction de deux conceptions de leur activité partiellement antagonistes, notamment quant a leur role et a celui de leurs lecteurs. Au dela du contexte technologique induit par le fait que les sites indépendants d'information concentrent leur activité sur la Toile (« pure players .), il est intéressant d'analyser le discours de ces web journalistes et leurs représentations du « participatif ». En effet, comment les journalistes des sites « pure players », dont la production suscite des commentaires et dont la structure comprend des contenus générés par les utilisateurs (UGC14), concoivent le role et la place des internautes participants ? Comment l'intègrent-ils aujourd'hui a leur démarche professionnelle et quels sont les schémas de fonctionnement qui en découlent ? Enfin, quelles sont les évolutions possibles en terme d'intégration accrue des usages interactifs dans l'offre de ces sites indépendants d'information ? Notre intuition de départ est que ces nouveaux sites « pure players » ne sont pas « au clair . avec le concept du participatif dont ils se réclament. Etant donné leur statut de journalistes professionnels, développant une offre payante et issus de médias traditionnels, ils semblent vouloir se distinguer de ces derniers via une collaboration active avec les internautes, tout en conservant certaines réticences a cet égard. Nous cherchons a mettre a l'épreuve cette hypothèse en recueillant le discours développé par les sujets quant au role et a la place des internautes sur leurs sites, et dans une moindre mesure leur positionnement sur ce point par rapport aux médias traditionnels. La finalité de ce travail est de mettre en perspective ces discours avec les analyses théoriques développées a ce sujet, ainsi qu'en les confrontant aux formes concrètes que prend le participatif sur ces sites par le biais d'une observation de leurs pratiques. 14 cf. définition du terme « User Generated Content ., annexe 7.2 (lexique), p. 105. |
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