L'infraction politique en droit pénal camerounais( Télécharger le fichier original )par Thomas OJONG Université de Douala - DEA de droit privé fondamental 2005 |
Section I : L'EXISTENCE DES JURIDICTIONS D'EXCEPTIONA l'époque des présents développements, deux juridictions existaient pour prononcer des sanctions à l'égard des délinquants politiques : il s'agit de la Haute Cour de Justice (par. 1) pour le président de la République et les membres du gouvernement ; et du tribunal militaire (par. 2) pour les atteintes à la sûreté de l'Etat et les infractions en matière d'armes. Paragraphe I : La Haute Cour de Justice61(*)Créée par l'article 34 de la Constitution du 2 juin 1972, modifiée par la loi n°84/1 du 4 janvier 1984 elle-même modifiant l'ordonnance 72/7 du 26 août 1972, la Haute Cour de Justice a une compétence, une composition et une procédure spéciales. Paradoxalement, ni l'ordonnance n°72/4 du 26 août 1972 portant organisation judiciaire au Cameroun, ni la loi n°90/058 modifiant la loi n°89/01 du 29 décembre 1989 ne la cite comme juridiction rendant justice. A- LA COMPOSITION ET LA COMPETENCE DE LA HAUTE COUR DE JUSTICE Il ne fait aucun doute qu'à juridiction spéciale, composition (1) et compétence (2) particulières. 1- La composition de la Haute Cour de Justice Le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison62(*). En ce cas, il est mis en accusation devant la Haute Cour de Justice par le Parlement statuant à la majorité des deux tiers de ses membres. D'après l'article 1 de l'ordonnance 72/7 du 26 août 1972, elle se compose de neuf juges titulaires et six suppléants. Au début de chaque législature et dans les vingt jours de la première session, l'Assemblée Nationale élit des juges de la Haute Cour. Six juges titulaires, ainsi que trois juges suppléants sont choisis par l'Assemblée Nationale hors de son sein : les candidatures sont présentées par les membres de l'Assemblée. Les candidats doivent remplir les conditions prévues pour l'éligibilité à l'Assemblée Nationale. Le ministère public près la Haute Cour de Justice est exercé par le procureur général près la Cour Suprême, assisté de l'Avocat Général près la même Cour Suprême et le cas échéant, d'un Avocat Général près d'une cour d'appel. Le greffier en chef de la Cour Suprême est de droit greffier de la Haute Cour de Justice. Il prête serment en cette qualité à l'audience publique de la Haute Cour. Le président et le vice-président de la Haute Cour de Justice sont élus parmi les juges titulaires, membres de l'Assemblée Nationale. Il est également institué une commission d'instruction près la Haute Cour de Justice comprenant trois membres dont le président est élu au sein de l'Assemblée Nationale et les deux autres membres désignés par la Cour Suprême parmi les magistrats de cette Cour. Lors de leur entrée en fonction, dans les dix jours suivant leur élection, les juges de la Haute Cour de Justice, titulaires et suppléants, le président de la Commission d'instruction prêtent devant le Parlement le serment suivant : « Je jure et promets de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et des votes et de me conduire en tout comme un digne et loyal membre de la Haute Cour de Justice ». Le serment est reçu par le Parlement. Acte est donné à la prestation par le Président du Parlement qui les renvoie à l'exercice de leurs fonctions. En cas de décès, de maladie prolongée, de démission ou de condamnation à une peine afflictive et infamante d'un membre de la Haute Cour de Justice, il est pourvu immédiatement au siège vacant par l'élection d'un nouveau membre parmi les suppléants de l'organe qui a procédé au choix précédent. 2- La compétence de la Haute Cour de Justice. La Haute Cour de Justice est compétente pour connaître : - des actes de haute trahison commis par le président de la République - des complots contre la sûreté de l'Etat (crimes et délits contre la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat tels que définis par le Code Pénal), commis par des Ministres, secrétaires d'Etat et leurs complices. En plus de cette compétence spéciale, la procédure devant cette juridiction est atypique. B- LA PROCEDURE DEVANT LA HAUTE COUR DE JUSTICE La procédure de mise en accusation et de l'instruction (1), ainsi que la procédure proprement dite devant la Haute Cour de Justice (2) nous permettrons d'avoir une vue d'ensemble procédurale devant cette juridiction spéciale. 1- De la mise en accusation et de l'instruction. Le Président du Parlement saisit la Haute Cour de Justice par une réquisition notifiée tant au Président de la Haute Cour de Justice qu'au procureur général près cette Cour. La réquisition contient le texte de la motion d'accusation63(*). Le Président du Parlement fait dresser procès - verbaux des notifications. Dans les vingt-quatre heures de la notification, le procureur général requiert l'ouverture de l'information et en saisit immédiatement la commission d'instruction. Jusqu'à la réunion de la commission d'instruction, le Président de celle-ci a personnellement pouvoir de faire tous les actes d'instruction nécessaires à la recherche de la vérité et à la mise sous main de justice des accusés en se conformant aux règles ordinaires en matière d'instruction criminelle64(*). Dès que l'instruction est ouverte, ou en cas de nouvelle inculpation, le Président de la commission d'instruction invite chacun des inculpés à faire assurer sa défense par un ou plusieurs avocats de son choix, inscrits au barreau. Sur sa demande ou en cas de nécessité constatée par décision de la commission d'instruction, le Président de la commission d'instruction peut se faire assister d'un ou de plusieurs magistrats qui reçoivent délégation pour instruire une ou plusieurs affaires ou procéder à des commissions rogatoires. Ces magistrats siègent à la commission d'instruction avec voix consultative. La commission d'instruction recherche si les faits reprochés sont établis. Elle statue sur les incidents de procédure et, notamment, sur les nullités d'instruction qui doivent être soulevées, à peine de forclusion, par déclaration au greffe dans les vingt-quatre heures. La commission d'instruction confirme, ou non, les mandats délivrés avant sa réunion par son Président. Elle délivre les mandats de dépôt, d'arrêt ou d'amener et se prononce sur la liberté provisoire. La commission d'instruction se saisit d'office de tous faits nouveaux concernant l'inculpé. Elle statue éventuellement sur les nouvelles inculpations dont l'instruction ferait apparaître la nécessité. Au cours de la procédure d'instruction, le ministère public et la défense peuvent faire citer tous témoins et demander toutes confrontations. Ils peuvent assister à tous les actes d'instruction. Lorsque la procédure paraît complète et après le réquisitoire définitif du procureur général, le dossier est déposé dix jours au greffe où les défenseurs des inculpés dûment avertis, peuvent en prendre connaissance. Avant la décision de renvoi ou de non lieu, la commission entend le représentant du ministère public et la défense au cours d'un débat public. Elle se retire pour délibérer et statue pour chaque inculpé sur chaque chef d'inculpation. Elle rend son arrêt en audience publique. Au cas de renvoi, la commission dit qu'il résulte charge suffisante de crimes ou de délits, qualifie lesdits crimes et délits et indique les textes applicables. Le dossier est alors transmis sans délai au parquet de la Haute Cour de Justice et le Président de la commission d'instruction en informe son président. L'arrêt de renvoi est notifié par le parquet à l'accusé. La notification contient ajournement devant la Haute Cour de Justice dans un délai minimum de quinze jours. En ce qui concerne les ministres et assimilés, la poursuite est exercée par le procureur Général près la Cour Suprême dès sa saisine par décret du président de la République. Ce décret contient le nom des accusés, énonce sommairement les faits qui leur sont reprochés en visant les dispositions de la loi pénale. Le procureur Général requiert l'ouverture d'une information et transmet les dossiers y afférents au président de la Commission. Et comme dans le cas du président de la République, la procédure suit son cours dans les mêmes délais et formes. Dans tous les cas, la commission d'instruction statue à la majorité et sans appel. 2- De la procédure proprement dite devant la Haute Cour de Justice65(*) Les membres de la Haute Cour de Justice sont convoqués par le Président, huit jours avant l'ouverture de la session. Ceux qui ne répondent pas à la convocation et ne s'exécutent pas pour motif grave, jugé valable par la Haute Cour de Justice, sont traduits devant elle sur la requête du ministère public dans un délai de huit jours. S'ils ne se justifient pas, ils sont déclarés déchus de leur qualité de membres de la Haute Cour de Justice. L'organe d'où ils émanent en est avisé et fait immédiatement procéder à leur remplacement dans les mêmes conditions que pour l'élection. Tout membre de la Haute Cour de Justice doit s'abstenir de siéger : - S'il est parent ou allié d'un accusé jusqu'au degré de cousin issu de germain inclusivement - S'il a été entendu ou s'il est cité comme témoin pour ou contre. Toutefois, le ministère public ou un accusé ne peut citer comme témoin un membre de la Haute Cour de Justice qu'après autorisation de la commission d'instruction. - S'il a existé entre lui et un accusé un motif d'inimitié particulier, le membre de la Haute Cour de Justice tenu de s'abstenir doit le faire connaître au Président de la Haute Cour de Justice dès réception de sa convocation. Tout juge de la Haute Cour de Justice, qui ne peut siéger pour quelque cause que ce soit, est remplacé par un juge suppléant. Celui-ci est tiré au sort dans la catégorie à laquelle appartient le juge empêché. Les débats sont publics, sauf si le huis clos est ordonné par la Haute Cour de Justice. Ils sont présidés par le Président ou, à défaut, par l'un des vice-présidents. Ils suivent la procédure prévue par le code de procédure pénale pour les affaires criminelles ou correctionnelles, suivant les cas. Après la lecture de l'arrêt de renvoi et la vérification de l'identité des accusés, le Président donne, à la Haute Cour de Justice, connaissance du dossier. Des témoins de l'accusation, puis de la défense sont entendus et le président procède à l'interrogatoire de l'accusé. Les juges, le ministère public et les défenseurs peuvent poser des questions tant aux témoins qu'à l'accusé. Le greffier tient note des déclarations des témoins et des réponses des prévenus ou des accusés. La Haute Cour de Justice entend, s'il y a lieu, les observations des parties civiles, le réquisitoire du ministère public, les plaidoiries des défenseurs et les observations des accusés, qui auront les derniers la parole. Toutes les exceptions, sauf celle de prescription qui est jugée par arrêt spécial, sont examinées et jugées, soit séparément du fond, soit en même temps, suivant ce que la Haute Cour de Justice ordonne. La Haute Cour de Justice ne peut que statuer sur les faits dont elle est saisie par arrêt de renvoi. Elle peut en modifier la qualification dans les limites du Code pénal. Les débats publics étant clos, la Haute Cour de Justice se retire en chambre du conseil. La discussion est alors ouverte ; après quoi l'on procède au vote sur la culpabilité. Il est voté séparément, pour chaque accusé, sur chaque chef d'accusation et sur la question de savoir s'il y a des circonstances atténuantes. Le vote a lieu par bulletins secrets. La décision est prise à la majorité absolue. Si l'accusé est déclaré coupable, il est voté sans désemparer sur l'application de la peine. Toutefois, après deux votes dans lesquels aucune peine n'aura obtenu la majorité des voix, la peine la plus forte proposée dans ces votes sera écartée pour le vote suivant et ainsi de suite, en écartant chaque fois la peine la plus forte jusqu'à ce qu'une peine soit prononcée par la majorité des votants. L'arrêt définitif est motivé. Il est rédigé par le Président, adopté par la Haute Cour en chambre du conseil, signé par le Président et le greffier. Il fait mention des membres de la Haute Cour de Justice qui y ont concouru. Il est lu en audience publique par le Président. La constitution de partie civile est recevable devant la Haute Cour de Justice. Les arrêts intervenus ne peuvent être attaqués ni par voie d'appel, ni par pourvoi de cassation. Si la HCJ était compétente pour connaître des violations politiques commises par de hautes autorités, une autre juridiction spéciale, le tribunal militaire sanctionnait les comportements répréhensifs du même ordre commis par les autres membres de la population. * 61 YOUCHE, la justice au Cameroun, avec préface de François Xavier MBOUYOM. (Recueil de textes). Pp. 207 et sq. Cité par Roger Sockeng, les institutions judiciaires au Cameroun, 3è éd., collection « LEBORD » p.53 * 62 Une polémique s'est développée sur l'étendue de la responsabilité pénale du chef de l'Etat : peut-on la mettre en cause, en cours de mandat, pour des crimes et délits antérieurs à l'entrée en fonction du président ? Le soumettre au droit commun mettrait le président dans une situation moins favorable que les parlementaires ou les ministres, l'empêcherait d'assumer son rôle constitutionnel de gardien des institutions, et donc romprait avec le principe de la séparation des pouvoirs. A l'inverse, préserver le chef de l'Etat par l'immunité absolue dont il bénéficie peut retarder jusqu'à la fin du mandat présidentiel des procédures judiciaires en cours. La solution retenue est que le chef de l'Etat n'est responsable des actes commis avant son mandat qu'à l'issue de celui-ci et devant les juridictions ordinaires. Il n'est cependant pénalement responsable que devant la Haute Cour de Justice pour crime de haute trahison. * 63 Il s'agit de l'énoncé sommaire des faits reprochés en visant les dispositions de la loi pénale applicable. * 64 L'instruction se déroule comme en droit commun ; les garanties de la défense sont respectées. * 65 V° Association des Hautes juridictions de cassation des pays ayant en partage l'usage du français (AHJUCAF) : recherche Internet, sur la Haute Cour de Justice. |
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