L'infraction politique en droit pénal camerounais( Télécharger le fichier original )par Thomas OJONG Université de Douala - DEA de droit privé fondamental 2005 |
Paragraphe 2 : La création de la Cour de Sûreté de l'EtatCréée par la loi n°90/060 du 19 décembre 1990, la Cour de Sûreté de l'Etat est une juridiction permanente et unique pour tout le cameroun. Selon l'article 1er, al.1 de la loi qui la crée, son ressort s'étend sur l'ensemble du territoire de la République. Son siège est à Yaoundé. Toutefois, elle peut tenir des audiences dans toute autre localité, sur décision du président de la République ou, par délégation, du ministre chargé de la justice. Nous examinerons sa composition, ses attributions (A) et la procédure suivie devant elle (B). A- COMPOSITION ET ATTRIBUTIONS DE LA COUR DE SURETE DE L'ETAT. Juridiction exceptionnelle, la Cour de Sûreté de l'Etat a une composition (1) et une compétence (2) spéciales. 1- La composition de la Cour de Sûreté de l'Etat. D'après l'article 2 de la loi n°90/060 du 19 décembre 1990, elle se compose : - d'un président, magistrat de l'ordre judiciaire ; - de six assesseurs titulaires, ayant voix délibératives dont : - Un procureur général assisté d'un ou de plusieurs substituts, nommés par décret ; - Un ou plusieurs greffiers ; le greffe de la Cour de Sûreté de l'Etat est le greffe de la Cour d'appel du centre, à Yaoundé. - Six assesseurs suppléants remplissant les mêmes conditions, appelés à remplacer les assesseurs titulaires en cas d'empêchement. Le président et les assesseurs de la Cour de Sûreté de l'Etat et leurs suppléants sont nommés par décret. En cas d'empêchement survenu en cours de session, le président est remplacé de plein droit par l'assesseur magistrat de l'ordre judiciaire le plus ancien dans le grade le plus élevé. En cas d'empêchement d'un assesseur titulaire, il est pourvu au siège vacant par l'élection d'un nouveau membre parmi les assesseurs suppléants de l'organe défaillant. 2- La compétence de la Cour de Sûreté de l'Etat. A la Cour de Sûreté, la loi n°90/060 attribue, à l'article 4, au détriment du tribunal militaire177(*), la connaissance des atteintes à la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat, ainsi que celle des infractions connexes. Les atteintes ainsi visées sont cataloguées dans le chapitre I du code pénal ci-dessus déterminé. Les infractions contre la sûreté extérieure de l'Etat y sont définies dans la section première de ce chapitre : - l'espionnage et la trahison178(*) - les actes autres que l'espionnage et la trahison accomplis en temps de paix, de nature à nuire à la défense nationale et à la nation179(*). - L'enrôlement ou le recrutement, sans autorisation, des individus sur le territoire national, pour le compte des forces armées étrangères180(*). - L'imprudence, la négligence et l'inobservation des règlements préjudiciables à la défense nationale, la non dénonciation181(*). - Le commerce et la correspondance, en temps de guerre, avec les sujets ou agents d'une puissance ennemie182(*). - La participation, en temps de guerre, à une entreprise de démoralisation de l'armée ou de la nation. En ce qui concerne les atteintes à la sûreté intérieure de l'Etat, le Code Pénal les réprime dans la section II du chapitre susindiqué. Ces infractions sont : - la sécession183(*) ; - la guerre civile ; - la révolution ; - l'insurrection ; - la bande armée184(*). Toutefois, les mineurs de 14 ans ne sont pas justiciables de la Cour de Sûreté de l'Etat185(*). Le président de la République au cas où il commet des atteintes à la sûreté de l'Etat dans l'exercice de ses fonctions, les membres du gouvernement en cas de complot ourdi contre la sûreté de l'Etat dans l'exercice de leurs fonctions186(*)et certains étrangers ne sont pas également justiciables de cette juridiction unique. S'agissant de ces derniers, la loi n°90/060 ne fait nulle part mention à eux, sur ce point, on doit recourir à l'ordonnance n°72/5 qui, avant la loi, régissait aussi les poursuites contre les auteurs des atteintes à la sûreté de l'Etat. Suivant l'article 7 de cette ordonnance, les étrangers jouissant des immunités diplomatiques ou du privilège de juridiction sur la base des conventions internationales ne pouvaient pas être traduits devant le tribunal militaire. La connaissance des atteintes à la sûreté de l'Etat ne relevant plus de la compétence du tribunal militaire, aux termes de l'article 31 nouveau187(*) de la loi n°72/5 du 26 août 1972, mais de celle de la Cour de Sûreté de l'Etat, ces étrangers ne peuvent pas être traduits devant celle-ci en cas de consommation de ces infractions. Au demeurant, cette omission dans la loi 90/060 fait partie de beaucoup de carences et d'imprécisions qu'on y rencontre et qui sont dues à son extrême concision et à la précipitation qui a présidé à son élaboration. Il y a lieu de relever que cette technique de déterminer la compétence de manière générale risque de poser des difficultés ; car il n'est pas toujours aisé de dire si tel fait porte atteinte à la sûreté de l'Etat ou pas. Cependant, qu'en est-il de la procédure devant cette juridiction ? B- LA PROCEDURE DEVANT LA COUR DE SÛRETE DE L'ETAT.La procédure de mise en accusation et de l'instruction (1), ainsi que la procédure proprement dite devant la C.S.E. (2) nous permettrons d'avoir un aperçu procédural global de la Cour. 1- De la mise en accusation et de l'instruction. La procédure devant la Cour de Sûreté de l'Etat se distingue par l'absence de l'information judiciaire et l'institution de la procédure de flagrant délit. Ainsi, le procureur général procède ou fait procéder par tous officiers de police judiciaire à tous actes nécessaires à la recherche, à la constatation et à la poursuite des crimes et délits de la compétence de la Cour de Sûreté de l'Etat, dans les affaires de sa compétence, et a les mêmes attributions que le procureur de la République. Aux termes de l'article 6 de la loi n°90/060, les auteurs, coauteurs, complices des infractions à la sûreté de l'Etat sont traduits devant la Cour de Sûreté de l'Etat par la voie de flagrant délit. Toutefois, lorsqu'un mineur de plus de 14 ans est impliqué dans une affaire ou que l'auteur est en fuite, le procureur général ouvre une information. La question de savoir pourquoi l'information n'a été prévue que dans ces deux cas s'est posée. Les raisons avancées étaient que le jugement des mineurs posait à la fois des problèmes sociologiques, psychologiques, pédagogiques et psychiatriques. C'est pour cela qu'en France, il existe des juridictions spéciales pour les mineurs délinquants188(*). Ce n'est pas le cas au Cameroun ; il n'y a pas de tribunal spécial pour enfants, il y a plutôt des formations spéciales des juridictions ordinaires en cas de délinquance juvénile. Sur la base de la loi de 1990, un mineur de plus de 14 ans peut-il être attrait à la Cour de Sûreté de l'Etat lorsqu'il a commis tout seul une infraction relevant de sa compétence ? Peut-il l'être lorsqu'il a pour coauteurs ou complices d'autres mineurs pénalement responsables ? La loi n'en dit expressément rien. Mais comme elle parle d'un mineur "impliqué dans une affaire", elle ne vise que les cas où les mineurs se sont mêlés d'actes infractionnels consommés par les majeurs. Au cas où les adultes n'y sont pas impliqués, ils doivent normalement répondre de leurs actes devant les juges des enfants. Le législateur français avait résolu ce problème dans l'article 699 du code de procédure pénale. En effet, en France, lorsque les atteintes à la sûreté de l'Etat se trouvaient perpétrées uniquement par des mineurs de plus de 16 ans et de moins de 18 ans, ils répondaient de leurs actes devant les juridictions pour mineurs délinquants189(*). Le mineur de plus de 14 ans pénalement responsable va-t-il, conformément à l'article 80 (3) du code pénal, bénéficier de l'excuse atténuante à la Cour de Sûreté de l'Etat ? Est-il plutôt pleinement responsable dans le sens de l'article 80(4) de ce code qui ne rend pleinement responsable que les mineurs de 18 ans ? La loi ne fait nulle part allusion à la législation sur les enfants. Il est à craindre que la Cour ne le rende pleinement responsable en vertu du principe selon lequel le spécial déroge au général. En ce qui concerne le criminel en fuite, la réponse à la question de savoir pourquoi il y a ouverture d'une information n'est pas évidente. La loi ne vise nullement le cas où, en droit commun, on est obligé d'ouvrir une information parce que l'auteur de l'infraction qu'on veut réprimer est inconnu. Ici il peut être connu ; l'ouverture de l'information et donc la temporisation de la procédure viennent tout simplement du fait que la justice ne dispose pas du délinquant. C'est tout à fait logique, mais seulement, cela crée un paradoxe : le suspect en fuite se trouve mieux traité que celui qui est présent. Il s'ensuit qu'un innocent visé par la Cour pour une infraction relevant de sa compétence a intérêt à s'enfuir, sinon il pourra faire l'objet d'un jugement expéditif et être emprisonné ou tué alors que sa fuite aurait permis d'instruire l'affaire et de découvrir son innocence. 2- Procédure proprement dite devant la Cour de Sûreté de L'Etat190(*) La procédure en ce qui concerne les débats et le jugement devant la C.S.E. est celle prévue devant le tribunal de première instance statuant en matière correctionnelle. La Cour de Sûreté peut décerner mandat de dépôt, quelle que soit l'infraction retenue. Elle peut également décerner mandat d'arrêt si la peine prononcée est une peine d'emprisonnement ferme. La Cour statue par arrêt en premier et dernier ressort. Ses décisions ne sont pas susceptibles d'appel, mais de pourvoi en cassation dans les dix jours, à compter du lendemain de leur prononcé, si elles sont contradictoires, ou du lendemain du jour où l'opposition n'est plus recevable. Les décisions rendues par défaut sont susceptibles d'opposition dans les cinq jours de leur notification ou signification à personne ou à domicile. Toute déclaration d'appel faite au greffe ne peut ni être enregistrée, ni faire l'objet d'une transmission. Il convient de relever que la procédure devant la C.S.E. ignore le "rejugement191(*)", celui-ci ayant du reste été supprimé fort opportunément et de manière expresse par l'article 2 de la loi n°90/048 du 19 décembre 1990 relative à l'organisation judiciaire militaire, qui a abrogé l'ordonnance n°72/20 du 19 octobre 1972 complétant les dispositions relatives à la compétence de la juridiction militaire. Les constitutions de partie civile ne sont pas recevables devant la Cour de Sûreté de l'Etat192(*). Cette mesure n'est pas constante en procédure pénale du pays. En effet, à la veille de l'indépendance, la loi n°59/31 du 22 mai 1959 admettait les constitutions de partie civile devant les cours criminelles spéciales. Celles-ci connaissaient entre autres des infractions contre la sûreté de l'Etat. La loi renvoyait au code d'instruction criminelle193(*) pour la procédure à suivre devant ces cours et permettait par là les constitutions de partie civile. Quelques mois après cette loi, l'ordonnance n°59/91 du 31 décembre 1959 créa des tribunaux militaires et leur attribua entre autres la connaissance des atteintes à la sûreté de l'Etat. Sur la procédure à suivre devant ces tribunaux, l'ordonnance renvoyait à celle suivie devant les cours criminelles spéciales, donc au code d'instruction criminelle194(*). Elle admettait alors les constitutions de partie civile, mais uniquement devant les tribunaux militaires permanents. Elles étaient interdites devant les tribunaux militaires temporaires. Cependant ceux-ci pouvaient ordonner des restitutions195(*). Avec l'ordonnance n°61/OF/4 du 10 octobre 1961, les constitutions de partie civile étaient formellement interdites devant les tribunaux militaires en temps de paix comme en temps de guerre, mais les restitutions y étaient aussi admises196(*). L'ordonnance n°72/5 du 26 août 1972 admettait, sans restriction, ces constitutions de partie civile devant le tribunal militaire197(*). Elles y sont encore admises, mais ce tribunal a perdu sa compétence sur les atteintes à la sûreté de l'Etat. La Cour de Sûreté de l'Etat qui en est aujourd'hui compétente ne peut connaître de ces constitutions ; la loi n°90/060 le lui interdit formellement. Ce caractère erratique consistant en des atermoiements en procédure pénale d'exception dans notre pays ne pourrait échapper à une appréciation critique. Section 2 : L'APPRECIATION CRITIQUE DU REGIME PROCEDURAL ACTUEL L'analyse des dispositions législatives prises en matière de criminalité politique met en lumière leur caractère ambigu. Dans la procédure à suivre devant la C.S.E., on dénote un déséquilibre grave entre la protection des intérêts des particuliers et ceux de la société ou, dans une large mesure, du régime au pouvoir. La notion d'atteinte à la sûreté est, en général, subjective et relative dans bon nombre de pays du tiers-monde ; les régimes au pouvoir y font poursuivre les auteurs de ces infractions au nom du peuple ; ceux-ci implorent, dans leur défense sous l'étiquette de « sauveurs de la nation », le secours de ce même peuple, de leurs adeptes et fanatiques. L'imputation de responsabilité, dans ce domaine, dépend souvent du côté où on se trouve. Cette relativité et cette subjectivité de la notion expliquent que dans certains pays les peuples s'insurgent contre le pouvoir lorsque certains auteurs ou instigateurs des atteintes sont arrêtés et attraits devant les juridictions. Cependant, si le régime de la détention jadis applicable était un régime différent de celui de l'emprisonnement parce que favorable au délinquant politique, le système actuel dans un contexte démocratique paraît plus rigide. Pour preuve, l'on assiste à une banalisation de l'infraction et du délinquant politique (par.1er), ce qui a le malheureux inconvénient de conduire à la fragilisation de la protection de l'individu (par.2è). * 177 Art.5 de l'ord. N°72/5 du 26 août 1972. * 178 Op.cit. * 179 Art.105 et 106 (1-4) C.P. * 180 Art.106 (2) et (9) ; art.108 (2) b, C.P. * 181 Art.106 (5) et 107 C.P.; art.108 (2) b C.P. * 182 Art.108 (1) (a et b) C.P. * 183 Op.cit. * 184 Op.cit. * 185 Art.4 al.2, loi 90/060 * 186 En matière d'atteintes à la sûreté de l'Etat, le président de la République et les membres du gouvernement, respectivement en cas de haute trahison et en cas d'infractions commises dans l'exercice de leurs fonctions, sont justiciables de la Haute Cour de Justice, art.53 de la loi constitutionnelle du 18/01/1996 ; Jules Goudem, op.cit., pp.250-253 ; Jean Foyer, Haute Cour de Justice, in Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, 2è Ed., Dalloz, V.II, 1979, n°s 34-37. * 187 Article 31 nouveau : « les crimes et délits contre la sûreté de l'Etat relèvent de la compétence de la C.S.E. dont l'organisation fera l'objet d'un texte particulier ». * 188 Tunc (André) ; Réflexions sur les juridictions pour mineurs délinquants, in Les problèmes contemporains de procédure pénale, Sirey, 1964, pp. 239-256. * 189 Herzog (J.B.) : Répertoire de droit et de procédure pénale, Verbis. Atteintes à la sûreté de l'Etat n°s 332-336, Pierre Escande : La Cour de Sûreté de l'Etat, Jurisclasseur de procédure pénale, V. 4, Fasc. C., n°s 57 et 58. * 190 Journal Officiel de la République du Cameroun, 1er janvier 1991, Loi n°90/060 portant création et organisation de la Cour de Sûreté de l'Etat, titre II, chapitre II, pp.53-54. * 191 Op.cit. * 192 Art. 10, loi n°90/060. * 193 Art. 5, loi n°59/31 précitée. * 194 Art. 8, ord. n°59/91 précitée. * 195 Art. 7, ord. n°59/91 précitée. * 196 Art. 4 al. 3, ord. n°61/OF/4 précitée. * 197 Art. 17, ord. n°72/5. |
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