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L'infraction politique en droit pénal camerounais

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par Thomas OJONG
Université de Douala - DEA de droit privé fondamental 2005
  

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Paragraphe 2 : Les conséquences de la suppression de la peine de détention

La suppression de la peine de détention a entraîné d'énormes implications sur le plan normatif (A) et apparaît à cet égard comme une régression au regard de l'acquis libéral que représente l'infraction politique (B).

A- LES CONSEQUENCES NORMATIVES DE LA SUPPRESSION DE LA PEINE DE DETENTION.

Les lois n°90/061 du 19 décembre 1990 et n°91/007 du 30 juillet 1991 qui viennent supprimer la peine de détention ont entraîné inéluctablement une refonte du Code Pénal141(*). Il s'imposait d'expurger le C.P. de toute référence à une prétendue nature politique d'une infraction ; ceci se présente comme la conséquence apparente de la suppression de la peine de détention (1). Cependant, la conséquence réelle (2) invite à plus de retenue.

1- La conséquence apparente de la suppression de la peine de détention.

Pour les pouvoirs publics, la suppression de la peine de détention signifie la disparition de la notion générique d'infraction politique. Et dans les textes répressifs, ce point de vue s'est traduit par la refonte du code pénal à travers le remplacement de la peine de détention par l'emprisonnement dans tous les cas où elle était prévue. Il s'agit notamment des infractions suivantes : Sécession142(*) ; propagation de fausses nouvelles143(*) ; révolution144(*) ; bande armée145(*) ; insurrection146(*) ; fraudes électorales147(*) ; corruptions et violences148(*) ; coalition149(*) ; empiètements150(*) ; outrage au président de la République151(*) ; outrage aux corps constitués152(*) ; non publicité153(*) ; rébellion154(*) ; rébellion en groupe155(*) ; réunion et manifestation156(*) ; attroupement157(*) ; attroupement armé158(*).

Outre la peine d'emprisonnement qui les sanctionne désormais, les peines de mort et d'amende peuvent être retenues. Il est également reconnu au juge le pouvoir de prononcer contre ces infracteurs, en plus des peines susmentionnées, la confiscation spéciale159(*), la confiscation générale160(*), la confiscation des biens illégitimes161(*) ou des déchéances162(*).

2- La conséquence réelle de la suppression de la peine de détention

Selon le législateur, la suppression de la peine de détention n'est qu'une réforme du droit pénal camerounais inspirée par une conception libérale de l'Etat. Même si cette tendance reflète plus une attitude politique que proprement juridique, on ne peut s'empêcher de remarquer qu'elle va dans le sens de la banalisation de l'infraction politique. Cette dernière est d'autant plus regrettable qu'en réalité, l'infraction politique est un indice permettant de jauger le niveau d'avancement démocratique d'un pays.

En effet, une chose est de reconnaître le délit politique comme un type délictueux autonome et de lui appliquer une répression adéquate, une autre est de le nier au plan normatif pour ensuite, affaire par affaire, comme on le ferait pour toute autre infraction, se demander si le mobile de son auteur ou les circonstances de sa réalisation méritent indulgence ou rigueur163(*). Dans le premier cas de figure, un pouvoir démocratique avoue la confiance relative qu'il a en sa supériorité sans se dissimuler les limites de son entreprise. Comme tel, il supporte voire souhaite la contradiction et, si celle-ci vient à se placer hors-la-loi, il la reconnaît ostensiblement pour ce qu'elle est et lui apporte une réponse appropriée. Dans l'autre cas, une démocratie qui se croit infaillible et invincible faute de pouvoir imaginer qu'il y ait meilleur régime que celui qu'elle représente, dénie à ses adversaires le droit à la lutte et à une répression adaptée ; en conséquence, elle se contente de fonder leur comportement dans la délinquance de droit commun, quitte seulement à demander à ses juges de tenir compte presque clandestinement dans le choix de la peine du profil particulier de leur auteur.

D'une manière générale, que l'on sorte d'un régime autoritaire dans lequel le délinquant politique pouvait apparaître comme un paria, et que l'on veuille modifier cet état de choses est louable en soi ; mais que l'on veuille banaliser l'infraction et le délinquant politique ne se justifie pas. Le résultat est que le système actuel dans un contexte démocratique apparaît moins favorable, donc plus sévère que le système ancien. Cette sévérité est davantage visible à travers la régression du régime particulier applicable aux délinquants politiques.

B- LA REGRESSION DU REGIME CARCERAL PARTICULIER DU DELINQUANT POLITIQUE

Au regard de l'acquis libéral que représente l'infraction politique, la suppression de la peine de détention n'apparaît pas comme un progrès, mais un recul, qui ne saurait se justifier. Les pouvoirs publics reconnaissant à cette suppression la signification de la disparition de la notion générique d'infraction politique et donc celle de détenu politique ; ce point de vue s'est traduit dans les faits par la désaffectation des centres de détention réservés aux délinquants politiques (1) et la fin du régime de faveur assorti à cette infraction (2).

1- La désaffectation des centres de détention réservés aux délinquants politiques.

Dans le contexte d'antan, les délinquants politiques subissaient leur peine dans des établissements spéciaux164(*), à défaut, ils étaient séparés des délinquants de droit commun.

Depuis le 23 avril 1991, à la faveur de la mise en oeuvre de la mesure d'amnistie décidée par la loi n°91/002, l'on a assisté à la désaffectation des centres de détention pour délinquants politiques. Ainsi, ont été amnistiées toutes les infractions punies de la peine de détention et toutes les personnes condamnées à une peine de détention ou purgeant une peine de détention165(*).

2- La fin du régime de faveur assorti à cette infraction.

Comme nous l'avons déjà vu, le détenu politique bénéficiait d'un régime de faveur particulier dans le système répressif d'antan. Avec la suppression de la peine de détention, l'originalité de ce régime spécial tend à s'estomper en raison de la libéralisation du régime général. Pire encore, l'on se dirige vers une véritable et irrévocable banalisation de la criminalité politique par l'emploi de la procédure de flagrant délit166(*). En bref, le régime spécial de détention tient aujourd'hui pour l'essentiel à la possibilité pour ces condamnés de recevoir des visites tous les jours et d'être réunis entre eux à certaines heures de la journée167(*).

Bien avancée déjà, l'assimilation des infractions politiques aux infractions de droit commun n'est pas totale en droit camerounais. En dépit de cette conjonction d'éléments militant en faveur de la thèse de la disparition de l'infraction politique, force est de défendre la thèse opposée et de réaffirmer l'existence de l'infraction politique dans notre droit positif ; Car des îlots de résistance persistent, dont il faut examiner la quintessence. Parmi ces points de résistance, on pourrait évoquer celui qui tient au refus d'extradition (sur lequel nous ne reviendrons pas) et surtout à l'existence de juridictions politiques spéciales.

CHAPITRE II : LA PERSISTANCE DU PARTICULARISME

PROCEDURAL

La réforme pénale entreprise depuis décembre 1990 se caractérise , s'agissant de la procédure pénale, par une préférence marquée pour le maintien du statut quo ante , c'est-à-dire le maintien des juridictions exceptionnelles(section 1).

Par ailleurs, l'appréciation critique du régime procédural actuel (section 2) met en lumière le caractère ambigu des mesures prises en la matière tant elles comportent à la fois des éléments de progrès et des éléments de régression.

* 141 V°. C.P., Livre II, Titre I, Chapitres I, II et IV.

* 142 Art. 111, C.P ; loi n°91/007 du 30-7-1991 : emprisonnement à vie en temps de paix ; peine de mort en temps de guerre, en période d'état d'urgence et d'exception.

* 143 Art. 113, C.P., loi n°90/061 du 19-12-1990 : emprisonnement de 3mois à 3 ans et amende de 100.000 à 2.000.000 de francs.

* 144 Art. 114, C.P., loi 91/007 précitée : emprisonnement à vie.

* 145 Art. 115, C.P., loi 91/007 : emprisonnement à vie ; emprisonnement de dix à vingt ans.

* 146 Art. 116, C.P., loi 91/007 : emprisonnement de 10 à 20 ans

* 147 Art. 122, C.P., loi op.cit. : emprisonnement de un mois à deux ans et amende de 10.000 à 100.000 francs

* 148 Art. 123, C.P., idem : emprisonnement de trois mois à deux ans et amende op.cit.

* 149 Art. 124, C.P., idem : emprisonnement de six mois à trois ans.

* 150Art. 125, 126, 127, C.P., idem : emprisonnement de six mois à cinq ans ; emprisonnement de un an à cinq ans.

* 151 Art. 153, idem : emprisonnement de un à cinq ans ; emprisonnement de six mois à deux ans et amende de 20.000 à 20 millions de francs.

* 152 Art. 154, C.P., loi 90/061 précitée : emprisonnement de trois mois à trois ans et amende.

* 153 Art. 155, C.P., loi 91/007 : emprisonnement et amende.

* 154 Art. 157, C.P., loi 90-061 : emprisonnement de 3 mois à 4 ans ; ou un an à cinq ans.

* 155 Art. 158, idem : emprisonnement de un à trois ans ; ou de cinq à quinze ans.

* 156 Art. 231, C.P., loi 91-007 : emprisonnement de quinze jours à six mois et amende.

* 157 Art. 232, idem : emprisonnement de quinze jours à six mois ; ou peine doublée.

* 158 Art. 233, idem : emprisonnement de trois mois à deux ans ; deux à cinq ans ; cinq à dix ans ; ou peines doublées.

* 159 Art. 118, C.P.

* 160 Art. 120, C.P.

* 161 Art. 119, C.P.

* 162 Art. 121, C.P.

* 163 Cf. Boulan (F) ; "violence et société", R.I.E.J. 1981, n°3, pp. 342 et sq., spéc. P. 350 ; Adde, Szabo D., "Agression, violence et système socio-culturel : essai de typologie", R.S.C., 1976, pp. 377 et sq.

* 164 C'est notamment le cas de la Brigade Mixte Mobile (B.M.M.) de Yaoundé.

* 165 V° supra, la mesure d'amnistie n°91/002 du 23 avril 1991

* 166 V° art. 6 al. 1 de la loi n°90/060 du 19 décembre 1990 portant création et organisation de la Cour de Sûreté de l'Etat.

* 167 Desportes (F) ; Le Gunehec (F) ; op.cit p.100.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld