L'infraction politique en droit pénal camerounais( Télécharger le fichier original )par Thomas OJONG Université de Douala - DEA de droit privé fondamental 2005 |
Section 2 : LA SUPPRESSION DE LA PEINE DE DETENTIONDepuis l'indépendance, le régime des infractions politiques au Cameroun offre l'image de mouvements de flux et de reflux largement influencés par les événements historiques et imprégnés d'un certain pragmatisme131(*). La notion d'infraction politique ayant posé des problèmes quant à sa définition précise, les choses se sont compliquées davantage avec les lois n°90/061 du 19 décembre 1990 portant modification de certaines dispositions du code pénal et n°91/007 du 30 juillet 1991 qui viennent supprimer l'une des peines principales de l'article 18(ancien)132(*) du code pénal et abroger complètement l'article 26 intitulé "la détention" ; ainsi le nouvel article 26 dispose que : « la peine de détention est remplacée par la peine d'emprisonnement dans tous les cas où elle est prévue par la loi ». Que veut signifier le législateur par cet acte (par 1er) et quelles en sont les conséquences (par 2e) ? Paragraphe 1 : La signifiance de la suppression de la peine de détention.La suppression de la peine de détention, peine politique par excellence, l'abrogation de la subversion, infraction politique autonome, ainsi que l'amnistie des infractions et condamnations politiques sont autant de choses qui ont pu amener à affirmer la suppression de toute allusion au caractère politique des infractions (A), cependant, l'éclectisme du champ des peines applicables aux dites infractions (B) amène à revisiter ce raisonnement. A- LA SUPPRESSION DE TOUTE ALLUSION AU CARACTERE POLITIQUE DES INFRACTIONS. L'exposé de cette vue abolitionniste (1) et son impact (2) nous permettrons de prendre la mesure de la marque imprégnée par cette suppression de la peine de détention. 1- l'exposé de cette vue abolitionniste. Lors de l'émission radiodiffusée « Le verdict », le Secrétaire Général du ministère de la justice de l'époque affirmait « qu'il n'y a plus de détenus politiques, ni d'infractions politiques au cameroun. L'infraction politique se définit par rapport à la peine. On veut qu'on ne parle plus d'infraction politique au Cameroun »133(*). Le ministre de l'administration territoriale va affirmer la même chose dans une interview télévisée au mois de mai 1991. Ce point de vue abolitionniste pouvait, du reste, se prévaloir de l'exposé des motifs de la loi n°90/061 du 19 décembre 1990134(*)dans lequel on peut lire : « Dans le cadre de la libéralisation de la vie publique, il a paru nécessaire de supprimer du code pénal toute allusion au caractère politique des infractions... c'est pourquoi l'article 1er du présent projet de loi modifie l'article 18 c.p. qui prévoyait la peine de détention, pour la supprimer ». Plus précis encore est l'article 2 de la loi n°90/061 qui dispose que : « la peine de détention prévue aux articles 111, 114, 115, 116, 122, 123, 124, 125, 126, 127 du présent code est remplacée par la peine d'emprisonnement ». Et pour marquer davantage ou de manière définitive l'option qui est la sienne, le législateur va modifier cette dernière loi par la loi n°91/007 du 30 juillet 1991 qui dispose en son article 2 que : « (1) sont abrogées les dispositions des articles 26135(*) et 156. (2) la peine de détention est remplacée par la peine d'emprisonnement dans tous les cas où elle est prévue par la loi ». Cette dernière législation a une étendue plus vaste, dans la mesure où le législateur ne procède plus par simple énumération d'articles, au risque que ses oublis ne puissent en aucun cas remettre en cause l'option qu'il a choisie qui sans aucun doute est celle de faire taire toute allusion au caractère politique des infractions. Cette volonté affirmée et réaffirmée du législateur de résorber l'infraction politique aura dès lors un impact déterminant sur tout le champ infractionnel camerounais. 2- L'impact de la suppression de la peine de détention La distinction entre infractions politiques et infractions de droit commun étant malaisée, car la loi ne fournissant que des indications partielles, c'est de la nature de la peine que l'on reconnaissait l'infraction politique au Cameroun ; il est sûr que si la peine est politique, l'infraction est elle-même politique136(*). Le législateur ayant pris la résolution de supprimer la peine de détention, véritable critère de distinction des infractions politiques de celles de droit commun dans notre droit positif, l'on est amené à conclure à la résorption totale de l'infraction dite politique dans notre pays. C'est dire que toutes ces infractions que l'on qualifiait jadis "d'infractions politiques" du fait de la peine de détention qui les sanctionnait, et qui étaient contenues dans le c.p, sont par cette simple décision du législateur devenues des infractions de droit commun, et par conséquent ne bénéficient plus d'un régime de faveur. En France, les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation commises en tant de guerre, auparavant réprimées par le Code pénal et passibles de la détention criminelle lorsqu'elles constituaient des crimes, ont été transférées, à l'occasion de la réforme, dans le titre III du Livre III du Code de justice militaire, où elles se trouvent désormais sanctionnées de la réclusion criminelle. En modifiant ainsi la nature de la peine applicable, le législateur français a manifesté, semble-t-il, sa volonté de retirer à ces infractions le caractère politique qui leur était auparavant automatiquement attaché à raison de la peine encourue. On signalera par ailleurs que, de manière surprenante, le caractère politique de la détention criminelle n'est affirmé par aucune disposition du Code pénal français. Il faut, pour le mettre en lumière, se reporter à l'histoire du droit pénal, aux travaux préparatoires et à la doctrine. En l'état du texte, rien ne permet au lecteur non averti - pour lequel le nouveau code a pourtant été conçu137(*) - de comprendre le sens de la distinction entre la réclusion et la détention criminelle. Encore qu'il existait dans l'ancien Code pénal d'autres peines politiques également applicables en matière criminelle : le bannissement et la dégradation civique. Ces deux peines ont été supprimées en raison de leur caractère archaïque. Au Cameroun, certes est-il vrai que la peine de détention à elle seule facilitait l'identification d'une infraction politique, mais, si ce critère était suffisant pour qualifier une infraction comme étant politique, il n'a jamais été exclusif, le droit camerounais se caractérisant du reste par son éclectisme, s'agissant des peines applicables aux infractions politiques. B- L'ECLECTISME DU CHAMP DES PEINES APPLICABLES AUX INFRACTIONS POLITIQUES. S'il est évident que la peine de détention permettait aisément de reconnaître une infraction politique, l'existence au Cameroun d'une variété de peines applicables aux infractions à caractère politique rendait cependant compliqué une distinction générale de ces infractions. De cette attitude éclectique du champ des peines, l'on ne saurait parler de la détention comme étant un critère décisif de distinction des infractions politiques de celles de droit commun. C'est ainsi qu'outre la peine de détention, on appliquait à ces infractions tantôt la peine de mort (1), tantôt l'emprisonnement (2).
Le droit positif camerounais s'est fixé sur le caractère politique d'un certain nombre d'infractions, sans que l'on ait à choisir entre le système objectif et le système subjectif. Il s'agit d'infractions qui, par leur nature propre, ont paru politiques à la fois objectivement et subjectivement ; le législateur ayant estimé que ces infracteurs méritaient d'être punis de mort. Tel est notamment le cas des hostilités contre la patrie prévues et réprimées par l'article 102 c.p.138(*) : « Est coupable de trahison et puni de mort tout citoyen qui : a) Partipe à des hostilités contre la République ; b) Favorise ou offre de favoriser lesdites hostilités. » Cet article est complété par l'article 103 c.p.139(*)réprimant l'espionnage et la trahison, ainsi : « Est coupable de trahison et puni de mort tout citoyen et est coupable d'espionnage et également puni de mort tout étranger qui : a) Incite une puissance étrangère à des hostilités contre la République ; b) Livre ou offre de livrer à une puissance étrangère ou à ses agents des troupes, des territoires, des installations ou du matériel affectés à la défense nationale ou des secrets de la défense ou s'assure par quelque moyen que ce soit la possession d'un secret de la défense nationale en vue de le livrer à une puissance étrangère ; c) En vue de nuire à la défense nationale détériore les constructions, des installations ou matériels ou pratique soit avant, soit après leur achèvement des malfaçons de nature à les empêcher de fonctionner normalement ou à provoquer un accident. » Outre la peine de mort, la peine d'emprisonnement était également retenue dans certains.
Si certaines infractions pouvaient en outre recevoir la qualification politique du fait de la peine de détention qui y était attachée, il n'en va pas de même de la subversion, infraction politique autonome, dont on a vu qu'elle était réprimée par la peine d'emprisonnement, peine de droit commun. Par ailleurs, il ressort de l'article 104 c.p.140(*) qu'en cas de réduction de la peine prévue par les articles 102 et 103 c.p., la peine privative de liberté est celle de l'emprisonnement. De tout ce qui précède, on constate qu'on ne saurait déduire de la seule suppression de la peine de détention la disparition de la notion générique d'infraction politique en droit camerounais. Au contraire, les infractions politiques par nature que la jurisprudence avait dégagées demeurent dans le code pénal, bien que punies de peines de droit commun. Ceci étant, la suppression de la peine de détention a des conséquences concrètes que l'on ne saurait méconnaître. * 131 Ce pragmatisme consistait à traiter une infraction à certains égards comme politique et à d'autres comme une infraction de droit commun. * 132 L'article 18 (ancien) : les peines principales sont : la peine de mort - l'emprisonnement - la détention - l'amende. Cette loi supprime la peine de détention. * 133 Minkoa She (A) ; op.cit. Note infrapaginale, p.246 * 134 Projet de loi n°471/PJL/AN portant modification de certaines dispositions du c.p. * 135 V° supra * 136 Pradel (J) : Manuel de Droit Pénal Général, ed. 2002-2003, p.250 * 137 Desportes (F) ; Le Gunehec (F) : op.cit. p.102. * 138 Code Pénal de la République du Cameroun, les éditions de l'Imprimerie Nationale 2001, p.184 * 139 Ibid. * 140 Ibid. |
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