L'infraction politique en droit pénal camerounais( Télécharger le fichier original )par Thomas OJONG Université de Douala - DEA de droit privé fondamental 2005 |
Section II : LES CRITIQUES DU SYSTEME REPRESSIF D'ANTANParlant du système politique mis en place pendant cette période, un auteur a relevé les caractéristiques suivantes : « Le régime est autoritaire. L'Etat est fort en ce sens qu'il a tous les pouvoirs, et que ces pouvoirs sont concentrés dans les mains d'un monarque absolu. C'est pourquoi les libertés, qui constituent la base de toute vie démocratique, sont absentes : la vie politique est monopolisée par le parti unique... quant à la sûreté, il n'existe aucune garantie contre les excès de la police et la torture est pratiquée de notoriété publique. Un nombre difficile à évaluer des prisonniers politiques est enfermé dans plusieurs camps de concentration. En bref Amnesty International aurait du pain sur la planche76(*) ». A bien des égards, le système répressif camerounais était une illustration concrète de ce point de vue. Cette volonté d'instrumentalisation du droit pénal à des fins politiques est perceptible à travers d'exorbitantes règles procédurales du droit commun (par.1er) qui pendant cette période sont apparues comme une constante du droit camerounais en matière de criminalité politique, et la violation de principes essentiels de la procédure pénale (par.2è). Paragraphe I : le recours excessif aux règles procéduralesexorbitantes de droit commun Constante du droit camerounais pendant la période objet des présents développements, à cause d'un aménagement contestable des règles de compétence (A), le recours aux règles de procédure exorbitantes de droit commun s'est également traduit par l'institution de la procédure de revendication (B). A- UN AMENAGEMENT CONTESTABLE DES REGLES DE COMPETENCE Il s'est traduit par le rôle envahissant joué par les juridictions d'exception (1), et l'ambivalence des tribunaux militaires (2). 1- Le rôle envahissant joué par les juridictions d'exception. A l'instar de nombreux pays, le Cameroun possède des juridictions extraordinaires réservées à des catégories particulières de citoyens ou à certaines formes de criminalité. Mais, des différences fondamentales existent entre les différents types de juridictions extraordinaires, dont certaines conservent des règles de procédure assez proches sinon identiques à celles du droit commun, contrairement aux juridictions que peut par exemple instituer un gouvernement autoritaire pour assurer une justice politique expéditive. En plus de ces juridictions simplement extraordinaires, l'organisation judiciaire camerounaise va se caractériser par l'existence de juridictions véritablement exceptionnelles, fonctionnant selon les règles exorbitantes du droit commun. Le régime légal est ainsi compromis si les intéressés ne peuvent plus compter sur la justice pour assurer le respect des règles juridiques. La force et l'indépendance du pouvoir judiciaire sont la garantie du droit et par suite de la liberté. Or le droit moderne crée de nouveau des juridictions d'exception et cette création est singulièrement inquiétante77(*). Cette multiplication des juridictions répressives a été dénoncée à juste titre comme une soumission coupable au régime de terreur créé par le gouvernement. Mais ceux-là même qui l'ont dénoncée ont créé une Haute Cour de Justice élue à la représentation proportionnelle par les membres de l'Assemblée. Il y a quelque chose de plus grave, c'est l'idée que certaines causes doivent être confiées à des juridictions d'exception qui seront plus aptes à juger que les tribunaux de droit commun. Pour les instituer, on donne comme motifs qu'elles rendront une justice plus rapide et plus économique. Mais on dit aussi que cette justice sera "plus humaine". Qu'est-ce à dire sinon que ces juridictions substitueront une décision d'équité à celle qui résulterait de l'exacte application des lois78(*). Tous ceux qui ont vu fonctionner ces tribunaux ont émis la même accablante appréciation. Ces juridictions d'exception donnent la désolante impression que les juges sont désignés pour défendre les intérêts d'une catégorie de coupables. Si elles se multiplient, elles créent des conflits de compétence et surtout elles enlèvent au pouvoir judiciaire le prestige qu'il doit avoir dans une démocratie. De telles institutions sont une cause nouvelle de désordre et contribuent à l'impression générale d'insécurité79(*). 2- L'ambivalence des tribunaux militaires. Dès la mise en place des institutions fédérales, le président de la République a pris l'ordonnance fédérale n°61/0F/4 du 4 octobre 1961, qui a créé un certain nombre de tribunaux militaires permanents. Ensuite, est adoptée la loi fédérale n°63/30 du 25 octobre 1963, complétant l'ordonnance n°61/0F/4 et modifiant l'ordonnance fédérale n°62/0F/18 du 12 mars 1962 portant répression de la subversion. L'esprit de cette loi est de transférer aux tribunaux militaires la connaissance de "toute affaire qui a une teinte parapolitique80(*)"et de donner à ces tribunaux les moyens d'exercer une répression exceptionnelle rapide et rigoureuse81(*). En tout état de cause, cette loi dispose notamment qu'outre les tribunaux militaires permanents créés par l'ordonnance du 4 octobre 1961, le gouvernement peut créer les tribunaux militaires temporaires par un simple décret, qui en fixe en même temps le ressort ; la compétence des tribunaux militaires s'étend à toutes les infractions touchant à la sûreté intérieure de l'Etat et à la réglementation sur les armes ; en outre elle s'étend à toutes les infractions visées par l'ordonnance anti-subversion de 1962, qui relevaient précédemment des tribunaux ordinaires. Les dispositions de la loi sont immédiatement applicables aux poursuites en cours, et les instances dont sont saisis les tribunaux de droit commun "sont déférées de plein droit et en l'état aux tribunaux militaires." C'est ainsi que sera maintenue l'ambivalence des tribunaux militaires82(*) : juridictions simplement extraordinaires mais appliquant les règles de procédure de droit commun, et juridictions véritablement exceptionnelles recourant à des règles de procédure exorbitantes du droit commun, cause nouvelle d'insécurité et de désordre. B- L'INSTITUTION DE LA PROCEDURE DE REVENDICATION83(*) Elle résulte des dispositions de l'ordonnance n°61/0F/04 du 4 octobre 1961 fixant l'organisation judiciaire militaire de l'Etat, reprises par l'article 1er de l'ordonnance 72/20 du 19 octobre 1972, qui disposait : "Sur revendication expresse du ministre des forces armées, la juridiction militaire connaît même en temps de paix, des crimes d'homicide volontaires, de coups et blessures volontaires ayant entraînés la mort et de vol aggravé, lorsque ces infractions ont été commises à l'aide d'une arme à feu. " En instituant cette procédure exceptionnelle, le législateur a perdu de vue l'exigence de la garantie des droits de la défense qui suppose que les citoyens connaissent au préalable leur juge afin d'organiser leur défense en conséquence. L'analyse du régime (1) et de la nature (2) juridiques de la revendication nous permettra davantage de nous rendre à l'évidence. 1- Le régime juridique de la revendication Aux termes de l'article 2 de l'ordonnance n°72/20, "la revendication peut intervenir en tout état de la procédure avant intervention d'une décision définitive ; elle dessaisit immédiatement et de plein droit la juridiction de droit commun." Lorsque le ministre chargé des forces armées décidait de revendiquer une affaire, il adressait une lettre de revendication au ministre de la justice. Cette lettre spécifiait éventuellement si l'affaire devait être jugée directement ou après une information judiciaire. Elle tenait lieu d'ordre d'informer ou de mise en jugement direct. 2- La nature juridique de la revendication. De ce qui précède, il ressort que la revendication était moins une voie de recours qu'une exception de compétence, et ce pour deux principales raisons : - En premier lieu, du fait qu'elle devait intervenir avant le jugement, la revendication ne pouvait être une voie de recours, cette dernière visant à attaquer ou à critiquer une décision rendue. Or, on ne revendique pas une décision. - En second lieu, on sait que toutes les parties au procès peuvent exercer les voies de recours. Or, seul le ministre des forces armées avait le droit de revendiquer une affaire. En revanche, la revendication était bien une exception, non seulement à cause du moment où elle intervenait, mais aussi de par son effet : la suspension de l'instance. Le recours à des règles procédurales exorbitantes du droit commun, cause de désordre, de terreur et d'insécurité va davantage s'illustrer à travers la violation des principes essentiels de la procédure pénale. * 76 Médard (J.F) ; « l'Etat sous-développé au Cameroun », in l'année africaine 1977, p.35 * 77 Nersen : Les développements des juridictions civiles d'exception et ses dangers, D. 1947, chronique, p.121. * 78 Ripert (G) ; Le déclin du droit, études sur la législation contemporaine, L.G.D.J., 1949, p.185. * 79 idem, p.188 * 80 Marticou Riou A., l'organisation judiciaire du Cameroun, penant 1969, p.56 * 81 Minkoa She (A) : op.cit., p.223 * 82 Cf. ord. n°72/5 du 26 août 1972 relative à l'organisation judiciaire militaire, modifiée par l'ordonnance n°72/20 du 28 août 1972 et la loi n°87/09 du 15 juillet 1987. * 83 Minkoa She (A): op.cit. p.224 et ss |
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