INTRODUCTION
Notre recherche porte sur les relations et les interactions
qui existent entre les populations villageoises et l'administration des Parcs
dans la gestion de la faune et la flore du Parc National des Monts de Cristal.
La question relative à la conservation de l'environnement a
déjà été abordée par nombreux auteurs, parmi
lesquels Claude Lévi-Stauss (1962), George Pierre (1973), Jean
Lamarque (1973), Philippe Descola (1986), Maurice Kamto (1996),
Paulin Kialo (1996), Yvette Veyret et Pierre Peche (1997), Gerrelli Emilio et
Jean-Pierre (1997), Marcus Colchester (1999), John Nelson et
Lindsay Hossack ( 2003 ), Sylvie Brunel (2004) et Sabine Rabourdin
(2005). Dans leurs écrits respectifs, chacun a mis un accent particulier
sur l'importance de l'environnement, en faisant ressortir les richesses qu'il
recouvre et en montrant dans quelle mesure ces dernières peuvent
contribuer au développement économique et social, ou encore au
développement « durable » d'un
pays.
Contrairement à ces auteurs, notre réflexion
porte sur deux modes de gestion des écosystèmes au Gabon :
la gestion endogène (villageois) et la gestion exogène
(administration des Parcs). Pour trouver des solutions et élucider notre
problème, nous avons constitué un guide d'entretien, qui contient
un canevas de questions relatives aux manières traditionnelles et
modernes de conserver la biodiversité des Monts de Cristal. Ces
questions ont été testées pendant les mois de mars-avril
2007. Nous avons mené notre enquête dans les provinces de
l'Estuaire (Kango), du Woleu-Ntem (Medouneu), au CNPN (Conseil National des
Parcs Nationaux), à la WCS (Wildlife Conservation Society ou
Société de conservation de la faune et de la flore) et à
l'IRET (Institut de Recherche en Ecologie Tropicale). Cette enquête s'est
passée dans huit villages dont le critère fondamental de choix
était le nombre d'habitants. Il s'agissait des
villages Andok-Foula, Mela, Misome (Kango), Nkann, Akoga, Avang, Song,
Mbé-Akélayong (Medouneu). Nous avons consulté trente
informateurs, donc onze femmes et vingt hommes dont l'âge variait entre
vingt six et quatre vingt sept ans. L'autre critère retenu était
les activités respectives de chaque acteur. Notre échantillon se
composait de trois chasseurs, trois pêcheurs, trois
ramasseur-cueuilleurs, deux agriculteurs, trois scieurs de long, deux
orpailleurs, un artisan (il fabrique des pilons, des mortiers et des
tabourets), deux vanniers (ils fabriquent des corbeilles, paniers etc.) et deux
tradipraticiens. Au CNPN et à la WCS, nous avons réalisé
des entretiens avec sept cadres, responsables de ce Parc. A
l'IRET, nous avons pu contacter trois cadres.
Dans ce travail, nous cherchons à vérifier si
les deux conceptions et les deux comportements
« culturels » relatifs à la conservation de la
forêt des Monts de Cristal sont réellement antagonistes. La
culture endogène a une méthode de gestion de cette forêt.
Elle la gère par ses activités traditionnelles et la conserve par
des techniques de « jachère », et
par la notion de « forêt sacrée ». Ces
techniques semblent être réglementées par des interdits. En
revanche, les visions et les pratiques exogènes incarnées par le
CNPN et la WCS mettraient cette forêt « sous
cloche » et y interdiseraient toute activité à
l'intérieur. La vision endogène paraît donc aller a
priori à l'encontre de celle qui a présidé à la
mise en place des Parcs Nationaux. Ce projet serait encore dans sa phase
d'initiation, d'où l'absence non seulement d'un développement
socio-économique perceptible, mais également d'un
développement touristique dans la région. Par exemple, on observe
que l'axe Kougouleu/Medouneu n'est pas praticable, l'électricité
est absente, l'eau n'est pas potable, il manque des dispensaires, des
établissements scolaires dans certains villages et des guides pour le
Parc. Ces conditions aggraveraient la précarité dans laquelle se
trouvent plongée les villageois. A partir de ces faits, il semble
indiquer que la politique des Parcs Nationaux ne tiendrait pas encore compte
des populations riveraines bien qu'ayant pour finalité le
« développement durable » de la
société villageoise proche.
Les populations devraient donc encore confronter leurs
attentes à celles des promoteurs des Parcs Nationaux. Cette situation
entraîne les deux parties en présence à une relative
relation de contradiction. La difficile cohabitation entre les villageois et le
projet est due par ailleurs à l'absence de cogestion qui se traduirait
par la non participation et la non consultation des villageois, par la
méconnaissance des droits des villageois sur « leur
forêt » et par la suspicion de ces derniers vis-à-vis
des agents du projet de conservation. Cette situation semble être
porteuse de résistances potentielles bien que le CNPN ait recruté
des jeunes des villages environnants pour se charger de la surveillance du
Parc. Ils le protègent contre les actes de braconnage et
perçoivent à ce titre une rémunération. Nous nous
trouvons donc dans une situation d'interaction insuffisamment définie
entre différents groupes d'acteurs.
Objet d'étude
Notre objet empirique est constitué d'une part des
déclarations des villageois résidant dans les zones de Medouneu,
de Kango et d'autre part d'agents administratifs du Parc National des Monts de
Cristal et des observations de terrain que nous avons effectuées. Il
s'agit plus précisément, pour nous, de construire une grille
d'analyse des logiques en présence dans la gestion d'un Parc et analyser
les activités « traditionnelles » des villageois,
des problèmes auxquels ils sont confrontés, les relations qu'ils
entretiennent avec les autorités administratives du Parc, ainsi que des
moyens que ces derniers mettent en oeuvre pour une gestion optimale de l'espace
forestier, objet de protection. Pour ce qui est des gestionnaires du Parc, nous
tenterons d'analyser les stratégies qu'ils appliquent dans le cadre de
la conservation et les rapports du CNPN/WCS à la population fang. Ce
travail se fera sur la base des corpus oraux, textuels, cartographiques et
photographiques. Notre objet scientifique est construit sur la comparaison des
deux cultures relatives à la zone géographique du Parc. Il
prendra en compte à la fois les conceptions culturelles et les
comportements culturels relatifs à la relation conflictuelle entre les
populations riveraines d'une part et l'administration des Parcs d'autre part,
dans la perspective de la conservation d'un espace interdit à
l'exploitation.
Pour mener à bien notre recherche, nous mettrons en
évidence plusieurs aspects des cultures respectives. D'une part,
nous étudierons les activités traditionnelles des villageois et
leurs « impacts respectifs » dans la forêt des
Monts de Cristal. Dans ce cadre précis, la perception que ces
populations se font de ce Parc sera décrite. D'autre part, nous
questionnerons les actions spécifiques des autorités
administratives du Parc à travers les textes juridiques et leurs
activités de sensibilisation menées sur le terrain. C'est
globalement une perspective anthropologique que nous appliquons à notre
objet d'étude, en cherchant à travers le terrain et dans les
théories des anthropologues sollicités, à
interprété les attitudes des populations concernées en les
confrontant à leur discours et à ceux de la tradition orale.
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