D) LA FONCTION PATERNELLE AUX ANTILLES
La prise en compte de l'environnement familial dans la prise
en charge des jeunes consommateurs s'avère importante. Nous allons axer
notre étude sur la fonction paternelle, à savoir l'implication du
père, cependant il est nécessaire de tenir compte de la dynamique
familiale du triangle père-mère-enfant.
Dans le vocabulaire médico-psycho-social, la fonction
parentale est définie par le terme «parentalité»,
«parentalité qui désigne de façon
très large la fonction d'être parent, en y incluant à la
fois des responsabilités juridiques telles que la loi le définit,
des responsabilités morales telles que la socio-culture l'impose et des
responsabilités éducatives...» Serge Raquideau, Espace
Social, septembre 1997.
Bruel, Président du Tribunal pour enfants de
Paris, dans un article «Modernité sur l'interrogation du
père», mettait en évidence le fait que la paternité
ne peut s'appréhender hors de la triangulation
mère-père-enfant. La prise en compte de la dynamique familiale
permettant d'expliquer le fonctionnement des différents acteurs ne peut
se présenter en dehors du contexte culturel et historique d'une
civilisation, ce qui nous conduit à analyser l'organisation familiale
aux Antilles :
Le modèle familial matrifocal, modèle
prédominant de la société antillaise
«Ce concept émane de l'anthropologue RT Smith qui
le définit comme une propriété des relations internes des
maisonnées, maisonnée de préférence à
famille, au regard de la complexité des dispositifs familiaux existants
que celles-ci soient conduites par un homme ou par une femme».
Dans la Caraïbe, selon les travaux réalisés
par N. Solien Gonzalez sur les structures de parenté, la principale
unité fonctionnelle est représentée par la
maisonnée qui se caractérise par la variabilité des liens
de parenté et par la suprématie sans contexte du lien
mère-enfant sur le lien père-enfant.
Selon Smith, on peut comprendre le complexe matrifocal que si
l'on tient compte, d'une part des relations domestiques où le partage
des rôles assure à la femme une prépondérance, et
d'autre part, des relations intra familiales qui privilégient les
relations mère-enfants, frères- soeurs, et accordent peu de place
à la relation conjugale, marginalisant de ce fait le partenaire
masculin. La relation mère-enfant constitue l'unité centrale de
base du groupe familial». Livia Lesel, Le père
oblitéré.
Dans ce modèle, les pères semblent
graviter à la périphérie de la famille sans toutefois
être invisibles ou absents ou en conflit.
De ce fait, un rôle dominant est assuré par les
femmes s'agissant de l'éducation des enfants.
Fritz Graccus dans «Les lieux de la
mère», nous met en garde de ne pas réduire la notion de
matrifocalité à l'illégitimité familiale.
«Cette alternative matrimoniale illégitime au regard de la loi est
sociologiquement légitime. Utiliser le concept de matrifocalité
pour désigner l'organisation familiale sans père, c'est
négliger un des niveaux de cette matrifocalité. La
matrifocalité fonctionnelle où la famille tout en
répondant au principe de légitimité, avec un père
reconnu par la loi, fonctionne avec un père légitime
marginalisé puisque tous les pouvoirs reviennent de fait à la
mère.»
L'organisation matrifocale prendrait ses sources dans le
contexte de l'esclavage.
A l'organisation de la famille, était stipulée
dans le Code Noir, élaboré par Colbert au XVIIème
siècle ( 1685).
Article 12 : «les enfants qui
naîtront des mariages entre esclaves appartiendront au maître des
femmes esclaves et non à leurs mères, si le mari et la femme ont
des maîtres différents.»
Article 13 : «Si le mari esclave a
épousé une femme libre, les enfants tant mâles que les
filles suivent la condition de leur mère... si le père est libre
et la femme esclave, les enfants seront esclaves pareillement».
Les esclaves étaient considérés comme des
biens meubles et n'avaient pas de nom de familles. La filiation n'était
pas fondée par un couple géniteur, mais par la mère seule.
Dans la société post esclavagiste, le modèle familial le
plus courant restait le concubinage, le mariage est toujours resté
secondaire.
Un autre paramètre à prendre en compte est
celui de l'organisation polygame de tribus d'Afrique, peuples dont sont
originaires les Antillais, ce qui tend à légitimer le
comportement des hommes qui multiplient les enfants dans plusieurs foyers. Mais
à la différence du modèle africain, ils n'assument pas
forcément les besoins matériels et éducatifs des
enfants.
Une des conséquences de l'organisation matrifocale est
que le concubinage constitue le mode d'union prédominant des hommes et
des femmes aux Antilles (INSEE), avec une famille élargie capable de
subvenir aux besoins des enfants en cas de défaillance du
père.
Sylvia Lesel, Le père oblitéré,
parlant de l'homme antillais :
La femme antillaise a de l'homme père antillais une
représentation très négative avec des appréciations
très dévalorisantes.
Chez les mères célibataires, l'image
négative du père semble portée par l'insatisfaction
d'une attente affective.
La représentation de l'homme se confond avec celle du
père, car l'homme antillais, en pratiquant de donjuanisme,
«sème» et «donne» des enfants de manière
inconsidérée «à tort et à travers» comme
cela revient fréquemment dans les discours et il est souvent
qualifié d'irresponsable.
L'expression «prendre ses responsabilités»
revient fréquemment dans le langage des femmes et plus
particulièrement des mères s'agissant de l'éducation des
enfants.
L'homme est donc considéré comme responsable
s'il est capable d'entretenir ses enfants et la ou les mères de
ceux-ci.
Dans le cas où la mère est seule, c'est envers
elle que le père doit prendre ses responsabilités ;
l'intervention du père transite par la mère.
En 2005, 7 enfants sur 10 sont nés de parents non
mariés, cependant comme le souligne Sylvia Lesel dans l'ouvrage Le
père oblitéré : «La conjugalité est
le modèle dominant souhaité par la femme antillaise, le mariage
apparaît comme un passage obligé pour accéder à la
réussite sociale, à une certaine
notoriété... ».
Le mariage est considéré pour la femme comme un
privilège ; elle est privilégiée d'avoir
trouvée un homme qui s'engage envers elle et ses enfants pour leur
assurer une sécurité matérielle et
financière, à la différence des mères
célibataires qui doivent assurer seules l'entretien de la famille. Cette
recherche de stabilité pousse la femme à «donner un
enfant» à son compagnon, avec l'espoir de fonder un foyer stable,
mais en vain certaines fois, car l'homme fuyant ses responsabilités la
laisse seule avec le ou les enfants ; on constate que ces femmes peuvent
reproduire ce schéma avec d'autres hommes, ce qui aboutit à des
familles avec plusieurs pères différents.
Parallèlement, la maternité célibataire
antillaise apparaît socialement et culturellement acceptée. La
famille s'avère être un espace ouvert et accueillant pour la
«fille mère» et son enfant.
Si le discours commun s'inscrit dans une vision
négative de l'homme antillais, la mère, elle par contre, est
acceptée comme mère célibataire, car l'accent est mis sur
son courage puisqu'elle assure seule l'éducation des enfants.
La richesse du modèle matrifocal
Le réseau familial et social riche et étendu
offre d'immenses possibilités de partage des tâches et de soutien
mutuel, d'attachement émotionnel, de stabilité et de protection,
ainsi que des modèles identificatoires très diversifiés et
une ouverture sur le monde extérieur que les familles d'organisation
nucléaire sont loin de pouvoir procurer.
L'environnement social exerce un rôle contenant
extrêmement puissant.
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