3.14 Abandon des pratiques agricoles
endogènes
Dans l'espace culturel gisir, chaque clan ou chaque lignage a
son domaine forestier. Celui-ci était une propriété
collective et, seuls, les membres du clan avaient le droit de s'y
établir, de l'exploiter et d'y circuler librement. L'exploitation de ce
domaine forestier chez les Bisir se faisait sur la base à la fois
familiale et sociale. Le groupe familial représentait
l'élément de travail permanant de l'unité de production
mais le recours à la société d'entreaide était
souvent indispensable. Cette société d'entreaide était un
groupe de travail qui rassemblait au niveau de chaque lignage ou clan, selon
des critères donnés, un certain nombre de personnes, en vue de
l'exécution d'une tâche de production précise. Cependant,
l'introduction de l'économie monétaire a sérieusement
perturbé le schéma traditionnel d'organisation de la production.
En juxtaposant à une économie du besoin une économie de
profit, elle a entraîné l'éclatement des
sociétés d'entreaide.
Celles-ci se constituaient désormais moins sur la base
du lignage que sur la base de rapports d'affinité multiples. Elles
deviennent des unités d'intervention groupant un ensemble de personnes
ayant décidé de mettre leur force de travail en commun pour la
louer à qui en a besoin sous forme de contrat de type salarial. Cet
éclatement des sociétés d'entreaide va donner donc
naissance à l'individualisation des unités traditionnelles de
production même si le domaine agricole demeure toujours collectif.Ainsi,
les unités de production étant devenues individuelles, lors des
incursions des éléphants dans les champs, les opérations
de lutte contre les animaux prédateurs s'effectuent également de
manière individuelle. Ce qui revient à dire comme le souligne
Sally Lahm (1996, cité dans Halford Thomas et al., 2003)
que l'abandon des pratiques communautaires de l'agriculture
remplacées par les approches plus individualistes concentre les
dégâts sur l'individu et non plus sur la communauté. Or si
la production se faisait encore de manière collective, les mesures de
lutte devaient être également communautaires et plus efficaces. De
plus, du fait des regroupements administratifs des villages, plusieurs familles
ont abandonné leurs terres. Et pour survivre dans leur nouvel espace,
elles ont du s'approprier des terres sur la base du principe du premier
occupant, loin des terres des autochtones. Ce qui explique alors que les champs
des uns et des autres soient éloignés. Mais cet
éloignement favorise les incursions des éléphants dans les
champs. Par ailleurs, pour lutter contre la déprédation des
cultures par les éléphants, les Bisir avaient un certain nombre
de pratiques rituelles qu'ils opéraient mais celles-ci sont presque
abandonnées. Les quelques rares personnes qui les utilisent sont souvent
taxées de sorciers.
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