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Interaction Hommes/Animaux chez les Gisir Gabon

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par Bipikila Moukani Mambou
Université Omar Bongo - Maîtrise 2008
  

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Chapitre 1 : Orientations théoriques et méthodologiques

1.1. Champ théorique de l'étude

Bien qu'ayant implicitement abordé brièvement le champ de l'anthropologie juridique en citant quelques ouvrages relatifs au règlement des conflits, nous inscrivons notre objet d'étude dans le champ de l'anthropologie écologique, car il ne s'agit pas pour nous d'étudier la gestion ou le règlement des conflits même s'il arrive que nous abordions certains aspects relatifs à la gestion des conflits. Il s'agit plutôt de cerner les rapports des hommes à la nature. A cet effet, le champ de l'anthropologie écologique peut convenir à cette problématique dans la mesure où « l'anthropologie écologique investigue les façons dont une population humaine façonne son environnement et les manières dont ces relations conditionnent les formes d'organisation sociale, économique et politique »33(*). Les courants qui marquent les rapports de l'homme avec l'environnement reposent sur plusieurs théories.

En effet, l'histoire de l'anthropologie est l'histoire des catégories de nature et de culture. Mais parler de nature ne signifie pas d'emblée parler d'écologie. L'anthropologie commence à se penser en termes écologiques avec les travaux de Julian Steward dans les années 30. Jusqu'à cette époque, les rapports entre l'humain et son environnement sont plutôt abordés en termes de déterminisme et de possibilisme. Les débuts originels portant sur la diversité des coutumes humaines et les fondements de la vie sociale font partie du problème de la relation entre nature et culture. Cette relation a été analysée à l'origine dans une approche déterministe. Hippocrate postulait que le milieu exerçait une influence déterminante sur les caractères des peuples. Il supposait entres autres que les peuples montagnards étaient placides par opposition aux habitants de la plaine sèche qui se montraient lunatiques.

Ces idées ont été reprises par Montesquieu pour qui, le type de gouvernement est influencé par le climat et le terrain. Victor Cousin déclara en 1875, donné moi la carte d'un pays, sa configuration, ses eaux, ses vents et toute sa géographie physique. Donné moi ses productions naturelles, sa flore, sa faune et je me charge de vous dire à priori quel sera l'homme de ce pays et quel rôle ce pays jouera dans la zone. Cette approche envisage que la morphologie des êtres ou la physionomie de manière générale, les traits culturels et sociaux d'une société, le type de gouvernement, le comportement sont déterminés par le milieu. Ici, c'est la nature qui façonne l'homme. Or, le rapport de l'homme à la nature se fait à deux niveaux : il est façonné par la nature tout en façonnant celle-ci. Il sait adapter l'environnement à ses ambitions, il ne subit pas la nature.

En effet, le milieu attire, fixe, modifie l'homme et cette action s'exerce à un degré ou à une profondeur reconnue. Elle lui impose des activités, lui suggère des entreprises. Le milieu en fait par exemple d'un homme un pêcheur ou un chasseur. Mais l'homme agit en retour sur le milieu, il l'aménage, il l'équipe, il le piétine, il l'exploite, il construit des villages ; des villes, etc. Au XIXè siècle, les sciences de la nature connaissent un essor remarquable et les théories qui sont développées rendent compte des relations entre l'homme et la nature. En 1859, Charles Darwin publie l'origine des espèces qui met en honneur les concepts de sélection naturelle et de lutte pour l'existence. En 1866, le biologiste Ernest Haeckel forge le terme écologie. A cette époque les théories évolutionnistes prennent corps. Ce sont notamment les théories développées par Spencer en 1870, Morgan en 1825 et Tylor en 1910 qui mettent l'accent sur la notion de progrès unilinéaire. Les tentatives d'explication émises par ces différents courants vont donner naissance à des interprétations diverses parfois dangereuses qui justifiaient quelques fois les actes racistes. L'approche possibiliste envisage le milieu comme un facteur limitant plutôt que comme un facteur déterminant. La notion de facteur limitant, appelée parfois « contrainte écologique », est une extension de la « loi du minimum » formulée au XIXè siècle par Liebiz, qui spécifie que l'existence et le développement d'un organisme sont limités par la présence de certaines ressources.

On peut déterminer la ressource qui manque le plus à un organisme ou à une espèce particulière dans un environnement donné. Cette approche considère que tel ou tel facteur « détermine » ou « rend possible » tel ou tel trait culturel. Autrement dit, la nature n'est pas l'instance déterminante mais constitue simplement le cadre de référence de toute activité possible ou impossible. Par exemple, Marcel Mauss34(*) (1905) dans une étude menée sur les Eskimos en collaboration avec Henri Beuchat, montrent que dans cette société, il y a deux types groupements qui sont imposés par des contraintes écologiques ambiantes et en particulier les différents types de gibiers en fonction des saisons. Les migrations des populations dépendent de la disponibilité des aliments. Au printemps ces populations quittent les lacs et les rivières pour immigrer dans la forêt. En été, toute leur vie sociale se déroule autour des lacs et des points d'eau. L'eau facteur déterminant, structure les migrations des hommes et la transhumance des animaux. Pendant l'hiver, les nomades pratiquent la chasse.

Dans cette perspective, les conditions physiques, climatiques et biologiques opèrent comme autant des contraintes avec lesquels les humains doivent composer. De tendance plus récente, l'écologie culturelle illustrée par Kroeber se démarque du déterminisme environnemental selon lequel les facteurs environnementaux déterminent et expliquent les comportements sociaux et culturels tout en continuant à affirmer que le concept de liberté peut être corrélée à l'altitude. Dans ses travaux, Alfred Kroeber a tenté de démontrer la prédominance de la culture sur la nature. En accentuant cette perspective, Steward invente l'évolutionnisme multilinéaire. Ce concept signifie que les sociétés humaines progressent chacune selon une trajectoire qui lui est propre. Il postule que seul le noyau central d'une société notamment la densité d'une population, le degré de sédentarité et la division du travail subit l'influence du milieu. L'imaginaire relatif à la cosmogonie, aux représentations intellectuelles fonctionne de manière autonome. Une manière de dire que l'écologie n'est pas déterminante sur tous les aspects d'une culture.

Un autre aspect de la théorie écologiste a été développé dans sa dimension matérialiste. La relation entre l'homme et son milieu n'apparaît selon Claude Meillassoux35(*) qu'à partir du moment où celui-ci agit, le transforme et donc l'aménage. Il n'y a pas d'action unilatérale du milieu sur l'homme puisque par chacune de ses entreprises, celui-ci fait surgir devant lui une nature transformée qui devient l'objet de son action, elle-même transformée par son adaptation. Cette vision européocentriste voit la nature que dans son aspect matériel et utilitariste.

Le matérialisme culturel permet de concilier l'observation attentive des sociétés agraires locales avec une théorie de portée générale. Continuateurs de Steward, Vayda (1969), Roy A. Rappaport (1968), Marvin Harris (1980), abandonnent la perspective diachronique et recourent au finalisme biologique. Ils étudient le rôle des facteurs écologiques dans une culture déterminée. Des phénomènes apparemment irrationnels du point de vue économique peuvent s'expliquer par des facteurs d'adaptation écologique. Une priorité à l'infrastructure, sur la structure et sur la superstructure démontre que le rationalité matérialiste, adaptative, détermine tous les faits culturels en les reliant à leur environnement particulier.

Pour Marvin Harris (1979), le processus fondamental qui explique les évolutions est celui de l'intensification. La nécessité d'intensifier l'exploitation de l'environnement accompagne la croissance démographique et contraint les sociétés à inventer ou importer de nouvelles techniques qui ne manqueront pas de transformer les structures sociales et politiques. L'intensification répond à la pression démographique mais aussi aux transformations climatiques. C'est la dynamique endogène des sociétés qui explique les phénomènes de transformation du mode de vie, les migrations, le jeu de diffusion et d'adaptation des espèces et des techniques même si le trop plein des sociétés correspond au creux de la forêt. En outre, on ne peut contester l'importance de certains travaux des écologistes culturels, qui ont étudié avec précision l'aspect matériel des sociétés, mais comme l'ont montré Salins (1980) et Lévi-Strauss (1979), la finalité utilitariste assignée à tous les comportements humains pour assurer les besoins primaires et le concept d'adaptation à l'environnement comportent des limites.

L'anthropologie écologique s'inscrit aussi dans la dynamique actuelle des relations entre société et environnement en apportant des réponses à la dichotomie nature et culture. Elle a pour objectif l'analyse des rapports entre l'homme et son environnement, sous l'angle des interactions dynamiques entre les techniques de socialisation de la nature et les systèmes symboliques qui les organisent. Cette discipline a connu depuis quelques années un important regain d'intérêt qui s'exprime au travers d'une production tout aussi diversifiée. Quelques-unes les plu récentes sont celles de : J. W. Bennet (1993), Milton Kay (1993 ; 1997), Alfred Irving Hallowell (1995), Eduard Viveiros de Castro (1996 ; 1998), Philippe Descola et Palson (1996), Ellen et Fukui (1996), Philippe Descola (1999 ; 2000 ; 2001, 2002).

Les préoccupations actuelles à l'égard de l'environnement contribuent sans aucun doute à cette renaissance, en remettant à l'ordre du jour le débat nature-culture, non seulement au sein de l'anthropologie mais aussi de la philosophie et de la biologie, pour nommer que ces disciplines. Les anthropologues écologistes doivent beaucoup à Lévi-Strauss. En effet, il reste un des piliers de l'anthropologie symbolique, ainsi qu'un passage nécessaire pour tout anthropologue qui veut aborder l'anthropologie écologique. Il y a une filiation entre l'anthropologie structurale et l'anthropologie écologique. Lévi-strauss parle du mariage entre « structuralisme et l'écologie »36(*). Elles poursuivent toutes les deux des visées universalistes. Il traduit son intérêt pour la nature en ces mots : « l'univers est objet de pensée au moins autant que moyen de satisfaire des besoins »37(*).

* 33Joris DAOU, « Anthropologie économique » [En ligne]. Disponible sur World Wide Web: «  www.candiulb.be/forum/index.php?act=attach&type=post&id=18459 », consulté le 23 novembre 2007.

* 34 Marcel Mauss (1905) cité dans KIALO Paulin, (2005), Pové et forestiers face à la forêt gabonaise : Esquisse d'une anthropologie comparée de la forêt, Thèse de doctorat, Université ParisV René Descartes, p. 303.

* 35Claude Meillassoux, 1984, cité dans KIALO Paulin, (2005), Pové et forestiers face à la forêt gabonaise : Esquisse d'une anthropologie comparée de la forêt, Thèse de doctorat, Université ParisV René Descartes, p.305.

* 36 Catherine Clément, Claude Lévi-Strauss, Paris, PUF, Coll. « Que-sais-je ? » 4è éd., 2003, p.85.

* 37 Claude Lévi-Strauss, La pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, p. 5.

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