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Sémantique Pragmatique. La notion de "performativité" de John Langshaw Austin

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par Bouchra M'Hayro
Ecole Normale Supérieure-Ulm - Master I Sciences Cognitives 2006
  

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II. Etude plus approfondie de la performativité, première philosophie (O. Ducrot, M. Carel)

J. Austin modifie ses théories dans son livre, et cela le rend quelque peu difficile à suivre. Ainsi, il débute sa première conférence en affirmant que ce qu'il dit est vrai, ce qui est rarement soutenu par les philosophes, ajoutant « au moins en partie », et cela enlève toute la confiance que nous accordions aux philosophes. Son oeuvre traduit sa volonté de mettre sous forme systématique, une pensée qui en manquait.

Par « quand dire c'est faire », il nous présente « comment agir avec des mots ».

Il est un philosophe linguistique mais il ne souhaite pas être systématique, ainsi, son oeuvre est une suite de conférences présentées à l'Université d'Harvard, transcrites fidèlement par ses étudiants à titre posthume.

J. Austin est remarquable en ce qu'il a fait pénétrer la philosophie du langage en France contra les philosophes français, hostiles à la philosophie du langage britannique, ne considérant que les philosophes classiques tel que Descartes ou E. Kant4(*).

La notion de performativité est au fondement de sa réflexion philosophico-linguistique. Il reprend la réflexion Aristotélicienne selon laquelle un nombre notable d'énoncés sont tout autant légitimes que d'autres sans pour autant apporter d'informations sur le monde. Celles-ci supposant des conditions de vérité. En effet, les énoncés considérés comme fondamentaux étaient ceux apportant des informations sur le monde et respectant donc des conditions de vérité. Pour Aristote, il en existe d'autres, notamment des énoncés qui tout en ne nous disant rien sur le monde, sont utiles et raisonnables, pourvus de sens. Austin va les reprendre.

Ainsi, il existe deux types d'énoncés ; les « constatifs » qui s'attribuent à eux-mêmes les conditions de vérité posant une correspondance étroite entre celles-ci et le monde. Pour autant, l'énoncé « Marie et adorable », dit-il quelque chose sur le monde ? Cela semble peu clair. En l'énonçant, il semble que nous donnions une description de Marie ou que nous répondions à une question, donc que ces énoncés s'attribuaient eux-mêmes cette fonction.

Sont appelés « performatifs » tous les autres énoncés, ayant pour objectif, non de dire comment est le monde, mais d'agir sur lui, de produire une action. Ces énoncés présentent ainsi comme leur propre objectif de chercher à transformer les choses.

Il n'est pas évident qu'Austin ait avancé d'autres énoncés. L'exemple d'énoncés traduisant les états d'âme, émotions du locuteur est frappant en ce qu'ils ne se présentent ni comme constatifs ni comme performatifs. Dans quelle catégorie alors placer ce type d'énoncés ? Dans quelle mesure les considérer comme un type d'énoncé performatif ou constatif ? Prenons l'exemple de Monsieur Ducrot : « Je suis triste », celui-ci considéré comme un constatif dirait une vérité sur le monde tandis que considéré comme un performatif, viserait à une modification du comportement chez l'interlocuteur (apporter de l'aide au locuteur, du soutient, de la consolation...). Un autre exemple pris par O. Ducrot est l'énoncé « Dieu est meilleur que ces créatures » ; ne semblant ni performatif, ni constatif mais en un entre-deux.

Les linguistes n'ont pas trouvé dans ses oeuvres ce que l'auteur pensait de ces difficultés.

Ainsi, les énoncés philosophiques, entrent difficilement dans cette dichotomie « constatif versus performatif ».

Les énoncés constatifs, caractérisés par les conditions de vérité sont parallèles aux énoncés performatifs, caractérisés quant à eux, par des conditions de « félicité » devant être satisfaits afin que l'énoncé satisfasse effectivement l'acte auquel il s'est destiné. Ainsi, l'ordre « sors » se présentant comme accomplissant un ordre, ne le fera effectivement que si _et seulement si_ certaines conditions sont satisfaites : afin qu'un énoncé soit « heureux », accomplisse l'acte, il faut que certaines conditions soit réalisées sous peine de prétendre viser à en faire un ordre, sans que celui-ci ne soit réalisé. C'est ainsi qu'elles sont parallèles aux conditions de vérité.

L'originalité principale de cet auteur est de s'être intéressé à ce type d'énoncés, puisque bien qu'Aristote se soit tourné vers les conditions de vérité disant comment est le monde, il n'a pas mené plus loin son investigation en développant une théorie. Ce que J. Austin a accompli.

Les énoncés performatifs se scindent en ceux dits « primaires » et ceux dits « secondaires ».

Les premiers n'ont pas la prétention d'avoir une forme assertive, à contrario des seconds qui endossent de ce fait le titre de « masqueraders ». L'exemple typique des premiers est l'impératif , l'interrogatif, caractérisés par le fait qu'ils ne sont pas affirmatifs.

Les seconds sont assertifs, affirmatifs et endossent de surcroît un troisième caractère en ce qu'ils prétendent viser un effet et n'asserteraient la réalisation de l'effet qu'ils visent « que s'ils sont lus de façon assertive » (O. Ducrot).

Si des énoncés répondent à ces trois conditions suscitées, ils pourront être implicites _la nature de l'effet qu'ils visent n'est pas un acte du locuteur, mais un évènement du monde_ ou explicites _l'effet est alors un acte du locuteur. L'exemple typique des premiers est celui de N. Bonaparte disant à son Commandant « la cavalerie attaquera à l'aube » qui vise l'effet de faire attaquer la cavalerie à l'aube. Celui, typique également, des seconds est celui où, lors de l'entrevue de licenciement, un chef d'entreprise énonce : « vous êtes licencié ». Puisqu'il répond à la définition syntaxique de l'affirmation, il est bien un performatif secondaire. Ce performatif vise un certain effet, celui de renvoyer l'employé, mais il n'est pas annoncé que c'est le Dirigeant qui exclut. Si nous le lisions de façon affirmative, cela signifierait que l'effet qu'il vise est effectivement réalisé.

A contrario les performatifs explicites visent un effet qui est l'acte du locuteur. Les actes de promesse en sont phénotypiques et diffèrent des implicites en ce que l'effet du locuteur est cet acte de promesse.

Ceux-ci sont considérés comme implicites puisque, pour reprendre l'exemple du licenciement, l'important pour ce dirigeant n'est pas tant qu'il est celui qui exclut l'employé mais que ce dernier le soit.

Il semble, pourtant, que le caractère implicite ou explicite de l'acte puisse dépendre de la psychologie de l'interlocuteur. Une affiche présentant une interdiction, autre exemple typique de performatif explicite, crée l'interdiction et non pas simplement de constater celle-ci. Cet effet visé est encore plus évident concernant le panneau d'interdiction de dépassement de vitesse qui crée non seulement l'interdiction, mais autorise de surcroît les représentants de l'ordre de prévenir (par des radars) et de sévir (par des amendes). En cela, elle fabrique l'interdiction et est donc un explicite...cependant nous pourrions considérer que cette affiche est un performatif implicite en ce que ceux qui ont déposé cette affiche ne sont pas les créateurs de l'interdiction, qui n'est donc pas l'oeuvre du locuteur, et lui permet d'échapper à la responsabilité de l'interdiction, renvoyant au véritable producteur de l'affiche, à savoir l'Etat Français.

Ainsi, cette notion est difficilement applicable de façon systématique, il est des cas nombreux intermédiaires. L'interdiction engendrée par un panneau interdisant l'usage d'un parking est un exemple supplémentaire de performatif ambigu : s'il a bien pour objectif de produire une interdiction _puisque sans l'indication portée par le panneau, l'interdiction ne serait pas, d'où le droit de pénétrer en ce parking_ pour autant, cette indication est-elle implicite ou explicite ? En effet, si je puis placer une affiche interdisant le stationnement devant mon domicile, je ne suis pas habilitée à interdire (puisque seuls les représentants de la Loi disposent de cette prérogative...) et cet acte n'est donc pas de moi _locuteur_ mais de l'Etat _producteur de la Loi porteuse de l'interdiction et matérialisée par cette affiche. La traduction est un autre cas source de difficulté de catégorisation. Le traducteur, en traduisant le discours d'un Chef d'Etat, n'en est pas l'auteur puisqu'il ne crée pas ces paroles.

Plus encore, il semble que ce soit le notion même de locuteur qui ne soit pas claire et rejoint la difficulté de savoir qui interdit lorsqu'est déposée une affiche d'interdiction : même en en étant le locuteur, je ne dispose pas du droit d'interdire et n'en suis donc pas la source première. Cet acte est donc un performatif secondaire implicite et non pas explicite : l'importance est portée sur l'interdiction, le discours...non sur celui qui interdit ou traduit.

Ainsi, la notion de contexte est fondamentale. La situation à considérer est-elle celle réelle _telle que considérée par un observateur extérieur objectif_ ou bien est-elle celle que l'énoncé se donne à lui-même ? Pour reprendre nos exemples vus supra, quel sera le locuteur de ce que dit le traducteur qui, pour autant, n'a pas la prétention de se considérer comme l'étant, mais d'être seulement celui qui traduit ? Quel sera le locuteur du panneau porteur d'une interdiction ?

La distinction entre acte du locuteur implicite _où la difficulté porte sur la question de savoir qui en est le locuteur_ et acte du locuteur explicite n'est pas parfaite. Cette difficulté renvoie à la distinction entre situation réelle et situation créée. L'ensemble de ces communications linguistiques n'ont pas été traitées par Austin.

Les performatifs secondaires, comme vu supra, sont désignés par le terme de « masqueradeurs », des imposteurs, puisque, s'ils possèdent une allure affirmative, si syntaxiquement ils sont des affirmations, n'en sont pas sémantiquement et sont donc de ce fait des « masques », des déguisements.

Dans notre exemple : « la cavalerie attaquera à l'aube », cet énoncé est une affirmation mais sans servir à effectuer une assertion sur le monde. En effet, ils jouent une comédie qui trompe sur la réalité car ils supposent des présupposés notamment ceux, soutenus par J. Austin et Aristote, selon lesquels l'affirmation syntaxique sert à effectuer des affirmations sur le monde. Pour J. Austin ce sont donc des déguisements sachant que cette « accusation » se fonde sur une idée qui n'est pas si évidente. Pour autant, Austin la prendra comme telle, considérant ces énoncés comme trompeurs. Cependant nous pouvons admettre que les énoncés grammaticalement, syntaxicalement, affirmatifs ne sont pas destinés à exprimer une vérité sur le monde, n'en ont pas automatiquement la fonction et dépend du locuteur. Car, en effet, cela n'est pas si évident découlant d'une tradition philosophique occidentale pouvant différer au sein d'autres sociétés.

Pour autant, il s'agit de noter le progrès réalisé par Austin dans cette séparation entre syntactiquement affirmatifs car pour lui, ils en existent qui n'agissent pas sur le monde, mais il les considèrent comme des masques. Pour aller plus loin, nous pouvons avancer qu'il n'est pas de lien entre énoncé affirmatif et action sur le monde. Terminant le chemin qu'avait ouvert Austin...

Comme nous avons vu, les énoncés performatifs secondaires explicites affirment que l'ordre (qui en est l'exemple paradigmatique) qu'ils visaient s'est réalisé effectivement. Ils sont toujours à la première personne du Présent de l'indicatif puisque l'action ne peut-être que présente car accomplie par l'énonciation même et c'est le locuteur qui prétend l'accomplir à travers son énonciation. Dans la littérature, les énoncés performatifs sont généralement des énoncés performatifs secondaires explicites ou considérés comme tel ce qui dévoile un mauvais usage de cette notion.

Pourquoi ces énoncés performatifs explicites ont-ils revêtus un rôle si important ?

Tout d'abord, ce type d'énoncés n'a jamais été pensé, nous sommes face à une innovation de marque. De plus, ils revêtent un statut particulier.

Les quatre raisons principales soulevées par les linguistes (notamment O. Ducrot et M. Carel) sont, premièrement qu'ils semblent permettre une paraphrase de l'ensemble des énoncés performatifs. Nous pouvons ainsi paraphraser notre énoncé exemplaire « la cavalerie attaquera demain à l'aube », par « je vous ordonne de faire attaquer la cavalerie demain à l'aube » ; « vous êtes licencié » par « je vous licencie » etc....Cette possibilité de paraphraser tous les énoncés performatifs par des énoncés explicites a amené la naissance d'une théorie linguistique, l' « hypothèse performative » de Lakoff5(*), selon laquelle la structure syntaxique profonde de tout énoncé performatif est un énoncé performatif explicite. Ainsi, l'ordre « viens » peut-être décliné en « je t'ordonne de venir ». Nous débutons donc par former l'énoncé syntaxique « je t'ordonne de venir » et cette hypothèse nous montre comment le transformer en l'ordre « viens ».

L'intérêt de cette hypothèse réside dans le fait qu'elle permet une unification de tous les énoncés en classant les énoncés performatifs derrière tous les énoncés (impératifs, interrogatifs, performatifs). Ainsi tous les énoncés viennent d'un énoncé performatif qui constitue leur « structure profonde » _l'affirmation devient alors le type fondamental de l'énonciation et permet de réaliser l'un des objectifs des linguistes : celui de trouver une structure fondamentale des énoncés.

Elle permet, de surcroît, une compréhension simplifiée des adverbes d'énonciations (les adverbes se déclinent en adverbes de constituant, d'énoncé et d'énonciation _qui porte sur l'énonciation du reste de la phrase).Ceux-ci qualifiant non pas « je suis en colère » dans la phrase « franchement, je suis en colère », mais le fait même que je sois en colère, l'énonciation de ce qui suit cet adverbe. Cet adverbe porte non sur des mots mais sur des actes de paroles. Ce type d'adverbe sort de la structure, sauf si l'on admet l'hypothèse performative, nous permettant de le réduire au concept d'adverbe d'énoncé, qualifiant le reste de la phrase et nous permettant de parvenir à une unification qui, cependant, reste imparfaite car elle ne s'applique toujours pas à tous les cas, notamment à celui du segment suivant l'adverbe d'énonciation lorsqu'il est un verbe assertif (exemple : « franchement, ton travail est excellent » où le dernier segment est un constatif) nous obligeant à traiter les adverbes relatifs à des constatifs par rapport aux performatifs. Afin de parvenir à traiter ce constatif comme possédant une structure profonde d'acte de langage, il faudrait étendre l'hypothèse performative aux énoncés constatifs (« Franchement, je te dis que ton travail est excellent ») nous permettant d'obtenir, enfin, une unification complète des adverbes d'énonciation. Pour l'instant, dans la première philosophie, il nous est impossible d'effectuer ce travail complet d'unification : nous ne savons traiter que les constatifs distingués des performatifs ; il faudrait supprimer cette distinction. C'est ce à quoi s'attèlera Austin dans la seconde philosophie intitulée « les actes de langage », d'un intérêt majeur car en gardant cette distinction, elle nous conduit à se trouver face à nombre majeur de cas intermédiaires.

Deuxièmement, ils semblent montrer la possibilité que le locuteur se désigne lui-même vu dans son activité de parole (« sub-référence).

La troisième raison est un « addendum à la performativité » (O. Ducrot), postulant que les performatifs secondaires explicites présentent une particularité lorsqu'ils font partie d'un discours rapporté en style direct. Supposons que X a dit : « je + verbe » où V est un « perfomatif », un verbe susceptible de servir de verbe principal à un énoncé performatif secondaire explicite au présent). Il peut être paraphrasé par une phrase simple du type : « X + W » (où W est un verbe identique à V mais au passé) : X m'a ordonné de venir en lieu de « je te permets de venir ». Ce type de paraphrase est typique des performatifs secondaires explicites et ne peux s'effectuer avec des verbes non performatifs. O. Ducrot présente l'exemple de « se promener ». Peut-on le paraphraser en « X s'est promené » ? Certainement pas puisque le verbe « dire » ne peut-être supprimé lorsqu'il s'agit d'un verbe non performatif. Nous sommes face à une propriété étonnante qui nous pousse à présenter un autre exemple. « Il m'a dit : « je te promets » », le verbe « dire » se trouve inclut dans l'acte de promesse devenant « il m'a promit ». Nous pouvons appeler cette propriété « le rapport libre », façon de rapporter le discours d'autrui, dans laquelle nous pouvons nous libérer du verbe introducteur du discours rapporté. Supposons, un énoncé E rapporté en style direct, cela donnera X a dit : « je te déteste » ; en style indirect, cela donnera X a dit à Y qu'il le détestait ; enfin en style indirect libre, cela va poser un problème important car le verbe « dire » va être supprimé, E va devenir simplement : « il me détestait ». Ce rapport indirect libre possible dans les performatifs explicites peut-il être étendu aux performatifs implicites ? Pour O. Ducrot, il semble que nous le pouvons ; Nous pouvons ainsi paraphraser « mon directeur m'a dit : je vous renvoie » par « mon directeur était en colère. J'étais renvoyé ». Ce problème philosophiquement et linguistiquement est d'une importance majeure, il suppose la possibilité de laisser le verbe « dire » sous-entendu dans le style indirect libre appliqué à des performatifs secondaires implicites.

Enfin, ils soulèvent la question de savoir si les performatives explicites sont naturels ou conventionnels. C'est le problème ancestral courant à travers l'histoire du langage postulant que le langage est naturel ou conventionnel (Provenant de la tradition Platonicienne). Si les mots sont considérés comme étant naturels, il y aura alors un rapport entre mot et élément désigné ; s'ils sont conventionnels, c'est en vertu d'une convention qu'a été assigné le mot au signifié. Ainsi, la signification sera naturellement liée à la forme des mots (« cratylisme ») dans le premier cas, arbitraire dans le second. Cette question peut se poser également pour les mots isolés : nous pouvons en effet nous interroger si c'est naturellement que tel énoncé se présente comme obtenant un effet ou bien arbitrairement ? Les énoncés performatifs explicites nous amènent à pendre position de leur caractère soit arbitraire soit conventionnel.

Pour les Conventionnalistes tel que J. Austin ou O. Ducrot, le rapport entre l'acte accompli au moyen d'un performatif explicite et la formule utilisée est aussi arbitraire que celui existant entre l'acte accompli au moyen d'un performatif primaire et la formule utilisée. La difficulté de cette position est que, dans le cas d'un performatif explicite, nous sentons une relation particulière entre le sens de l'acte et le sens du verbe de la formule. O. Ducrot tente d'en rendre compte dans la théorie de « l'illusion performative » en recourant notamment à la notion de « délocutivité »6(*).

Pour les Cratylistes7(*), il existe un rapport nécessaire entre l'acte accompli au moyen d'un performatif explicite et la formule utilisée (l'acte d'ordre par exemple). Toute une littéraire va tenter d'expliciter ce rapport nécessaire. Nous pouvons considérer que trois hypothèses ont été avancées par cette position : L'hypothèse première Si « je+verbe » (je te permets) est un performatif explicite, son locuteur dit accomplir un acte V', celui-ci étant un synonyme et généralement un homonyme de V relevant cependant d'un métalangage scientifique. Supposons F : X a dit : « Jean est intelligent ». C'est un fait observable. Supposons un linguiste assistant à la scène et décrivant ce fait F en disant : « X a dit que Jean est intelligent ». La difficulté réside dans le fait de savoir si le mot « intelligent » est identique dans le fait F et dans le fait F rapporté par le linguiste. En effet, dans le fait F, le terme « intelligent » appartient au langage de X tandis que, lorsque le linguiste décrit ce fait F, le terme « intelligent » n'appartient plus au langage de X mais à celui de l'observateur, langage métacognitif scientifique. Il n'est pas donc tout à fait sûr que ce rapport soit exact ; pour ce faire, il faudrait que ce terme ait le même sens dans les deux langages. Or, il se peut que X avait en tête une autre définition que celle des psychologues (Quotient intellectuel...). Bien que Le linguiste n'ajoute aucune hypothèse, pour autant ce rapport est hypothétique car le mot rapporté n'appartient pas au langage tel qu'employé par X. Afin de rapporter des faits de parole, nous utilisons des mots appartenant à ce fait mais il appartient à un langage métacognitif d'observateur, et, alors, nous ne sommes pas certains qu'il ait le même sens dans les deux cas. Car, en quel sens X a pris ce mot ? Ce sens peut différer du sens qu'il a dans le rapport métacognitif. Le linguiste peut rapporter que X a dit que Jean est intelligent argumentant que X aime Jean ; pour autant dans le discours de X, le terme « intelligent » était-il favorable ? Ne pouvait-il pas constituer une critique (ironie, antithèse...et toute figure de style imaginable pour exprimer le contraire de ce que nous disons) ? Ainsi, lors du rapport du sens effectué par le linguiste par le biais de son langage métacognitif, il pose une hypothèse, celle que le mot qu'il utilise revêt le même sens que celui utilisé dans le discours de Jean. Si nous admettons que ce rapport est fidèle, nécessairement honnête, cela n'est pas sûr. Etant contestable, il ne peut constituer qu'une hypothèse.

Les deux hypothèses suivantes découlent de la première : dans la seconde, « je +verbe » qualifie son énonciation de V' (à la différence de « je mens » et de la plupart des énoncés dont le sujet est « je »). Cette hypothèse est forte, car elle stipule que lorsque quelqu'un dit : « je te permets », il qualifie sa propre énonciation. Or, cela n'est pas certain, et constitue de fait une hypothèse car nous rencontrons des difficultés par exemple dans le « paradoxe8(*) du menteur9(*) » : supposons E : « je mens », si E est vrai, alors E est faux car lorsque je dis « je mens », je ne mens pas, je dis la vérité. Si E est faux, que je mens au moment où je parle, alors E est vrai : je mens...Cela suppose que la phrase E signifie que je mens lorsque je le dis sous peine de ne plus être un paradoxe. E est difficile à annoncer en langage naturel car il signifie que ce que je vais dire est un mensonge et ne qualifie donc pas sa propre énonciation, l'acte que « Je » est en train d'accomplir. Il est difficile de trouver une expression qui qualifie sa propre énonciation. Afin d'énoncer le paradoxe du menteur, il faudrait dire que ce que nous sommes en train de dire est un mensonge. Or il est difficile de trouver une formule disant ce que fait le locuteur lorsqu'il parle. Et l'hypothèse deux avance que malgré cette difficulté, l'énonciation est qualifiée par « je + verbe » ; c'est une supposition, certes forte, mais incertaine que celle de postuler que les performatifs qualifient l'acte accompli par leur propre énonciation (assimilant le verbe indiquant l'acte avec le verbe utilisé par le rapporteur).

Les déductions de ces deux hypothèses s'ajoutent à la troisième, hypothèse philosophique concernant V', actes de parole (promesse, permission, ordre...), postulant qu'il suffit pour accomplir V' à l'égard d'un destinataire D, d'adresser à D une communication se présentant comme destinée à accomplir V'. Si cela est admis, il est nécessaire que l'énoncé « je t'ordonne de venir » serve à accomplir l'ordre puisqu'il part de sa propre énonciation comme servant à accomplir l'ordre alors il est évident que les performatifs secondaires explicites servent à cela. Or cela n'est pas si évident...

La première philosophie présentant la notion de « performativité » et la seconde présentant la notion « des actes de langage » sont présentées au sein de la même oeuvre ce qui est dramatique car la seconde contredit la première. Les actes de langage seront présentés d'après « la théorie des speech acts » telle qu'Austin la construit dans sa seconde philosophie amendée de compléments dus à Searle10(*). J. Austin va abandonner la distinction constatif versus performatif, puisque cette dichotomie portait sur les conditions de vérité et de félicité, et puisque les uns et les autres servent de façon essentielle et constitutive à accomplir des actes et disposent de ce fait toutes deux de conditions de félicité et de vérité, alors le terme « performatif » devient libre ne rentrant plus dans cette scission, n'étant plus considéré comme performatif secondaire explicite. J. Austin insiste particulièrement sur les conditions de félicité des énoncés constatifs nécessaires à l'accomplissement d'une assertion. En philosophie, littérature, tout devient un énoncé performatif...

Aujourd'hui, cette notion fondamentale n'a rien perdu de sa force...en linguistique, c'est certain, mais plus encore, elle trouve un regain de nouveauté plus généralement en sciences humaines.

* 4 Pour J. Austin, E. Kant constitue un pionnier dans la démonstration systématique du non-sens de beaucoup d' « affirmations », en dépit d'une structure grammaticale « très courante » ; tout comme il le fut dans celle dévoilant le fait que nombre d « utterances » (énonciations), ressemblant à des affirmations, « ne sont pas du tout destinées à rapporter ou à communiquer d'information pure et simple sur les faits, ou encore ne le sont que partiellement ». Kant proposera que les « propositions éthiques (...) pourraient bien avoir pour but, unique ou non, de manifester une émotion, ou de prescrire un mode de conduite, ou d'influencer le comportement de quelque façon » (P. 38)

* 5 Ce sémanticien générativiste a développé une hypothèse, l'hypothèse performative, dont l'origine est la théorie des actes de langage,

Lakoff, G. (1972), « Linguistics and natural logic », in Davidson, D. & Harman, G. (eds.),

Semantics of Natural Language, Dordrecht, 545-665.

Ross, J.R. (1970), « On declarative sentences », in Jacob, R.A. & Rosenbaum, P.S. (eds.),

Readings in English Transformational Grammar, Waltham, Ginn, 222-272.

* 6 La notion de dérivation délocutive a été introduite par Emile Benveniste (1902-1976) dans un article paru en 1958. Elle ne semble pas avoir été remarquée lors de sa sortie. Mais, l'article repris entre temps dans Problèmes de linguistique générale (1966), tout changea de face quand, en 1972, O. Ducrot fit un lien entre délocutivité et performativité (promettre = dire je promets), ramenant la délocutivité du côté de la réinterprétation sémantique (1975). A sa suite, Cornulier (1976) introduisit le concept d'autodélocutivité et Anscombre, dans une série d'articles datant de la fin des années 1970 et de la première moitié des années 1980, tenta une théorisation de la notion. Voir Ducrot, O., 1975: "Je trouve que". Semantikos 1: 62-88. Anscombre, J.-C., 1979: "La délocutivité généralisée". Recherches Linguistiques 8: 5-43. Cornulier, B. de, 1976: "La notion de dérivation délocutive". Revue de linguistique romane 40: 116-144. Benveniste, E., 1958: "Les verbes délocutifs". Repris dans ses Problèmes de linguistique générale 1 (Gallimard 1966) pp. 277-285.

* 7 Platon, dans son dialogue appelé le Cratyle, met en scène un personnage du même nom, qui défend l'idée qu'au moins à l'origine, les mots, dans leur forme, ont un rapport avec les choses qu'ils représentent. Si au contraire les mots ne prennent leur sens qu'en fonction de l'ensemble de la structure, ils n'ont aucun rapport privilégié avec la chose à quoi ils réfèrent. Si "mouton" avait, dans sa forme, quelque rapport avec l'animal en question, on comprendrait que l'anglais se serve du terme "mutton", mais on ne comprendrait pas qu'il se serve du terme "sheep", qui n'a plus rien à voir.

* 8 Le paradoxe pour un logicien est une phrase qui n'est ni vraie ni fausse. Si elle est vraie, est fausse et vice-versa.

* 9 Paradoxe découvert dans l'antiquité grecque.

* 10 Searle, Speech acts, 1969 traduit sous le titre « les actes de langage », 1972 sous le conseil de O. Ducrot _bien que Searle aurait préféré « les actes de parole »_ considérant que le terme « parole » revêt en français une connotation négative.

Searle, J.R. (1972), les actes de langage, paris, Hermann.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius