La notion de «performativité»
de John Langshaw Austin
"Le phénomène à discuter est en effet
très répandu, évident, et l'on ne peut manquer de l'avoir
remarqué, à tout le moins ici ou là. Il me semble
toutefois qu'on ne lui a pas accordé spécifiquement attention.
"(Première Conférence, p.37).
Philosophe britannique, John Langshaw Austin (1911-1960) a
été professeur de Morale à Oxford. Sa figure irradie la
philosophie analytique et linguistique. Son oeuvre, constituée d'un
ensemble d'article réunis et publiés à titre posthume, est
fusionnée en trois volumes : Ecrits philosophiques1(*) ; Langage de la
perception2(*) ; et
Quand dire, c'est faire3(*). Il est à l'origine de l'émergence
du paradigme pragmatique.
Dans cet ouvrage Quand dire, c'est faire qui l'a
rendu célèbre en France, J. L. Austin réunit douze
conférences prononcées à Harvard en 1955. Insatisfait du
manque de clarté des philosophes, et particulièrement des
métaphysiciens, Austin a concentré son attention de toujours au
«langage ordinaire». Il se captive ici pour les «actes de
discours» (speech acts), découvrant l'immensité que
nous pouvons accomplir par la parole. La notion de performativité se
trouve dans la première philosophie, les actes illocutoires dans la
seconde.
Après la présentation synthétique de son
ouvrage (I), nous étudierons, appuyés sur la description qu'en
fait O. Ducrot et M. Carel, plus particulièrement la Première
philosophie d'Austin contenant la notion-clé de
« performativité » (II), pour finir, enfin, par une
ouverture vers cette notion abordée au sein des sciences sociales
(III).
I. Synthèse
Conférences 1 à 4 : Enonciations
constatatives et énonciations performatives
John Austin est convaincu du manque de pertinence de la
philosophie considérant l' « affirmation »
(statement) classique comme proposition invariablement vraie ou
fausse. Il va donc prouver, lors des premières conférences, qu'au
sein des énonciations considérés traditionnellement comme
affirmations, toutes ne se reconnaissent pas suivant leur caractère de
vérité ou fausseté (énonciations
«constatatives»), pouvant viser l'accomplissement de certains actes
(se marier, parier, baptiser un bateau, etc.) Ces affirmations qui n'en sont
pas, au sens classique du terme, et qui visent en réalité
à «faire» quelque chose, Austin se propose de les appeler des
«énonciations performatives» (ou plus brièvement des
«performatifs»). Bien entendu, l'accomplissement visé par
l'énonciation performative exige souvent le concours d'autres
éléments que les paroles elles-mêmes. Le contexte de
l'énonciation, particulièrement, est primordial, tout autant que
la personne de l'énonciateur. Cela étant, si les
«circonstances» se présentent de façon
inadéquate, autrement dit si le performatif ne délivre pas ses
effets ou ne les délivre pas comme voulu, il n'en devient pas
«faux» pour autant : il est seulement inefficace - on dit alors qu'il
a été affecté d'«Echecs»
(Infelicities).
Conférences 5 à 7 : La déconvenue de
la distinction
Pour autant, John Austin, de ces analyses, parvient à
un résultat contradictoire : le caractère de
vérité ou de fausseté des affirmations classiques (ou
«énonciations constatatives») dépend lui-même de
nombreuses «circonstances» ne semblant pas tant
éloignées de celles déterminant le «bon
fonctionnement» des performatifs. J. Austin est amené, alors,
à reconsidérer la distinction première dichotomique entre
énonciations constatatives et énonciations performatives.
Dès lors, il faut reprendre le problème à neuf ; un
nouveau point de départ s'impose.
Conférences 8 à 12 : Actes de
discours
L'auteur démontre que nous accomplissons une action
«en disant» quelque chose et «par le fait» de dire quelque
chose. C'est la théorie des «actes de langage» ou «actes
de discours» (speech acts). Il va différencier au sein de
l'énonciation trois grands types d'actes visant à «faire
quelque chose» en parlant. - L'acte premier de simple
«locution», consistant en l'émission d'une suite de sons
auxquels est attachée une signification dans une langue donnée.
Cet acte est celui de «dire quelque chose». - L'acte second
d'«illocution» consistant, par son énonciation même,
à indiquer comment il doit être reçu par son destinataire.
Par exemple, en prononçant «Sors !», on accomplit, selon la
situation, un ordre, une menace, une requête...L'acte d'illocution est
donc l'acte effectué simultanément «en disant quelque
chose». - L'acte dernier de «perlocution», est
l'accomplissement réel d'un acte illocutoire. Il consiste en l'obtention
de certains effets concrets ou conséquences au moyen de la
parole. Après ce retour aux éléments plus primordiaux
des réalisations de la parole (c'est-à-dire à la
production d'actes de locution, d'illocution et de perlocution), la distinction
initiale entre énonciations constatatives et performatives ne peut plus
être maintenue. John Austin démontre ainsi que le constatif
accomplit, en plus de simplement dire quelque chose, une action, constituant,
tout autant que les actes performatifs, un acte d'illocution. Se contenter de
dire : «Il fait chaud», c'est déjà et
parallèlement constater, affirmer, informer qu'il fait chaud. Pour le
dire autrement, lorsque nous «disons» quelque chose, nous
«faisons» également quelque chose. Ainsi, dans ce contexte
pour accorder une position spéciale aux énonciations
constatatives, nous pouvons dire qu'elles peuvent constituer des actes
d'illocution dénués d'objectif. Nous pourrions presque les
considérer tel que des actes gratuits d'illocution.
Ouvrage-clé de la philosophie linguistique, Quand
dire, c'est faire a représenté une progression remarquable
dans la science du langage, constituant l'acte de naissance de la
«pragmatique linguistique», qui place la parole et l'intention de
communication du locuteur au centre de l'analyse du langage.
Etudions de plus près la notion de
« performativité », vue notamment, par les
héritiers de J. Austin que sont O. Ducrot et M. Carel.
* 1 Philosophical
Papers, 1961 - 1994 pour la traduction française
* 2 Sense and
Sensibilia, 1962 - traduit en français en 1971
* 3John Langshaw Austin, How
to Do Things with Words, 1962 - traduit en 1970, Quand dire, c'est
faire, traduction de l'anglais par Gilles Lane, Editions du Seuil, "Points
Essais", 1970 (207 p.)
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