II- Politique de l'Etat source et Politique de l'Etat
hôte
- Comment l'Etat hôte peut influencer le conflit?
D'après le droit international, l'Etat qui
reçoit des réfugiés en provenance d'un autre pays, l'Etat
hôte, détient la responsabilité de leur
sécurité. En termes de sécurité humaine cela
signifie que l'Etat hôte est responsable de leur survie et de leur
bien-être, mais aussi de leur sécurité physique : l'Etat
hôte doit donc s'assurer que les réfugiés sont bien tous
des civils. Désarmer et démobiliser les combattants
réfugiés, tout comme empêcher le trafic d'armes à
proximité des camps, tout cela fait donc bien partie des
prérogatives des Etats hôtes. Dans une situation optimale, les
humanitaires ne s'occuperaient que de l'assistance matérielle, tandis
que les Etats hôtes s'occuperaient de la protection physique autant que
légale des réfugiés. De telles prérogatives ont
été données aux Etats hôtes car sa réponse et
sa réaction face à une crise de réfugiés est
déterminante dans la propagation future ou non du conflit. L'Etat
hôte a en effet entre ses mains le pouvoir d'étouffer le conflit
responsable de la crise de réfugiés ou au contraire de souffler
sur les braises et de le propager. Deux facteurs déterminent sa
réaction : sa capacité et sa volonté. Sa capacité
à sécuriser ses frontières et à maintenir l'ordre
et la paix sur son propre territoire, et sa volonté, ou non, de
protéger et de sécuriser les camps de réfugiés.
Comme le montre Lischer, il y a quatre possibilités quand aux
réponses politiques apportées à ces crises de
réfugiés58, selon que la capacité et la
volonté à répondre à ces crises est forte ou
faible.
Le scénario qui en général aboutit
à des attaques le long de la frontière se produit en
général quand un Etat largement capable de désarmer les
combattants réfugiés ne le fait pas, pas seulement par manque de
volonté mais surtout par soutien aux combattants réfugiés.
Quand un Etat dispose des capacités nécessaires au
désarmement des combattants réfugiés, cet Etat a alors le
pouvoir de décider si le conflit doit ou non s'étendre, selon ses
propres intérêts. Cet Etat peut même exercer un pouvoir de
coercition sur les organisations humanitaires internationales intervenant pour
les réfugiés. Dans les années 80, le gouvernement
thaïlandais, qui aurait pu désarmer les Khmers rouges, les autorisa
à utiliser les camps de réfugiés cambodgiens comme des
bases arrières dans leur lutte contre l'influence du Viêt-nam au
Cambodge.
Le deuxième scénario, moins probable, mais
dévastateur, intervient quand l'Etat hôte n'a que peu de
capacités pour désarmer les combattants réfugiés
ainsi que peu de volonté politique pour cela. Cela signifie qu'il ne
peut pas empêcher la militarisation des camps et qu'il s'allie avec les
militants armés réfugiés dans les camps. C'est exactement
ce qui arriva lors de la crise du Rwanda, quand le gouvernement zaïrois
combina incapacité et mauvaise volonté. Le gouvernement
zaïrois était en fait allié aux extrémistes hutus des
camps, et était de toutes façons incapable de sécuriser
ses frontières. Le résultat, comme nous le verrons, sera une
guerre
58 Voir Annexe 4
internationale.
Le troisième scénario est un Etat hôte
ayant une très forte volonté de prévenir la violence et
donc de désarmer les combattants réfugiés, mais n'en ayant
pas la capacité matérielle. Dans ce cas, tout dépend de
facteurs extérieurs, et de l'aide qui peut lui être
apportée pour démilitariser les camps. Sans assistance
extérieure, la guerre risque de se propager à l'intérieur
de ce faible Etat. La Guinée en fit l'expérience en 2000,
incapable qu'elle était d'empêcher les attaques
transfrontalières entre le Libéria et la Sierra Leone et les 400
000 réfugiés qu'elle accueillait. Au bout de deux ans, des
donateurs internationaux financèrent le déplacement des camps de
réfugiés très loin de la frontière et la
démobilisation des combattants réfugiés.
Pour étouffer dans l'oeuf la propagation d'une guerre
civile, le meilleur scénario est la combinaison entre un Etat ayant
à la fois les capacités et la volonté politique pour
désarmer les combattants réfugiés, démilitariser
les camps, et protéger ses frontières. Dans ce cas les attaques
transfrontalières, qu'elles viennent de l'Etat source ou des
réfugiés, deviennent hautement improbables. Comme nous le verrons
plus en détails, c'est exactement ce qu'il se passa avec le gouvernement
tanzanien, qui pris des mesures de sécurité pour éviter
que les réfugiés ne franchissent la frontière mais
également pour éviter que le gouvernement rwandais ne
perçoive la présence de réfugiés hutus en Tanzanie
comme une menace pour sa stabilité.
Trop souvent les Etats hôtes oublient leurs
responsabilités envers les réfugiés, la plupart de ces
Etats étant souvent des pays en développement disposant de peu de
ressources pour leurs populations et donc encore moins pour des milliers de
réfugiés. De plus ces dynamiques transfrontalières
intenses peuvent facilement déstabiliser un Etat jeune ou faible. Enfin,
des liens ethniques ou politiques entre les réfugiés et les
populations des Etats hôtes peuvent déstabiliser encore plus les
jeux de pouvoirs au sein d'un Etat. La nature, démocratique ou non, de
l'Etat hôte, peut également influencer la nature de la
réponse. En Tanzanie, les réfugiés rwandais
arrivèrent quelques mois seulement avant des élections
législatives, ce qui poussa les leaders du pays à adopter une
attitude ferme avec les réfugiés.
·.. · L'attitude de l'Etat zaïrois
envers les réfugiés hutus
Le Zaïre de Mobutu était clairement un Etat ne
disposant pas des capacités suffisantes pour sécuriser son vaste
territoire et désarmer les combattants réfugiés. Pire, cet
Etat n'avait aucune volonté de désarmer ces
réfugiés, mais préférait les soutenir. Au
contraire, les forces zaïroises, proches de Mobutu, jouèrent un
rôle central dans la propagation de ce qui au départ était
une guerre civile, en facilitant la prise du pouvoir par des membres des
milices hutues génocidaires.
En 1994, l'Etat zaïrois est un Etat qui fonctionne à
peine. Mobutu et les siens pillaient
depuis des années les richesses de l'Etat pour leur
profit personnel (trafics en tous genres, de diamants notamment), ce qui eut
pour conséquence de mettre le secteur public, le seul qui fonctionnait
auparavant, à terre. Nombre d'infrastructures étaient
détruites ou à l'abandon, certains fonctionnaires
n'étaient plus payés, la corruption régnait en
maître...
Les actions du gouvernement central furent influencées
par deux facteurs internationaux qui poussaient dans deux directions
opposées : l'alliance du Zaïre (et notamment de l'armée)
avec les extrémistes hutus et la préoccupation de Mobutu envers
sa réputation sur la scène internationale. Sur la scène
intérieure, le pouvoir de Mobutu commençait à faiblir en
raison des demandes croissantes de la société pour plus de
démocratisation. Mobutu voulu alors utiliser cette crise de
réfugiés afin de redorer son blason sur la scène
internationale, pour au final avoir l'ascendant occidental pour se maintenir au
pouvoir. Cette crise avait aussi le mérite de détourner
l'attention de ses opposants intérieurs. Sa stratégie fonctionna
un moment, mais Mobutu avait sous-estimé la force de ses opposants ainsi
que la capacité de résistance ce son Etat à une crise
massive de réfugiés.
L'alliance entre les Hutus et le gouvernement zaïrois
existait depuis longtemps. Mobutu s'allia par exemple au président hutu
rwandais Habyarimana contre Museveni dans sa conquête du pouvoir en
Ouganda dans les années 8059. L'amitié
zaïro-hutue continua après le génocide, Mobutu cachant
à peine son soutien aux membres des FAR. Alors même en
présence de la presse internationale, les gardes zaïrois de la
frontière avaient du mal à se résigner à
désarmer les réfugiés. Paul Kagame (Président tutsi
du Rwanda après le génocide), déplora le fait que les
autorités zaïroises ne sécurise pas la frontière et
déclara : "Zaïre could do it if it had the will and the support of
the internaitonal community"60.
Malgré son alliance avec les Hutus, Mobutu était
en effet très attentif à la perception que la communauté
internationale, et particulièrement les Etats occidentaux, pouvaient
avoir de la crise. Il voulait maintenir son standing international, afin de se
maintenir au pouvoir et faire taire les critiques de ses opposants. Mobutu
insista donc sur l'importance de la stabilité de son pays, avec donc lui
au pouvoir, pour la résolution de cette crise de
réfugiés.
Pour répondre à la pression internationale, le
gouvernement zaïrois rapatria ainsi de force environ 12 000
réfugiés du Kivu en à peine quatre jours. Certains
officiels du HCR croyaient que cette opération allait permettre de
réduire le pouvoir des leaders hutus, ou au moins de donner une
impulsion pour un rapatriement massif. Ni l'un ni l'autre n'arrivèrent.
Mais Mobutu lui en profita pour détourner pour lui-même l'aide
internationale tout en employant la force et la brutalité pour mettre
ces réfugiés dehors. Mais c'est seulement à la fin de
l'année 1995 que la communauté internationale finit par se rendre
compte que le régime de Mobutu ne fournirait pas la solution à
la
59 Voir partie sur histoire du génocide
rwandais
60 Discours de Paul Kagame du 6 mars 2003, à
l'occasion d'une conférence sur le thème de la résolution
des conflits en Afrique (Baker Institute)
crise. La communauté internationale se rapprocha de
plus en plus du nouveau régime en place à Kigali, alors que
Mobutu espérait lui un soutien des occidentaux et de l'ONU pour l'ancien
régime hutu. Parallèlement et comme une sorte de "vengeance"
même si le mot est trop fort, Mobutu fit de moins en moins d'efforts pour
assurer la sécurité dans les camps.
Mais bien que Mobutu apportait son soutien aux combattants
réfugiés, l'Etat central zaïrois n'avait en sa possession
que peu de capacités pour les soutenir militairement. Ce sont en
réalité les pouvoirs locaux qui détenaient le plus de
pouvoir, et ce sont eux qui décidèrent de soutenir les
combattants réfugiés hutus, en accord avec le sentiment des
populations locales, généralement anti-Tutsis. Même s'il
l'avait voulu, le gouvernement de Mobutu n'aurait pas pu renforcer la
sécurité dans les nombreux camps de réfugiés du
pays, ni rendre ses frontières hermétiques.
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