2.3.2 Un levier propre : le levier opérationnel.
Si l'on cite souvent le triple levier, financier, juridique et
fiscal, caractéristique du LBO, on omet souvent de s'intéresser
au levier opérationnel qui l'accompagne.
En effet, dès lors que le management entre au capital,
on constate empiriquement que se met en place une forme de sur-implication dans
l'entreprise, que l'on qualifie de levier opérationnel112. Si
l'on conçoit même de faire entrer au capital un nombre plus
élevé de salariés, et en particulier à des
conditions préférentielles, on peut développer un vrai
levier social. C'est le cas, par exemple dans les anciens RES (Reprise
d'entreprise par les Salariés).
Malgré ces différences notables, un
véhicule commun est susceptible de recueillir les investissements des
salariés à côté de ceux des
managers113.
Pour autant, l'entrée au capital des salariés
dans leur ensemble est rarement retenue. D'une part, elle peut être
complexe à mettre en place, et peser négativement sur le
rendement des investisseurs financiers. D'autre part, dès que
l'entreprise est d'une taille substantielle, l'implication de tous les
salariés ne va pas de soi. En effet, en vertu du paradoxe d'Olson, selon
lequel « les groupes relativement petits sont fréquemment
capables de s'organiser sur la base du
111 Matthieu Pechberty - Les banques adaptent leurs conseils aux
fonds LBO - La Tribune - 12 juillet 2007
112 Banque Fortis - Les petites et moyennes capitalisations
vont-elles surperformer ?
113 Emmanuelle Barbara - Avis d'expert - Et si les LBO
profitaient à tous ? - Capital Finance - 13 Novembre 2006
volontariat et d'agir en conformité avec leurs
intérêts communs, les grands groupes ne sont pas dans l'ensemble
en mesure d'y parvenir 114 », une partie des
salariés risque de se comporter en « passagers clandestins »
(free riders). Plus un groupe est nombreux, plus la probabilité qu'il
agisse en vue de la réussite du LBO est faible car la contribution
marginale d'un membre à la réussite du groupe est
décroissante.
Aussi, les LBO et les OBO en particulier viseront à
impliquer les dirigeants principaux, et en général les cadres
dont la participation est nécessaire à la réussite du
montage.
Pour ce faire, on peut mettre en place dans le cadre d'un LBO
ou d'un OBO, des clauses préférentielles peuvent permettre aux
managers de bénéficier d'une participation finale plus que
proportionnelle à leurs apports. Ce sont, par exemples les ratchets.
Ceux-ci ont pour objectif de corriger la valeur initiale d'entrée au
capital d'une catégorie d'investisseurs. En pratique, ce droit consiste
à émettre à leur profit des bons de souscription d'actions
(BSA) dès leur entrée au capital, leur donnant la
possibilité de souscrire à l'occasion de futures augmentations de
capital un certain nombre d'actions, en général au nominal. Cela
s'applique en particulier lors du débouclage du montage115.
Bien évidemment, la conséquence en est la dilution des autres
actionnaires, en particuliers des investisseurs financiers.
Ces BSA présentent ainsi plusieurs avantages.
Ils permettent d'intéresser le management à la
prise de valeur globale de l'entreprise, leur intérêt étant
de pouvoir réaliser une plus-value substantielle lors de la sortie
finale.
De plus, cela évite de conférer des droits
politiques immédiats, et donc de diluer le contrôle du dirigeant
principal pendant la durée de l'opération.
Enfin, les managers ayant souvent des moyens financiers
personnels assez limités, cela permet malgré tout de mettre en
place le levier opérationnel recherché.
114 Mancur Olson - Logic of Collective Action, Harvard
University Press, 1971. Traduction française : Logique de l'action
collective, préface de Raymond Boudon, PUF, 1978
115 Maître Olivier Paulhan - « Les principaux
mécanismes d'ajustement du prix d'acquisition ou de cession des actions
»
Le débat actuel qui porte sur le capital-investissement
a tendance à se focaliser sur les financiers, et selon Dominique
Sénéquier, présidente de Axa Private Equity, à
négliger, celui « des créateurs de valeur : les
entrepreneurs et les managers. La valeur des entreprises dans lesquelles nous
investissons repose essentiellement sur la qualité de ses
équipes. C'est un facteur que non seulement les critiques du private
equity négligent mais que même certains investisseurs oublient
dans leurs modélisations »1 16 . Cela revient à
reconnaître que l'un des leviers majeurs à activer est bien le
levier opérationnel.
Par ailleurs, dès lors que les dirigeants principaux
auront investi dans le capital de la holding de reprise, ils auront
effectué un processus inverse à celui de l'actionnaire de
référence qui a rééquilibré patrimoine
personnel et professionnel. Eux auront de leur côté
concentré leur patrimoine dans l'entreprise, cette dernière
devenant ainsi la source de leurs revenus salariaux et un élément
central de leur patrimoine.
Ils auront donc un intérêt maximal à ce
que l'opération de LBO ou d'OBO fonctionne. L'effet est encore plus
important si certains managers ont eu recours à l'emprunt pour financer
leur prise de participation.
Quoiqu'il en soit, les objectifs de maîtrise des
coûts, et d'expansion industrielle seront instantanément
partagés par l'ensemble des responsables présents au tour de
table.
C'est donc bien là une opportunité claire pour
l'entreprise, le renforcement de l'efficacité générale de
l'exploitation se traduisant sur :
- les cash-flows permettant de tenir le plan de remboursement de
la dette
- la valorisation finale de la société à N+5
ou N+7
Par ailleurs, ces effets doivent logiquement perdurer
au-delà de la seule période considérée.
Grâce au LBO qu'il réalise lui-même sur sa
propre entreprise, l'entrepreneur parvient à actionner des leviers
d'efficacité opérationnelle qui se seraient
révélés particulièrement difficiles à mettre
en place sans montage de haut de bilan.
116 Dominique Sénéquier - Le capital-investissement
sert l'Europe industrielle - La Tribune - 15 mai 2007
Le dirigeant doit donc parvenir à faire entrer au
capital ses principaux collaborateurs, ce qui ne constitue pas une faveur
à leur égard, mais un avantage très appréciable
pour l'actionnaire principal117.
Dès lors, des conditions préférentielles
d'entrée au capital pour le management trouvent une
légitimité financière évidente. L'ingénierie
juridique permet de trouver une solution au problème habituel du manque
de fonds propres de ces derniers, voire de répondre à la
réticence de certains à l'idée de concentrer revenus et
patrimoine dans la même entreprise.
Au-delà de cela, ça peut aussi permettre d'assurer
la pérennité industrielle de l'entreprise, en renforçant
le lien entre celle-ci et ses cadres principaux.
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