La coopération judiciaire pénale dans la zone CEMAC( Télécharger le fichier original )par Théophile NGAPA Université de Dschang - Cameroun - DEA en Droit Communautaire et Comparé Cemac 2005 |
Paragraphe I- L'inopportunité de certaines conditions de l'extraditionL'extradition est généralement soumise au respect de plusieurs règles. C'est ainsi que l'infraction pour laquelle elle est demandée ne doit pas être considérée par la partie requise comme entrant dans le champ des infractions justifiant sa compétence121(*). L'extradition ne peut non plus être accordée si l'auteur de l'infraction a déjà été poursuivi pour les mêmes faits. C'est l'application sur le plan international du principe ne bis in idem (ou non bis in idem122(*)). Il en est de même en cas d'amnistie123(*), d'infraction politique,124(*) militaire,125(*) ou punie de la peine capitale126(*). On peut recenser ainsi dans ces divers textes plusieurs autres conditions aussi bien positives que négatives qui entourent la pratique de l'extradition. Mais, deux d'entre elles sont jugées par une bonne partie de la doctrine comme inadaptées à l'évolution contemporaine de la lutte contre la criminalité. Il s'agit de la condition de la double incrimination (A), et celle de la non-extradition en matière fiscale (B). A- La double incriminationL'exigence de la double incrimination est l'une des règles générales appliquées à l'extradition. Si l'on apprécie de manière extensive cette notion, on peut en déduire qu'elle a une double portée : elle signifie tout d'abord que l'infraction pour laquelle l'extradition est demandée doit exister aussi bien dans l'ordre législatif de l'Etat requis que dans celui de l'Etat requérant. Elle signifie ensuite que cette infraction doit avoir un certain degré de gravité pour pouvoir justifier l'extradition. Des difficultés peuvent surgir dans la mise en oeuvre de ce principe de la double incrimination, compte tenu des divergences qui existent entre les législations des Etats membres. Il peut arriver que l'infraction pour laquelle l'extradition est demandée n'existe pas dans l'ordre juridique de l'Etat requis, du moins sous la même qualification. Certaines autorités face à cette situation rejettent la demande d'extradition. Pour elles, « double incrimination » signifierait « incrimination identique ». Mais, cette attitude est fustigée par la doctrine dominante. Pour elle, la double incrimination doit être appréciée de manière abstraite. Le fait pour lequel l'extradition est poursuivie doit être transposé au niveau de l'Etat requis pour voir s'il n'y a pas d'infraction correspondante. Ce n'est que dans les cas où ce comportement reproché ne tombe sous le coup d'aucune incrimination dans l'Etat requis qu'on pourra conclure que la condition de la double incrimination n'est pas remplie. Cette position est corroborée par la jurisprudence suisse qui affirme que, pour le constat de la double incrimination en matière de corruption d'un fonctionnaire « les faits reprochés à la personne poursuivie à l'étranger doivent être transposés, dans la mesure nécessaire et selon leur sens, pour juger de leur punissabilité selon le droit interne de l'Etat requis, en se fondant sur l'hypothèse que les actes auraient été commis sur le territoire de cet Etat ou mieux encore, qu'il seraient soumis à la juridiction de cet Etat. (...). En l'occurrence, le juge suisse doit donc raisonner comme si non seulement le corrupteur présumé avait agi en Suisse, mais que le fonctionnaire corrompu appartenait à une administration suisse »127(*). Cette approche ainsi décrite permet d'avoir une appréciation extensive de la règle de la double incrimination. Mais, d'autres difficultés peuvent être soulevées : qu'arriverait-il si les faits reprochés violent sévèrement l'ordre public interne de l'Etat requérant alors qu'ils ne correspondent à aucune infraction dans le droit interne de l'Etat requis ? Cette violation doit-elle rester impunie au nom du principe de la double incrimination ? C'est sur la base de ces interrogations que nous militons en faveur de l'abolition de la règle de la double incrimination. En fait, nous pensons que pour accorder l'extradition, on doit plus tenir compte de l'ordre public qui a été violé que de celui dans lequel se trouve le délinquant. Ce dernier ayant agi en connaissance de cause, assurer son impunité par le passage d'une frontière à une autre s'apparente à une injustice puisqu'il savait à quoi il s'exposait en commettant les faits réprimés. Prenons l'exemple de l'infraction d'homosexualité. L'article 347 bis du code pénal Camerounais dispose que toute personne ayant eu des rapports sexuels avec une personne de même sexe s'expose à une peine de 6 mois à 5 ans de prison et à une amende de 200.000 FCFA maximum, le tout multiplié par deux si le partenaire est mineur de moins de 21 ans. Le code pénal Gabonais ne mentionne nullement la conduite homosexuelle comme étant une infraction. Puisque tout ce qui n'est pas défendu est permis, l'homosexualité serait donc légale au Gabon. Ne serait-il pas alors injuste qu'une personne poursuivie pour homosexualité au Cameroun puisse s'assurer de son impunité tout simplement en traversant la frontière ? Au total, nous observons que la règle de la double incrimination peut affaiblir de manière considérable la lutte contre la criminalité sous toutes ses formes. Elle peut transformer certains Etats en lieu de préparation et de refuge pour les délinquants ayant commis une infraction sur le territoire d'un autre Etat. L'harmonisation des incriminations réalisée par le législateur CEMAC, aidé par le législateur OHADA, permet d'éviter au maximum les blocages susceptibles d'être causés par cette règle. Mais, il faut aller plus loin en la supprimant afin que les frontières ne se transforment plus en avantage pour les délinquants alors qu'elles constitueraient un obstacle pour la justice. Comme la règle de la double incrimination, certains auteurs n'hésitent pas à critiquer sévèrement la règle de la non-extradition en matière fiscale. * 121 Article 4 (1), Accord d'extradition CEMAC ; article 48 (1) convention de Tananarive, article 636, 637, 640 et 649 (a) du Nouveau Code de Procédure Pénale camerounais (NCPP). * 122 Article 8, Accord d'extradition CEMAC : articles 48 (2) et (5) convention de Tananarive ; article 649 (5) NCPP. * 123 Article 48 (5) convention de Tananarive ; article 64 (1a) NCPP. * 124 Article 4 (2) Accord d'extradition CEMAC ; article 643 NCPP * 125 Article 45 convention de Tananarive * 126 Article 10 Accord d'extradition CEMAC. * 127 Repris par DELMAS-MARTY (Mireille), Criminalité économique et atteinte à la dignité de la personne, précité, P. 64. |
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