UNIVERSITE NATIONALE DU RWANDA
FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES
DEPARTEMENT DE LANGUE ET LITTERATURE
FRANÇAISES
OPTION : CREATION ET CRITIQUE
LITTERAIRES
LE REFUS DE LA LINEARITE DANS L'ADAPTATION
CINEMATOGRAPHIQUE DE LA RUE CASES-NEGRES DE JOSEPH ZOBEL
Mémoire présenté en vue
de l'obtention du grade de
Licencié en Lettres
Par MUHIRE
Théophile
Directeur : Dr KAYISHEMA Jean-Marie
Butare, mars 2004
TABLES DES MATIERES
REMERCIEMENTS :..................................................................................
V
DEDICACE
VI
INTRODUCTION
2
PREMIERE PARTIE : THEORIE ET
METHODOLOGIE
6
CHAPITRE I : CONSIDERATIONS
THEORIQUES
7
1.1 Littérature et arts
7
1.2 Ecriture filmique et techniques du
roman
8
1.2.1 Temps et construction dans le
récit romanesque
8
1.2.2 Temps du récit et temps dans le
récit romanesque
10
1.2.2.1 L'ordre des séquences
10
1.2.2.2 La notion de durée :
typologie de Genette
11
1.2.2.3 Fréquence singulative,
fréquence itérative
11
1.2.3 Le Mode d'exposition dans le
récit romanesque
12
1.2.4 Focalisation et perspective :
roman/cinéma, analyse de Genette
13
1.3 Les parties et les temps forts du
scénario
14
1.3.1 L'exposition
14
1.3.2 La progression
continue..............................................................15
1.3.3 Le climax
15
1.3.4 Le dénouement
16
1.4 L'espace dans le roman et le film
17
1.4.1 L'espace dans le roman
17
1.4.1.1 L'espace lié à la grande
ville
18
1.4.1.2 L'espace d'interface
18
1.4.1.3 Les huis clos ou espaces
fermés
19
1.4.1.4 Les espaces ouverts
19
1.4.1.5 Le décor héros
19
1.4.2 L'espace au cinéma : le
mouvement de la caméra
20
1.5 La construction du personnage dans le
roman et le film
21
1.5.1 Le personnage dans le récit
romanesque
22
1.5.2 Le personnage au cinéma
23
1.5.3 Le personnage comme signe
24
CHAPITRE II : CADRE METHODOLOGIQUE
26
2.1 La méthode narratologique
26
2.1.1 Le choix de la narratologie
26
2.1.2 Narratologie et cinéma
27
2.1.3 Narratologie et roman
28
2.1.4 Narratologie et adaptation
29
2.2 Le modèle narratologique
élaboré par Francis Vanoye
31
2.3 Les autres méthodes
32
II.4 Obstacles à l'analyse
33
2.5 Synthèse
35
DEUXIEME PARTIE : L'ANALYSE DU
CORPUS
36
CHAPITRE I : DE LA RUE CASES-NEGRES A
RUE CASES-NEGRES
37
1.1 Présentation de La rue
Cases-Nègres
37
1.1.1 Son auteur
37
1.1.2 Son
« adaptatrice »
39
1.1.3 La rue Cases-Nègres
40
1.2 Différence de structure
événementielle entre La rue Cases-
Nègres et Rue
Cases-Nègres
43
1.2.1 Différence d'ensemble
43
1.2.2 Différence énonciative
et narratologique
45
1.2.3
Différence des temps forts
48
1.3 Parties du roman susceptibles
d'être portées sur écran qui ne
l'ont
pas été
55
1.3.1 Retour de José et sa
grand-mère de chez sa marraine
57
1.3.2 Récit de M'man Tine à
propos de sa jeunesse (« flash-back »).
59
1.4 Adaptation ou recréation
artistique
60
CHAPITRE II : LES PERSONNAGES
62
2.1 La consistance et l'itinéraire
des personnages principaux
62
2.1.1 José : approche
socio-historique
62
2.1.2 M'man Tine : la fée du
récit
64
2.1.3 Médouze ou la
réhabilitation de l'oralité
67
2.1.4 M'man Délia, la grande absente
du film
70
2.1.5 Les autres personnages
71
2.3 Schématisation de La rue
Cases-Nègres
73
2.2.1 L'actant
74
2.2.2 Le rôle
74
2.2.3 Le personnage
75
2.2.4 Le
comédien-interprète
75
CHAPITRE III : LE TEMPS ET
L'ESPACE
77
3.1 Le temps
77
3.1.1 Le temps et l'image
cinématographique
77
3.1.2 Les trois aspects du temps de La rue
Cases-Nègres
78
3.1.2.1 L'ordre
78
3.1.2.2 La fréquence
81
3.1.2.3 La durée
82
3.1.3 Rapport nombre de pages /
durée du film
84
3.2 L'espace
86
3.2.1 Hiérarchie topographique de La
rue Cases-Nègres
87
3.2.2 Les champs de cannes, lieu de
souffrance
89
3.2.3 L'école, lieu de
désillusion
90
3.2.4 La ville, lieu de
ségrégation raciale
92
CHAPITRE IV : BILAN ET PERSPECTIVES
94
4.1 La question de la réception
94
4.1 Relation entre la consommation
audiovisuelle et la lecture de La
rue
Cases-Nègres
95
4.2. De la réception du roman et du
film : réflexions faites
98
4.3 Les rapports
génériques
99
4.4 Le point de vue de l'auteur
101
4.5 Synthèse : d'un
chef-d'oeuvre à l'autre
103
CONCLUSION
105
BIBLIOGRAPHIE
110
Remerciements
Ce mémoire n'aurait pas vu le jour, sans les
encouragements et la collaboration de différentes personnes, à la
fois, à l'Université Nationale du Rwanda, dans ma famille et dans
d'autres institutions.
Koulsy Lamko fut le premier à me proposer d'orienter
mes recherches dans le domaine de l'adaptation cinématographique dans un
entretien après le cours de « littérature et
cinéma ».
A la présentation de mon projet au département
de Langue et Littérature Françaises, mon ambition fut
attisée par Docteur Gasibirege Rose et l'équipe qu'elle
dirigeait. Grâce à leurs encouragements, l'idée
d'écrire ce mémoire commença à prendre forme. Leur
collaboration ne me fit jamais défaut.
La réalisation des recherches fut rendue possible
grâce au Docteur Kayishema Jean-Marie qui accepta d'en assurer la
direction. Les conseils et les directives qui émanèrent de son
expérience resteront le pilier de mon texte.
Toute ma famille, surtout ma mère Nyirabageni
Christine, ma tante Usabyimbabazi Joséline et plusieurs de mes voisins,
plus particulièrement Nsababera Fidèle, ont travaillé jour
et nuit pour que je puisse parachever mes études.
Buntu Vénérand, Musabyimana Eustache et
plusieurs de mes camarades d'école m'ont apporté une aide
appréciable en acceptant de relire le manuscrit.
Le personnel du Centre d'Echanges Culturels Franco-Rwandais a
accepté de m'apporter de nouveaux documents sur l'adaptation
cinématographique des romans.
Que toutes et tous trouvent ici mes remerciements les plus
sincères et ma profonde gratitude.
A la mémoire de mon
père
« Donnez-moi
L'Esprit des lois
et j'en ferais un film »
Paul LEGLISE
INTRODUCTION
Depuis plus d'un siècle, l'adaptation d'oeuvres
littéraires a été une pratique cinématographique
très courante, parfois même dominante. Elle commence en même
temps que la naissance du cinéma innovée par le cinéaste
américain David Wark Griffith au début du 20e
siècle. Les cinéastes des premiers
temps « portaient sur écran » les romans qu'ils
adaptaient. Toutefois, un bon nombre de gens continuent à penser que
l'adaptation cinématographique d'un roman, d'une pièce de
théâtre, d'un poème, d'une chanson ou de tout autre
récit littéraire doit être conforme au texte de
départ pour être qualifiée de réussie. La question
suivante reste sur la bouche de jeunes chercheurs dans le domaine de
littérature et cinéma : Peut-on produire un chef-d'oeuvre
à partir d'une adaptation infidèle ? Certains critiques
disent que non, d'autres disent que oui.
Nous allons examiner cette question à travers
l'adaptation du roman de Zobel par le film de Palcy, deux oeuvres qui ont connu
une réception élogieuse. Or, la simple comparaison de surface
des deux oeuvres montre que Palcy n'a pas « collé »
au texte d'origine, celui de Zobel. Les critiques se seraient-ils
trompés en consacrant simultanément les deux oeuvres ? Ou au
contraire, Palcy doit-elle justement sa réussite au fait qu'elle ne
« colle » pas au texte d'origine ? Notre
hypothèse opte pour cette dernière alternative.
Notre hypothèse se situe donc au coeur de ce
débat non encore vraiment tranché qu'est la
fidélité de l'adaptation à l'oeuvre d'origine. D'une part,
bien des critiques ont plaidé pour la conformité de l'adaptation
cinématographique à l'oeuvre dont elle s'inspire. Aussi bien
Louis Chauvet (1950) que Lyon-Caen (1969), Olivier Dumont et René Paulin
(2000) appuient l'idée que « l'adaptateur doit supposer que
l'écrivain lui a donné l'ordre impératif de respecter
scrupuleusement son texte sans en modifier les images, leur enchaînement
ou les indications de mise en scène contenues dans son oeuvre. Il n'est
qu'un simple exécutant »1(*).
D'autre part, André Gaudreault (1988), Francis Vanoye
(1989), James Cisernos (2000) et André Gardies (1993) soutiennent au
contraire que « l'adaptation cinématographique ne consiste pas
en ce que le film tente de trouver les équivalents langagiers,
expressifs ou artistiques au texte littéraire»2(*). Penser les choses ainsi suppose
que l'oeuvre écrite est alors un modèle, une sorte d'horizon de
référence sinon une pierre d'achoppement quant à
l'évaluation esthétique. La démarche est, en un sens,
beaucoup plus pragmatique, sinon prosaïque : elle fait du texte un
réservoir d'instructions dans lequel le cinéaste puise librement.
Après avoir constaté que les avis de critiques
ne s'appuient généralement pas sur les études de cas
concrets - peu d'études existent, en effet, sur le
phénomène de l'adaptation - nous avons pensé que ce
mémoire pourrait être une contribution à la validation de
l'opinion choisie. Nous nous sommes donc engagés à
démontrer à partir du film réalisé par Ezhan Palcy
Rue Cases-Nègres adaptant La rue Cases-Nègres,
roman de Joseph Zobel, que l'adaptation ne se limite pas à sa plus ou
moins grande fidélité à l'histoire ni à la simple
reproduction de contenus. Dans la mesure où elle est, elle-même,
une opération de création culturelle, l'adaptation rejette,
intègre, ajoute des éléments et peut modifier la nature
profonde de l'oeuvre originelle en fonction le plus souvent d'un contexte
socioculturel différent. Par ailleurs, il existe toujours entre le texte
littéraire et son adaptation cinématographique un décalage
généré par la nature même du support utilisé,
l'écriture ou l'image, mais aussi par le temps écoulé
entre l'oeuvre et son adaptation. Et la réussite ne vient pas, selon
Gardies que nous appuyons, « de la reprise systématique des
parties de l'oeuvre de départ, mais aussi de ce que l'oeuvre
d'arrivée ( le film ) a suivi scrupuleusement les techniques qui lui
sont propres »3(*).
Mais l'adaptation cinématographique des romans, telle
qu'elle a été abordée par différents auteurs, ne se
limite pas à la simple reproduction de sens. Des études
récentes ont prouvé qu'une telle approche est souvent
vouée à l'échec si l'on en croit André Gardies,
Francis Vanoye, André Gaudreault, James Cisernos et bien d'autres. La
question n'est pas de savoir, par exemple, quels équivalents
cinématographiques de la description inaugurale des champs de cannes le
film va mettre en oeuvre, mais de savoir si l'instruction
« description des champs de cannes » sera retenue ou non et
comment, éventuellement, elle sera traitée narrativement à
partir des données propres au langage cinématographique.
Assurément, dans cette démarche, la notion de « porter
sur écran » ne trouve pas son compte puisque sa dimension
linéaire est rejetée. Pourtant, il n'est pas impossible de
réintroduire la question de fidélité à l'oeuvre de
départ si l'on procède au groupement des équivalences, ou
encore des différences et contrastes.
Si le roman et son adaptation cinématographique ont en
commun la narrativité, ils restent irréductibles quant à
leur écriture. Dans cette perspective, le texte littéraire sera
comparé au film qui en découle grâce aux techniques
narratologiques.
Opter pour la narratologie, revient cependant à se
placer à un carrefour de tendances. Les auteurs comme Roland Barthes,
Christian Metz, Gérard Genette, et Francis Vanoye ont, chacun à
son époque, enrichi la théorie qui avait été
initiée par Griffith. C'est pourquoi nous avons tenu en
considération tous ces théoriciens ainsi que d'autres qui
seront précisés dans notre exposé méthodologique.
Toutefois, nous avons, dans ce travail, privilégié la
méthode narratologique tel que définie par Gérard Genette
(1972) et adaptée au récit filmique par Francis Vanoye (1993)
pour plusieurs raisons : d'abord, ces auteurs sont beaucoup plus
exhaustifs dans leurs traitements narratologiques des récits, ensuite,
Vanoye semble compléter les lacunes de Genette en matière
cinématographique, et enfin, leurs théories
« collent » très bien à notre corpus.
En plus de la méthode narratologique, nous nous sommes
servis de la sémiotique. Nous avons fait appel à Algilda-Julien
Greimas (1970) à qui nous avons emprunté le schéma
actantiel enrichi par les études d'Anne Goliot-Lété et
Francis Vanoye en ce qui concerne l'analyse des personnages filmiques. Nous
avons également fait appel à Goldman et Lukacs dont les
théories en matière de sociologie de la littérature nous
ont aidé à étudier le comportement du public face au roman
de Zobel et au film de Palcy.
Avec cette démarche, l'option retenue sera
claire : centré d'abord sur le romanesque, le regard se concentrera
ensuite sur le filmique pour en établir la comparaison. C'est donc
à souligner l'écart de la narration filmique vis-à-vis de
la narration romanesque que ce mémoire s'attachera.
En ce sens, le cheminement de notre travail s'en trouve
indiqué. Dans la première partie, il sera question de la
théorie sur l'adaptation cinématographique des roman en
général, mais aussi de l'exposé des méthodes qui
nous ont guidé. Avec la deuxième partie, c'est au monde
diégétique du roman du corpus que nous nous intéresserons,
notamment en nous attardant sur les personnages, le temps et l'espace. Un
chapitre de synthèse viendra clôturer le travail en
établissant les rapports génériques et en mesurant la
réception que le public a réservé à ces deux
oeuvres, l'une par rapport à l'autre. C'est à ce niveau que nous
allons donner notre point de vue sur la réussite ou l'échec de
l'adaptation de Palcy.
Ce travail se veut donc une mise au point sur l'autonomie de
l'adaptation cinématographique à travers le modèle offert
par Euzhan Palcy dans son adaptation du roman de Joseph Zobel, tous deux
Martiniquais.
PREMIERE PARTIE :
THEORIE ET METHODOLOGIE
CHAPITRE I :
CONSIDERATIONS THEORIQUES
1.1 Littérature et
arts
L'étymologie du mot littérature vient du latin
« litteratura » qui signifie
« écriture ». La littérature est donc
l'ensemble des textes écrits dans une perspective esthétique et
qui se réalisent à travers divers genres : roman,
poésie, nouvelle, théâtre, conte etc. Le Petit Robert
définit le terme comme « l'ensemble des oeuvres écrites
dans la mesure où elles portent la marque de préoccupations
esthétiques ; les connaissances, les activités qui s'y
rapportent ». Cette vision reste cependant partielle depuis que la
critique admet, de façon paradoxale, la notion de littérature
orale qui se définit par l'ensemble de tout ce qui a été
dit, généralement de façon esthétique,
conservé et transmis verbalement par un peuple et touchant la
société entière dans tous ses aspects.
La littérature ne se résume donc pas à ce
qui est écrit. Cependant, ce que l'on peut retenir de façon
synthétique, c'est que, dès lors que l'actualisation du langage
se fait par un discours oral ou écrit avec une recherche de sens second
et de techniques de mise en valeur, - Roland Barthes parle du « Sens
d'une infidélité » - , l'on se trouve en face d'un
phénomène littéraire.
La littérature est de ce fait un art puisque l'on y
rencontre un projet esthétique qui implique un savoir-faire. Dans le
concert des arts, la perception de la littérature a toujours
été centrale. Si, chez les Grecs, la rhétorique tenait une
place prépondérante dans l'éducation civique, pendant le
Moyen Âge, des sept arts constituant l'essentiel de l'enseignement en
faculté des arts, la littérature constituait sous la forme d'un
trivium grammaire, rhétorique, dialectique, une part importante du
programme. Le reste étant dévolu au quadrivium,
arithmétique, géométrie, musique, astronomie.
De nos jours, l'on distingue plusieurs types de
classifications sur lesquelles il n'est nullement important de s'attarder. Il
est difficile sinon pratiquement impossible de réaliser un film avec
juste la caméra sur l'épaule sans une formulation de la
pensée. L'on pourrait à juste titre dire avec Paulin Soumanou
Vieyra que « tous les films documentaires et de fiction, de court
comme de long métrage, procèdent presque toujours de l'adaptation
d'une expression à une autre. Généralement de l'expression
littéraire à l'expression
cinématographique »4(*). Le cinéma peut également adapter la
musique, la danse, le chant, etc.
1.2 Ecriture filmique et techniques du
roman
1.2.1 Temps et construction dans le
récit romanesque
On entend par récit tout texte littéraire :
roman, poésie, nouvelle... Ici, nous nous intéresserons aux
éléments fondamentaux d'un texte littéraire romanesque. Le
récit reste un terme ambigu dont nous ne retiendrons que trois notions
fondamentales :
- Dans son sens le plus courant, c'est un énoncé
narratif, bref un discours.
- Chez les théoriciens et analystes, c'est le
déroulement successif de faits et d'événements historiques
rapportés. Il existe des relations d'enchaînement, d'opposition ou
de répétition.
- C'est, en définitif, l'acte de raconter une
histoire : la narration.
Pris comme une histoire, le récit est dominé par
l'action. Il fonctionne selon un ordre le plus souvent contorsionné, ce
qui est à la base de quelques apparences de désordre. Il
s'agît de retrouver cette structure interne du récit.
Schématiquement il y a une évolution en trois
étapes : La situation initiale, le noeud (point culminant) et le
dénouement.
Dans Esthétique du film, Marc Vernet5(*) reprend l'opérationnelle
tripartition de Gérard Genette : récit /narration
/histoire-diégèse pour l'appliquer au film.
L'histoire, nous dit-il, est « le
signifié, le contenu narratif ». Le terme
diégèse, proche mais non synonyme d'histoire (car d'une
portée plus large), désigne l'histoire et ses pourtours,
l'histoire et l'univers fictif qu'elle présuppose (ou post-suppose), en
tout cas qui lui est associé. Ce terme présente le grand avantage
d'offrir l'adjectif « diégétique » (quand
l'adjectif « historique » s'avère inutilisable). Et
du même coup une série d'expressions bien utiles telles que
« univers/monde diégétique »,
« temps/durée diégétique »,
« espace diégétique », « son,
bruit, musique diégétique (ou
extra-diégétique) »6(*). A propos de la voix, Christian Metz parle de
« péridiégétique »7(*) pour signifier la voix d'un
narrateur qui se situe à la lisière de la diégèse
et de « juxtadiégétique » pour la voix du
personnage-narrateur qui accompagne l'histoire. C'est la
« voix-je » de Michel Chion.
Le récit est donc construit autour d'une intrigue,
c'est-à-dire d'un fil conducteur. Dans un récit, l'histoire
évolue à travers des personnages. Il y a plusieurs
définitions du personnage. Il faut retenir ici que c'est celui qui agit.
En parlant des personnages, nous voudrions préciser l'importance du
héros. Au sens étymologique, le héros veut dire
« Homme Dieu (Hercule) ». Il est par extension celui
qui se distingue par des actions éclatantes, des vertus morales,
souhaitables et exemplaires. Il est le personnage central, «un produit
combinatoire »8(*)
selon Barthes. Il est à l'intersection de tout l'univers
créé et entouré d'opposants et d'adjuvants.
Dans son aspect de discours, le récit est rarement
linéaire, insipide (sans goût). Les écrivains emploient
toujours des ingrédients pour donner plus de saveur à leur
création. Pour faire correspondre le schéma du récit et
les procédés littéraires, les auteurs utilisent des
techniques pour créer leurs oeuvres. Ce sont les procédés
de narratologie, rattachés aux notions de conjugaison : temps,
mode, voix.
1.2.2 Temps du récit et temps dans le récit
romanesque
La notion de temps n'est pas seulement liée aux temps
de la conjugaison mais aussi aux temps de la nature, aux temps qui
s'écoulent. Cette notion de temps va nous renvoyer au temps du
récit et au temps de l'histoire et entre ces deux temps, la comparaison
nous amènera à parler d'ordre des séquences, de
durée et de fréquence. Tout est régi, selon Genette, par
les relations entre temps de l'histoire et les pseudo temps du récit,
c'est-à-dire les rapports entre l'ordre temporel de succession des
événements dans la diégèse et l'ordre pseudo
temporel de leur disposition dans le récit, les rapports entre la
durée variable de ces événements, ou segments
diégétiques et la pseudo durée ( en fait, longueur de
texte ) de leur relation dans le récit : rapport donc de vitesse,
rapport enfin de fréquence, c'est-à-dire les relations entre les
capacités de l'histoire et celles du récit.
1.2.2.1 L'ordre des séquences
La séquence est une unité d'action avec une
logique interne et une signification en dehors des autres unités. Il y a
plusieurs ordres dans la présentation des séquences. Selon
Genette9(*) :
§ L'analepse est un flash-back ou un retour en
arrière (rétrospection). C'est le retour du récit d'une
action passée par rapport à l'histoire suivante.
§ Le prolepse est une anticipation, le récit
anticipé d'une action qui ne s'est pas encore déroulée.
§ L'enchâssement est un procédé
très fréquent dans le roman. Un narrateur (personnage 1)
rencontre un autre personnage. Le personnage 2 devient narrateur à son
tour. Les strates enchâssées peuvent être supprimées
sans gêner la cohésion de la narration.
1.2.2.2 La notion de durée : typologie de
Genette
La durée est le rapport entre le temps véridique
de l'action et le temps de sa relation. Quand la durée du
récit :
§ Est égale au temps de l'action, la durée
est une scène, c'est-à-dire que le récit et le
déroulement sont simultanés.
§ Le temps du récit, supérieur au temps de
l'histoire. Ici, le temps de l'histoire est dit temps statique, sans
durée. L'on a alors des descriptions, c'est-à-dire des
détails sur des choses ou des objets statiques. On parle alors de
pause.
§ Le temps du récit, inférieur au temps de
l'histoire. C'est le cas du film, d'un résumé. On a alors des
ellipses. Cette structure se retrouve au cinéma et « si
dans un roman sont décrits dans un chapitre des événements
du jour et dans un autre des dizaines d'années, il y aura certainement
différence de plans dans le film »10(*).
1.2.2.3 Fréquence singulative, fréquence
itérative
La fréquence est le rythme auquel les
événements sont racontés. En narratologie c'est
l'observation que l'on fait de l'occurrence à laquelle
l'événement est raconté. Le même
événement peut être raconté une fois ou plusieurs
fois. Et un fait pris en charge peut être repris plusieurs fois. Pour
Genette, il ne faut considérer que le premier aspect.
§ Fréquence singulative : l'on raconte une
fois ce qui s'est passé une fois. L'occurrence correspond à
l'histoire.
§ Fréquence itérative : l'on raconte
une fois ce qui s'est passé plusieurs fois. Fontanille estime qu'il faut
aussi envisager :
- La fréquence répétitive dès lors
que l'on peut avoir plusieurs occurrences pour plusieurs
événements dans le but de créer l'effet d'obsession.
- La nécessité de faire part de
l'événement qui est arrivé une fois mais a
été raconté plusieurs fois.
1.2.3 Le Mode d'exposition dans le récit
romanesque
Dans la conjugaison, il y a six modes. C'est la manière
dont le verbe exprime l'action ou l'état. En narratologie, c'est la
manière dont l'auteur raconte son histoire, c'est-à-dire le point
de vue auquel il se place par rapport à ce qu'il dit. C'est sa position
face à ce qu'il raconte. Dans ce cas, il y a plusieurs
possibilités. Il peut être un simple observateur (description
extérieure). Ou bien il peut faire partie intégrante de
l'histoire (participation, autobiographie). C'est là qu'intervient la
notion de distance.
Il faut donc déterminer le type de relation qui existe
entre le narrateur et les personnages. Ces différents types de relations
sont définis par les différentes focalisations. La focalisation,
c'est le fait de fixer l'intérêt sur un point précis. Les
différents modes dépendent de l'intérêt que le
narrateur accorde à ses personnages. Plusieurs appellations apparaissent
suivant les auteurs :
Genette11(*)
|
Pouillon12(*)
|
Todorov13(*)
|
Focalisation zéro
|
Vision par derrière
|
Narrateur en sait moins que le personnage
|
Focalisation interne
|
Vision avec
|
Narrateur en sait autant que le personnage
|
Focalisation externe
|
Vision du dehors
|
Narrateur en sait plus que le personnage
|
1.2.4 Focalisation et perspective : roman/cinéma,
analyse de Genette
Genette parle de perspective. Pour lui, il y a le monde
cité qui est l'univers de l'énonciation venant d'ailleurs et le
monde narré qui est le monde de l'événement. La
perspective se décrit donc en terme de mode comme focalisation,
point de vue ou centre de l'intérêt. D'après Iouri Lotman,
« le concept de point de vue est analogue au concept de raccourci en
peinture et au cinéma »14(*) Par rapport à un énoncé narratif
élémentaire de type conflictuel, la linéarité du
discours empêche la superposition. Le choix se fait d'une perspective
à l'autre. Pour lui, la question à se poser est la
suivante : où se détermine le filtre ? La
réponse est claire ! C'est au niveau du foyer : c'est la
notion de foyer qui implique celle des types de focalisation :
- Pour la focalisation interne : dans un personnage ou
dans son voisinage le filtre est l'ensemble de ce qui se passe à
l'intérieur.
- Pour la focalisation externe : le foyer est hors du
personnage. On n'a pas accès à ce qui se passe à
l'intérieur du personnage.
- Pour la focalisation zéro : le filtre est
variable et indéterminé. Le foyer se trouve quelque part, un
filtre avec ses propriétés ; mais on ne sait dire où
il est impliqué. Il n'obéit pas à un principe
déterminé du personnage.
1.3 Les parties et les temps forts du
scénario
1.3.1 L'exposition
C'est la partie initiale du scénario dans laquelle sont
exposés au spectateur les différents éléments et
points de départ à partir desquels l'histoire qui va être
racontée va pouvoir fonctionner : les personnages principaux, le
cadre, la situation de départ, la première perturbation.
C'est, pour Swain, l'introduction d'une information
nécessaire sur le passé des personnages qui est nécessaire
pour la compréhension du récit. Il doit, selon lui, comporter une
« accroche » et un « commitment »,
c'est-à-dire un engagement vers le but qui devrait intervenir le plus
vite possible, pour ne pas laisser les personnages inactifs. C'est le lieu du
film où l'on doit avoir la plus forte concentration d'informations.
C'est à l'habileté dans l'exposition que l'on reconnaît le
scénariste expérimenté. L'exposition est difficile
à réaliser car on veut donner le maximum d'information en un
minimum de temps. L'art de l'exposition consiste à dramatiser une
communication d'informations. C'est pourquoi il ne faut pas trop donner l'air
de faire une exposition. Elle doit contenir les informations indispensables
à une meilleure découverte (où et quand sommes-nous ?
Qui sont les personnages, quels sont leurs liens parentaux, leurs
situations professionnelles et familiales, qu'est-ce qui est nécessaire
à la compréhension du début de l'histoire et ce, sans la
transformer en une espèce de fiche statique où des gens qui se
connaissent bien se raconteraient les uns aux autres). Il est important de
créer une scène qui comporte une petite part de conflit si bien
que les personnages semblent amenés par la situation à dire ce
qu'ils disent plutôt que de le dire pour faire plaisir au
scénariste. Elle doit être de durée limitée, ne pas
être trop longue, ne pas être trop apparente, ne pas être
trop obscure.
1.3.2 La progression continue
Au cinéma, la loi de la progression continue est celle
qui veut que la tension dramatique soit conçue pour aller en croissant,
jusqu'à la fin, jusqu'au climax. Il faut donc que les
éléments les plus frappants et surtout les émotions les
plus fortes soient prévus pour être donnés à la fin
du film, au terme d'une montée. Boileau disait déjà avant
la naissance du cinéma que le trouble de scène en scène
doit être toujours croissant. Hitchcock à son tour pose la
progression continue comme un principe. Selon lui, il faut que le film monte
toujours comme un train à crémaillère. Swain estime que la
progression doit être comme un escalier à monter, tandis que pour
Nash Oakey, un scénario est une situation de crises, chacune plus grave
que la précédente, et menant au climax qui vient souvent vers la
fin de l'histoire. Pour Jean-Claude Carrière, il faut que toute
scène avance en répondant à d'autres questions qui ont
été posées précédemment, et en ouvre
d'autres. Quant aux conditions de la progression, il faut dire que le
cinéma est plus intéressé que le roman à maintenir
une progression continue. Vale estime que la loi de la progression doit
s'appliquer à tout élément de l'histoire. Chaque
caractérisation doit grandir jusqu'à la fin. Chaque
émotion doit être graduellement accentuée. Chaque
décision doit être lourde de conséquences. Il ne faut donc
pas commencer le film par un événement si fort qu'il ne permette
plus aucune progression. Il est alors necessaire de choisir les émotions
et les caractérisations qui rendent possible une gradation.
1.3.3 Le climax
Dans le film, c'est le point culminant (en émotions, en
drame, en intensité) de sa progression dramatique. Il se situe en
principe, dans les cas les plus courants (construction à progression
dramatique), vers la fin du film. Après le climax, il ne peut y avoir
que des scènes de résolution et de détente. C'est le
moment du scénario où le conflit entre le désir du
personnage et les dangers qu'il court atteint son point culminant. Il n'est ni
nécessairement une scène violente, ni un coup de
théâtre. Pour Herman, il est l'aboutissement d'une série de
crises, dont il constitue la plus importante. Il donne une issue à
l'histoire en menant le personnage principal vers la fin d'un épisode
particulier de sa vie (qui peut être le dernier), mais il peut aussi ne
pas déboucher sur une résolution complète du
problème. Les temps forts sont les moments où l'émotion de
toute nature (attendrissement, rire, peur, surprise...) est amenée
à un haut niveau, plus haut qu'immédiatement avant ou
immédiatement après. C'est un climax localisé ; il se
prépare plus ou moins longuement. Il peut se créer avec une
action ou des répliques. Bien des films utilisent le principe «trop
de temps forts équivaut à plus de temps forts».
1.3.4 Le dénouement
Tout scénario a un dénouement qui, dans la
plupart des cas, est sensé résoudre (ou tout au moins donner une
réponse) à chacun des conflits exposés au cours du
récit. Il est bon que le dénouement naisse de l'histoire
même, des données de cette histoire et non pas de l'intervention
magique et inopinée d'un élément extérieur (un deus
ex machina surtout dans le cas d'un dénouement heureux). Dans un film,
tout comme dans un roman il y a plusieurs sortes de dénouement : Le
dénouement comme achèvement d'un cycle, le dénouement
comme fin ouverte ou fermé, le dénouement en morceau de bravoure,
le dénouement heureux ou « happy end »...
Dans la construction du scénario, on fait aussi recours
aux différentes techniques de création littéraire. C'est
surtout le cas du coup de théâtre et du
« flash-back ». Le coup de théâtre
(peripeteia) est un brusque revirement qui modifie la situation et la fait
rebondir de façon imprévue, que ce soit l'intrusion d'un
élément ou d'un personnage nouveau, un changement de fortune, la
révélation d'un secret ou d'une action qui tourne dans le sens
contraire de celui qui était attendu. Pour Aristote, c'est le revirement
de l'action dans le sens contraire en suivant les lois de la vraisemblance et
de la nécessité. Pour Diderot, c'est un incident imprévu
qui se passe en action et qui change subitement l'état des personnages.
Il repose beaucoup sur l'effet de surprise et entraîne souvent, pour les
héros, un changement de fortune mais aussi des révélations
inattendues ainsi que des redéfinitions de leur statut.
Le retour en arrière ou
« flash-back » pose des problèmes spécifiques
au cinéma, en raison du fait que la narration cinématographique
ne connaît pas les temps du récit écrit :
passé, imparfait, présent, futur. Elle se raconte au
présent. L'on a souvent essayé au cinéma de signifier le
« flash-back » par des procédés
d'enchaînement et de déformation de l'image, qui se trouble,
change de couleur, va au noir et blanc. Ce qui importe c'est que le spectateur
comprenne que l'on est en « flash-back » quand bien
même l'action est racontée au présent. Un film en
« flash-back » peut commencer sur le dénouement
fatal et le film sera alors le récit de ce qui a
précédé le dénouement fatal, l'engrenage. On se
remémore et l'on raconte à un tiers. C'est ce genre de
récit que nous retrouvons dans le grand film Titanic.
1.4 L'espace dans le roman et le film
1.4.1 L'espace dans le roman
Gaston Bachelard15(*) appelle topo-analyse l'étude de l'espace.
Selon lui, il existe deux sortes d'espace qu'il faut toujours
différencier lors de l'analyse du roman ou du film : l'espace
fictif et l'espace réel. Nous intéresse ici l'espace fictif,
c'est-à-dire celui dont parle un texte ou qu'il évoque. C'est cet
espace abstrait que l'écrivain doit construire par imagination. Le
premier but d'un espace c'est de servir de cadre à l'action, de situer
la scène, de manifester les personnages, de servir de décor,
d'être un lieu de lecture possible.
Cependant, le choix d'un espace peut influencer
énormément la créativité, la faciliter ou au
contraire l'inhiber. L'espace peut même être le point d'ancrage de
l'inspiration. Il faut faire en sorte qu'il ne fonctionne pas seulement comme
un décorum, mais qu'il soit actant, que son occupation en fasse un
élément déterminant dans l'histoire qu'on raconte. En
narratologie, l'on parle d'isotopie. L'espace dans un roman est
hiérarchisé et permet parfois d'identifier, à travers les
isotopies dominantes, le type de roman ; par exemple Sous l'orage
de Seydou Badian se déroule en grande partie dans la ville. Cependant,
à un moment donné de l'intrigue, les héros sont
envoyés au village d'où ils reviendront transformés. Pour
situer une action, il faut aller vers des types d'espace susceptibles de
faciliter l'installation des personnages. On doit d'abord répondre
à ces deux grandes questions : « Où est-ce que je
situe mes personnages, mon action ? Quels sont les avantages et les
inconvénients que présente le lieu
choisi ? ». On distingue différents types d'espace
dramatique, chacun ayant ses caractéristiques.
1.4.1.1 L'espace lié à la grande ville
La grande ville, c'est le lieu où se côtoient des
milliers d'individus de toute race, âge et profession. C'est un lieu de
rencontres inattendues, de changement rapide de fortune, de chance ou de
débâcle, de ruine, un lieu également de conflits ethniques,
d'injustice sociale, de rapports internationaux, du pouvoir corrupteur de
l'argent, des tragédies de solitude, d'amour avorté, d'engouement
brusque, de débat, de vie trépidante sans âme, de
prostitution, de succès, ...une jungle en un mot.
1.4.1.2 L'espace d'interface
Les lieux de frontières sont intéressants pour
l'ailleurs qu'ils suggèrent, pour le mode de vie instable qu'ils
laissent supposer. Un port appelle des dockers, la drogue, la prostitution. Un
château esseulé appelle l'intrigue alambiquée avec meurtre,
un entrepôt abandonné appelle les bandes de délinquants,
etc.
1.4.1.3 Les huis clos ou espaces fermés
Ce sont des espaces intéressants : chambre,
prison, île, avion en vol, ascenseur bloqué, bateau, bref les
lieux où l'espace géographique réduit impose la
promiscuité, l'étouffant, l'intimité, le clos. C'est un
espace d'intrigue forte où se révèle la psychologie des
personnages.
1.4.1.4 Les espaces ouverts
Ce sont les lieux ouverts : les plaines, les
déserts, les paysages sans bornes où se déroulent des
actions épiques. Le héros conquérant y est
confronté à la nature et aux hommes. Ce genre d'espace peut
inspirer des drames romantiques et des conflits inattendus. La plupart les
films western se déroulent dans des plaines étendues du
« far west »
1.4.1.5 Le décor héros
Quand le décor peut inspirer à tel point que
l'intrigue se confectionne par rapport à lui, que les actions n'ont de
sens que par rapport à lui, il fonctionne alors comme un actant.
Parfois, il faut travailler à en faire le point d'enracinement de la
créativité.
Il faut ici attirer l'attention sur le fait que le bon
écrivain sait suggérer des espaces qui, parfois, défient
le bon sens. L'on n'est pas obligé de se confiner à l'usage
habituel que l'on fait des lieux et de façon réaliste. On peut
faire prévaloir la symbolique d'un espace sur la réalité
de l'usage habituel, enfermer des hommes dans une citrouille, par exemple. Pour
l'énonciation, souvent quand il s'agit de sketch, c'est dans les
didascalies, les indications scéniques que l'on précise l'espace.
Mais le discours des personnages, les actions peuvent aussi structurer
l'espace, le suggérer.
1.4.2 L'espace au
cinéma : le mouvement de la caméra
Dans un texte déjà ancien (1967),
réédité en 1986, Noël Burch, à partir d'une
démarche empirique, posait les bases d'une première approche
structurelle de l'espace au cinéma. Il se compose en fait de deux
espaces : celui qui est compris dans le champ et celui qui est hors
champs. La définition qu'il donne de l'espace du champ est
extrêmement simple. Il est constitué par tout ce que l'oeil
perçoit sur l'écran. L'espace hors champ est,
à ce niveau d'analyse, de nature plus complexe. Il se divise en six
segments selon Burch16(*).
Les confins immédiats des quatre premiers segments sont
déterminés par les quatre bords du cadre. Le cinquième
segment se réfère à l'existence d'un espace hors
champ « derrière la caméra ». Enfin le
sixième segment comprend tout ce qui se trouve derrière le
décor (ou derrière un élément de décor). A
l'extrême limite, ce segment d'espace se trouve derrière
l'horizon.
A ces six segments élémentaires de l'espace de
Noël Burch s'opposent les trois niveaux de l'espace d'Eric Rohmer17(*) : l'espace pictural,
c'est-à-dire, l'image cinématographique
projetée sur le rectangle de l'écran et perçue comme la
représentation plus ou moins fidèle de telle partie du monde
extérieur ; l'espace architectural, c'est-à-dire l'existence
objective de ces parties du monde fabriqué et l'espace filmique,
c'est-à-dire l' espace virtuel reconstitué dans l' esprit du
spectateur à l'aide des éléments fragmentaires que le film
lui fournit.
Si, dans un roman, cet espace est dit, raconté ou
décrit, au cinéma il est montré. Sans rien nier des
notions d'espace telles que définies dans le roman, l'approche au
cinéma est encore plus rigoureuse puisque technique. La description de
l'espace doit donner des renseignements sur ses trois éléments
essentiels qui sont le décor (description du lieu où va se
dérouler l'action contenue dans le film), l'action (ce qui se passe
à l'intérieur du plan) et le costume (vêtements
portés par les personnages qui sont assez souvent significatifs).
L'ensemble de ces éléments permet de changer la
représentation du contenu, de donner le caractère de la
représentation cinématographique, son sens, son style.
En somme, nous allons retenir, avec Gérard Betton
que « le cinéma jouit d'une maîtrise totale de
l'espace. Le réalisateur se contente très rarement de reproduire
un espace global tel qu'il est. Il crée un espace purement conceptuel,
imaginaire, structuré et quelquefois
déformé »18(*).
1.5 La construction du personnage dans le roman et le
film
Pour aborder les notions relatives aux personnages, il est
important de bien distinguer les notions de personnage, rôle, actant et
comédien, ce qui permet d'avoir un bon usage des terminologies.
Selon André Gardies19(*) : Le personnage est une personne
imaginaire représentée dans une oeuvre de fiction. Son propre est
d'appartenir au monde diégétique que propose le récit et
de s'y définir. L'actant est un terme qui définit le personnage
d'une oeuvre narrative en tenant compte de la fonction qu'il occupe dans le
système du récit (sujet, objet, destinataire, destinateur,
opposant ou adjuvant). C'est une force agissante au sein du monde
diégétique, un facteur de la dynamique du récit.
Le rôle par contre, est une entité culturelle,
préexistant à l'oeuvre, qui apparaît comme une figure
relativement stable, susceptible néanmoins d'accepter des variations
mineures (exemple : le rôle de Tarzan) tandis que le comédien
est une personne réelle qui interprète le rôle ou le
personnage d'un récit fictionnel.
1.5.1 Le personnage dans le
récit romanesque
Un récit peut être centré autour d'un ou
de plusieurs personnages. Tout le récit peut poursuivre pour objectif la
peinture d'un caractère, la mise en action de ce caractère au
travers d'un héros. Assez souvent le récit sert à raconter
l'aventure d'un personnage ou de plusieurs à partir desquels le lecteur,
par un processus d'identification ou de distanciation, se reconnaît ou
reconnaît une époque, une société. Le bon romancier
se donne pour objectif de faire aimer ses personnages. Mais aimer est un mot
vague. Les Grecs anciens avaient, pour exprimer l'idée d'aimer, trois
mots : éros, agapê et philia. Ce qui renvoie à la
conception qui fait de l'être un sujet à trois dimensions :
l'âme vitale, l'âme sensitive et l'âme pensante. Le romancier
s'efforce à faire de sorte que son personnage soit aimé au niveau
pulsionnel, affectif et intellectuel. L'on parle du triple amour du
héros : catharsis (qui s'opère au niveau des purgations des
passions), aisthesis (le sentiment affectif) et poeisis (acte créateur,
stratégie du romancier qui permet de passer son message personnel et qui
nous enrichit de nouvelles informations). Son but à travers le recit est
donc de :
- Figurer le personnage
- Faire croire à son existence réelle
- Légitimer ses actions
- Faire comprendre ses attitudes, ses actions, ses
motivations
- Emouvoir le lecteur pour l'intéresser au
personnage
- Entraîner le lecteur à la découverte de
l'humanité
Le personnage est différent de personne. Dès
lors que l'on se trouve en situation de fiction, même si l'on s'appuie
sur une réalité, même si l'on est en situation de
biographie, l'on est en face d'un personnage. Il peut être un objet
surtout dans le conte où l'on parle d'actant parce que même les
objets font des actions. Le personnage se définit par un
rôle. Il est protagoniste, personnage secondaire ou figurant. Il
existe plusieurs types de personnage : l'avare, le cocu, le jeune premier,
la femme acariâtre, la sorcière etc. Le caractère du
personnage, s'il est bien défini, permet de repérer la motivation
et de tisser des intrigues intéressantes.
Dans plusieurs types de roman et selon les époques, la
perception du personnage ou la façon dont il est introduit et
traité a changé. Le roman classique veut
que l'on parte du rationalisme classique de l'idée, que le personnage
ait une essence qui précède l'existence : un noble
était né noble et ne devait s'adonner qu'à des actions de
noble, un paysan de même. Un traître était
déjà marqué par sa traîtrise sur la figure.
L'être, le paraître et l'agir sont en correspondance dans une
vision ordonnée des classes sociales.
Le roman réaliste au 19e siècle a mis
en valeur la physionomie des personnages comme révélatrice de la
personnalité profonde des individus. L'on a tenté de mettre en
place une science des caractères. Le roman balzacien s'inscrit dans
cette vision. Chez Zola, le roman naturaliste met tout le poids sur
l'hérédité. Le personnage porte la marque de
l'hérédité et son action est déterminée par
une espèce d'atavisme caractérisant son être et provenant
de son ascendance.
Le roman moderne et le nouveau roman font irruption au
20e siècle, renforcés par l'éclosion de la
psychanalyse et des sciences sociales. Cela va changer profondément la
création et les écrivains vont jusqu'à dénoncer le
procédé du narrateur omniscient qui, de l'extérieur, est
capable de lire dans la conscience des autres comme à livre ouvert. Il
faut dire que de nos jours, le personnage de roman est envisagé sous
plusieurs aspects selon les types ci-haut énumérés
(classique, réaliste, moderne et nouveau roman).
1.5.2 Le personnage au
cinéma
Parmi les objets qui peuplent le monde
diégétique, le personnage occupe incontestablement une place
prépondérante. Autour de lui et par rapport à lui
s'organise le récit en même temps qu'il est
généralement source et support d'une intense activité
d'identification. Cela est probablement plus sensible encore au cinéma
puisque, à la différence du roman où il n'existe que sous
forme de traces typographiques -où il n'est, suivant l'expression de
Philippe Hamon20(*)
qu'un « être de papier »-, il est présent
sous la forme de sa réalité analogique d'image et de sons. Il est
un « être iconique » et par-là ressemble
étrangement aux personnes de la vie réelle.
S'interrogeant sur le problème du personnage au
cinéma, Iouri Lotman établit un parallélisme entre le
comédien de théâtre et le personnage de roman pour mieux
cerner la spécificité de l'acteur dans le film. Selon lui,
« l'homme à l'écran s'apparente beaucoup plus à
l'homme dans le roman et se distingue de l'homme à la
scène »21(*). La possibilité de retenir l'attention sur des
détails de l'apparence extérieure par un gros plan ou en faisant
durer l'image sur l'écran existe intégralement dans le roman sous
la forme de description détaillée tandis que sur scène
elle est pratiquement impossible.
Un personnage de film se définit, pour Sidney
Field22(*) à trois
niveaux : professionnel (le point de départ de la
caractérisation ), personnel (sa famille, ses amis), et intime. Il
ajoute que le personnage étant le fondement du scénario, il faut
le connaître avant de mettre un mot sur le papier.
1.5.3 Le personnage comme signe
Entre le personnage du scénario (voire du roman en cas
d'adaptation) et celui du film effectivement réalisé, il aura
donc fallu passer par le « casting » et choisir les divers
interprètes. En ce sens, le personnage au cinéma décline
une double identité : celle de l'acteur-interprète
(comédien) et celle du personnage. En témoigne du reste l'usage
fréquent et l'emploi souvent indifférencié de l'une ou de
l'autre désignation. C'est donc là une différence majeure
et évidente avec le récit écrit.
Cependant, ce que je vois sur l'écran, ce n'est pas
l'acteur mais une image de lui. Sa réalité perceptible et
sensible est faite d'images et de sons. Là se situe une autre
différence avec le roman (avec le théâtre aussi mais pour
des raisons exactement inverses puisque sur la scène les
comédiens sont bien réels) où le personnage est fait de
manière linguistique. Dans la perspective sémio-narratologique,
cette différence de signifiant apparaît comme fondamentale
dès lors qu'il s'agit de décrire le personnage comme un signe.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit, au moins à un premier niveau. En
tant que signe, il appartient à un système, le système
textuel, duquel il tire sa valeur. Il a ensuite une valeur, son sens, son
signifié.
Le personnage sera donc analysé comme un signe saisi au
sein du système textuel, avec sa face signifiante et sa valeur, à
quoi il conviendra d'ajouter son fonctionnement narratif. Cela ne signifie pas
que ce soit la seule manière « autorisée »
d'analyser le personnage. D'autres approches, psychanalytiques,
socio-historiques, rhétoriques, etc., sont tout aussi envisageables mais
elles répondent à des pertinences autres que narratologiques.
CHAPITRE II :
CADRE METHODOLOGIQUE
2.1 La méthode
narratologique
La narratologie est une méthode qui
analyse les composantes et les mécanismes du récit. Tout
récit a un objet. Il faut qu'il raconte quelque chose. Cet objet est
l'histoire. Celle-ci doit être transmise par un acte narratif. Cet acte
s'appelle la narration. Histoire et narration sont donc des constituants
nécessaires de tout récit.
2.1.1 Le choix de la
narratologie
Etudier le refus de la linéarité dans
l'adaptation cinématographique d'un roman peut se faire sous plusieurs
points de vue : sémiotique, psychologique, énonciatif,
stylistique, etc. Cependant, la narratologie présente plusieurs
avantages puisque elle connaît beaucoup de versions et plusieurs
modifications dont l'ampleur appelle quelques précisions.
En effet, c'est à Gérard Genette (1972) que
l'on doit, sinon le terme, du moins les bases constitutives et
systématiques de cette science du récit (pour une histoire simple
et concise, se reporter à l'ouvrage de Gaudreault et Jost, 1990). Or, la
conception qu'il développe apparaît comme particulièrement
restrictive puisqu'elle ne prend en compte que le récit écrit au
seul plan de son énonciation. Sont donc exclus de cette narratologie
restreinte ce qui relève de l'histoire, c'est-à-dire des
évènements racontés et de leur organisation (notamment les
analyses s'inscrivant dans la lignée des travaux de Vladimir Propp,
1973) et tous les récits dont le support n'est pas strictement
linguistique comme, naturellement, le film narratif !
Nous opterons donc pour une narratologie
« élargie » qui se donne pour objet la
compréhension de ce qui est en jeu dans l'acte de raconter, en relation
avec le médium dans lequel s'inscrit la narration.
Précisément, parce que celui-ci exerce une très forte
prégnance sur l'art de raconter, il importe de préciser ses
caractéristiques essentielles. C'est ce que nous allons faire dans les
pages qui vont suivre.
2.1.2 Narratologie et
cinéma
Narrer n'est-il pas fondamentalement s'adresser à
quelqu'un pour lui rapporter les évènement dont il était
absent ? Le propre du récit cinématographique consiste en ce
qu'il déploie son activité narrative en faisant usage du langage
audiovisuel. Rien de particulièrement original dans cette assertion.
Selon une opinion répandue, le récit filmique ne serait
même guère plus que du récit verbal (écrit ou oral)
mis en images et sons. Force est de reconnaître que la longue tradition
de l'adaptation ainsi que le recours fréquent au scénario
écrit, comme préalable au tournage, donnent quelque force
à cette idée. Toutefois, les choses ne sont pas aussi simples.
Le propre du cinéma, ce qui le distingue d'autres
médiums, ou d'autres arts, c'est de donner à voir, grâce
à l'image mouvante. C'est elle, comme la sémiologie l'a
établi depuis longtemps, qui est constitutive du cinéma ;
les autres matières de l'expression (la musique, le bruitage, le verbal,
ou encore les mentions écrites) sont facultatives. La fonction
principale du cinéma réside donc dans la nécessité
qu'il a de montrer, de donner à voir, et au besoin, de donner à
entendre. En ce sens, il montre d'abord, il raconte éventuellement
ensuite. Le récit filmique, ce n'est donc pas du récit mis en
images et sons, mais des images et des sons agencés de façon
à produire du récit. Il s'agit alors d'analyser en quoi le
langage et l'expression cinématographiques sont susceptibles de produire
de la narration, et, de ce fait, être maniable avec les mêmes
outils que le récit oral ou écrit. Cette narration, pilier de
notre travail, sera analysée grâce aux techniques de la
narratologie. Les théoriciens qui sont le plus souvent cités
pour avoir élargi la narratologie de Genette afin de la rendre capable
d'aborder les récits filmiques sont notamment Francis Vanoye & Anne
Goliot-Lété (1993), André Gardies (1993) mais aussi et
surtout André Gaudreault (1988).
2.1.3 Narratologie et
roman
Comme nous l'avons vu, la narratologie vise l'étude
des formes et des relations entre les éléments du récit.
Ce qui veut dire que les techniques de la narratologie s'appliquent au roman
avec beaucoup de succès, si l'on considère que celui-ci constitue
le récit par excellence.
Le roman est une oeuvre d'imagination en prose assez long qui
présente et fait vivre dans un milieu des personnages donnés
comme réels. Il nous fait connaître leur psychologie, leur destin
et leurs aventures. Il existe deux orientations de la narratologie
appliquée au roman : la première appelée couramment
la sémiotique narrative est représentée par Propp,
Bremond, Greimas, etc. Elle vise la narrativité de l'histoire, le
rapport entre les différents actants, sans se soucier du support qui la
véhicule. Car, pour la sémiotique, un même
évènement peut être traduit par des médiums
différents.
L'autre conception de la narratologie romanesque prend pour
objet, non pas l'histoire, mais le récit comme mode de
représentation verbale de l'histoire (façon de présenter
l'histoire plutôt que son déroulement). Elle étudie donc
les relations entre les trois plans que sont le récit, l'histoire et la
narration. Cette conception répond aux questions du type :
« qui raconte quoi ? », « jusqu'à quel
point ? » et « selon quelles modalités ».
Certains narratologues, comme Gérard Genette, essaient de concilier ses
deux tendances avant de les appliquer au roman.
Si le roman est considéré comme un récit
par excellence, il ne se réduit cependant pas à celui-ci (les
romans balzaciens, par exemple, comportent des moments non narratifs, telles
certaines descriptions). Il y a en outre des moments de narration dans des
textes qui ne sont généralement pas reçus comme des
récits. L'intérêt de l'approche narratologique
appliquée au récit romanesque réside en ce qu'elle a
montré que tout roman comportait des caractères d'un
système, et que sa création ne relevait pas seulement d'une
ineffable inspiration, mais aussi d'un ensemble d'opérations, certes
complexes, mais repérables et descriptibles. Toutefois, cette approche a
aussi ses limites. La première tient à la nature du corpus le
plus souvent étudié. Contes et récits brefs, parce qu'il
s'agit des formes assez simples, permettent la mise en évidences des
structures élémentaires et des fonctions narratives de base, mais
celles-ci ne sont pas suffisamment fines, pour rendre compte d'organisations
complexes comme celles du roman. La seconde touche à l'objet même
de l'approche narratologique. Visant à décrire la logique
sous-jacente, son objet est en fait le récit et non la
narrativité. Dans ce travail donc, on s'en tiendra au discours du
récit romanesque, dans la foulée des travaux de Gérard
Genette23(*) pour
l'appliquer au roman de notre corpus. Genette sera complété, en
matière cinématographique, par Gaudreault et Vanoye.
2.1.4 Narratologie et
adaptation
Si la narratologie fonctionne fort bien avec la
littérature d'une part, et le cinéma, d'autre part, il serait
impensable qu'il ne soit pas un bon outil d'analyse pour des
réalisations adaptant des récits littéraires. Cela nous
amène à évoquer l'amorce d'une théorie de la
confrontation entre littérature et cinéma, et surtout à
souligner l'ambiguïté d'une telle approche. En effet, le langage
verbal du texte littéraire et le langage filmique expriment et
signifient en utilisant des éléments différents, selon des
systèmes organiques non similaires. Comme le souligne Jean Mitry, en
reprenant les propos de Georges Cohen-Séat : « le cinéma est
un langage poétique, un langage au second degré
» 24(*)
contrairement à l'écriture littéraire qui a une grammaire
concrète, un ensemble de règles applicables à toutes les
constructions propres au langage dit et explicite, même s'il lui arrive
parfois d'être implicite dans le fond avec ses présupposés
et sous-entendus. Cependant, il faut nuancer les propos de Jean Mitry. Le
cinéma n'est pas qu'un langage poétique et abstrait, il a aussi
sa concrétisation dans la technique cinématographique et dans la
construction du scénario qui n'est lui-même qu'une
matérialisation de l'écriture littéraire.
Littérature et cinéma sont déjà en interaction
constante.
Les approches narratologiques des adaptations présentes
aujourd'hui sur le marché sont extrêmement nombreuses et
variées. Certaines visent à édifier une narratologie de
l'expression ; elles mettent en jeu l'ensemble des récits filmiques
face à l'ensemble des récits non filmiques
(théâtraux, et romanesques par exemple). D'autres, à
l'intérieur de l'ensemble des récits filmiques, à travers
l'histoire du cinéma visent à établir ou participent
à l'établissement d'une typologie de récits en
définissant de grandes formes narratives. Enfin, celle qu'adopte
l'analyste-narratologue vise à rendre compte du fonctionnement narratif
propre à une adaptation particulière. Celle-ci s'inscrit dans la
ligne des analyses « baziniennes », analyses qui mettent en
relief la question de la fidélité à l'oeuvre de
départ.
Il faut bien sûr envisager une infinité de
démarches hybrides et toutes sortes d'interactions entre ces trois
démarches. Celle, par exemple, d'André Gaudreault25(*) tient à la fois de la
première, lorsqu'il s'évertue à défendre
l'existence d'une narrativité « intrinsèque »
au film, de la seconde, lorsqu'il s'arrête sur les adaptations dites
« des premiers temps », et à la troisième,
lorsqu'il s'arrête en particulier sur l'adaptation par Alfred Hitchcock
de Rébecca, roman de Daphné du Maurier.
En ce qui concerne la troisième démarche, qui
nous occupe plus particulièrement ici, il est important d'aller plus
loin encore dans la précision. C'est pourquoi, nous avons choisi le
modèle narratologique élaboré par Francis Vanoye pour nous
guider dans notre travail.
2.2 Le modèle
narratologique élaboré par Francis Vanoye
L'analyse narratologique que nous nous proposons de suivre
tiendra compte de la démarche élaborée par Francis Vanoye
et Anne Goliot-Lété dans leur ouvrage intitulé
Précis d'analyse filmique (1993) surtout dans l'encadré
7 ainsi libellé26(*) :
Pour analyser une adaptation
- En premier lieu, observer le degré de parenté
entre les titres, les noms des personnages, les contextes.
- Choisir un axe d'analyse (de même que pour l'analyse
d'un film seul).
Cas d'une adaptation en apparence fidèle
- Observer le rapport nombre de pages-durée du film.
- Effectuer un inventaire des scènes supprimées
ou condensées ainsi que des rajouts éventuels (plus rares) et des
scènes dilatées (observer les conséquences de ces
modifications).
- Faire la synthèse sur la structure globale des deux
oeuvres (nombre de parties, impact de
l' « effet-structure »...)
- Les personnages : suppression, synthèse,
rajouts.
- Dramatisation des évènements. Ton du roman,
ton du film.
- Visualisation des sentiments intérieurs des
personnages.
Cas d'une libre
adaptation
- Mise en rapport de certains aspects, structure,
thèmes, détails pertinents = délimitation d'un terrain de
comparaison.
- Nécessité d'opérer une
préanalyse de chaque texte.
|
Mise en garde
Evaluer la distance qui sépare les deux textes et juger
du « respect » ou de la « trahison » du
texte filmique par rapport au texte littéraire nécessite de
travailler sur les structures profondes et non seulement sur
l'évènement superficiel, de ne pas se limiter au contenu mais de
prendre en compte l'expression, consubstantiellement liée au sens.
|
2.3 Les autres méthodes
Outre ces théories-guides, auxquelles va se baser notre
analyse, nous tâcherons de mettre en évidence certains faits dont
le critère de sélection sera le point pertinent plutôt que
le fait d'appartenir à telles ou telles autres théories. Dans
cette optique nous auront une tendance sociologique souvent associée
à la psychologie, voire à la filmologie27(*), qui a pour
vocation de définir un cadre de recherche ayant pour objectif la «
totalisation de l'expérience » dont les postulats de base reposent
sur une vision ordonnée. La sociologie tiendra compte de cette
totalisation de l'expérience en s'appuyant, par exemple, sur les
problèmes économiques du cinéma qui peuvent se
décliner de la façon suivante : fréquentation des salles,
représentation du social, étude de la sortie du livre dans les
médiathèques - institution littéraire et
cinématographique - nous citerons sur ce sujet les réflexions
faites par certains auteurs-réalisateurs à propos de la
réception réservée à l'oeuvre
cinématographique par rapport au roman porté sur écran.
L'analyse textuelle qui est la nôtre consiste donc
à prendre des théories couramment utilisées en
narratologie, mais aussi à considérer celles qui le sont moins.
On parle alors de tout ce qui concerne la construction du point de vue
héritée de Genette, le rôle de l'énonciation
abordé par Jost28(*)
, la sémiotique structurale de Greimas et les modèles de la
grammaire générative qui, à partir d'une linguistique
générativo-transformationnelle du cinéma, veut
impérativement considérer la représentation audiovisuelle
comme une phrase verbale. Dès lors, on en arrive presque
à des rapprochements forcés entre deux modes d'expression
différente que sont la littérature et le cinéma. On l'aura
compris, cette confrontation reste très pratique et demeure souvent
nécessaire.
II.4 Obstacles à l'analyse
L'analyse comparée entre un roman et son adaptation
cinématographique se heurte à plusieurs obstacles qu'il est
important de repérer si l'on veut se donner les moyens de les franchir.
Raymond Bellour29(*) affirmait que le texte filmique est
« introuvable » au sens où il est
« incitable ». Alors que l'analyse littéraire rend
compte de l'écrit par l'écrit, l'homogénéité
des signifiants permettant la citation, l'analyse filmique, dans ses formes
écrites ne peut que transposer, transcoder ce qui relève du
visuel (description d'objets filmés, couleurs, mouvements,
lumière, etc.), du filmique (montage des images), du sonore (musiques,
bruits, tonalités des voix, accents) et de l'audiovisuel (rapport des
images et des sons).
On a pu voir certaines analyses poursuivre vainement le mythe
d'une description exhaustive d'un roman ou d'un film. Entreprise vouée
évidemment à l'échec puisqu'elle conduit à des
analyses « microscopiques » non nécessairement
pertinentes. Inversement, nombre de critiques et de théoriciens ont
commis l'erreur de fonder leurs interprétations sur la base d'une
lecture / vision unique du roman / film. L'inconvénient en est que l'on
se souvient avoir lu / vu ce qui fait plaisir ou conforte une hypothèse
d'analyse ou une impression d'ensemble. D'où la nécessité
dans notre travail de vérification systématique.
Outre ces obstacles d'ordre matériel, il existe
d'autres, plus durs à surmonter : ceux d'ordre psychologique. En
effet, l'analyse comparée entre un roman et son adaptation
cinématographique n'est pas une fin en soi. C'est une pratique qui
procède souvent d'une commande des institutions scolaires,
universitaires, journalistiques, libraires etc. Cependant, le fait que cette
analyse soit le produit d'une commande n'écarte pas pour autant les
questions du type « à quoi bon ? ». En effet,
à quoi bon décrire, analyser un roman, un film ? A quoi bon
cette opération qui semble symétrique et inverse de celle qui a
présidé à l'élaboration de l'oeuvre finie ?
En fait, la description ou l'analyse procède d'un
processus de compréhension, de reconstitution de l'objet fini. Mais
dira-t-on, à quoi bon comprendre ? A quoi bon comparer un roman
à son adaptation cinématographique ? Ne suffit-il pas de
lire le roman et de voir le film ? Comparer un roman à son
adaptation c'est prendre une autre attitude vis-à-vis de ces deux
langages d'une même histoire, qui peut d'ailleurs apporter des plaisirs
spécifiques. Comparer ces deux langages, c'est étendre son
registre perceptif et, de ce fait, s'ils sont vraiment riches, mieux en
jouir.
Mais, il y a aussi un travail de l'analyse pour au moins deux
raisons : d'abord, parce que l'analyse travaille le roman et le film et
les fait bouger. Elle fait bouger en même temps leurs significations et
leur impact. Ensuite, parce que l'analyse travaille l'analyste et l'encourage
à imiter ses prédécesseurs en matière
d'écrits ou d'adaptation des écrits déjà existants.
L'analyste et le lecteur ou le spectateur « normal » ne
reçoivent pas le roman ou le film de la même façon. Le
premier cherche précisément à se distinguer radicalement
du second, à ne pas se laisser dominer comme lui par le roman / film.
C'est ce que nous comptons faire dans la deuxième partie de notre
travail.
2.5
Synthèse
Il est vrai que la littérature reste une mine d'or pour
le cinéma. Elle lui offre une quantité d'histoires, de mythes et
des synopsis en particulier ceux de la littérature négro
africaine qui n'a pas encore fourni beaucoup de sujets aux réalisateurs
de films. Cette littérature est attirante tant par sa richesse, sa
diversité, son imaginaire, que par sa possibilité d'impliquer un
public qui recherche les sources de sa culture traditionnelle et populaire,
conditionnée par ce siècle. Ainsi, notre étude sera
consacrée à Zobel et à son roman qui a été
adapté au cinéma par Euzhan Palcy.
En outre, nous allons consacrer une place importante à
l'étude de l'adaptation cinématographique des oeuvres
littéraires qui est une pratique très courante dans le domaine de
la production des films. Cependant, elle n'a pas eu des échos
proportionnels à son importance à la faculté des Lettres
et Sciences Humaines de notre université.
Il faut aussi souligner que l'absence de travaux sur le grand
écrivain martiniquais Joseph Zobel suscite notre ardeur dans cette
entreprise. Les quelques travaux qui ont été
réalisés sur la littérature martiniquaise ne sont
orientés pour la plupart que sur Aimé Césaire.
DEUXIEME PARTIE :
L'ANALYSE DU CORPUS
CHAPITRE I :
DE LA RUE CASES-NEGRES A RUE CASES NEGRES
1.1 Présentation de La
rue Cases-Nègres
1.1.1 Son auteur
Joseph Zobel, l'un des «piliers» de la
littérature antillaise, est né à
Rivière-Salée, dans le Sud de la Martinique, en 1915.
Issu d'une famille très modeste, il est
élevé par sa grand-mère M'man Tine, ouvrière
agricole auquel il rend hommage dans La rue Cases-nègres. Pour
poursuivre ses études, il rejoint sa mère à Fort-de-France
et franchit grâce à ses sacrifices toutes les étapes d'un
parcours scolaire brillant, jusqu'au baccalauréat. Un premier emploi au
service des Ponts et Chaussées lui permet de vivre dans les villages du
Diamant et du Saint-Esprit, puis il entre comme aspirant
répétiteur au Lycée Schoelcher pour devenir maître
d'externat. La Seconde Guerre Mondiale, isolant la Martinique de la France, le
conduit à renoncer à ses projets d'études d'architecture
en France. Ses aspirations artistiques débouchent sur l'écriture
de quelques nouvelles dans lesquelles il décrit la vie du monde rural
martiniquais. Un ami professeur de gymnastique porte ses textes au journal
Le Sportif, feuille de chou habituellement consacrée à
la publication des comptes-rendus de rencontres sportives. Les lecteurs du
Sportif s'enthousiasment pour ces textes (publiés plus tard
dans le recueil Laghia de la mort) qui retranscrivent les
réalités martiniquaises. Parmi ses lecteurs, Aimé
Césaire, engagé dans l'aventure de la revue Tropiques,
encourage Joseph Zobel à écrire un roman. Ce sera
Diab'-là, l'histoire d'un paysan qui décide de
conquérir sa liberté par le travail de la terre, auprès
d'une communauté de pêcheurs dont il partage la vie. Le
thème du roman, pas plus que l'auteur, qui fustige l'ordre colonial, ne
plaisent guère à la censure, qui «devrait délivrer
des autorisations d'impression pour la moindre étiquette de bouteille de
liqueur», selon Zobel. Le roman ne sera publié qu'en 1947.
Le ralliement de la Martinique à la France Libre, en
1943, marque la fin du règne répressif de l'Amiral Robert,
envoyé du gouvernement de Vichy. Joseph Zobel rencontre alors le
gouverneur Ponton, envoyé par le Général de Gaulle et la
France Libre. Homme de culture, (c'est chez lui que Joseph Zobel rencontre
Louis Jouvet, de retour de son exil aux Etats-Unis), il recrute le jeune
écrivain comme attaché de presse du gouverneur, responsable de
deux publications : la revue Antilla et l'hebdomadaire culturel La
Semaine Martiniquaise. Après le décès du gouverneur
Ponton, dont le remplaçant n'accorde pas d'intérêt aux
questions culturelles, Joseph Zobel retourne au Lycée Schoelcher comme
secrétaire du proviseur. Profitant d'un congé administratif, il
rejoint Paris pour y reprendre ses études en 1946. Suivant des cours de
littérature, d'art dramatique et d'ethnologie à la Sorbonne,
Joseph Zobel est en même temps professeur adjoint au Lycée
François Ier de Fontainebleau, ville où il s'installe
avec son épouse et ses trois enfants en 1947. C'est à cette
époque qu'il découvre la France rurale et en particulier le
Gard.
Publié pour la première fois en 1950, son roman
La rue Cases-Nègres reçoit le Prix des lecteurs,
décerné par un jury de 1000 lecteurs de La Gazette des
Lecteurs. Le roman connaît un grand succès, renforcé
trente ans plus tard quand la réalisatrice Euzhan Palcy en tirera un
film du même nom (qui obtient le Lion d'Argent à la Mostra de
Venise en 1983).
En 1957, porté par son désir de connaître
l'Afrique, Joseph Zobel profite de ses nombreuses relations parmi les
Sénégalais de Paris (dont Léopold Sédar Senghor) et
part au Sénégal dans le cadre des dispositifs mis en place par la
loi-cadre. Le Ministre sénégalais de l'Education, Amadou Matar
M'bow, le recrute comme directeur du collège de Ziguinchor (actuellement
Lycée Djignabo) en Casamance. Il revient quelques mois plus tard sur
Dakar comme surveillant général du Lycée Van Vollen et
devient quelques années plus tard producteur d'émissions
éducatives et culturelles à la Radio du Sénégal,
dont il crée le service culturel. Les émissions de Joseph Zobel
seront écoutées dans toute l'Afrique Occidentale Francophone.
Quelques anecdotes de sa vie dakaroise sont relatées dans les recueils
Mas Badara (1983) et Et si la mer n'était pas bleue
(1982).
Installé en France depuis sa retraite en 1974
près du village d'Anduze (département du Gard), Monsieur Zobel
poursuit aujourd'hui, dans un paysage qui n'est pas sans rappeler les mornes du
Sud de la Martinique, son travail d'écriture. Il pratique en
maître l'art floral japonais et le dessin.
En plus de La rue Cases-Nègres, Zobel raconte
la vie de la Martinique rurale dans ses romans Diab'-là,
Les Jours immobiles et Les Mains pleines d'oiseaux
(réécrit en 1978 pour un public plus large) ainsi que dans les
recueils de nouvelles Laghia de la mort et Et si la mer
n'était pas bleue. En mars 2002, Zobel publie Gertal et autres
nouvelles, un recueil de nouvelles suivies d'extraits de son journal (1946
à 2002).
Poète depuis de longues années, Joseph Zobel
publie plusieurs recueils de poésie à compte d'auteur, dont
Poèmes de moi-même (1984). Publié en 1994,
Poèmes d'Amour et de Silence réunit des extraits d'un
journal, des poèmes et des dessins qui en font un très beau livre
d'art. En 2002, l'auteur publie chez Ibis Rouge Le soleil m'a dit...,
un ouvrage rassemblant une partie de son oeuvre poétique.
Par ailleurs, en avril 2000, le Lycée Thoraille
à Rivière-Salée a été rebaptisé le
Lycée Joseph Zobel, en l'honneur de l'écrivain. Et le Salon du
Livre Insulaire d'Ouessant a décerné son Grand Prix à
Joseph Zobel, pour l'ensemble de son oeuvre, en août 2002.
1.1.2 Son
« adaptatrice »
La cinéaste Euzhan Palcy est née à
Fort-de-France en Martinique, en 1957. Apres ses études primaires et
secondaires à Fort-de-France, elle devint journaliste dans la presse
publique où elle commença sa carrière d'artiste. Elle
composa La messagère, son premier sketch
télévisé (1974).
Aidée et encouragée par son père, lui
aussi écrivain, Euzhan Palcy composa des poèmes, des
chansonnettes et des pièces de théâtre qui
présageaient déjà de son génie créateur.
Pendant sa carrière journalistique, elle eut l'occasion de lire deux
romans qui vont par la suite avoir un impact considérable sur sa vie
cinématographique : Cry the Beloved Country, d'Alan
Paton et le classique martiniquais La rue Cases-Nègres
de Joseph Zobel. La lecture de ces romans lui procurèrent une envie
folle de les adapter au cinéma.
Par la suite, elle se rendit à Paris où elle
étudia la littérature à La Sorbonne. Elle suivit en
même temps les cours de cinéma à l'école Rue
Lumière. Pour trouver un financement de son projet de rêve
(adaptation de La rue Cases-Nègres), elle produit Le
séminaire du diable (1981-1982), un court métrage qui prouva
ses talents en matière cinématographique. C'est cette
réalisation qui lui servira de prototype pour son premier long
métrage (Rue Cases-Nègres) en 1983, réalisation
qui devint internationalement reconnue si l'on considère les prix
cinématographiques qui lui ont été décernés.
Au Festival de Venise de 1983, Rue Cases-Nègres a obtenu le
« best first film award » (Silver Lion) et le « best
actress award », tandis que, une année plus tard (1984), ce
film fut couronné du César pour le meilleur film français.
Le succès de ce film conduit Euzhan Palcy à
Hollywood où elle devint la première femme noire à
réaliser un film pour une maison de la taille de SU.MA.FA.
Productions/Orca Productions/NEF Diffusion.
1.1.3 La rue
Cases-Nègres
La rue Cases-Nègres de Joseph Zobel est sans
aucun doute l'un des textes les plus connus de la Caraïbe. À en
juger par le nombre d'éditions, de traductions, d'extraits reproduits
pour l'usage des anthologies et des guides pédagogiques, et par
l'accueil enthousiaste dès sa parution en 1950 (Prix des lecteurs 1950),
ce récit d'enfance a su toucher les sensibilités de plusieurs
communautés de lecteurs. Paru pour la première fois en 1950, aux
éditions Jean Froissart, et puis, ensuite en 1955, aux Quatre Jeudis,
La rue Cases-Nègres devra attendre jusqu'à 1974, lors de
la nouvelle édition publiée par Présence africaine, avant
de recevoir ses titres de noblesse de la critique et du public. Par ailleurs,
l'adaptation filmique d'Euzhan Palcy (couronnée par le César pour
le meilleur film en 1984, le Lion d'argent et le prix de la meilleure actrice
au Festival de Venise en 1983) a su toucher à la fois le public
antillais et un public plus vaste de cinéphiles et de
téléspectateurs. La disponibilité du film sous forme de
vidéocassette contribue aujourd'hui à son rayonnement et à
sa consécration. La meilleure preuve en est que le texte figure
désormais dans bon nombre de programmes scolaires et de cours
universitaires.
A travers ce roman, l'auteur narre le récit de sa
propre enfance et nous décrit la Martinique des années trente.
José vit Rue Cases-Nègres avec sa grand-mère M'man Tine.
Ce village est composé de deux rangées de « trois
douzaines de baraques en bois couvertes en tôles
ondulées » près de plantations de cannes à
sucre.
Le matin, lorsque les grandes personnes se rendent au travail
dans les cannaies, les enfants s'abandonnent à toute sorte de jeux
ponctués de bêtises : ils déchirent leurs
vêtements, cassent le bol de M'man Tine, mettent le feu sur la haie du
domaine de Monsieur Saint-Louis, et, fatigués de ces
désagréments, les travailleurs agricoles décident de ne
plus laisser les enfants déambuler seuls à la rue Cases. Cette
décision est saluée par M. Gabriel, le gérant de la
plantation, qui exhorte les parents à envoyer leurs enfants dans les
petites bandes pour sarcler les cannes.
Au lieu d'envoyer son petit-fils dans les petites bandes,
M'man Tine l'enverra à l'école pour qu'il apprenne à
« signer son nom » ce qui lui éviterait l'enfer de
la canne. Sa vivacité d'esprit est entretenue et éveillée
par ses longues discussions avec Médouze, l'ancien du village. Il est
là pour lui rappeler l'histoire de son peuple, celle des esclaves
révoltés.
Le pouvoir écrasant des colons est évoqué
à travers le contraste entre les rues Cases-Nègres et les
domaines des békés (Blancs créoles) et cela même si
l'esclavage traditionnel avait été aboli, il y a longtemps.
Médouze résumait la situation en une seule
phrase : « le maître devient le patron ».
Chaque semaine, les coupeurs de cannes ont un salaire misérable
décidé par les hommes impitoyables qui les ont réduits
à la dépendance économique.
José se consacre corps et âme à ses
études qui le mèneront successivement de la Rue-Cases à
Petit-Bourg et de Petit-Bourg à Fort-de-France, où il obtiendra
son baccalauréat au lycée Schoelcher. A Fort-de-France,
José retrouve sa mère Délia qui travaille comme
lavandière chez les békés du quartier
Sainte-Thérèse, puis comme bonne chez un riche
propriétaire béké de la Route Didier. C'est à une
année de la fin de ses études que M'man Tine mourra suite
à une longue maladie causée par le travail sans repos dans les
plantations de cannes.
Cet ouvrage est écrit en « peignant avec
la mémoire du coeur et des blessures, la vaillance, la dureté et
la tendresse des descendants d'esclaves acharnés à bâtir
pour leurs enfants un pays plus libre et plus
généreux »30(*). C'est une autobiographie romancée surtout
qu'en 1950, en 1955 et en 1974, années où paraissent les diverses
éditions de La Rue Cases-Nègres, le récit de vie
et les autobiographies sont des genres à la mode. On répertorie
un nombre croissant de récits à la première personne sous
la plume d'intellectuels noirs de l'Afrique et des Antilles. Citons, entre
autres, Climbié (1956) et Un nègre à
Paris (1959) de Bernard Dadié, L'enfant noir (1953) de
Camara Laye, Une vie de boy (1956) de Ferdinand Oyono, Dominique,
Nègre esclave (1951) de Léonard Sainville, Je suis un
civilisé (1953) d'A.E. Whily-Tell. Ces récits à la
première personne tiennent un discours engagé contre les
idéologies colonialistes de l'époque.
1.2 Différence de structure
événementielle entre La rue Cases-
Nègres et Rue Cases-Nègres
L'impression d'ensemble, après la vision du film
Rue Cases-Nègres et la lecture du roman La rue
Cases-Nègres est double : les deux récits se
ressemblent et ne se ressemblent pas. Déjà, les modifications
apportées au titre en disent beaucoup. L'on pourrait à juste
titre se demander pourquoi Euzhan Palcy a omis l'article sur le titre de son
adaptation, laissant ainsi devenir « Rue
Cases-Nègres » ce qui était « La rue
Cases-Nègres ». L'omission de cet article révèle
déjà une affirmation de distance vis-à-vis du texte
d'origine.
Dans un premier temps un inventaire systématique des
modifications opérées dans le film (coupures, ajouts,
synthèses, déplacements dans la chronologie, glissements...) par
rapport au roman s'impose dans le cadre de cette étude. Au cours de ce
chapitre, nous verrons successivement la différence d'ensemble, la
différence narratologique, la différence énonciative ainsi
que la différence des temps forts entre le roman et le film.
1.2.1 Différence
d'ensemble
La différence organisationnelle n'est pas très
remarquable dans ces deux récits, du moins pour l'oeil d'un spectateur /
lecteur ordinaire. Cependant, malgré toutes les ressemblances
observées dans la structure d'ensemble des deux récits, rien
n'empêche qu'on puisse déceler un bon nombre de divergences, pour
peu qu'on utilise son discernement.
Les trois parties du roman ont été reprises avec
une certaine différence par la cinéaste. Ces parties sont ainsi
réparties :
- Première partie : pp. 7-80
- Deuxième partie : pp. 80-164
- Troisième partie : pp. 165-240
La première partie correspond à l'enfance de
José lorsqu'il n'avait pas encore l'âge de commencer
l'école (sept ans). Il a pour compagnons Gesner, Romane, Tortilla et
Médouze. L'intrigue se déroule à la rue
Cases-Nègres et dans la plantation de cannes. La deuxième partie
se rapporte à la vie scolaire de José. Il étudie à
Petit-Bourg et vit avec M'man Tine à la Cour Fusil. Ses compagnons sont
notamment Jojo, Raphaël, Camille et Vireil. La troisième partie
commence avec le départ de José pour Fort-de-France. L'intrigue
se joue au lycée Schoelcher et aux quartiers
Sainte-Thérèse et Route Didier. Il vit avec sa mère M'man
Délia et ses compagnons sont Carmen, Jojo et Bussi.
Le film, lui, se présente sous forme d'un amalgame des
trois parties précédées d'un prologue et suivies d'un
épilogue. Le prologue n'est qu'un exposé des contrastes entre les
trois composantes de la population martiniquaise. Le premier acte du film
semble condenser les deux premières parties du roman. José
enseigne déjà l'alphabet à Carmen avant qu'il ne commence
l'école. A moins que la position de cette séquence ne
relève d'une erreur de montage, elle n'a pas de sens et ne fait que
brouiller la trame du récit. Au troisième acte du film,
José vit toujours avec sa grand-mère puisque sa mère ne
figure nulle part dans le film qui est finalement structuré,
agencé et découpé de manière tout à fait
différente, indépendamment du roman. La différence de
structure entre les deux récits, ainsi que le rapport nombre de pages /
durée du film seront développés au chapitre IV
entièrement consacré à l'analyse temporelle du film par
rapport au roman.
De manière générale, le film est moins
rigoureusement construit et répond à une logique quelque peu
différente de celle du roman. On constate que les
événements sont moins contrastés, les drames moins
violents, les joies moins intenses. Le film tend vers un nivellement, le roman,
au contraire, vers un écartement maximal de
l' « amplitude émotionnelle ». A ce sujet, on
ne peut pas comparer par exemple la tristesse, l'émotion, la tension, et
la révolte avec lesquelles José prononce ces phrases lorsqu'il
était au lycée Schoelcher ainsi que leur mise en
scène :
« personne ne me ressemble. Personne n'a d'ailleurs
fait attention à moi. Serais-je repoussant à ce point quant
à ma tenue ? » (LRCN, P. 171).
Dans le film, José est certes montré solitaire,
mais aucune trace de tristesse ne se lit sur son visage.
Inversement (mais rarement), certaines séquences
filmiques deviennent plus éloquentes que les pages du roman. Par exemple
la rencontre avec Médouze devient plus émotionnelle dans le film
que dans le roman, notamment lorsqu'il lui raconte la révolte des
« esclaves » contre les békés. Médouze
parle d'Afrique pour donner plus de force à l'idée de Zobel qui
parle plutôt de Guinée dans son livre. Le vieil homme joue
davantage un rôle de guide spirituel pour José et ses
interventions deviennent plus longues dans le film que dans le roman.
Sur le plan rythmique, la structure dramatique du roman
épouse exactement celle du déroulement narratif ;
c'est-à-dire que les bouleversements émotionnels se confondent
avec les pivots narratifs du roman (misère des nègres, travail
éreintant, solitude à l'école etc.). Les deux rythmes,
dramatique et narratif, se superposent parfaitement, ce qui rehaussent les
tensions. Le film, lui, joue davantage sur des effets de syncope, tout en
maintenant la tension (même amoindrie). Palcy et ses scénaristes
ont su rythmer même les passages du roman les plus dénués
de rythme avec l'insertion des chants et des danses créoles, simplement
évoqués dans le roman.
1.2.2 Différence
énonciative et narratologique
Un roman à la première personne et en
focalisation interne -comme c'est le cas pour La rue
Cases-Nègres peut difficilement passer subitement à la
troisième personne. Le film, lui, est souvent à la fois à
la première et à la troisième personne. Dans Rue
Cases-Nègres deux éléments agissent en faveur du
récit subjectif : d'une part, le prologue et sa voix off à
la première personne, d'autre part, le fait que dans plusieurs
séquences du film, la caméra accompagne fidèlement le
personnage principal et que la plupart des événements ou des
informations se dévoilent en fonction de son savoir, sauf la
séquence où l'on voit monsieur Gabriel s'entretenir avec les
agents de l'usine en leur inculquant, loin des yeux de José, la nouvelle
tactique de ne plus laisser les enfants seuls à la rue Cases.
Contrairement au récit autobiographique de Laye,
où la focalisation met en évidence une prise de position
affective (nostalgie, aigreur, tristesse) vis-à-vis des
expériences vécues et narrées, la focalisation chez Zobel
est rattachée aux expériences diverses de l'enfant au cours de sa
formation identitaire. José, enfant de la faim et de la misère,
remet en cause le politique et l'économique du système colonial.
À ce monde violent, misérable, vieillissant, Zobel oppose la
dignité et l'humanité de l'innocent dont José, l'enfant,
sera le symbole. La stratégie de Zobel est subtile dans la mesure
où il contraint le lecteur à prendre conscience de chacun des
paliers narratifs qui jettent un éclairage sur l'univers de l'enfant. En
amenant le lecteur à s'identifier avec l'enfant, il rompt l'illusion
exotique des îles, pour ensuite l'inviter à épouser la
réalité vécue par l'enfant. Personnage et narrateur
oeuvrent pour authentifier le projet d'écriture et déstabiliser
les certitudes du lecteur. Chez Zobel, le recours à la première
personne actualise les données de l'histoire et ramène la
situation de l'auteur à celle du lecteur. De toute cette litanie
psychologique du roman, le film ne retiendra que l'innocence de José.
Certes, dans le film, la caméra insistera beaucoup sur les actions de
José mais on n'y trouve pas cette profondeur de la misère telle
que Zobel sait la décrire.
En outre, quelques procédés narratologiques
comme le « flash-back » ou le coup de théâtre,
présents dans le roman, ont été délaissés
lors de l'adaptation. Dans La rue Cases-Nègres, on
s'aperçoit que le narrateur cède sa voix de façon
stratégique. Il la cède à M'man Tine lorsqu'elle transmet
son histoire personnelle comme un retour en arrière, depuis le viol par
le Commandeur, M. Valbrun, jusqu'à sa situation présente, en
passant par les déboires essuyés par M'man Délia, sa
fille, mère de José. Ce « flash-back » ou
« analepse » selon la terminologie de Genette, par ailleurs
très prisé dans la narratologie filmique, a été
délibérément escamoté par l'adaptation de Palcy
comme, du reste, elle escamote toutes les autres analepses du roman.
Dans le film, l'effet troisième personne se superpose
à l'effet « je » sans pour autant le supplanter. Le
médium filmique laisse, grâce à la multiplicité des
matières de son expression et donc à son ambivalence, une plus
grande liberté aux récits subjectifs que le roman,
nécessairement plus étriqué à ce niveau. Cette
liberté aurait pu permettre à Euzhan Palcy, au moment de la
recherche du cadavre de Médouze, par exemple, de passer
discrètement de la première à la troisième
personne, au moins momentanément : on aurait pu voiler le
personnage du « petit José » (dans le roman, il
reste au village ; dans le film, il accompagne les grandes personnes dans
les cannaies et c'est lui qui va retrouver le corps de Médouze), pour ne
le retrouver qu'à l'issue de l'ultime suspense, afin de le rendre plus
intense, car il l'est bien moins que dans le roman. Il faut mentionner, en
passant, que le retour au village de M'man Tine dans le film -et non dans le
roman- symbolise le retour en Afrique dont parlait Médouze avant sa
mort.
Adapter, ce n'est donc pas uniquement effectuer des choix de
contenu, mais c'est aussi travailler, modeler un récit en fonction des
possibilités ou au contraire, des impossibilités
inhérentes au médium. On remarque dans Rue
Cases-Nègres, que la spécificité du dispositif
narratif filmique peut parfois même aboutir à une
réinterprétation de certains éléments de contenu,
n'ayant pourtant subi aucune modification particulière : dans le
roman, les scènes de danse sont simplement évoquées, ce
qui n'est ni faiblesse ni souci de résumer, puisqu'il n'est pas
indispensable de retranscrire les chants créoles dont les lecteurs
n'entendront ni rythme ni mélodie. Le film, bien entendu, y
insère ces chants ponctués de pas de danse des nègres
antillais parce que le médium filmique use également du son. Et
là, l'effet est beaucoup plus saisissant car ces morceaux chantés
font le plaisir de ceux qui regardent le film.
Le dispositif narratif, ses contraintes, ses
possibilités, déterminent en partie le poids, l'impact, la valeur
de certains éléments de contenu qui peuvent donc varier d'un
médium à l'autre.
Ainsi, le film de Palcy qui semblait relativement proche du
roman en surface, prend finalement une tournure assez différente :
beaucoup plus rythmée, avec des personnages à la fois plus
typés (Médouze représente l'Afrique traditionnelle de par
ses subites références à sa littérature orale) et
plus caricaturaux (le professeur Jean-Henri), peut être moins
cohérent, en tout cas différemment organisé en ce qui
concerne la distribution des rôles (un seul personnage dans le rôle
de M'man Tine et de M'man Délia). Le film s'est donc approprié la
biographie romancée de Joseph Zobel pour le faire basculer vers une
comédie dramatique à thèmes émotionnels. Dans le
roman, on suit l'évolution de la vie de José dès
l'âge de cinq à dix-sept ans. Ce qui est curieux dans le film
c'est qu'un seul comédien de onze ans interprète le personnage de
José dont le parcours diégétique s'étend sur une
période de douze ans. Il est inadmissible qu'il n'ait pas physiquement
grandi alors qu'il a évolué à travers son discours. Le
distributeur aurait mieux fait d'utiliser trois comédiens pour le
personnage de José : un gamin de six ans, pour la période
préscolaire ; un garçon de douze ans, pour l'école
primaire ; un adolescent de dix-sept ans pour la vie à
Fort-de-France. Cela aurait eu l'avantage de créer l'illusion d'un
enfant qui grandit, thème indispensable pour tout récit
biographique.
1.2.3 Différence des temps forts
L'analyse comparée d'un roman et de sa mise en
scène cinématographique ne peut se faire sans se baser sur la
distribution des temps forts et des pauses. Si le roman et son adaptation
filmique ont en commun la narrativité et l'énonciation,
l'organisation et la structure, ils peuvent rester irréductibles quant
à l'agencement de leurs diégèses.
Certes, dans le passage de La rue Cases-Nègres
à Rue Cases-Nègres, quelque chose se retrouve : le
thème principal. Ces deux récits retracent le parcours de
José Hassam, petit-fils d'une travailleuse agricole qui se sacrifie
corps et âme pour qu'il puisse fréquenter l'école et
améliorer son niveau de vie. Le protagoniste José appartient
à la classe la plus défavorisée de la
société martiniquaise d'antan, celle des ouvriers agricoles
démunis et dévalorisés par le système de
plantation. Cependant, le fil conducteur change du roman au film. Il n'y a pas
davantage d'équivalence, en dépit de la persistance de cette
idée, entre le plan et le mot, la séquence et le paragraphe, le
panoramique ou le travelling et tel passage descriptif. Il est vrai que le film
s'est construit à partir de ces petites unités que sont les plans
et qui, réunis, donnent des séquences de Rue
Cases-Nègres. Et un regard rapide peut voir là quelques
analogies avec les mots, phrases et paragraphes de La rue
Cases-Nègres. Nous allons en examiner les convergences et les
divergences à l'aide du tableau suivant :
Roman
|
Film
|
Il commence sur la description de la vie à la rue Cases
« Quand la journée avait été sans incident ni
malheur, le soir arrivait, souriant de tendresse » (LRCN31(*), p. 9). Cette description
correspond à la situation initiale de l'histoire. Cette description
s'étend jusqu'à la page 16.
|
Le film s'ouvre sur un avertissement selon lequel, il est
strictement réservé à l'usage privé. L'exposition
nous montre un enchaînement de photos fixes en plan d'ensemble qui se
succèdent en fondu, faisant ressortir un contraste très
remarquable entre les cases des nègres, les maisons des mulâtres
et les grands domaines des békés. Une voix off de José
nous donne des indications temporelles, de la situation initiale du
récit : « C'était les vacances. Tous les
enfants de la rue Cases-Nègres attendaient avec impatience que leurs
parents partent travailler dans les cannes pour qu'ils seraient [sic] libres
toute la journée ». L'exposition est entièrement
ponctuée d' une musique instrumentale. Cette partie dure deux minutes et
quarante-cinq secondes.
|
Le départ de ceux qui vont travailler dans les champs
constitue le noeud du récit. Les premiers jeux des enfants sont
décrits à la page 17 : « En attendant que la bande
soit au complet, nous nous amusons sur place, et nos cris et nos rires battent
le rappel de ceux qui manquent.»
|
Le combat du serpent et de la souris suit directement le
départ des travailleurs agricoles vers les champs de cannes. Ce combat
ne se trouve nulle part dans le roman. C'est une invention d'Euzhan Palcy et il
n'est pas là par hasard. Il reflète celui auquel se livrent les
nègres contre les békés (serpent). La mort de la souris
présuppose la mort certaine des nègres de plantations tel
Médouze et M'man Tine.
|
Les enfants se mettent à la recherche du sucre et
cassent le bol dans lequel mange M'man Tine. (LRCN, p. 25)
|
Le metteur en scène a « donné
cinématographiquement » l'idée du livre. L'adaptation
réalisée correspond très bien à ce qui est
narré à la page 25 de La rue Cases-Nègres.
|
Les recommandations de Tortilla à José :
« Tu arracheras une poignée de cabouillat [...] tu laisses
tomber le cabouillat derrière toi. » (LRCN, p. 29) sont
administrées sous forme de dialogue. Elles seront
exécutées à la page 32 : « Je laisse
mollement tomber mes noeuds de cabouillat à mes pieds. »
|
Dans le film, cette recommandation est dictée par une
voix off de Tortilla tandis que José s'exécute en même
temps pour appliquer la leçon de sa
« maîtresse ».
|
La première rencontre avec Médouze et sa
description par José : « il est le plus vieux, le plus
misérable, le plus abandonné de toute la plantation »
(LRCN, P. 41) intervient lors des conversations avec ses compagnons. Les
devinettes et les contes s'ensuivent (pp. 42-46). Il lui parle en même
temps de la révolte d'esclaves et de leur pays d'origine : la
Guinée.
|
Le portrait de Médouze a été
« porté à l'écran ». Il est
aisément repérable grâce à ses haillons et à
sa barbe blanche. Mais il apparaît dans le film pour la première
fois au moment de la paye. Ils échangent quelques devinettes mais pas de
contes. Dans le film il y aura trois scènes distinctes où va
intervenir Médouze : dans la première scène, il
échange quelques devinettes avec José. Dans la deuxième,
il lui donne une leçon sur les mystères de la vie (cette
séquence ne se trouve pas dans le roman). Dans la troisième
scène, il lui raconte l'histoire de son peuple qui a son origine en
Afrique (dans le roman on parle de Guinée).
|
L'incendie qui a ravagé le domaine de Monsieur
Saint-Louis est évoqué de la page 54 à la page 58.
José sera puni par M'man Tine.
|
Cet incendie a été repris intégralement
dans le film avec des modifications dans les dialogues de Gesner, Orélie
et Tortilla qui laissent penser à une recréation artistique ou
à un réarrangement de l'histoire. Dans le film, tous les enfants
seront punis par Monsieur Saint-Louis.
|
La mort de Médouze est décrite de la page 71
à la fin de la première partie dont la scène se
déroule à Petit-Morne. C'est José qui a signalé
l'absence de Médouze mais il n'est pas parti à la recherche de
son corps.
|
C'est également José qui a signalé
l'absence de Médouze mais il ne va pas rester au village pour attendre
le cadavre avec les femmes et les autres enfants. Il accompagnera les grandes
personnes dans les plantations de cannes et c'est lui qui découvrira le
corps de Médouze. Durant la soirée, les villageois vont danser en
guise de deuil. Dans le roman, les danses ne sont même pas
décrites.
|
La deuxième partie s'ouvre sur les premiers jours de
classe de José. Il était enseigné par une maîtresse.
|
Dans le film, la voix off de José annonce le
début du deuxième acte. Cependant, les activités scolaires
apparaissent même avant la mort de Médouze, lorsque José
enseignait l'alphabet à Carmen. De toute façon, à
Petit-Bourg, l'enseignant est un homme et non une femme.
|
Par malchance, la cruche de maman Léonce
s'écrase dans les mains de José qui s'échappe vers la
brousse.
|
Délibérément, José jette une
pierre sur la vaisselle de maman Léonce et s'échappe vers
l'école pour reprendre la punition qu'il avait abandonnée devant
la classe. Il y a dans le film toute une invention de faits qui ne figurent pas
dans le roman.
|
Dans le roman, Jojo s'évade pour fuir la dureté
de son père et de sa marâtre (Jojo avait marronné :
LRCN, p. 154) pour se retrouver avec José à Fort-de-France
après douze ans. On ne parle pas de la mort de son père.
|
Dans le film, Jojo s'appelle Léopold et son père
mourra suite à une crise de rein causée par un coup de pied de
son cheval. Une histoire inventée de toutes pièces par Euzhan
Palcy. José va le retrouver à son retour au village,
attaché derrière un cheval en guise de punition pour avoir
refusé d'obéir aux ordres des békés.
|
José dut continuer à Fort-de-France parmi les
dix lauréats du certificat d'études, « les autres ayant
dépassés l'âge requis » (LRCN, p. 160)
|
Dans le film, on ne trouve que deux lauréats, un
garçon et une fille. La fille dut rester parce que son père ne
voulait pas la laisser partir loin de ses yeux.
|
La troisième partie est dominée par un nouveau
personnage, M'man Délia, la mère de José. C'est elle qui
va désormais se charger de tous ses besoins.
|
M'man Délia ne figure pas dans le film et c'est M'man
Tine qui se charge de José jusqu'à la fin du récit. M'man
Tine évoque le nom de Délia pour dire aux spectateurs que
celle-ci était morte il y a longtemps. C'est M'man Tine qui prononcera
la célèbre phrase de M'man Délia : « Ils ne
savent pas quelle femme de combat je suis ! » (LRCN, p. 168).
|
Le personnage de Carmen apparaît pour la première
fois à la page 197. Il sera décrit par José comme
suit : « C'etait un jeune homme, tout juste plus
âgé que moi et d'une gaieté
irrésistible ».
|
Dès le début du film, José enseignait
déjà l'alphabet à Carmen. En outre, Carmen est un
garçon beaucoup plus âgé que José.
|
Jojo raconte sa mésaventure à José lors
de leur rencontre à Fort-de-France.
|
Orélie raconte la mésaventure de Léopold
à José vers la fin du film, lors de son retour à
Petit-Morne et celui-ci court voir lui-même l'affaire :
Léopold était attaché derrière un cheval en guise
de punition pour n'avoir pas obéi aux ordres des békés.
Les paysans qui avaient formé un cercle autour de la place de punition
chantaient un chant de tristesse et de souffrance, une chanson à faire
pleurer même les spectateurs.
|
Le professeur accuse José d'avoir plagié son
« plus émouvant souvenir d'enfance » tandis qu'il
balbutiait des phrases pour se défendre : « Je vous jure
que je n'ai pas... » (p.209)
|
Dans le film, José se rebelle et sort de la classe en
disant à haute voix qu'il n'a pas copié. Son professeur
reconnaît l'innocence de José et ira même jusqu'à lui
demander pardon devant sa grand-mère, et par la même occasion
l'inviter à reprendre ses études.
|
José avait sensiblement grandi puisqu'une douzaine
d'années séparent sa vie à Petit-Morne et celle à
Fort-de-France. Et lorsqu'il s'en était retourné au village, on
le « félicitait d'avoir grandi » (LRCN, p. 205)
|
Dans le film, José ne grandit pas. Il reste un
garçon de onze ans.
|
A la mort de M'man Tine, José était resté
à Fort-de-France et sa mère s'était rendue à
Petit-Morne après qu'une voisine avait envoyé un
télégramme annonçant la maladie grave de la
grand-mère. José apprit ce qui s'était passé
à la vue de sa mère « coiffée d'un madras noir
à petites rayures blanches » (LRCN, p. 238)
|
Dans le film, c'est la petite Gesner qui annonce à
José que M'man Tine « ne respire plus ». C'est cette
étape qui culmine en émotions et constitue donc le climax du
film. Les scènes qui suivent sont une détente qui va
jusqu'à l'épilogue et la musique qui clôturent le film.
|
Le dénouement se présente comme une fin ouverte
puisqu'il laisse un projet non-accompli, celui de José de se charger
enfin des besoins de M'man Tine, en guise de gratitude.
|
Le dénouement se présente comme
l'achèvement d'un cycle pour rendre le spectateur davantage sensible
à la souffrance de la population de rue Cases. La mort de M'man Tine
vient clôturer le cycle. Le projet de José, de se charger enfin de
sa Grand-Mère avait été en partie réalisé
puisque dans les séquences précédentes, il lui avait
dit : « c'est fini : Amantine ne repasse plus, Amantine ne
lave plus ! » La bourse d'études va suffire pour la
satisfaction de leurs besoins. Le film se ferme sur José entrain de
laver les pieds de sa défunte grand-mère en fondu
enchaîné sur le paysage martiniquais.
L'épilogue du film se présente sous forme d'une
voix off de José qui annonce : « Amantine est allée
dans l'Afrique de Monsieur Médouze. Demain, je vais partir à
Fort-de-France en emportant avec moi ma rue Cases-Nègres ».
|
1.3 Parties du roman susceptibles d'être
portées sur écran qui ne l'ont
pas été
Evaluer la distance qui sépare les deux textes et juger
du « respect » ou de
la « trahison » du texte filmique par rapport au texte
littéraire nécessite de travailler sur les structures profondes
et non seulement sur les éléments superficiels. Outre le
degré de parenté entre les titres, les contextes, les
organisations et les narratologies, il fallait effectuer un inventaire des
scènes supprimées ou condensées ainsi que des rajouts
éventuels et des scènes dilatées et observer les
conséquences de ces modifications. Nous n'allons pas inventorier toutes
les scènes supprimées. Ici, nous allons essayer d'adapter deux
passages qui nous ont semblé très remarquables de par le suspense
qu'ils créent. Nous allons chaque fois tâcher de proposer notre
découpage technique. Nous utiliseront la terminologie de Tudor32(*) en ce qui concerne le langage
du découpage.
Le langage technique du découpage selon Eliad
Tudor
LES PLANS
|
DESCRIPTION
|
CINEMA
|
TELEVISION
|
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AMERICAIN
|
FRANÇAIS
|
|
|
1 Extreme close up (ECU)
|
Très gros plan (TGP)
|
Très gros plan (TGP)
|
Les yeux, la bouche, l'oreille...
|
2 Close up (CU)
|
Gros plan (GP)
|
Gros plan (GP)
|
Coupe personnage au noeud de cravate
|
3 Insert
|
Insert
|
Insert
|
GP d'un objet : cigarette, lunettes, photo...
|
4 Medium Close shot (MCS)
|
Plan américain (PA)
|
Plan rapproché taille (PRT)
Plan rapproché poitrine (PRP)
|
Coupe personnage au génou avec une partie du
décor
Coupe personnage à la taille
Coupe personnage à la poitrine
|
5 Medium shot (MS)
|
Plan moyen (PM)
|
Plan moyen serré (PMS)
Plan américain large (PAL)
Plan américain (PA)
Plan américain serré (PAS)
|
Coupe personnage aux pieds
Coupe personnage au dessus du génou
Coupe personnage au dessus à mi-cuisse
Coupe personnage aux hanches
|
6 Medium long shot (MLS)
|
Plan d'ensemble (PE)
|
|
Personnage entier plus partie du décor
|
7 Full shot (FS)
|
Plan général (PG)
|
Plan général (PG)
Plan grand ensemlbe (PGE)
Plan ensemble (PE)
Plan demi ensemble (PDE)
|
Personnage dans le décor entier
Personnage dans l'ensemble d'un décor
particulièrement vaste
Personnage dans une importante partie du décor
Personnage dans une partie du décor.
|
1.3.1 Retour de José et sa grand-mère de chez sa
marraine
José tient une poule (cadeau de sa marraine) d'une main
ramenée sous son aisselle et une noix de coco dans l'autre.
« A un moment, mes doigts fatigués de tenir
la noix de coco se desserrèrent sans doutes et le fruit se mit à
dégringoler dans l'herbe, vers le pied du morne. Devant mon
désarroi, M'man Tine m'assura que j'allais le trouver, et me dit :
- T'as qu'à descendre le chercher la dans les halliers.
Je débarrasse mon autre main de mon poulet
ligoté, que je couche sur le bord du sentier, pendant que ma
grand-mère est debout à m'attendre, et je m'apprête
à descendre dans le fourré où a roulé la noix de
coco. Mais aussitôt, M'ma Tine pousse un cri, jette ses bras en l'air,
trépigne : le poulet s'est sauvé !
Son lien d'herbe s'est défait, et il fuit en caquetant
devant M'man Tine qui, affolée, essaie de lui barrer la route en tous
sens. Retournant sur mes pas, je me jette aussi dans la poursuite. Mais
aussitôt, la bête gagne le champ de cannes et disparaît.
M'man Tine la chercha longtemps, et moi-même je faillis m'égarer.
La noix de coco, on n'y pensa plus. Nous rentrâmes au bourg ; il
faisait nuit. » (LRCN, pp. 146-147).
Voici la découpage technique de cette partie :
SEQUENCE No 11
EXT. - FLANC D'UN MORNE - JOUR
|
|
|
PGE. Un sentier bordé par un champ de cannes.
|
|
|
PML. JOSE marche devant M'MAN TINE en tenant une poule et une
noix de coco
|
|
|
PMS. La noix s'échappe de la main de José. Elle
dégringole dans l'herbe vers le pied du morne.
|
|
M'MAN TINE
(Essayant de percer le bruit de la brousse agitée par le
vent)
T'as qu'à descendre la chercher là dans les
halliers.
JOSE
Oui, M'man !
|
INSERT. La noix sur terre.
|
|
|
PMS. José débarrasse sa main de la poule
ligotée et la couche sur le bord du sentier.
|
|
M'MAN TINE
Plus vite que ça José hein ! Tu ne trouves pas
qu'il est bientôt...
|
PM. M'man Tine pousse un cri, jette ses bras en l'air,
trépigne...
|
|
M'MAN TINE
Le poulet s'est sauvé !
JOSE
Attrape-le M'man !
|
PDE. M'man Tine essaie de barrer la route à la poule.
José se retourne et se jette, lui aussi à sa poursuite. La
poule gagne les champs de cannes et disparrait.
|
|
M'MAN TINE
Mais qu'est-ce que tu as à me regarder comme
ça ? Cherche-le, idiot !
|
Tout en cherchant, ils se dirigent vers...
|
|
|
PMS. Le champ de cannes. M'man Tine et José cherchent
et cherchent encore. Sous les cannes à sucre, sous les touffes
d'herbes...
|
|
M'MAN TINE
Rentrons, nous n'allons pas passer la nuit ici à chercher
une poule qui ne se montre pas.
JOSE
Non M'man !
M'MAN TINE
Vite !
|
TRAV. ARR. M'man Tine et José rentre
brédouilles. Personne ne parle à l'autre.
|
|
|
1.3.2 Récit de M'man Tine à propos de sa
jeunesse (« flash-back »).
« Moi, quand j'était petite, j'ai
donné du tracas à personne. Loin de là. A la mort de ma
mère, personne n'a voulu de moi, sauf tonton Gilbert. Eh
bé ! Qu'est-ce qu'il a fait de moi, tonton Gilbert ? Il m'a
embarquée dans les petites bandes, à arracher des herbes, au pied
des jeunes cannes, afin que je lui apporte quelques sous le samedi soir.
Pendant ce temps, les carrées de terre que ma mère avait
reçus du vieux béké qui était mon
grand-père, c'était lui qui en était le maître, y
plantait ce qu'il voulait, récoltait, en louait un carrée
à celui-ci, un demi-carrée à celui-là. Moi,
j'était toujours baissée du matin au soir dans un sillon, ma
tête plus bas que mon derrière, jusqu'à ce que le
commandeur, M. Valbrun, ayant vu comment j'étais faite, m'a tenue, m'a
roulée à terre et m'a enfoncé une enfant dans le
ventre. » (LRCN, P. 35).
Voici le découpage technique de cette partie :
Ces images qui relatent un récit en
« flash-back » sont en noir et blanc pour contraster avec
le récit principal. L'absence de dialogues renforce l'idée d'un
récit enchâssé.
|
SEQUENCE No 5
EXT. - CHAMP DE CANNES - JOUR.
|
|
PGE. Un champ de cannes qui s'étend à perte de
vue.
|
|
PE. Une centaine de sarcleurs s'acharnent à arracher
les mauvaises herbes autour des cannes.
|
|
PANO. G-D. Net arret sur M'MAN TINE un peu loin des autres,
baissée, en train de sarcler.
|
|
PPE. VALBRUN arrive tout près de M'man Tine. Il la
regarde courbée.
|
|
ZOOM IN . Valbrun tend les mains vers M'man Tine et se saisit
d'elle. Elle se débat et se Sauve vers les profondeurs de
cannes.
|
|
PRT.Valbrun prend M'man Tine et la déshabille, non
sans difficultés. Elle se débat toute nue.
|
|
PAL. Geste reflexe, M'man Tine se cache les les seins avec ses
deux mains, Valbrun se saisit d'elle et la viole.
|
|
Retour au récit principal en couleurs et
dialogué
|
1.4 Adaptation ou recréation
artistique
Cette partie de l'analyse comparative entre La rue
Cases-Nègres et sa mise en forme cinématographique nous a
déjà permis de donner un aperçu de nombreuses
ressemblances, mais aussi des divergences considérables tant du point de
vue organisationnel que narratologique entre ces deux récits.
Au lieu de « porter sur écran »,
Euzhan Palcy n'a fait que « reproduire l'équilibre et les
centres d'intérêt de l'original »33(*) selon les termes de Karel
Reisz cité par Robert Pignarre. Pour montrer l'esprit
« libéraliste » qui l'animait dans son projet, elle
a modifié le récit en commençant par le titre. Elle a
recréé, restructuré voire retravaillé La rue
Cases-Nègres pour qu'il soit adaptable au cinéma comme
Rue Cases-Nègres.
Le film n'est devenu qu'une représentation et une
illustration du roman, une sorte de transcription actualisée du langage
littéraire au langage cinématographique. Certes, la
fidélité totale à l'oeuvre originale est exceptionnelle
voire impossible. Cette fidélité a été
irréalisable pour Euzhan Palcy d'abord, parce qu'on ne peut
représenter visuellement des significations verbales, de même
qu'il est pratiquement impossible d'exprimer avec des mots ce qui est
exprimé avec des signes, des formes et des couleurs. Ensuite, parce que
l'image conceptuelle, celle que la lecture fait naître dans l'esprit est
fondamentalement différente de l'image filmique fondée sur un
donné réel qui nous est immédiatement offert à voir
et non à imaginer graduellement. Il est, par exemple, pratiquement
impossible de reproduire cinématographiquement l'émotion
psychologique contenue dans ce passage de José :
« Un champ (de cannes) représente toujours
à mes yeux un endroit maudit où des bourreaux qu'on ne voit
même pas condamnent des nègres, dès l'âge de huit
ans, à sarcler, bêcher, sous des orages qui les flétrissent
et des soleils qui dévorent comme feraient des chiens
enragés ; des nègres en haillons, puant la sueur et le
crottin, nourris d'une poignée de farine de manioc et de deux sous de
rhum de mélasse, et qui deviennent de pitoyables monstres aux yeux
vitreux, aux pieds alourdis d'éléphantiasis, voués
à s'abattre un soir dans un sillon et à expirer sur une planche
crasseuse, à même le sol d'une cabane vide et infecte. Non,
non ! Je renie la splendeur du soleil et l'envoûtement des
mélopées qu'on chante dans un champ de canne à sucre.
» (LRCN, p. 163)
On conçoit donc toute la difficulté et
l'impossibilité d'Euzhan Palcy à transposer les pages
éminemment psychologiques du narrateur. Elle a dû les escamoter,
les condenser ou les étirer avec une intention formelle. Gérard
Betton affirme que cela est « l'explication des échecs dans
les tentatives de transposition artistiques de nombreux chefs-d'oeuvre tel
Les Misérables, Crime et châtiment... et la
quasi-impossibilité de porter à l'écran les héros
stendhaliens, balzaciens et proustiens »34(*).
CHAPITRE II :
LES PERSONNAGES
2.1 La consistance et l'itinéraire des
personnages principaux
Comme nous l'avons vu le personnage occupe incontestablement
une place prépondérante dans n'importe quel récit. Dans
La rue Cases-Nègres de Zobel, les personnages sont bien plus
nombreux que dans le film de Palcy, qui a quelque peu simplifié
l'intrigue. Le film fait un tri parmi les personnages présentés
par le roman et semble privilégier les adultes, alors que le roman met
une emphase sur le monde des enfants. Ainsi, de tous les compagnons de
José tant à la rue Cases qu'à la Cour Fusil ou au
lycée Schoelcher, Palcy n'évoque que ceux qui avaient une
affinité très marquée avec le personnage principal. Dans
le livre, Zobel accorde une place beaucoup plus importante à ses
compagnons de bas- âge, « son plus émouvant souvenir
d'enfance ». D'autre part, les personnages n'ont pas toujours la
même psychologie. Ainsi, certains semblent plus humains, plus
émotionnels ou plus fragiles dans le roman que dans le film ou vice
versa. Nous allons essayer d'entrer dans leur fort intérieur pour
découvrir la force qui les anime.
2.1.1 José : approche
socio-historique
Personnage principal, José est omniprésent aussi
bien dans le roman que dans le film. Tout le récit est écrit
à la première personne et le narrateur n'est autre que le
personnage principal. Cependant, aucune description minutieuse qui pourrait se
comparer à un gros plan n'existe dans le roman, d'où certaines
spéculations sur sa morphologie. Cependant, on sait que c'est un
garçon de cinq ans au début du récit, et de dix-sept
à la fin (cf. la référence temporelle : LRCN, p.204).
L'idée générale qu'on se fait sur le personnage du
José du roman c'est qu'il est un garçon beau, intelligent,
bavard, qui grandit de l'enfance à l'adolescence (de cinq à
dix-sept ans).
Dans le film, ce personnage est interprété par
un garçon de onze ans et qui ne grandit pas, ce qui diminue l'effet du
temps qui s'écoule, un thème pourtant très prisé
dans le roman. Ce manque de croissance du personnage principal ôte un
caractère autobiographique à l'oeuvre filmique, tandis que dans
le roman beaucoup d'indices conduisent sur le terrain de l'autobiographie
surtout dans la première édition de La rue
Cases-Nègres, celle sortie en 1950. Elle met l'emphase sur la vie
de l'auteur et sur celle des siens. Les éléments paratextuels
renforcent les liens entre l'auteur, le narrateur et le personnage comme
l'atteste la dédicace :
A MA MERE,
Domestique chez les Blancs.
A MA GRAND'MERE,
Travailleuse de plantation,
Et qui ne sait lire. (LRCN, 1950)
Les allusions généalogiques à la
lignée maternelle de l'auteur correspondent de façon allusive
à celle du protagoniste José dans le récit. Outre les
éléments paratextuels, un certain nombre de rapprochements entre
le contexte et le texte, entre le vécu de l'auteur et celui du
protagoniste dans La rue Cases-Nègres sont à
considérer. D'abord, les repères spatio-temporels à la fin
du texte, « Fontainebleau, le 17 juin 1950 (LRCN 240) » se
rapporteraient non au temps de l'histoire mais au temps de l'écriture.
Ces indications temporelles jurent avec l'ancrage temporel du récit qui
relate une enfance de l'entre-deux-guerres. Dans le récit, le
système de plantation, même en voie de transition, demeure
toujours intact. Si on considère la chronologie de l'auteur (né
en 1915), l'ancrage spatio-temporel de l'histoire de José correspond au
pan de vie de l'auteur. La proximité des prénoms, Joseph (auteur)
/ José (protagoniste) ainsi que l'expérience rurale dans cet
univers de plantation ajoutent un autre élément à la
relation autobiographique. Somme toute, la première édition
invite à une lecture autobiographique de La rue
Cases-Nègres. Par ailleurs, le changement du nom du Lycée
Thoraille à Rivière-Salée en celui de Lycée
Joseph Zobel en dit long à ce propos.
2.1.2 M'man Tine : la
fée du récit
Interprétée par Darling Legitimus, M'man Tine
est sûrement le personnage le plus réussi dans le passage du roman
au film. Cependant, mis à part le fait qu'elle phagocyte le personnage
de M'man Délia, la mère de José qui n'apparaît nulle
part dans la réalisation de Palcy, nous ne pouvons pas non plus passer
sous silence ses changements d'humeur d'un récit à l'autre. Le
début du roman présente une grand-mère vigoureuse et
agressive qui « fait quelque fois déferler les coups de
triques, les coups de bâtons, les taloches sur moi
(José) » (LRCN, P.58). Par contre, dans le film, M'man Tine
semble plus humaine, plus tendre et plus fragile. Palcy fait d'ailleurs
allusion à sa compassion lorsque M. Saint Louis battait son petit-fils
après l'incendie qui a ravagé son domaine. Elle le qualifiera
d'assassin, du fait qu'il ose lever la main sur un gamin de cinq ans alors que,
dans le roman, c'est elle qui l'a battu. Autant M'man Tine parait gênante
pour les jeux des enfants dans le roman, autant elle paraît vouée
à leur cause dans le film.
Dans le roman, le narrateur commence et termine le
récit en privilégiant la figure de la grand-mère, M'man
Tine. Elle est indispensable non seulement à la formation identitaire de
l'enfant narrateur, mais aussi aux horizons d'ouverture où elle le
projette l'enfant narrateur. Dès les premières lignes du texte,
le narrateur nous signalera les conditions de lecture du récit de vie de
l'enfant à partir des figures discursives mises en jeux. Au début
du texte, le narrateur nous rappelle la figure de M'man Tine à partir
d'une perspective d'enfant. Il parle de son accoutrement, en particulier de sa
robe rapiécée. Il en fournit aux lecteurs une description des
plus minutieuses. Le recours à la métonymie est ici assez
significatif. La robe rapiécée à plusieurs reprises en
vient à représenter celle qui la porte. Le tissu est
endommagé par les tiges de la canne et la couleur ainsi que le motif en
sont méconnaissables. Comme l'ont souligné les critiques de
Zobel, l'accoutrement de la grand-mère est évocateur des
conditions d'existence des travailleurs agricoles et des
préjugés de classe intériorisés par tous les
Martiniquais.
Ce qui est surtout contraire à l'évolution
narratologique du roman, c'est que, dans le film, M'man Tine est d'abord
travailleuse dans les champs de cannes, parmi les autres habitants de la rue
Cases, avant de s'installer en ville comme laveuse, en vue d'aider José
à parachever ses études. Ce rôle de laveuse chez les Blancs
est joué dans le roman par M'man Délia.
En outre, dans le roman, plus que dans le film, M'man Tine
s'exprime plus souvent en « monologue à mi-voix »
(LRCN, P. 14). Sa voix est basse, monotone et trahit sa fatigue ;
d'ailleurs elle transmet son récit de vie sous cette forme de monologue
pour que son petit-fils comprenne ses origines, et, par la même occasion,
l'histoire familiale. Son récit sert de connexion entre son passé
et son avenir et guide l'enfant dans la vie quotidienne dans l'espoir qu'il
pourra un jour sortir des champs de cannes où sont normalement
destinés les enfants des travailleurs agricoles. Ce récit relate
donc les expériences de sa grand-mère, de sa mère et des
membres de sa communauté et deviendra un puits d'images d'où
l'enfant tirera la matière de son écriture.
Non seulement le film de Palcy ne présente pas M'man
Tine comme une femme qui ne monologue pas souvent, comme c'est le cas dans le
roman, mais aussi comme une femme de combat qui jure de lutter jusqu'au bout.
Dans le roman, par contre, elle hésite quelquefois et recourt à
l'aide de M'man Délia en cas de difficultés. Cependant, dans tous
les cas, elle est présentée par certains critiques comme
l'héroïne même du récit. Il n'est donc pas surprenant
que la dernière image que nous offre le narrateur soit bien celle du
corps abruti de sa grand-mère. José s'approche du cadavre de
M'man Tine, l'examine de long en large, pour s'arrêter aux
extrémités. Le portrait minutieux des mains révèle
un glissement de perspective allant de l'objectivité à
l'intersubjectivité. Au début du récit, le regard de
José s'arrête à l'accoutrement et, par extension, aux
apparences trompeuses qui minimisent l'individualité de sa
grand-mère. Dans son évaluation de la beauté, M'man Tine
garde comme horizons les contradictions et les limites de la
réalité vécue dans les plantations. Seulement, les
expériences et les observations de José au cours du récit
lui permettront à la fin du récit de sonder les êtres et
les choses. Ainsi le regard lucide de José, maintenant
imprégné de tendresse et d'amour, retient les grandes lignes et
l'énorme sacrifice d'une existence individuelle. Il faut signaler que,
dans le roman, José s'imagine le cadavre de sa grand-mère. Il
était à mille lieu de ce corps, tandis que, dans le film, c'est
lui-même, aidé par Tortilla et Aurélie qui entreprit la
dure épreuve de lavage du cadavre, ce qui diminue le caractère
réaliste du film, vu son bas âge.
La reprise de l'image de M'man Tine, en particulier l'image de
son corps à la fin du récit, signale un glissement au niveau des
figures rhétoriques, allant de la métonymie (la robe de M'man
Tine) à la synecdoque (les mains et les pieds de M'man Tine). Le
glissement des figures discursives renvoie aux rapports de proximité et
d'écart entre José et sa grand-mère. Au début,
José dépend totalement de sa grand-mère et même les
bribes descriptives consacrées à M'man Tine reflètent
cette proximité. A titre d'exemple, la longue description de la robe de
M'man Tine. Au fur et à mesure que se déroule le récit,
l'enfant se sépare de plus en plus de sa grand-mère et cet
écart se manifeste également dans le choix des figures
discursives. A la fin du récit, l'écart entre José et
M'man Tine trouve son expression la plus percutante dans l'appréciation
des extrémités corporelles de la vieille femme. De plus, la
figure de M'man Tine n'engage pas seulement sa personne mais celle de sa
communauté. Elle porte en elle les signes de la résistance
à tel point qu'elle pourrait être comparée aux fées
des contes merveilleux.
Devant l'aveu de José, « M'man Tine
n'avait-elle pas été vraiment la fée qui avait
réalisé mon rêve ? » (LRCN, p. 107), le
lecteur se rend compte que le personnage, le narrateur et l'auteur concourent
à rendre hommages à cette grand-mère dont la vision
« merveilleuse » avait su rejoindre « le
réel ». Il convient de noter que, dans le film, une telle
exaltation est difficile à porter sur écran. Dans le roman, le
récit devient facilement le terrain de transformation des signes :
le soleil, les champs de cannes, la vie des travailleurs agricoles, le sort des
enfants...La métamorphose de M'man Tine en fée va dans ce sens
car la laideur de son corps cède à la beauté de son
âme. Cette lecture peut également s'appliquer à l'oeuvre
entière qui se voue au salut des pauvres. La dédicace au
début du film, « A toutes les rues Cases-Nègres du
monde », ajoute foi à cette mission humanitaire.
En somme, le personnage M'man Tine connaît la meilleure
fortune dans les deux récits car elle reste la mieux incarnée
dans l'adaptation grâce à la brillante prestation de Darling
Legitimus. Celle-ci a même décroché le prix de la
« meilleure actrice » de l'année 1984. Ses gestes,
ses paroles, ses mouvements et ses vêtements font d'elle une M'man Tine
en chair et en os.
2.1.3 Médouze ou la
réhabilitation de l'oralité
« Il est le plus vieux, le plus misérable, le
plus abandonné de toute la plantation... sa cabane est la plus
dénudé et la plus sordide... Son vrai visage est un masque
hallucinant... avec sa tête grenée de cheveux roussâtres, sa
barbe à l'aspect de ronce et ses yeux dont on ne voyait jamais qu'un
petit filet parce que ses paupières restaient presque fermées.
[Médouze] vêtu seulement d'un pagne avec au coup un minuscule
sachet noir de crasse, et attaché à une fibre ressemblait
à un beau corps d'homme que la flamme avait longuement grillé et
qu'elle se plaisait maintenant à patiner dans toutes les gammes des
bruns ». (LRCN, p. 41-42)
Telle est la description du vieux Médouze que le
narrateur nous fait découvrir dès son entrée en
scène. C'est ces détails que Palcy a formellement
« porté sur écran », tandis que, dans le
fond, c'est ce vieillard qui initie José à une
appréhension de son milieu naturel et culturel. Il est
l'aîné de la communauté et disposé à
transmettre son savoir et sa sagesse aux jeunes générations,
tâche dont il s'acquitte fort bien dans les deux récits
(romanesque et filmique). L'expression vocale de M. Médouze se
caractérise par sa verticalité. Il est souvent question de sa
voix qui monte, surtout quand il relate des contes ou son histoire personnelle.
Le ton en est cependant beaucoup plus émotionnel dans le film que dans
le roman.
Il joue un rôle considérable dans l'initiation de
José en vue d'éveiller ses dispositions intellectuelles. La
communauté de la Rue Cases-Nègres est régie par un
système de classe d'âge où les aînés et les
adultes ont droit à la parole et où les enfants ont l'obligation
de l'écoute. Quoique le système de plantation ait pour effet de
faire intervenir les rapports de force dans cet enjeu, José, lui, en
tire bénéfice. Cette écoute active de la parole de
Médouze lui permettra de distinguer des mécanismes de survie et
de résistance sur lesquels il bâtira sa propre philosophie.
Médouze élargit des horizons intellectuels de l'enfant et lui
propose d'abord un regard autre sur son univers. Il encourage l'enfant à
suivre un système de valeurs où s'inscrivent l'être, le
temps et l'espace dans des rapports intersignificatifs. Fidèle à
ses traditions philosophiques, dans le roman tout comme dans le film, M.
Médouze préfère la durée à l'instant, et il
crée une certaine ambiance pouvant faire surgir la « parole de
la nuit » :
« Il en est ainsi presque chaque soir. Je ne peux
jamais entendre un conte jusqu'à la fin. Je ne sais si c'est M'man Tine
qui m'appelle trop tôt, quoiqu'elle me gronde toujours de m'être
trop attardé, ou si c'est Médouze qui ne raconte pas assez
vite ». (LRCN, p. 45)
M. Médouze, « source intarissable de contes,
de devinettes, de chansons » (LRCN, pp. 41-45) fournit des
clés de compréhension et d'explication sur son milieu naturel et
culturel. Dans cette veine, la parole du conteur, en imitant par exemple le
galop d'un cheval, s'harmonise avec les bruits et les sons de la nature. Cette
harmonie est, bien entendu, beaucoup plus accentuée dans le roman que
dans le film grâce à l'intervention du son. L'initiation de
José vise non seulement à valoriser les sources vives de
l'humanité mais à reconnaître aussi les sièges du
mal. A cet égard, le témoignage suivant est percutant :
« Tout l'attrait de ces séances de devinettes
est de découvrir comment un monde d'objets s'apparente, s'identifie
à un monde des personnes ou d'animaux. Comment une carafe en terre cuite
qu'on tient par le goulot devient un domestique qui ne sert de l'eau à
son maître que lorsque ce dernier l'étrangle ». (LRCN,
p. 43)
Ainsi, M. Médouze, dans le film plus que dans le roman,
fait à José l'apprentissage du lexique et du discours de
domination qui perpétuent l'exploitation des pauvres et des
démunis. Palcy y ajoute une leçon sur la vie que M.
Médouze va administrer à son disciple tout en modifiant ses
contes. Dans le roman, les contes de M. Médouze renferment des outils de
résistance où la présence des personnages animaux
interroge le statu quo et favorise les préceptes éthiques.
Outre le but d'établir un rapport entre l'être
humain et son entour naturel et culturel, s'ajoute celui de lui faire
connaître les connexions entre le réel et le merveilleux. Quand M.
Médouze parle à José du « lapin [qui] marchait
en costume de toile blanche et chapeau panama », ou « [...]
du temps où toutes les traces de Petit-Morne étaient
pavées de diamants, de rubis, de topazes ; toutes les ravines
coulaient de l'or et les grands étangs étaient un bassin de
miel » (LRCN, p. 44), il montre à José une autre
façon de voir, de penser, d'imaginer son univers. Au fond, il cultive la
résistance de l'enfant contre les tendances hégémoniques
de la culture de l'oppresseur en enseignant à José les lieux
vitaux de son existence :
« Ainsi sur la simple intervention de M.
Médouze, le monde se dilate, se multiplie, grouille vertigineusement
autour de moi (José) ». (LRCN, p. 43)
Plus émotionnels encore sont les récits dont M.
Médouze lui fait part, des récits qui valorisent ses sources
africaines. La valorisation de la Guinée, comme arrière pays et
comme lieu de repos des âmes en peine, sert de gage de
fidélité. Dans le film, Palcy remplace
« Guinée » par « Afrique » dans
le souci d'élargir les horizons à toute la diaspora noire
des Antilles. Le programme narratif de M. Médouze s'inscrit dans la
visée idéologique de l'auteur qui est celui de valoriser le
vécu des personnages dans leur lutte contre l'Histoire et dans leur
tenace résistance au discours hégémonique.
Ce récit généalogique d'esclavage, de
colonisation, sert d'arrière plan au tableau de La rue
Cases-Nègres. Les contes, les devinettes, les récits
constituent un corps de savoir où le religieux, l'histoire, le politique
et le social sont pensés non par rapport à la civilisation
française, mais par rapport aux civilisations antillaises et africaines.
M. Médouze se démarque, en raison de la grandeur de sa vision et
de ses paroles. Sa présence transgresse la mort que lui réservent
les champs de cannes. Le récit rend hommage aux leçons de M.
Médouze car le narrateur puise dans la mémoire des lieux et des
êtres et dans des situations d'oralité pour donner sens à
sa démarche créatrice. De ce fait, La rue
Cases-Nègres réhabilite la civilisation africaine en
insistant sur les affinités historiques et culturelles qui rattachent
l'Afrique et sa diaspora du « Nouveau-Monde ».
En somme, M. Médouze est un personnage typé qui
représente les valeurs traditionnelles et culturelles des ancêtres
descendants d'esclaves déportés d'Afrique vers les Antilles. Ce
vieillard est sûrement l'un des personnages les plus caricaturaux qu'ait
dépeint Zobel. Il mourra victime de la fatigue des champs de cannes.
L'image de ce vieux sarcleur de cannes restera gravée dans la
mémoire de José et il rassemblera tous les détails de
leurs conversations pour en faire un récit que le professeur qualifiera
de « plagiat ». Il ne s'imaginait pas un tel enfant
composer un aussi beau texte. Il le met en garde de ne plus
« s'amuser à ce petit jeux » (LRCN, 209). Dans le
film, ce texte sera lu à toute la classe.
2.1.4 M'man Délia, la
grande absente du film
Nous avons vu que, dans La rue Cases-Nègres
de Zobel, les personnages sont beaucoup plus nombreux que dans son adaptation
cinématographique, et que le film a quelque peu simplifié
l'intrigue. C'est dans cette optique que Délia, la mère de
José, ne fait pas partie des personnages qui ont été
« portés sur écran ».
En effet, il est fréquent dans ce genre de films qu'un
certain nombre de personnages soient passés sous silence. Ce qui est
original avec le personnage de M'man Délia, c'est que son image domine
la troisième partie du livre et que, par conséquent, il est
impensable qu'un tel personnage soit escamoté. Elle avait seulement
été évoquée dès le début du roman,
mais elle entre elle-même en scène avec le début de la
troisième partie, lorsqu'elle jurait d'aller jusqu'au bout :
« Ils ne savent pas quelle femme de combat je suis » (LRCN,
168). Nous avons vu que son rôle a été phagocyté par
M'man Tine dans le film. Pourtant, en l'absence de description
détaillée de son personnage de la part de l'auteur du livre,
n'importe quelle comédienne pouvait interpréter son rôle.
Tout ce que l'on sait de sa personne, c'est qu' « elle faisait
la lessive et le ménage chez les Blancs Créoles de la Route
Didier » (LRCN, p. 168).
Toutefois, M'man Délia était une
étrangère aux yeux de son fils. Ne le dit-il pas lui-même
en ces termes ? : « Notre peu de familiarité me
rendait plutôt timide avec elle » (LRCN, p. 186).
Et lorsque « le professeur avait demandé aux
élèves les noms et professions des parents, sans aucune
arrière pensée... c'était le nom de M'man Tine qui
était sorti de [sa] bouche comme parente principale » (LRCN,
p. 181).
Somme toute, on s'étonne de l'esprit créateur de
Palcy qui a pu condenser deux personnages en une seule actrice. Elle y a fort
bien réussi mais cette modification cinématographique
atténue l'aspect autobiographique du roman.
2.1.5 Les autres personnages
Dans son récit, Zobel répertorie tous ceux qui
ont été ses compagnons d'enfance, de la Rue Cases à
Fort-de-France, en passant par Petit-Bourg. Cependant, dans le film, Palcy a
dû faire, un choix et se limiter aux personnages qui jouent un rôle
vraiment important. Il est vrai que, dans son « souvenir
d'enfance », Zobel s'attarde beaucoup sur les descriptions
morphologiques de ses camarades, et ce n'est pas pour rien qu'il s'efforce de
mentionner leurs vrais noms comme l'ont révélé les
critiques ; c'est dans le souci de les immortaliser, de faire en sorte
qu'ils ne soient oubliés à jamais. Son entreprise a, en quelque
sorte, réussi parce que chaque fois qu'on lit La rue
Cases-Nègres, on se voit transporté dans un monde
peuplé de Paul et ses deux soeurs Tortilla et Aurélie, de Gesner
et Soumane, son petit frère, de Romane et Victorine, intrépides
comme des garçons ainsi que de Casimir et Hector.
Outre ses camarades de la Rue Cases, l'auteur passe beaucoup
de temps à décrire ses condisciples du Petit-Bourg et du
Lycée Schoelcher. On retiendra entre autres Raphaël et Michel qu'on
surnommait « panse parce qu'il avait un ventre
épais », son frère Ernest plutôt frêle, et
leur petite soeur Hortense, Sosso, le nageur, Camille, dont la culotte
s'échappait de son ventre aux moments les plus imprévus, Vireil,
bavard comme une pie et qui racontait souvent des histoires fantastiques, Jojo,
le malheureux mulâtre battu tous les jours par sa marâtre,
Christian Bussi, enfant gâté à qui sa maman donnait
toujours trop à manger, Serge, le garçon le plus riche de la
classe ainsi que Carmen qui sera son ami à Fort-de-France.
De tous ces camarades, ceux de la Rue Cases ont
été repris dans le film, tandis que, parmi ceux de Petit-Bourg et
Fort-de-France, seuls Jojo (Léopold dans le film) et Carmen se
détachent des autres pour être repris chez Palcy avec quelques
modifications :
- Jojo du roman a grandi « et sa bouche est
soulignée d'un gros trait de moustache » (LRCN, p. 217). Par
contre, dans le film, Léopold est un petit gamin d'une douzaine
d'années.
- Carmen du roman est présenté comme
« un jeune homme tout juste plus âgé que
[José] » (LRCN, p. 197). Cependant, le film présente un
garçon de loin plus âgé, et même les propos qu'il
tient à José ne semblent pas coller à cause du
décalage significatif d'âge entre les deux garçons.
Enfin, pour en revenir aux personnages principaux, on notera
que M'man Tine et Médouze sont les deux qui changent le moins et que
José et M'man Délia sont les deux qui changent le plus dans le
passage du roman au film. De la croissance physique de José, on aboutit
à sa stagnation formelle, et, de l'inconsistance marquée de M'man
Délia, on aboutit à son absence totale.
2.3 Schématisation de La rue
Cases-Nègres
Poussant plus loin la logique structurale, A.-J.
Greimas35(*) montre que
tout récit met en jeu six fonctions élémentaires et
solidaires. Dans cette perspective, le récit minimal se décrirait
ainsi : mandaté par A, B se met en quête de C pour le compte
de D ; au cours de cette quête, il peut recevoir l'aide de E et
faire face à l'opposition de F. Cette brève présentation
sous une forme paraphrasée peut être formalisée sous le
modèle actantiel proposé par Greimas.
En effet, ce que nous désignons à l'aide des
lettres A,B,C,D,E,F correspond à ce que Greimas appelle les actants du
récit qu'il nomme respectivement : destinateur, sujet, objet,
destinataire, adjuvant et opposant.
Dans La rue Cases-Nègres les actants peuvent
se schématiser comme suit :
M'man Tine
José et la population de la Rue Cases
Destinateur
Destinataire
(A) (D)
José
-éducation
-liberté
-rémunération
Sujet
Objet
(B)
(C)
Médouze, Délia, Tine et la population de la Rue
Cases
Les Blancs
Mme Léonce
L'ignorance
Adjuvant
Opposant
(E) (F)
Poussant encore plus loin l'analyse des personnages, en y
insérant les personnages cinématographiques, André
Gardies36(*) propose un
schéma qui repose sur la figure actorielle du système romanesque
/ filmique. Ce schéma peut nous aider dans l'appréciation des
comédiens qui interprètent différents rôles et
personnages dans leur passage du roman au film. En fait, cette figure
résulte de la combinaison de quatre composants : l'actant, le
rôle, le personnage et le comédien-interprète, chacun
relevant d'un système propre.
2.2.1 L'actant
Selon Gardies, « la figure actorielle est d'abord
une force agissante au sein du monde diégétique, un facteur de
dynamique du récit. En ce sens elle peut se définir par la place
qu'elle occupe dans le schéma actantiel »37(*).
Au cinéma, toutes les figures humaines qu'on peut voir
sur l'écran ne sont pas des « figures actorielles ».
Nombreux sont ceux qu'on qualifie de « figurants ». Ceux-ci
n'ont à titre individuel aucune valeur actantielle et on les appellent
des « non-actants ». En revanche, à titre
collectif, ils peuvent jouer ce rôle. C'est le cas de la foule des
paysans travaillant dans les champs de cannes. Ils jouent le rôle
d'adjuvant. Mais il s'agit alors de la foule en tant qu'entité ;
chaque « figurant », lui, est engagé et payé
par la production sur la base de son statut de
« non-actant ».
2.2.2 Le rôle
Le rôle est une sorte de modèle
préexistant qui fournit un ensemble de règles et de contraintes
aux comédiens qu'il endosse : traits physiques, mimiques,
gestuelle, comportements particuliers. Le comédien, s'il est
traître, devra tenir son rôle en fonction de l'image attendue.
2.2.3 Le personnage
Comme nous l'avons vu, le propre du personnage est
d'appartenir au monde diégétique que propose le récit et
de s'y définir par les rapports qu'il entretient avec tous les
éléments qui peuplent ce monde. Il est naturellement l'une des
sources nourricières de la figure actorielle, à laquelle il donne
ce que, d'une certaine manière, on pourrait appeler son
« essence ».
2.2.4 Le comédien-interprète
C'est bien entendu au comédien de donner
« corps » à la figure actorielle. C'est la personne
physique qui sera filmée dans le personnage de tel. Mais l'apport de
l'interprète ne se limite pas à cette seule dimension physique.
Le comédien, du moins le comédien professionnel participe aux
mythes communautaires et s'ancre dans l'imaginaire social. Lorsque Sylvester
Stalone entre dans un film pour y jouer un personnage précis, il est
à la fois ce personnage et tous les autres qu'il a
interprétés antérieurement (Rambo, Rocky, ...).
La figure actorielle, si elle se manifeste sensiblement par un
signifiant de nature verbo-iconique, résulte, au plan de son
signifié, d'un processus de sémiotisation complexe. Actant,
rôle, personnage et comédien, chacun inscrit dans son propre
système, sont autant de composantes qui, à des degrés
divers et à partir de leur combinaison, contribuent à
l'élaboration sémantique de la figure actorielle, elle-même
fonctionnant au sein du système filmique. Dans La rue
Cases-Nègres, ce processus pourrait se résumer ainsi :
Système filmique
Système romanesque
Principales figures
actorielles
Actant
|
Rôle
|
Personnages
|
Comédiens
|
Destinateur
|
Mère clairvoyante
|
M'man Tine
|
Darling Legitimus
|
Sujet
|
Enfant des campagnes qui va à l'école
|
José
|
Garry Cadenat
|
Destinataire
|
Population exploitée
|
La population de la rue-Cases
|
Beaucoup de figurants
|
Opposants
|
Marâtre
Le propriétaire de champs de cannes
|
Mme Léonce
M. l'Econome
|
-Dorothée Audibert
-Francisco Charles
|
Adjuvants
|
Maîtres, camarades, voisins...
|
Médouze
Carmen
Jojo (Léopold)
|
Douta Seck
Joël Palcy
Laurent Saint-Cyr
|
Objet
|
Bien être social
|
Liberté, travail rémunéré,
éducation
|
Les autres travaux sauf les champs de cannes comme
l'enseignement, le travail de bureau...
|
CHAPITRE III :
LE TEMPS ET L'ESPACE
3.1 Le temps
3.1.1 Le temps et l'image
cinématographique
Raconter au cinéma, mais aussi à l'écrit
comme à l'oral, c'est, si l'on en croit Christian Metz cité par
Gérard Genette, « monnayer un temps dans un autre
temps »38(*).
Celui-ci se trouve au coeur de l'acte de narration. Il n'est donc pas
surprenant que la réflexion sur le temps ait depuis longtemps
accompagné l'étude des formes littéraires. La narratologie
filmique a donc pu, très tôt, bénéficier de
modèles d'analyse élaborés ailleurs et
antérieurement. Cependant, la question posée ici est celle de la
linéarité temporelle au cours de l'adaptation de La rue
Cases-Nègres, du roman au film.
Entre le récit filmique et le récit
écrit, il existe une différence fondamentale puisqu'elle tient au
langage même : alors que la langue, dans son système,
distingue les divers temps et modes grâce aux verbes, l'image mouvante ne
possède qu'un seul registre d'actualisation, le présent.
Néanmoins, dire que l'image mouvante est au présent tend à
la simplification. Il est beaucoup plus juste de la caractériser, comme
le font Gaudreault et Jost, par sa valeur
d' « imperfectif » : « L'image
cinématographique se définit donc moins par sa qualité
temporelle (le présent) ou modale (l'indicatif) que par cette
caractéristique aspectuelle qui est d'être imperfective, de
montrer le cours des choses »39(*). Cette durée imperfective au plan aspectuel
n'ira pas sans conséquences quant à l'analyse du récit
filmique.
Dans ce chapitre, il sera question de voir le rapport qui
existe entre le temps de La rue Cases-Nègres, du roman au film.
Toutefois, Figures III de Gérard Genette, synthèse
remarquable de clarté et de précision, sera la
référence de base même si, simultanément, la
spécificité du médium cinématographique par rapport
à l'écrit sera prise en considération.
3.1.2 Les trois aspects du temps
de La rue Cases-Nègres
A partir du double axe temporel, Genette propose
d'étudier les rapports qui se tissent entre le temps du récit et
celui de l'histoire du point de vue de l'ordre, de la durée et de la
fréquence. Nous allons reprendre ces trois formes de manifestation du
temps en accordant beaucoup plus d'attention à la durée qu'aux
deux autres. L'ordre d'ensemble de La rue Cases-Nègres a fait
l'objet de notre analyse dans les pages précédentes et la
fréquence, du moins au niveau des unités narratives de grande
importance, s'est transposée sans grand changement du roman au film.
3.1.2.1 L'ordre
Dans le travail d'adaptation cinématographique d'un
récit romanesque, tout réalisateur a le choix, soit de reprendre
l'ordre chronologique du récit de départ, soit d' en adopter un
autre (respect ou non des « anachronies » pour reprendre
l'expression de Genette). Déjà, après le début du
récit romanesque, M'man Tine raconte l'histoire de sa vie à
José (LRCN, p. 35). Dans le film, ce « flash back »
a été escamoté exprès, alors qu'il y avait lieu de
le reprendre, comme je l'ai démontré dans les pages
précédentes. De même, l'histoire de la vie de Jojo est
racontée sous cette forme de « flash back » (LRCN,
PP. 218-220,) mais au lieu de reproduire le « flash back »
tel qu'il se présente dans le roman, Palcy l'insère dans son
film juste avant le dénouement, après y avoir opéré
des changements importants. Dans le film, le personnage concerné ne
s'appelle plus Jojo, mais plutôt Léopold, un prénom
inventé de toutes pièces puisqu'il n'existe pas dans le roman.
Pire encore, l'histoire n'est plus au passé (sous forme de retour en
arrière), il est au présent et José assiste au malheur de
son ami sans pouvoir intervenir.
Si les anachronies dans ces deux histoires (de M'man Tine et
de Jojo) sont en direction du passé, elles peuvent aussi s'exercer en
direction de l'avenir. « Retour en arrière »,
« rétrospection »,
« flash-back », « anticipation »,
« flash-forward » sont quelques uns des termes qui
désignent habituellement ce phénomène de récit
ultérieur ou antérieur. Genette propose de leur substituer les
deux expressions : analepse et prolepse. Analepse, lorsque le
récit suspend son cours pour rapporter des événements
ayant eu lieu précédemment comme c'est le cas dans ces deux
exemples et, prolepse, lorsque sont rapportés maintenant les
événements qui auront lieu plus tard. C'est le cas du
récit anticipé de José lorsque sa grand-mère
voulait déménager vers la Cour Fusil. Il raconte
déjà sa vie de la Cour Fusil avant même son départ
de la Rue-Cases :
« Je retournerai à l'école, et le midi
j'irai chez M'man Tine. Je mangerai chez elle. Je deviendrais un enfant du
bourg » (LRCN, p. 107).
C'est le cas aussi de la projection de ses idées de sa
vie future qui ressemble à un rêve à haute voix :
« Moi j'aurais une grande propriété,
M'man Délia s'occuperait du ménage » (LRCN, p. 135).
Dans ces deux cas, ces récits
« proleptiques » ont été
délaissés parce que, semble-t-il, ils sont difficiles à
« porter sur écran ».
Les anachronies, on le voit dans La rue
Cases-Nègres, ont procédé par enjambement en nous
invitant à une lecture qui progresse par bonds. D'une part, dans
l'histoire de la vie de M'man Tine, le récit fait un bond d'une
cinquantaine d'années en arrière, tandis que pour l'histoire de
Jojo, le récit fait un bond en arrière de dix ans. D'autre part,
les deux histoires « proleptiques » de José font des
bonds respectifs de quelques heures et de quelques années. L'effet
recherché est de rendre plus fine l'harmonie du récit.
Comme on peut le vérifier dans le film, Palcy n'utilise
aucune narration « proleptique » ni
« analeptique » pour raffiner son expression iconique. Elle
utilise d'autre moyens, surtout verbaux comme des voix off pour exprimer les
faits à venir. La voix off qui clôture le film est un exemple
typique : « Amantine est allée dans l'Afrique de Monsieur
Médouze. Demain, je vais partir au Fort-de-France en emportant avec moi
ma rue Cases-Nègres ».
Le schéma chronologique des analepses et
prolepses romanesques et leurs correspondances
cinématographiques
ROMAN
1921
1869
1922
1930
1919
1929
1928
FILM
Légende
1919 : Début du temps diégétique
1929 : Fin du temps diégétique
1869 : Récit analeptique de la vie de M'man
Tine
1921 : Récit analeptique de la mésaventure
de Jojo
1922 : Récit proleptique de José à
propos de la vie à Petit-Bourg
1928 : La mésaventure de Jojo (Léopold)
1930 : Récit proleptique de José à
propos de sa future richesse
Sur ce schéma, on reconnaît quatre récits
enchâssés : deux analepses, deux prolepses. Parmi ces quatre
récits, un seul, celui de la mésaventure de Jojo
(Léopold), a été repris dans le film. Dans le roman, il
est raconté avec un bond en arrière de dix ans tandis que, dans
le film, il est montré sans anachronie. Les trois autres ont
été délaissés.
3.1.2.2 La fréquence
Avec la fréquence, on entre peut être plus dans
une dimension aspectuelle que temporelle : c'est le caractère
itératif ou singulatif du récit qui est envisagé. Soit la
première phrase du roman « Quand la journée avait
été sans incident ni malheur, le soir arrivait souriant de
tendresse », le recours à l'imparfait permet à un seul
énoncé de décrire un nombre indéfini
d'événements donnés comme identiques et
répétitifs. Le soir arrivait, souriant de tendresse chaque fois
que la journée avait été sans incident ni malheur. Et cela
est arrivé pendant plus d'une soirée. Cet énoncé
raconte donc en une fois ce qui s'est produit n fois. C'est le mode
itératif du récit.
Plusieurs procédés semblent avoir aidé
Palcy à rapporter cinématographiquement ce genre
d'énoncés qui dominent le texte romanesque. Les points suivants
montrent les différentes tentatives de Palcy à transposer au
cinéma les passages en mode itératif :
1. Le début du roman raconte la vie habituelle de
José en l'absence de tout incident. Au cinéma, on recourt
à l'utilisation d'une voix off de José qui reprend ce qui est
écrit dans le roman.
2. José avait l'habitude de rentrer à la maison
après avoir joué avec ses camarades à
l'école :
« ... le soir je m'attardais à jouer avec
quelques camarades devant l'école, puis je rentrais à la Cour
Fusil [en passant par Petit-Bourg] après m'être assuré que
je n'était coupable de rien d'extraordinaire » (LRCN, p. 108).
Pour porter sur écran un énoncé pareil,
Palcy a procédé très simplement comme suit : elle
fait montrer deux fois des enfants qui rentrent en jouant sur la route
où l'on peut apercevoir un panneau sur lequel est écrit
« Petit-Bourg ». L'effet que ce plan produit chez le
spectateur, c'est qu'il prend connaissance à la fois de l'endroit et du
caractère itératif des faits.
On aura cependant, remarqué que la plupart
d'énoncés du genre itératif ont été
rapportés au cinéma comme s'ils évoquaient des faits
singulatifs, c'est-à-dire raconter une fois ce qui s'est produit une
fois. Dans la mesure où l'image mouvante est d'essence singulative, elle
ne peut photographier qu'une seule occurrence événementielle
à la fois ; sauf cas de strictes duplications, si elle filme une
seconde fois le même événement, elle en fournit une seconde
version et non la simple répétition.
Quant à la forme répétitive du
récit (raconter n fois ce qui s'est passé une fois), on
remarque que c'est un procédé que Zobel n'utilise pas dans son
roman. Par conséquent, Palcy non plus n'y fait nullement recours.
Malgré tout, d'une manière générale, le
récit de Palcy garde son caractère itératif qui
découle du recours à de nombreuses interventions de la voix off
du narrateur.
3.1.2.3 La durée
Le rythme, c'est précisément l'un des effets
essentiels que gère la durée. Celle-ci s'évalue à
partir du rapport entre l'axe du récit et celui de l'histoire. Quatre
situations types sont dégagées par Genette : la
scène, le sommaire, la pause descriptive et l'ellipse.
La scène, c'est, comme nous l'avons vu, là
où le temps du récit est à peu près
équivalent à celui nécessaire au déroulement des
événements (tR=tH). Si l'on examine le film de Palcy,
séquence par séquence, on remarque que la scène est la
situation la plus utilisée. Le sommaire est, quant à lui,
là où le temps du récit est inférieur à
celui des événements. Dans l'ensemble, c'est le régime
narratif le plus habituel. Le roman de Zobel se déroule, dans son
ensemble, sur une période de douze ans, tandis qu'il est écrit
sur 240 pages. Dans le film la même période (de 12 ans) est
racontée sur une pellicule de 103 minutes.
Par contre, nous avons vu que la pause descriptive correspond
aux passages dans lesquels le temps du récit a une certaine valeur
tandis que l'histoire n'avance pas, que sa durée est égale
à zéro (tR=n / tH=0). Cette façon de raconter une histoire
est très prisée dans le roman de Zobel. Ainsi pouvons-nous avoir
plusieurs passages descriptifs du type : « La rue
Cases-Nègres se compose d'environ trois... » (LRCN, p. 17)
D'autre part, les anachronies observées ici et
là dans le roman entravent le déroulement de l'histoire pour
donner au lecteur plus de détails sur le passé ou l'avenir de
l'un ou l'autre personnage. Cependant, dans le film on ne trouve pas des
panoramiques dilatés, dépourvus de toute durée
événementielle qui pourrait s'identifier à une pause
descriptive de telle ampleur.
Enfin, l'ellipse, c'est-à-dire, là où le
temps du récit est égal à zéro tandis que celui de
l'histoire a une certaine valeur (tR=0 / tH=n) correspond, dans La rue
Cases-Nègres aux deux papiers blancs qui, chaque fois,
séparent les parties. Ils ont pour effet de permettre de fortes
accélérations narratives. Ainsi la première partie se
termine sur la mort de Médouze, tandis que la deuxième s'ouvre
sur la vie scolaire du protagoniste. De la même sorte, la deuxième
partie se ferme sur le résultat du concours des bourses et la
troisième s'ouvre sur la vie de José à Fort-de-France
où il devait aller poursuivre ses études. Dans le film on utilise
souvent les fondus au noir, les annonces du type « trois ans plus
tard », ou bien des voix off annonçant l'information
nécessaire. C'est cette troisième option que le film de Palcy
utilise. Ainsi, à la trente quatrième minute du film, une voix
off annonce le départ pour l'école de José.
Pour être plus complet, certains auteurs comme
André Gardies, ajoutent une cinquième figure, celle où le
temps du récit est supérieur au temps de l'histoire (tR>tH).
Cependant, ce procédé n'est utilisé ni par Zobel ni par
Palcy. Il est d'usage surtout pour les effets de suspense,
particulièrement dans ces ultimes instants où
s'égrènent les dernières secondes avant le climax.
Gaudreault et Jost appellent cette figure temporelle la
« dilatation ». Il faut ajouter que les effets de ralenti
ou d'accéléré sont également absents dans le film
de Palcy.
3.1.3 Rapport nombre de pages /
durée du film
L'autre observation qu'il faut faire dans l'analyse temporelle
d'une adaptation, c'est le rapport qui existe entre le nombre de pages et la
durée du film qui en découle. Nous avons vu que le roman qui
était de 240 pages a été transposé sur une
pellicule de 103 minutes. Certaines scènes ont été
supprimées, rétrécies ou dilatées, tandis que
d'autres ont été créées. A ce niveau, nous allons
inverser la perspective de comparaison que nous avions adoptée
jusqu'ici. Avant, c'était le film qui se comparait au roman, maintenant,
nous allons partir du film pour pouvoir juger de la répartition du temps
alloué à la réalisation globale. Nous allons nous baser
sur la segmentation des auteurs à l'intérieur même de ces
deux récits. Dans le roman, cette segmentation est du type «
première, deuxième, troisième partie », avec
chaque fois un blanc de deux pages. Dans le film, par contre, c'est la voix off
du narrateur qui marque la ponctuation et le passage d'un acte à un
autre. Cette segmentation comprend :
- Un générique
- Un prologue
- Trois actes de durée sensiblement égale
- Un épilogue
- Une présentation des acteurs
(« cast »)
Dans une forme condensée, ce rapport se présente
comme suit :
Situation
|
Film
|
Roman
|
Commentaire
|
Le générique
|
3 min
|
8 pages
|
Le générique dans le roman correspond aux
premières pages où nous avons des informations concernant le
titre, l'auteur, la maison d'édition, l'ISBN, le
« copyright » et la dédicace.
|
Le prologue
|
1 min
|
8 pages
|
Cette partie dans le film correspond à la voix off qui
donne le ton du film et, dans le roman, c'est la description de la vie courante
à la Rue Cases.
|
Acte I : La vie à la Rue Cases
|
30 min
|
64 pages
|
Dans le film, cette partie s'étend jusqu'à la
voix off qui annonce le départ de José pour l'école. Dans
le roman, c'est le blanc entre la première et la deuxième partie
qui en marque les limites.
|
Acte II : la vie à l'école primaire (Cour
Fusil et Petit-Bourg)
|
34 min
|
82 pages
|
Dans le film, une voix off annonce la disparition de
Léopold, signant ainsi la fin de la deuxième partie. Dans le
roman, la deuxième partie va jusqu'à l'annonce des
résultats du concours des bourses.
|
Acte III : la vie à Fort-de-France.
-lycée Schoelcher
|
31 min
|
70 pages
|
Dans le film, cette partie commence avec la préparation
du concours de bourses et se termine avec la mort de M'man Tine. Dans le roman,
elle est dominée par la figure de M'man Délia, la grande absente
du film.
|
L'épilogue
|
1 min
|
1 page
|
Dans le film, c'est la voix off qui clôture le film,
tandis que dans le roman, c'est le dernier paragraphe mais surtout, la
dernière phrase du roman : « c'est aux aveugles et
à ceux qui se bouchent les oreilles qu'il me faudrait la
crier » (l'histoire de la domination des nègres antillais par
le Blanc).
|
Le « Cast »
|
2 min
|
0
|
Cette partie n'existe pas dans le roman
|
Comme nous pouvons le remarquer àtravers ce tableau, le
film essaie de calquer son rythme à celui du roman.
3.2 L'espace
Envisagé jusqu'ici, comme le milieu à la fois
physique et sémantique dans lequel évoluent les personnages,
l'espace est, par contre, présent dans La rue
Cases-Nègres d'une autre manière : en tant que force
agissante du récit. Le cadre de vie et la société qui
dominent le récit changent à deux reprises. Commencé
à la rue Cases où le décor est dominé par les
champs de cannes, l'espace diégétique du récit
évolue vers Petit-Bourg où l'école est
l'élément central, pour enfin déboucher à
Fort-de-France afin de nous faire découvrir les méandres de la
vie citadine. La fonctionnalité narrative de l'espace dans La rue
Cases-Nègres repose donc sur cette hiérarchie topographique
qu'il convient d'examiner ici. Nous verrons, en même temps, le travail
effectué du roman au film, pour « rendre
cinématographiquement » l'espace de Zobel.
3.2.1 Hiérarchie
topographique de La rue Cases-Nègres
Dans la première partie du roman, le récit se
déroule au Petit-Morne (à la rue Cases), dont la topographie
spatiale est disposée selon une configuration triangulaire, le
Petit-Morne reflétant la structure pyramidale du régime de
plantation (LRCN, p.17). La typologie hiérarchique est
déjà précisée par le narrateur :
« La rue Cases-Nègres se compose d'environ
trois douzaines de baraques en bois couvertes en tôles ondulées et
alignées à intervalles réguliers, au flanc d'une colline.
Au sommet, trône, coiffée de tuiles, la maison du géreur,
dont la femme tient boutique. Entre la « maison » et la rue
Cases, la maisonnette de l'économe, le parc à mulets, le
dépôt d'engrais. Au dessous de la rue Cases et tout autour, des
champs de cannes, immenses, au bout desquels apparaît l'usine. Le tout
s'appelle ici Petit-Morne »(LRCN, p. 17)
Cette description permet de donner des détails certes
difficiles à porter sur écran, mais on se rend compte que la
caméra, sans s'écarter radicalement du texte romanesque,
tâtonne quant à la différenciation de la
« maison » et de autres baraques avoisinantes. D'ailleurs
aucune maison, parmi celles montrées par la caméra, n'est
couverte de tuiles.
Quoique l'esclavage soit aboli depuis 1848, Zobel nous
présente un univers où le travail agricole s'inscrit dans un
système économique à base servile. Au début du
roman, l'enfant a une vision idyllique des champs de cannes. Sa perspective
d'enfant nous offre un regard innocent et parfois bucolique sur les
travailleurs et les travailleuses agricoles. Cette vision idyllique de
José fait place à une vision tragique de l'existence de ses
mêmes travailleurs, par suite des expériences q'il a
vécues. Comme c'est difficile à porter sur écran, l'image
des champs de cannes ne change pas dans le film.
Dans le roman, la technique de la juxtaposition apparaît
dès le début : l'enfant s'étourdit dans la
description d'une journée de bonheur (LRCN, pp. 9-17) et d'une
journée de malheur (LRCN, pp. 17-39). Et encore nous avoue-t-il que
l'une est une occasion rare tandis que l'autre résume plutôt
l'existence quotidienne. Dans le film, cette précision est rendue par la
voix off de José sur laquelle s'ouvre le premier acte.
La juxtaposition de l'image du paradis tropical et de celle de
l'enfer des plantations témoigne de la logique binaire qui règle
les conduites et les relations sociales. Le glissement d'une image
« paradisiaque » de l'île à une image
« infernale » invite le lecteur à prendre conscience
des passions économiques et des expressions diverses des travailleurs
agricoles devant la souffrance. Ce glissement se veut vraisemblable, naturel,
d'autant plus qu'il coïncide avec le développement du protagoniste,
José Hassam, à travers ses diverses expériences de la vie.
La juxtaposition entre le narrateur adulte et l'enfant-personnage n'est pas
accentuée dans le roman afin de renforcer la liaison entre le
protagoniste et le lecteur. Zobel crée cette liaison afin de
développer sa présentation de l'île d'une manière
qui ne choque pas le lecteur, à en juger par la première
description du roman :
« il y a de grands arbres, des huppes de cocotiers,
des allées de palmiers, une rivière musant dans l'herbe d'une
savane. Tout cela est beau » (LRNC, p. 17).
On comprend très vite qu'il s'agit là d'un
regard naïf et innocent. Dans le film, ni ces arbres, ni ces huppes de
cocotiers, ni ces allées de palmiers, rien de tout cela n'est visible.
Seule la rivière muse dans l'herbe d'une savane.
La symbolique du soleil nous fournit aussi un cas
intéressant :
« Je pense que le soleil est une excellente chose
parce qu'il conduit nos parents au travail et nous laisse jouer en toute
liberté » (LRCN, p.13).
Pour les enfants, l'absence des adultes en vient à
signifier la liberté (LRCN, p. 39). Les relations de pouvoir que vivent
les parents trouvent leurs expressions, tantôt positives tantôt
négatives, dans leurs relations avec leurs enfants. La peur des grandes
personnes est certes beaucoup plus avouée dans le roman. Quelques
séquences du film y font explicitement allusion : lorsque
José avait barré le chemin à ses camarades qui voulaient
entrer dans la maison de M'man Tine, il a suffi que l'on aperçoive
l'économe pour que tout le monde se faufile à l'intérieur
de la maison, avec le consentement de José qui, lui aussi, avait pris
peur.
En somme, trois lieux méritent une attention
particulière, du fait qu'ils remplissent un rôle de
décor-héros dans La rue Cases-Nègres. Ces lieux
sont les champs de cannes, l'école et la ville.
3.2.2 Les champs de cannes, lieu
de souffrance
Globalement, l'organisation
« architecturale » de l'interminable champ de cannes est la
même dans les deux récits. Cependant, alors que le roman ne
s'attarde pas beaucoup à la description du champ, le film, lui, semble
beaucoup jouer sur sa fonction actantielle : à peine la
caméra a-t-elle quitté le village pour un plan
général sur l'immense champ de cannes que le spectateur devine
déjà la souffrance, la fatigue et le travail forcé qui
attendent les nègres qui s'y rendent très tôt. Le roman,
par contre, tient à expliquer le déroulement du travail et
à admirer la vigueur des « coupeurs » de
cannes :
« Leur demi-nudité noire ou bronzée,
leurs haillons crasseux, avivés par la lumière, la sueur qui les
inondait, qui plaquait le long de leurs dos et sur leurs poitrines des reflets
répondant à l'éclair qu'allumait les coutelas à
chaque brandissement de bras ; l'espèce de bruit de fond
accumulé par la paille piétinée, les
« amarres » jetées en arrière et
rattrapées par les amarreuses pour ligoter les dix cannes du paquet le
tassement des dix paquets en une pile ; ces chansons qui ne cessaient pas,
de temps en temps ponctuées d'un ébrouement et d'un sifflement
aigu échappé d'une poitrine au paroxysme de l'effort »
(LRCN, p. 64).
Même si le champ avait été décrit
avec la naïveté de l'enfant narrateur, la façon dont
José voit les cannes a fortement changé vers la fin du
récit :
« Aucune sympathie pour les champs de cannes
à sucre. En dépit de tout mon plaisir à mordiller et
à sucer des bouts de cannes, un champ représentait toujours
à mes yeux un endroit maudit où les bourreaux qu'on ne voyait
même pas condamnent des Nègres, dès l'âge de huit ans
à sarcler, bêcher, sous des orages qui les flétrissent et
des soleils qui dévorent comme feraient des chiens enragés ;
des Nègres en haillons, puant la sueur et le crottin, nourris d'une
poignée de farine de manioc et de deux sous de rhum de mélasse,
et qui deviennent de pitoyables monstres aux yeux vitreux, aux pieds alourdis
d'éléphantiasis, voués à s'abattre un soir dans un
sillon et à expirer sur une planche crasseuse, à même le
sol d'une cabane vide et infecte » (LRCN, p. 163).
La description du champ et celui du travail est reprise dans
le film. Au plan du cadrage, de la prise de vue et des images, le champ semble
bénéficier d'un certain privilège. Ainsi remarque-t-on
qu'il domine l'écran et même, au village, tout l'arrière
plan. « Le sixième segment » de Noël
Burch40(*) est
occupé par un champ qui s'étend à l'infini. Au total, la
caméra semble lui donner une place beaucoup plus
prépondérante dans l'espace visuel et imaginaire (hors-champ).
Dans le film, plus que dans le roman, le champ assume
très bien son rôle de décor-héros, car il est le
pilier même de la souffrance des Nègres de La rue
Cases-Nègres. Il serait donc impensable de diminuer l'ampleur ou
l'immensité du champ et de ses plantes. Son étendue est
proportionnelle à la souffrance qu'il occasionne.
3.2.3 L'école, lieu de
désillusion
Dans le film, l'activité scolaire avait
déjà commencé à la quatrième
séquence, lorsque José corrigeait l'alphabet de Carmen.
Cependant, on peut affirmer sans risque de se tromper que cette intervention
précoce de l'école découle d'une erreur de montage, car il
serait insensé que José enseigne à quelqu'un l'alphabet
qu'il ne connaît pas encore lui-même. L'école proprement
dite commence avec le deuxième acte comme dans le roman.
D'une manière générale, le film revient
sur le bien-fondé de l'éducation :
« Sans le certificat d'études, nous
tomberions tous dans les petites-bandes et tous les sacrifices de nos parents
auraient été vains » (LRCN, p. 156).
Ces paroles de M. Roc, reprises par José, font
écho à la vie personnelle des jeunes en milieu
défavorisé. Quand il reçoit son éducation, il
apprend les différences entre sa culture et celle qu'on lui enseigne
à l'école. L'étude des pièces de Molière, de
Corneille, de Racine, classiques de la littérature française au
programme, aussi bien dans le roman que dans le film, ne correspond pas
à la réalité de José : ces pièces n'ont
pas été revues, ni adaptées à son milieu. Ces
textes dont dépend pourtant sa réussite, mettent en position
supérieure la culture française, tout en lui
révélant le monde extérieur, un monde extrêmement
aisé, contrairement à sa prison insulaire où il n'avait
côtoyé que misère et humiliation.
Zobel poursuit son analyse en insistant sur l'éducation
coloniale qui porte la lourde responsabilité d'inculquer et de
générer ces ambiguïtés verbales chez les jeunes
écoliers. Le roman, et non le film, montre comment, avec un changement
de repère, ce milieu scolaire pousse José à prendre
conscience de sa classe sociale mais aussi de son appartenance raciale. Il est
aussi ironique de constater que c'est à l'école, lieu de
promotion, qu'il devient conscient de sa mise en infériorité.
C'est pendant sa scolarisation qu'il apprend qu'il est différent des
autres étudiants : « personne ne me ressemble [...] je
suis le seul de mon espèce » (LRCN, p. 171). Il en vient
à avoir honte de lui-même et des siens, tout comme Adam et Eve,
une fois chassés du paradis, avaient honte de leurs corps.
Là où le texte littéraire décrit
le protagoniste désillusionné, le film opère une sorte de
nuance et le spectateur a l'impression de voir le contraire. Une scène
de film est particulièrement éloquente : José se
rebelle contre son professeur qui l'avait accusé de plagiat et celui-ci
se rend chez son élève pour demander pardon et reconnaître
sa faute pour l'avoir chargé d'allégations dépourvues de
tout fondement. Le lecteur du roman qui voit le film peut, à juste
titre, supposer qu'il a mal compris, soit le roman, soit le film. Dans le
roman, nous avons un José tout le temps humilié mais, dans le
film, le même José devient un garçon très sûr
de lui-même, voire fier de sa condition de petit-fils de
« cultivatrice ».
3.2.4 La ville, lieu de
ségrégation raciale
L'espace lié à la grande ville dans La rue
Cases-Nègres se réfère à Fort-de-France. C'est
le lieu où se côtoient des milliers d'individus de toute race,
âge, profession ou condition. Elle cumule un double statut surtout dans
le roman plus que dans le film : Fort-de-France reste
définitivement le lieu de référence malgré tous les
conflits raciaux et toutes sortes d'humiliation dont les Nègres sont
victimes.
Tout d'abord, les personnages de couleur que Zobel crée
pour son roman occupent tous, sans exception aucune, non pas des places de
subalternes mais plutôt des postes humiliants : bonnes, plantons,
lavandières, etc. Le roman décrit ainsi les travailleurs du
port :
« débardeurs manipulant avec une
étonnante rapidité les lourdes caisses, les sacs massifs, les
énormes tonneaux que les gabarres mues au moyen de vergues, venaient de
décharger sur le rivage [...] et dans cette rade où il n'y
avait pas un quai, pas une grue, c'étaient ces Nègres
herculéens, vêtus de pagnes de sac ou d'une vieille culotte
ruisselants et fumants de sueur, qui, par leur seule ardeur, engendraient ces
bruits, effectuaient ce travail, dégageaient ce souffle chaud,
déclenchaient cette trépidation titanesque, communiquant à
tout le quartier une rumeur mécanique entretenue par des pulsations de
coeurs humains » (LRCN, pp. 190-191).
Le film, on l'aura vu, ne montre pas les débardeurs
acharnés au travail tel que le décrit le roman lorsque la
caméra fait un plan d'ensemble sur le quai. Seul un colporteur de
journaux est filmé entrain de vanter, à haute voix, les articles
à la une dans ses journaux. Ce marchant ambulant n'est même pas
évoqué dans le roman. Et là, le film met en scène
ce qui n'est même pas suggéré dans le roman.
Par contre, le film plus que le roman, fait ressortir la
richesse des békés, renforçant ainsi dans le récit
la vision manichéenne déjà abordée par Zobel. D'un
côté, il y a des Noirs et tout ce qui est lié à leur
champ sémantique : misère, chômage, prostitution, vol,
etc. et les Blancs de l'autre côté, avec les belles villas, les
belles voitures, des postes bien rémunérés... Ce n'est pas
pour rien que l'intervention de la jeune femme criant au voleur a
été portée sur écran, alors que, en soi, il
n'était pas susceptible d'offrir un beau spectacle à voir. A en
croire cette femme, un Nègre donnerait tout ce qu'il possède pour
devenir Blanc.
José demeure toujours dans un monde manichéen et
il en souffre jusqu'à la mort de sa grand-mère. Il est
intéressant d'observer combien la mort de M'man Tine ne renforce pas la
tendance manichéenne qui imprègne son quotidien. Son intuition
est, dans le texte romanesque, nuancée par le fait que :
« ... les habitants du pays se divisent bien en
trois catégories : Nègres, Mulâtres, Blancs ; que
les premiers sont dépréciés, tels des fruits sauvages
savoureux, mais se passant trop volontiers de soins ; les seconds pouvant
être considérés comme des espèces obtenues par
greffage ; et les autres, bien qu'ignares ou incultes en majeure partie,
constituant l'espèce rare, précieuse » LRCN, pp.
202-203).
En somme, l'espace lié à la grande ville,
à Fort-de-France dans le roman comme dans le film, apparaît
à la fois comme un lieu de départ et de destination de toute
action. Rien ne peut s'accomplir sans l'intervention de cette ville bien qu'
« immonde ».
CHAPITRE IV :
BILAN ET PERSPECTIVES
4.1 La question de la
réception
Pendant des siècles, le livre a régné en
maître dans les bibliothèques et les librairies, dans les milieux
intellectuels de recherche ainsi que dans les milieux de loisirs. Il se
présentait sous la forme de monographies, de périodiques, de
feuilleton etc. Mais depuis le siècle dernier, d'autres supports ont
diversifié les loisirs et les recherches : disques,
vidéocassettes, disques compacts, cédéroms et internet. En
raison de l'aspect multimédia des supports, le marché du
« livre écrit » a vu un concurrent de taille, ce qui
est à la base de la réduction de la fréquentation des
salles de lecture. A l'inverse, le dernier quart du siècle dernier a vu
les canaux multimédias de l'information se multiplier : les
chaînes de télévision câblées, le visionnage
de cassettes vidéo à la maison, l'accès à
l'internet partout dans le monde...
Cependant, cette multiplication de supports médiatiques
n'a pas été suivie par un mouvement similaire au plan de la
création littéraire pour pouvoir satisfaire une demande qui
s'accroissait au jour le jour. Dans l'ensemble, les réalisateurs de
films se sont tournés vers le patrimoine littéraire
déjà abondant, pour y puiser des oeuvres, dont un bon nombre ont
été portés sur écran. Dans notre intervention, nous
examinerons la différence entre la réception
réservée au roman de Zobel et celle réservée au
film de Palcy par le public rwandais. Il s'agirait d'établir une
comparaison entre les lecteurs de La rue Cases-Nègres et les
spectateurs ou téléspectateurs du film qui en découle
comme deux pratiques culturelles étroitement liées.
Loin de susciter une contradiction quelconque, l'interaction
entre les deux réceptions est plus remarquable que nous ne l'avions
pensé. Comme le souligne Ba Kobhio Bassek : « Il
faut voir le film quand on a lu le livre ou lire le livre quand on a vu le
film »41(*).
Dans un premier temps, nous analyserons les relations entre les pratiques de
cinéma (ou de télévision) et de lecture de La rue
Cases-Nègres au Rwanda et, dans un deuxième temps, nous
verrons les réflexions de quelques auteurs-réalisateurs sur la
réception réservée à un film adaptant un roman.
4.1 Relation entre la consommation audiovisuelle et la
lecture de La
rue Cases-Nègres
Pour mesurer la sortie du roman La rue
Cases-Nègres, nous avons relevé les dates
d'échéance marquées sur les fiches à
l'intérieur des exemplaires de ce roman dans les trois
bibliothèques parmi les plus fréquentées du pays : Le
Centre d'Echanges Culturels Franco-Rwandais, l'Extension Universitaire et la
Bibliothèque centrale de l'Université Nationale du Rwanda. Dans
ces trois bibliothèques, la sortie de La rue
Cases-Nègres se présente comme suit :
Centre d'Echanges Culturels
Franco-Rwandais
|
Extension Universitaire
|
Bibliothèque Centrale de l'Université
Nationale du Rwanda
|
10 juin 1999
|
22 avril 1998
|
17 janvier 1997
|
30 juin 1999
|
5 octobre 1999
|
6 février 1999
|
21 octobre 1999
|
12 février 2002
|
21 octobre 2001
|
21 novembre 1999
|
2 décembre 2000
|
18 avril 2002
|
12 mai 2000
|
3 octobre 2001
|
18 mai 2002
|
12 janvier 2001
|
9 décembre 2001
|
26 juin 2002
|
8 mars 2001
|
22 février 2002
|
20 juillet 2002
|
6 juin 2001
|
17 mars 2002
|
6 septembre 2002
|
21 avril 2002
|
18 avril 2002
|
13 octobre 2002
|
17 mai 2002
|
14 mai 2002
|
1 novembre 2002
|
15 juillet 2002
|
21 mai 2002
|
5 décembre 2002
|
13 septembre 2002
|
11 septembre 2002
|
|
6 octobre 2002
|
|
|
24 octobre 2002
|
|
|
8 novembre 2002
|
|
|
Il faut signaler que la Bibliothèque centrale de
l'Université nationale du Rwanda comprend cinq exemplaires dont trois
ont été empruntés à une fréquence à
peu près égale à celle connue par l'exemplaire de
référence. Les deux autres sont au Centre de Documentation.
Lorsque l'on compare ce livre aux autres qui gisent dans la
Bibliothèque, dont certains d'entre eux viennent de passer plus d'une
décennie sans être empruntés, on se rend compte qu'il
connaît un succès considérable auprès du lectorat
rwandais. C'est peut-être parce que le nom de Joseph Zobel revient
chaque fois dans les cours de littérature négro-africaine ou
littérature créole.
Toutefois, une centaine de lecteurs depuis 1997 est un chiffre
de loin inférieur au record enregistré par la consommation
audiovisuelle du film d'Euzhan Palcy grâce à la
télévision rwandaise au cours de l'année 2002. Ce film
est certes absent dans presque toutes les vidéothèques du pays
puisque nous ne l'avons trouvé que sur les rayons de deux d'entre
elles : « vidéo dreams » et
« vidéo big » dans le Centre Ville de Kigali. La
vidéothèque du Centre d'Echanges Culturels Franco-Rwandais
possédait aussi ce film, mais il n'est plus fonctionnel depuis deux ans
déjà.
Si Rue Cases-Nègres a été
vulgarisé au Rwanda, ce n'est pas l'oeuvre de ces
vidéothèques, qui sont, ne l'oublions pas, relativement peu
fréquentées. C'est plutôt la télévision
rwandaise qui l'a mis à la disposition de ses
téléspectateurs. En effet, Rue Cases-Nègres a
été télévisé trois fois pour la seule
année de 2002 : le 21 février, le 10 septembre et le 29
décembre. Selon le rapport d'activités de la
télévision rwandaise pour l'année 2002, les
téléspectateurs à l'intérieur du Rwanda sont
estimés à 2% de la population du pays. Soit 2% de 8 162 715
personnes selon le recensement de 2002. c'est donc plus de 163 254
téléspectateurs qui ont visionné ce film, si l'on estime
qu'il a été télévisé trois fois au cours de
cette année. L'engouement manifesté par les lecteurs pour le
roman de Zobel pendant l'année 2002 est sans aucun doute un
« feed-back » des téléspectateurs qui ont
regardé le film de Palcy à la télévision
rwandaise.
A partir de cette comparaison entre la réception du
roman et celle du film, on retient qu'un bon nombre de Rwandais ont pris
connaissance de la souffrance des Noirs de la Martinique grâce à
l'oeuvre filmique de Palcy. Très peu (plus d'une centaine) l'ont connue
grâce au roman de Joseph Zobel dont un nombre considérable a
été, selon le terme de l'auteur-réalisateur de
Sango Malo, « omnivore » :
« il faut lire le livre quand on a vu le film ». Il est
donc manifeste que l'écrit vient au secours de l'image, puisque le
cinéma affiche un certain engouement à adapter des oeuvres
littéraires, surtout romanesques, et, on l'aura senti, celles qui ont
été remarquées par la critique sont les plus
sollicitées. Mais, à son tour, l'image en mouvement aide à
une plus grande diffusion de l'écrit, surtout en Afrique où le
taux d'analphabétisme est très élevé mais ne
constitue pas un obstacle pour visionnage des films. Donc l'interaction
écrit/image est attestée et restera toujours vouée
à s'accroître.
4.2. De la réception du roman et du film :
réflexions faites
Dans un colloque sur « littérature et
cinéma » animé par la Télévision
Nationale Burkinabaise et repris dans la Revue Francophone depuis 1997, le
médiateur culturel malien Tall Sékou fait remarquer la
« nécessité de la compénétration mass
médias et littérature »42(*).
Selon Sékou, les mass médias, celles qui
s'adressent à la vue et à l'ouïe, jouent actuellement, dans
les sociétés africaines, où le nombre
d'analphabètes est élevé, un rôle très
important. « Proches des coeurs », les mass media ont une
vive facilité de pénétration dans les consciences.
Sékou exhorte par conséquent les écrivains africains
à faire de la radio et de la télévision, du journal, du
cinéma, du théâtre et du folklore des armes qui figurent
aux côtés de l'imprimerie, du livre et de la revue
spécialisée. Selon Sékou, cette exigence ne serait
nullement signifier l'acceptation de la nécessité de s'abaisser
au niveau des masses. Le rapport « littérature et
cinéma », comme il le fait remarquer, réside en ce que
« l'image commente le livre et que le livre sert de pâture
à l'image ».
Dans le même article, celui que l'on appelle
« le père du cinéma Africain », Paulin
Soumanou Vieyra insiste sur la nécessité d'interaction
image/écrit.
Selon Vieyra, plusieurs raisons encouragent l'adaptation au
cinéma des oeuvres littéraires. D'abord, c'est que le
cinéma, outre les intellectuels, s'adresse à un public populaire
qui cherche essentiellement à se distraire. Sembene, lui, est venu au
cinéma parce qu'il s'était rendu compte que c'était un
moyen d'expression populaire notamment en Afrique où l'écrit ne
touchait qu'une infime catégorie d'intellectuels. Le message allait donc
plus loin et plus profondément avec l'image. Il faut dire qu'à
l'époque du muet déjà, les grands maîtres du
cinéma dans le monde avaient porté à une perfection rare
le langage de l'image pour l'infléchir à tout dire. Les
chefs-d'oeuvre du cinéma muet ne se comptent plus. Le son est
arrivé, et beaucoup ont pensé que le théâtre allait
disparaître et le romancier allait sérieusement se confronter
à la concurrence de l'image. Nous étions en 1930. Aujourd'hui, on
continue à écrire des livres et des écrivains comme
Sembene mènent à la fois une carrière littéraire et
cinématographique et, mieux, il s'est essayé au
théâtre avec l'adaptation à la scène de son roman
Les bouts de bois de Dieu.
Vieyra fait surtout remarquer l'interaction entre
l'écrit et l'image. Dans les années 1980-1990, en France, par
exemple, il se publiait plus de 10 000 ouvrages chaque année dont une
bonne centaine servaient de sujets pour les 200 films qui se réalisaient
chaque année. On peut donc dire qu'une bonne partie de
télé-films puisent dans les romans, les nouvelles et les
ouvrages littéraires en général. Plus remarquable encore
est l'aide apportée par l'image en mouvement à une plus grande
diffusion de l'écrit. Les romans africains ne tirent
généralement qu'à 5 000 exemplaires, selon Vieyra ;
alors qu'un film africain qui marche peut drainer quelques 300 à 400
mille spectateurs. Telle est l'importance de la réception d'un roman
adapté au cinéma. A l'échelle internationale, c'est
à plusieurs millions de spectateurs que se chiffrent les grands
succès mondiaux.
4.3 Les rapports
génériques
Les relations qu'entretiennent la littérature et le
cinéma ont fait l'objet de nombreuses études permettant
d'introduire le Septième Art dans l'enseignement. Les
possibilités de confrontation d'une oeuvre littéraire avec son
adaptation filmique sont immenses. Afin de tirer un bilan de notre
étude, il nous paraît intéressant de présenter
certaines utilisations didactiques éventuelles de la transformation
filmique, et de compléter une réflexion sur les problèmes
de la transposition à l'écran d'une oeuvre littéraire.
Dès le plus jeune âge, la prégnance de
l'écrit est extrêmement forte. La plupart des parents orientent
leurs enfants vers les lettres afin qu'ils maîtrisent l'art de bien
parler et de bien écrire, ou vers les sciences, en résumé
vers une certaine forme de culture générale. En contre-partie,
rares sont ceux qui aident leur descendance à poser un regard
intéressé voire analytique sur d'autres systèmes de
représentation tels que l'image et le cinéma. Cela permettrait
d'ailleurs à l'enfant de s'ouvrir encore plus au monde. Même si le
caractère écrit connaît une domination relative dans
plusieurs cultures, une éducation du public à l'image est
nécessaire, non dans la perspective de substituer le texte à
l'image, mais dans celle de créer une relation de
complémentarité. Il est évident que l'image n'est pas
uniquement cinématographique, elle peut être photographique en
temps qu'art, publicitaire, bande dessinée, peinture, logo ou
multimédia, si l'on accède à l'informatique.
Notre étude s'est limitée uniquement au
Septième Art, et particulièrement à l'adaptation, car il
s'agit, selon nous, du meilleur compromis entre texte et image. Il s'agit de
comprendre la culture traditionnelle de l'écrit pour mieux saisir les
enjeux de la « culture image » et devenir un spectateur averti.
Il est vrai que le monde de l'image s'impose naturellement
à nous : il ne nécessite pas forcément une formation
spécifique pour en saisir les messages, si messages il y a... Même
si le film se regarde naturellement sans effort au premier abord, il est
justement intéressant de comprendre et d'étudier cette
facilité apparente qui, en fait, n'en est pas une, car l'image mobilise
« chez le spectateur un ensemble d'activités mentales et de savoirs
intériorisés par une stratégie qui lui demande une
participation active. »43(*) On apprend autant dans un film que dans un livre :
seuls, les modes opérateurs d'apprentissage changent. L'assimilation
réceptive évolue en fonction de ce qui est dit ou montré,
mais au final, l'acte d'information reste le même entre
littérature et cinéma . Le changement repose sur le mode de
communication : « Aujourd'hui, le soin de transposer dans l'espace public
« l'acte discursif » et de convenir du « droit à la
parole » ne procède plus de la littérature écrite ;
il procède incontestablement de la télévision.
»44(*) Cela est
d'autant plus vrai que le public a accès au cinéma, aux grands
films, et aux adaptations pour le petit écran.
Le Septième Art est un moyen et un objet de culture
équivalent au livre. Le cinéma étant un art plus
récent et même s'il est accessible à tous, la formation du
spectateur reste capitale. Pour éviter justement la facilité
réceptrice de l'image, et qui pourtant a ses vertus, le plus important
n'est pas seulement de voir un film pour s'instruire, mais d'être
capable, aussi, d'interpréter et d'analyser.
Lorsqu'il acquiert les outils méthodologiques, le
spectateur est plus à même d'identifier les relations entre le
texte et l'image. Le chercheur qui veut se lancer sur cette voie doit
maîtriser un processus complexe. Ce dernier passe par la narratologie,
par la linguistique, avec l'étude pragmatique du discours, par la
sémiotique, par la sociologie et par l'esthétique de l'image et
l'étude de ses prolongements pour l'adaptation. Celle-ci obéit au
double mouvement de «déconstruction » et de reconstruction du
sens.
Enfin, nos perspectives de recherches en matière de
littérature et cinéma pourraient conduire notre réflexion
à d'autres exemples que celui de Zobel, notamment dans le cadre
d'adaptations filmiques des légendes de la tradition orale rwandaise.
4.4 Le point de vue de
l'auteur
On l'aura sans doute remarqué à la lecture de
La rue Cases-Nègres et au visionnage de « Rue
Cases-Nègres », le film s'écarte
énormément du roman qu'il adapte. Et avec cela, comme c'est
toujours le cas dans les adaptations, celle-ci a suscité la
curiosité, créé un débat voire une
polémique qui en a assuré le succès commercial.
Normalement, en cas d'adaptation, les spectateurs se pressent : il y a
ceux qui veulent voir si le film est moins bien que le roman, ceux qui n'ont
pas lu le roman mais pourront ainsi le découvrir, les étudiants
qui veulent mener leurs travaux de recherche dans le domaine de l'adaptation,
ceux enfin qui viennent voir ce dont « tout le monde » parle.
L'adaptation de La rue Cases-Nègres a
été donc, comme la plupart d'autres d'ailleurs, impossible sans
transformation :
« Pour quelqu'un qui réalise un film à
partir d'un roman donné, s'il veut ne pas être un simple
traducteur, mais un créateur, il faut qu'il compose. »45(*)
Transposer cinématographiquement une oeuvre
littéraire implique une réorientation, un changement de direction
et une modification profonde de toutes les structures de l'oeuvre
littéraire, qu'elles soient narratives, esthétiques, spatiales et
surtout temporelles comme nous venons de le voir.
Le texte littéraire n'est pas une fin en soi mais une
sorte de relais, grâce à l'adaptation, vers une destination
cinématographique. Ce voyage peut être riche et sans fin. Il
obéit cependant à quelques principes qui sont à la fois
très simples, illimitées et d'une grande rigueur si le
cinéaste souhaite renouer avec l'univers romanesque, comme le souligne
Gardies :
« ... les diverses formules du type porté
à l'écran, adapté de..., d'après l'oeuvre de ...,
librement inspiré de..., sur un thème de ..., en traduisant
différentes attitudes possibles à l'égard de l'oeuvre
originelle, disent la grande souplesse avec laquelle les réalisateurs
accueillent ces instructions »46(*).
Même s'il s'en éloigne, il aura toujours le souci
de réaliser un bon film : la qualité n'a pas de rapport avec
la fidélité et l'infidélité n'est pas à
associer avec la médiocrité. Certes, en envisageant ainsi le
texte littéraire on renforce son caractère supérieur
vis-à-vis du texte filmique et l'on pourrait s'en offusquer mais cela
permet de comprendre la singularité créatrice du cinéaste.
Pour revenir à notre corpus, plusieurs
séquences du film, voire même sa structure d'ensemble montrent
combien Palcy abuse de sa liberté envers le texte romanesque. L'auteur
de La rue Cases-Nègres, Joseph Zobel lui-même le
fait remarquer dans une interview qu'il a accordée à Madame Dumas
Simone mercredi le 15 novembre 2000 à Anduze, dans le Sud de la
France :
« Je ne regrette pas l'adaptation qu'en a fait
Mademoiselle Palcy, c'est autre chose que mon livre, peu m'importe la
manière dont les deux ont été reçus par le
public... Palcy justifiait ses libertés par rapport au texte, elle
m'expliquait ses exigences techniques »47(*).
Selon ses dires, Zobel a été trahi par une
Palcy qui utilise la troisième formule de Gardies
« d'après l'oeuvre de... » et c'est, heureusement,
le texte que l'on peut lire au début du film :
« D'après le roman de Joseph Zobel » refusant
d'amblée la linéarité du roman.
Cependant, Zobel lui aussi reconnaît le rôle que
l'adaptation de Palcy a joué dans la vulgarisation de son
roman lorsque, dans la même interview, il affirme :
« Beaucoup de gens ont vu le film et beaucoup m'ont dit
l'avoir vu plusieurs fois, mon livre a été moins
lu »48(*).
4.5 Synthèse :
d'un chef-d'oeuvre à l'autre
Le film joue un rôle déterminant dans
l'évolution des formes romanesques. Celle-ci ne s'est pas
réalisée seulement par une simple transposition des
procédés narratifs pour des films déformés par une
adaptation abusive, mais par une recherche d'équivalence entre l'allure
subjective de la narration romanesque et la continuité, imposée
par la « narration-monstration » filmique. Le Septième Art a
même incité des auteurs à réécrire des romans
en souhaitant voir leurs personnages portés à l'écran.
Apprendre à aimer le cinéma à partir du
livre, ce n'est pas chercher à établir une comparaison exhaustive
entre les deux modes d'expression, mais à désigner quelques
aspects de leur spécificité pris du point de vue du lecteur et du
spectateur. Notons que l'adaptation comble rarement l'attente du public ;
l'inverse est aussi valable, la lecture d'une oeuvre romanesque
déçoit souvent après la projection de son adaptation.
Pour éviter le jugement trop facile de la condamnation
de la transformation filmique, il est d'abord nécessaire de faire une
bonne étude du roman. Par la suite, les conclusions tirées de
l'analyse du texte servent de lien avec l'oeuvre cinématographique. Tel
est le cas avec le film de Palcy. Certains critiques l'auraient pris pour
un « échec » du seul fait qu'il refuse
délibérément de « porter sur
écran » le roman qu'il adapte. De toutes façon, Euzhan
Palcy a eu raison de ne pas respecter à la lettre le roman de Zobel
parce que le film deviendrait ennuyant avec un agencement à la
« romanesque ». Ce qui est rendu respecte quand même
l'esprit du livre malgré les multiples ajouts et retraits.
Le spectateur qui conteste la réussite du film de Palcy
du seul fait qu'il ne respecte pas à la lettre les mots du livre
n'a qu'à se référer aux prix qu'il a reçus lors de
son apparition en août 1983. Ainsi notre hypothèse s'en trouve
confirmée.
CONCLUSION
Pour mener à bien ce travail, il a fallu emprunter des
voies théoriques de recherche suffisamment exploitées mais dont
les applications en études de cas étaient rares. Il a fallu
considérer les avis parfois divergents des pionniers et ceux de leurs
successeurs. Malgré nos efforts d'investigation, une telle aventure de
recherche dans le domaine de la littérature et du cinéma ne
pouvait cependant que rester partielle, le domaine étant suffisamment
vaste comme nous avons pu le démontrer dans le cheminement de notre
étude. En reprenant ici les étapes essentielles et les
conclusions générales, nous allons rendre compte du chemin
parcouru.
Au départ, notre intérêt a
été éveillé par une question fondamentale qui a
suscité un débat non encore vraiment tranché : celle
du rapport qui existe entre la réussite éventuelle d'un film et
sa fidélité au roman qu'il adapte. Certes les notions bien
connues de « fidélité aveugle », de
« porter sur écran » héritées
d'André Bazin et reprises et enrichies par les auteurs comme Louis
Chauvet, Lyon Caen, Olivier Dumont et René Paulin avaient
été, avec succès d'ailleurs, contredites par plusieurs
théoriciens de la liberté du réalisateur envers le texte
adapté. C'est surtout André Gaudreault, André Gardies,
James Cisernos et Francis Vanoye qui se sont présentés comme
adeptes du refus de la fidélité aveugle au texte de
départ.
Cependant, les affirmations des théoriciens
n'étaient pas étayées par l'existence de suffisamment
d'études de cas. En choisissant d'étudier Rue
Cases-Nègres et La rue Cases-Nègres, deux oeuvres
qui ont été respectivement couronnées au cinéma et
dans la littérature, nous avons tenté d'infirmer
l'hypothèse d'André Bazin et de ses disciples, dans la mesure
où l'on considère que le film de Palcy pour être un
chef-d'oeuvre n'a pas eu besoin de « coller » au roman de
Zobel.
C'est ainsi que nous avons avancé l'hypothèse du
refus de la linéarité dans l'adaptation cinématographique
des romans. Ainsi perçu, ce refus renforce les capacités
créatrices du réalisateur et le pousse à respecter la
technique du cinéma, au lieu de se perdre dans les descriptions
romanesques.
Le choix fait pour valider cette hypothèse s'est
naturellement porté sur un roman de la littérature
négro-africaine d'expression française mis en images par un
réalisateur également négro-africain. De ce champ qui se
cherche encore, nous avons retenu le roman de Joseph Zobel et son adaptation
cinématographique réalisée par Euzhan Palcy, ciblés
à cause de la réception élogieuse qui leur a
été réservée et dont il a été
question plus haut.
Dans notre travail, nous avons d'abord fait un exposé
de la théorie actuelle sur le cinéma, la littérature et
l'adaptation, les trois notions clefs de cette étude sur la
fidélité du film de Palcy envers le roman de Zobel. La
fidélité d'une adaptation au texte de départ ne pouvait
cependant pas être abordée sans précaution. La notion a
connu tant d'approches qu'il fallait en préciser les limites applicables
à notre recherche. Parmi les mille et une possibilités d'approche
qui s'offraient à nos yeux, nous avons surtout choisi l'un des outils
d'analyse littéraire les plus aptes à faire ressortir la
différence entre deux récits d'une même histoire : la
narratologie. Cette méthode présentait l'avantage d'avoir
été initialement conçue pour l'étude des
récits littéraires par des auteurs comme Gérard Genette,
puis adaptée à l'étude des récits filmiques par des
auteurs comme Francis Vanoye, Anne Goliot-Lété et bien
d'autres.
Au moyen de la narratologie, nous avons pu dégager
différents points de divergence entre le roman et le film qui forment
notre corpus. Nous nous sommes attardé sur la différence de
structure événementielle entre le roman et le film, la
différence entre le temps et l'espace chez Palcy et chez Zobel mais
aussi, et surtout, la différence entre les personnages du roman et ceux
qui ont été repris par le casting.
Malgré l'effort de la cinéaste de respecter
l'idée principale du livre, nous avons pu démontrer qu'à
plusieurs endroits le contraste est énorme entre le canevas du film et
celui du roman. Palcy le fait d'ailleurs remarquer dans une interview dont nous
avons donné quelques extraits.
Toutefois, certaines séquences filmiques s'efforcent de
rester le plus fidèle possible aux pages du roman et donc ne changent
rien à l'esprit du livre. C'est notamment le cas de la vie scolaire du
protagoniste, surtout à l'école primaire. La mise en spectacle de
cette étape, le passage du pouvoir abstrait du mot au pouvoir concret de
l'image, surtout à l'école primaire, ont dévoilé
que le texte romanesque pouvait être « porté sur
écran ».
Outre les considérations intertextuelles, il y a aussi
des préférences d'ordre esthétique et social qui nous
conduisent à admettre la réussite d'une adaptation, sans
toutefois se baser sur les théories héritées de Bazin,
mais plutôt en considérant le cheminement du sens. Une sorte de
vision, qui semble sémiotique au départ, mais qui se nourrit
d'une multitude d'approches, tant et si bien que la théorie sur la
transformation filmique s'enrichit constamment sans pour autant être
fondée sur des systèmes évidents ou clos. D'une adaptation
à l'autre, il existe tant de phénomènes récurrents
et divergents qu'il est impossible de parler de vecteur commun, mais
plutôt de forces, de pôles informels qui s'entrecroisent,
s'enrichissent et se contredisent parfois.
Cependant, si la narratologie nous a servi de base pour mener
l'analyse de notre corpus, elle ne pouvait, bien entendu pas mesurer la
réception que le public a réservé à l'adaptation de
Palcy par rapport au roman qui a inspiré le film. C'est pourquoi nous
avons fait recours à la sociologie de la littérature afin de voir
combien l'image en mouvement du cinéma aide les pages écrites du
roman à connaître une plus grande diffusion.
Par ailleurs, notre cheminement, qu'elle soit narratologique
ou sociologique, laisse de nombreux champs non encore explorés qui
pourraient donner matière à d'autres recherches. C'est le cas
notamment du point de vue du public sur la réussite ou l'échec du
film de Palcy en tant qu'adaptation du roman de Zobel. D'autre
part, les deux récits pourraient également être
confrontés du seul point de vue de la sémiotique, outil par
excellence d'analyse filmique. Certains symboles évoqués par le
romancier ont été repris au cinéma avec, le plus souvent,
quelques modifications qu'il serait intéressant d'étudier
à part.
Le film passe, comme on sait, par plusieurs étapes de
textes avant d'en arriver à la réalisation finale : le
canevas, le scénario et le découpage technique. Ici, le canevas
est justement le roman de Zobel. Mais nous n'avons malheureusement pas pu
accéder aux deux autres qui restent, ce qui nous aurait permis de juger
de l'esprit qui animait Palcy : fidélité ou
liberté.
En règle générale, la question de
l'interaction entre la littérature et les nouvelles technologies de
l'information reste très délicate dans la mesure où nous
vivons l'époque de «l'homme qui communique». Malgré
notre grand souci de frôler ce sujet, beaucoup de d'aspects ont
été laissés à l'ombre et pourraient fournir une
matière abondante à de nombreux projets de recherche.
Malgré ces insuffisances dues, en grande partie, aux
contraintes méthodologiques liées aux objectifs que nous nous
sommes fixé au départ, notre travail apporte, croyons-nous, une
contribution à la recherche dans trois domaines clefs : la
littérature, le cinéma et l'adaptation. Ce mémoire aura le
mérite d'avoir participé au débat scientifique non encore
tranché pour valider l'opinion que nous avons suffisamment
justifiée. Rares sont les travaux qui confrontent la littérature
négro-africaine au cinéma. L'application de la narratologie
à une adaptation négro- africaine constitue une voie de
brecherche où la critique ne s'est aventurée que très
parcimonieusement. L'ouverture de la sociologie de la littérature pour
l'étude du comportement du lectorat rwandais face à une oeuvre
qui a été adaptée au cinéma représente,
quant à elle, un véritable travail de pionnier car, à
notre connaissance, aucune étude n'existe à ce sujet.
Cette recherche tente également d'enrichir
l'étude des relations entre la littérature et le cinéma,
en abordant les rapports de fidélité entre une oeuvre romanesque
et sa transposition cinématographique ainsi que les chocs conflictuels
entre les écrivains et les réalisateurs face à la question
délicate de « trahison » et de «
fidélité » à l'oeuvre adaptée.
C'est sans doute dans la tentative de participer au
débat scientifique déjà ouvert qu'il faut chercher
l'apport le plus important de ce mémoire.
Bibliographie
A. Corpus
1. Zobel, J., La rue Cases-Nègres, Paris,
Présence Africaine, 1974 (roman)
2. Palcy, E, Rue Cases-Nègres, 1983 (film)
B. Ouvrages cités ou consultés
1. Bachelard, G., Poétique de l'espace, Paris,
PUF, 1957
|
2. Barthes, R., S/Z, Paris, Editions du Seuil, 1970
|
3. Bazin, A., Les théories du cinéma depuis
1945, Paris, Nathan, 1999
|
4. Bellour, R., L'analyse du film, Paris, Albatros,
1979
|
5. Betton, G., Esthétique du cinéma,
Paris, PUF « Que sais-je ? »,
no 751, 1994
|
6. Burch, N., Une praxis du cinéma, Paris,
Folio-Essais, 1986
|
7. Casetti, F., Les théories du cinéma depuis
1945, Paris, 1999
|
8. Chauvet, L., Le porte-plume et la caméra,
Paris, Flammarion, 1950
|
9. Cohen, S.-G., Esthétique et psychologie du
cinéma, Paris,
Editions Universitaires, 1963
|
10. Fontanille, J., Sémiotique du discours,
Limoges, Pulim, 1999
|
11. Gardies, A., Le récit filmique, Paris,
Hachette, 1993
|
12. Gaudreault, A, et Jost, F, le récit
cinématographique, Paris,
Nathan, 1990
13. Gaudreault, A., Du littéraire au filmique.
Système du récit, Paris,
Merdiens-Klinksieck, 1988
|
14. Genette, G., Figures III, éditions du Seuil,
1972
|
15. Greimas, A.-J., Du sens, Paris, Seuil, 1970
|
16. Haffner, P., Essai sur les fondements du cinéma
africain,
Abidjan, NEA, 1978
|
17. Jost, F., L'oeil caméra. Entre film et roman,
Lyon,
Presses Universitaires de Lyon, 1987
|
18. Léglise, P., Une oeuvre de pré
cinéma : L'ENEIDE,
Paris, Nouvelles Editions Debresse, 1959
19. Litto, D., Stendhal-Balzac : Réalisme et
cinéma, Grenoble, ME, 1978
|
20. Lotman, I, Esthétique et sémiotique du
cinéma, Paris,
Editions Sociales, 1977
|
21. Lotman, I., La structure du texte artistique, Paris,
Gallimard, 1973
|
22. Lyon-Caen, G, Traité théorique et pratique
de droit du cinéma
français et comparé, Paris, LGDJ,
1969
|
23. Metz, C., L'énonciation impersonnelle ou le site
du film, Paris,
Merdiens- Klincksieck, 1991
|
24. Metz, C., Essais sur la signification au
cinéma, Paris,
Merdien-Klincksieck, t. I, 1967, t. 2,
1969
|
25. Mitry, J., La sémiologie en question, Paris,
Gallimard, 1987
|
26. Odin, R., Cinéma et production du sens,
Paris, A. Colin, 1991.
|
27. Pignarre, R., Histoire du théâtre,
Paris, PUF « Que sais-je ? »,
no 160, 1991
|
28. Pouillon, J., Temps et roman, Paris, Gallimard,
1946
|
29. Propp, V., Morphologie du conte, Paris, Seuil,
1973
|
30. Rohmer, E., L'organisation de l'espace
dans « le Faust »
de Marnau, Paris, 10/18, 1977
|
31. Vanoye, F., et Goliot-Lété, A.,
Précis d'analyse filmique,
Paris, Nathan Université, 1993
|
32. Vernet, M., Esthétique du film, Paris, Nathan
Université, 1983
|
33. Vieyra, P. S., Le cinéma au
Sénégal, Paris, L'Harmattan, 1983
|
C. Article de journaux
1. Ba Kobhio Bassek, « Etre de l'élite africaine
aujourd'hui est une lourde
responsabilité », Cinebules, vol.
14/2, 1995
|
2. Hamon, p., « Pour un statut sémiologique du
personnage »,
in : Poétique du récit, Paris,
Seuil, 1976
|
3. Todorov, T., « Les catégories du récit
littéraire », in Communications,
no 8, Paris, Seuil, 1966
|
* 1 Léglise, P., Une
oeuvre de pré cinéma : L'ENEIDE, Paris, Nouvelles
Editions Debresse,1959, p.28
* 2 Gardies, A., Le
récit filmique, Paris, Hachette, 1993, p.6
* 3 Idem. p.7
* 4 Haffner, P, Essai sur
les fondements du cinéma africain, Abidjan, NEA, 1978, p. 189
(interviews)
* 5 Vernet, M,
Esthétique du film, Paris, Nathan université, 1983
* 6 Vernet, M, op. cit.,
p.80-82
* 7 Metz, C,
L'énonciation impersonnelle ou le site du film, Paris,
Merdiens-Klincksieck, 1991, p. 55
* 8 Barthes, R, S/Z,
Paris, Editions du Seuil, 1970, p. 74
* 9 Genette, G, Figures
III, éditions du seuil, 1972, p. 77-78
* 10 Lotman, I, La
structure du texte artistique, Paris, Gallimard, 1973, p. 363
* 11 Genette, G, op. cit.
* 12 Pouillon, J, Temps et
roman, Paris, Gallimard, 1946
* 13 Todorov, T, Les
catégories du récit littéraire, Communications,
no 8, Paris, Seuil, 1966
* 14 Lotman, I, op. cit., p.
366
* 15 Bachelard, G,
Poétique de l'espace, Paris, PUF, 1957
* 16 Burch, N, Une praxis
du cinéma, Paris, Folio-Essais, 1986, p. 39
* 17 Rohmer, E,
L'organisation de l'espace dans « le Faust » de
Marnau, Paris, 10/18, 1977, pp. 11-12
* 18 Betton, G,
Esthétique du cinéma, Paris, PUF, 1994, p. 28
* 19 Gardies, A., Le
récit filmique, Paris, Hachette, 1993, pp. 53=66
* 20 Hamon, p, « Pour
un statut sémiologique du personnage », in :
Poétique du récit, Paris, Seuil, 1976
* 21 Lotman, I,
esthétique et sémiotique du cinéma, Paris,
Editions Sociales, 1977, p. 148
* 22URL :
<http://mlvdj.free.fr/dia2b.htm>
* 23 Genette, G, Figures du
récit, Paris, Seuil, 1972 et Figures du récit,
Paris, Seuil, 1984
* 24 Mitry, J.,
Esthétique et psychologie du cinéma, Vol. 2, Paris, Ed.
Universitaires, 1963-65, p. 35
* 25 Gaudreault, A., Du
littéraire au filmique. Système du récit, Paris,
Meridiens-Klincksieck, 1988
* 26 Vanoye, F., et
Goliot-Lété, A., Précis d'analyse filmique,
Paris, Nathan Université, 1993, p. 119
* 27 La filmologie
étudie le cinéma dans ses aspects esthétiques et
culturels. Elle analyse aussi bien un extrait, une oeuvre complète ou un
courant esthétique.
* 28 Jost, F., L'oeil
camera. Entre film et roman, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1987
* 29 Bellour, R, L'analyse
du film, Paris, Albatros, 1979
* 30 Propos inscrits sur la
quatrième page de la couverture de La rue
Cases-Nègres
* 31 La rue
Cases-Nègres
* 32 Tudor, E., Comment
écrire et vendre son scénario, Paris, Henri Veyrier, 1980,
p.127
* 33 Pignarre, R, Histoire
du théâtre, Paris, PUF « Que
sais-je ? », no160, 1991, p. 6
* 34 Betton, G,
Esthétique du cinéma, Paris, PUF « Que
sais-je ? », no751, 1994, pp. 120-121
* 35 Greimas, A.-J., Du
sens, Paris, Seuil, 1970
* 36 Gardies, A, Le
récit filmique, Paris, Hachette, 1993, p. 63
* 37 idem, p. 60
* 38 Genette, G, Figures
III, Paris, Editions du Seuil, 1972, p. 77
* 39 Gaudreault, A, et Jost, F,
le récit cinématographique, paris, Nathan, 1990, p.
103
* 40 Burch, N, Une praxis
du cinéma, Paris, Folio Essais, 1986, p. 39. Dans cet ouvrage
Noël Burch nous dit que le sixième segment comprend tout ce qui se
trouve derrière le décor ou derrière un
élément du décor.
* 41 Ba Kobhio Bassek,
« Etre de l'élite africaine aujourd'hui est une lourde
responsabilité », Cinébules, vol. 14/2, 1995,
p. 23
* 42 Sékou, T. et
Vieyra, P. S., « Littérature et Cinéma »
Revue Francophone, 1994, vol. 87/2, pp. 15-25
* 43 Martine, J., L'image
et les signes. Approche sémiologique de l'image fixe, Paris,
Nathan, 1994, p. 85
* 44 Filteau, C., Fiction
et Oralité, Limoges, Université de Limoges, 1985, p. 83
* 45 Litto, D., Stendhal -
Balzac : Réalisme et Cinéma, Grenoble, ME, 1978, p.
251
* 46 Gardies, A, Le
récit filmique, Paris, Hachette, 1993, p. 6
* 47 URL <: http://
www2.bc.edu/~rusch/rcn.html - 22k>
* 48 Idem
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