De la prise en charge du toxicomane en détention et du suivi à sa libération( Télécharger le fichier original )par Philippe THOMAS Université Paris VIII - DEA droit de la santé, médical et médico-social 2006 |
0.3 -La toxicomanie est-elle une maladie neurobiologique primaire chronique ?Dans l'esprit des populations, la toxicomanie est liée à une forme de vice condamnable. L'image du toxicomane devient celle de la déchéance sociale et de l'exclusion dont l'aboutissement en prison. Le milieu médical aborde les problèmes liés à l'usage de drogues licites ou illicites de manière plus scientifique et c'est la dénomination de patient qui est retenue, car il est évident que le toxicomane souffre d'une affection neurologique provoqué par un ou plusieurs toxiques. La définition de la toxicomanie en 2001 par l'American Association of Phycisists in Medecine (AAPM) - American Physical Society (APS) - American Society of Addiction Medecine (ASAM) correspond bien à notre approche. Toxicomanie : « Maladie neurobiologique primaire chronique, dont le développement et les manifestations sont influencés par des facteurs génétiques, psychologiques et d'environnement. Elle se caractérise par un ou plusieurs des comportements suivants : usage incontrôlé de drogues, usage compulsif, persistance à user de drogues malgré les méfaits causés et état de manque» 35(*) Le ministère du travail au Québec expose la toxicomanie dans des termes différents mais en substance identique : « Une maladie primaire, neurobiologique, idiopathique et chronique, dont le développement et la manifestation sont influencés par des facteurs génétiques, psychosociaux et environnementaux. Elle est caractérisée par un ou plusieurs des comportements suivants : Abus - Assuétude - Dépendance psychologique »36(*) 0.4 QUELLES SONT LES REGLES DE DROIT SUR L'ASSISTANCE DES MALADES TOXICOMANES ET DES OBLIGATIONS DE SOINS ET DE TRAITEMENTS ?La prévention de la toxicomanie est devenue une priorité de l'Union européenne inscrit dans le Traité de Maastricht en novembre 1993. L'origine de la prise en charge des personnes dépendantes est directement issue de la loi n° 070-1320 du 31 décembre 1970 qui allait réformer les dispositions de la loi de 1916, par la prise en compte de l'addiction de l'usager et la mise à sa disposition d'un volet sanitaire. En 1970, le député MAZEAUD, rapporteur du projet de la nouvelle loi, résumait en ces termes la précédente législation : "inadaptée dans ses aspects répressifs parce qu'elle est trop timide à l'égard de ceux qui fabriquent la drogue ou en font le trafic et parce qu'elle ne fait pas aux mesures curatives de désintoxication la place qu'elles devraient avoir". Si la loi du 31 décembre 1970 introduit le concept de soins en matière de trafic et d'usage de stupéfiants, c'était d'abord dans le but de différencier l'usager du trafiquant, ce que ne prévoyait pas la législation de 1916. Le toxicomane peut se présenter spontanément pour déclarer son addiction, le bénéfice de cette démarche est d'être pris en charge tout en restant anonyme, ce qui n'est pas le cas des personnes signalées par les services sociaux au procureur de la République, qui seront vraisemblablement soumises à des mesures contraignante comme l'injonction de soins. La relation entre les différents textes de loi et le code de déontologie médicale est complexe et même contradictoire, la complexité de l'offre des traitements médicaux et la plus grande autonomie de décision reconnue aux personnes malades dans la loi du 4 mars 2002, expose que le consentement du malade n'est plus simplement implicite mais qu'il doit être « libre et éclairé ». La volonté du patient est déterminante et son expression doit être étudiée avec une grande attention, même si elle aboutit à un refus de traitement. Cette dernière hypothèse soulève un problème d'ordre éthique qu'il est difficile d'évaluer par le praticien, surtout s'il apparaît que le refus d'une thérapeutique est le fait d'un défaut de discernement du patient, dont l'état de santé le place dans une situation qui diminue sa conscience et sa propre réflexion. L'injonction thérapeutique, ordonnée par l'autorité judiciaire pourrait s'opposer, semble t-il au libre consentement d'un patient par les sanctions prévues en cas de refus de soins. Plusieurs questions se posent : · Le toxicomane peut-il s'opposer une obligation de soins imposée en évoquant les règles sur la dignité du malade et le respect de sa volonté ? · Le toxicomane a-t-il un moyen de recours ? La personne soumise à l'injonction thérapeutique ne possède pas beaucoup d'alternative, d'autant que la loi prévoit des mesures répressives en cas de refus. La loi du 5 Mars 2007 accroît le nombre des personnes pouvant ordonner une telle mesure. En dehors de l'univers carcéral, ce sera au médecin relais, de jouer les intermédiaires entre le pouvoir judiciaire et le toxicomane, son rôle sera aussi de signaler tous les manquements à l'obligation de traitement. L'idée du texte est de pénaliser le refus de soins par la contrainte qui soumet le justiciable à une alternative : Le traitement médical ou la sanction ! Le 4 Juin 2003, le Sénat publiait le rapport d'une commission d'enquête intitulé : « Drogue : l'autre Cancer »37(*) rédigé en 2002 et 2003 par les rapporteurs Bernard PLASAIT et Nelly OLIN. Le texte préconisait un ensemble de mesures liberticides envers les usagers de drogues. Le professeur GOT estime que « dans la délinquance de masse, il faut des sanctions fréquentes, légères pour être acceptables, crédibles, équitables. ».38(*) Contredisant la pensée d'Alexis de TOCQUEVILLE, qui opposait une méfiance à ce genre de politique : « Plus la peine était légère, plus on oubliait aisément la façon dont elle est prononcée ». « La douceur de l'arrêt cachait l'horreur de la procédure »39(*) Deux options avaient été envisagées au cours de la commission d'enquête pour les toxicomanes n'ayant commis aucun délit en dehors de leurs consommations. 1. Incarcération dans des centres pénitentiaires spécialisés dans les soins aux toxicomanes. 2. Coercition possible pour un placement dans des centres de soins. La commission recommandait le maintien de peines d'emprisonnement en cas de refus de se soumettre aux soins ou en cas de récidive mais aussi pour conserver un moyen de pression tout en reconnaissant que les mesures alternatives à l'incarcération doivent être privilégiées. Le régime légal prévu était celui de la contrainte par corps prévue à l'article 112-2 du code pénal qui constitue cependant une mesure d'exécution forcée des peines pécuniaires dues à l'Etat.40(*) La commission d'enquête estimait nécessaire la création de centres fermés pour le traitement de la toxicomanie sur le modèle des centres fermés pour jeunes délinquants. Des centres gérés par l'administration pénitentiaire regrouperaient « les personnes incarcérées pour un simple usage à la suite d'un refus de soins, mais situés en dehors des établissements pénitentiaires existants »41(*) qui pourrait recevoir un traitement adapté. Tous les autres toxicomanes détenus pour d'autres infractions continuant à dépendre des UCSA en détention « normale » La loi du 5 mars 2007 ne sera pas aussi « audacieuse » que le projet de la commission sénatoriale de 2003, mais retiendra l'idée de la répression en aggravant un certain de nombre de peine, et en élargissant le pouvoir d'agir à l'autorité judiciaire, même sur les lieux de travail d'une certaine catégorie de personnel. Si la loi du 31 décembre 1970 introduit le concept de soins en matière de trafic et d'usage de stupéfiants c'était d'abord dans le but de différencier l'usager du trafiquant, ce que ne prévoyait pas la législation de 1916. Dans les débats parlementaires de 2003 en matière de sécurité publique Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, avait appelé à « gommer la disposition la plus critiquable de la loi de 1970, à savoir la possibilité de prononcer une peine d'emprisonnement à l'encontre de simples usagers »42(*) Pour autant, le gouvernement de l'époque a cassé ce semblant de dynamique, ainsi que l'indique une circulaire en date d'avril 2004 adressée par Dominique Perben aux Procureurs de la République. Le garde des Sceaux a en effet, préconisé une « réponse systématique », graduée. Il expose ainsi l'esprit des poursuites devant être engagée contre un usager de drogue qui : · A dépassé le stade de la « simple expérimentation », · Est trouvé en possession de « très faibles doses de stupéfiants » · Dont la consommation se fait dans un lieu « devant faire l'objet d'une surveillance particulière (école, prison) ». Sous les dispositions de cette circulaire, un consommateur de cannabis incarcéré, trouvé en possession d'une « cigarette de marijuana » devra faire l'objet de poursuites pénales « à vocation dissuasive ». L'ancien article 628 du CSP était certes moins rigoureux et prévoyait à ses débuts une peine d'emprisonnement comprise entre deux mois à un an et une amende de 500 à 15.000F, ainsi que, le cas échéant, des peines accessoires ou complémentaires. L'ordonnance du 15 juin 2000, l'article L3421-1 du CSP aggrave les peines liées à l'usage, et prévoit désormais la peine à titre principal d'un an d'emprisonnement et 3750 euros d'amende. De récentes statistiques présentées au Sénat, démontraient que les injonctions thérapeutiques en France, pour l'année 2004, représentaient un total de 4.568, à comparer au chiffre 8.052 pour 1997. Ces comparaisons nous indiquent des chiffres en baisse et très faibles au regard des 58.000 interpellations pour usage illicite de stupéfiants intervenue de le même temps.43(*) Plusieurs raisons peuvent expliquer ces chiffres : Il émanerait d'abord du début de la mise en oeuvre de l'injonction thérapeutique qui fut du seul ressort des parquets de la région parisienne jusqu'au début des années 1980. Cette mesure étendue à l'ensemble du territoire n'est aujourd'hui toujours pas utilisée par prés de 10% des tribunaux. D'autre part une confusion s'est établie entre « l'obligation de soins » « l'injonction thérapeutique » et « l'injonction de soins » qui n'a pas contribué à éclairer les statistiques et les débats. Mais de toute évidence, nous constaterons la marche forcée d'une criminalisation des usagers de produits toxiques, et le retrait progressif de l'Etat social pour celui de l'Etat répressif Nous aborderons les « traitements » proposés en détention dans la première partie de ce mémoire. L'étude se poursuivra sur les aspects en dehors de la prison, dans sa seconde partie. Nous pourrons évaluer les difficultés liées aux traitements des usagers de stupéfiants, en dehors de la consommation d'opiacés et de l'alcool, dans l'arrivée des nouveaux produits, notamment les drogues de synthèse et du phénomène récent de la polytoxicomanie. * 35 Fig. du document de consensus publié en 2001 par l'AAPM / APS / ASAM * 36 www.travail.gouv.qc.ca/ministere/activites/relations_du_travail/bem/colloque2006/LitteratureNarcotiques.pdf * 37 Commission d'enquête du sénat : http://www.senat.fr/rap/r02-321-1/r02-321-131.html * 38 Ibid. 36 * 39 Alexis de TOCQUEVILLE - l'ancien régime et la révolution - page 193 - édit. Le club français du livre - PARIS 1964. * 40 La contrainte par corps est une mesure coercitive d'incarcération par laquelle l'Etat oblige ses débiteurs, que son principe est à un seul coup et qu'il est susceptible de recours. Ainsi l'obligation de soins serait-il devenue un dû pour l'Etat. * 41 Commission d'enquête du sénat : http://www.senat.fr/rap/r02-321-1/r02-321-131.html * 42 Ibid. 40 * 43 http://www.senat.fr/rap/l05-476/l05-47614.html#fn14 |
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