Section 2 : La
nouvelle théorie du libre échange
Du début du XIX siècle jusqu'à la fin des
années 70, la théorie du commerce international est
dominée par le modèle des avantages comparatifs : il y a
échange parce qu'il y a diversité des technologies, des dotations
factorielles. Cette théorie explique bien les échanges entre pays
différents, mais elle rend moins bien compte du développement
très marqué des échanges intra- branches. En effet, dans
les modèles formels, il était entendu que les économies se
définissaient par des rendements d'échelles constants et par une
concurrence parfaite. Les économistes qui avaient réfléchi
a la question savaient depuis longtemps que les avantages comparatifs
n'expliquaient peut pas tout, et que les rendements croissants pouvaient
être une autres cause de spécialisation et
d'échanges ! Ohlin lui-même a souvent mis l'accent sur cet
aspect de la question. Ils ont alors cherché d'autres
déterminants des échanges pour mieux expliquer ce
développement rapide des échanges intra- branches et le fait
stylisé suivant : 80% des échanges se font au sein de la
triade, entre pays de niveaux de développement comparables.
A) La
prise en compte de la demande interne
Dès 1961, Linder soulignait
l'importance du commerce intra- branche entre pays de niveaux de
développement semblables. Il pensait que ce phénomène
allait contre HOS. Il a expliqué à l'époque une
explication en termes de " demande représentative " : les
producteurs nationaux, produisent d'abord pour le marché
intérieur, en fonction des préférences des consommateurs
de leur pays, les exportations sont considérées comme la
commercialisation d'un surplus par rapport à la consommation
intérieure, c'est donc la demande représentative qui explique la
spécialisation. C'est ce qui explique que des pays de même niveau
de développement, qui a des demandes représentatives proches,
aient aussi des spécialisations proches. Raymond Vernon a aussi mis
l'accent sur l'évolution technologique endogène, tandis que
d'autres discutent le rôle possible des économies d'échelle
comme causes des échanges, distincte des avantages comparatifs .En
effet, quelques articles ont tenté de formaliser des modèles en
partant des rendements croissants. Mais toutes ces tentatives se sont toujours
heurtées au problème de la modélisation de la structure du
marché. Sauf a poser l'hypothèse peu vraisemblable des
économies d'échelles comme étant complètement
externes aux entreprises, les rendements croissants doivent
nécessairement aboutir a un système de concurrence imparfaite.
Lassuderie- Duchêne introduit la " demande de
différence ", pour souligner le fait que le consommateur est
sensible à l'élargissement de son éventail de choix et
qu'il demande donc des produits étrangers assez similaires aux produits
du marché intérieur.
Dans ces deux analyses, la notion d'avantage comparatif
disparaît.
v La Place du chômage et des
inégalités dans la mondialisation
La montée en puissance des NPI, pays à bas
salaires, est souvent présentée dans l'opinion publique comme une
cause de chômage et de creusement des inégalités. Les
économistes sont partagés sur ce sujet, on peut distinguer deux
options :
§ une option optimiste, qui explique que ces pays tirent
profit de leurs avantages comparatifs et que ça n'est pas très
nouveau, que ce sera profitable si les pays de vieille industrie adaptent leur
spécialisation. Dans cette version, il se pose juste un problème
d'ajustement et d'accompagnement par des politiques sociales pour indemniser
les " victimes " du libre-échange (parallèle avec
l'introduction d'innovations).
§ une option plus pessimiste, qui souligne les risques
pour les travailleurs les moins qualifiés des pays riches.
a) Les
arguments de l'optimisme
les bas salaires sont une forme
particulière d'avantage comparatif, qui est le revers d'une
spécialisation dans des biens à faible contenu technologique. Il
faut nuancer cet avantage, puisque ce qui influence les coûts de
production dans ce domaine, ce sont les coûts salariaux combinés
à la productivité du travail et comme souvent les pays à
bas salaires sont aussi des pays où la productivité du travail
est faible, l'avantage en termes de coûts salariaux est moindre que ce
que laisserait penser une simple comparaison en termes de salaires horaires. En
effet, Quand la productivité du travail augmente alors, selon Krugman,
les salaires augmentent. Il appuie son analyse sur des exemples
historiques : le salaire moyen au japon représentait 10% du salaire
moyen américain il y a 30 ans, à une époque où le
Japon avait des niveaux de productivité très faibles par rapport
aux niveaux américains. Aujourd'hui, après la phase de rattrapage
rapide, les niveaux moyens de salaires au Japon atteignent 110% des niveaux
américains. Krugman insiste sur le fait que plus récemment on a
observé la même convergence des salaires pour la Corée du
Sud. L'argument consiste donc à dire que l'avantage en termes de bas
salaires reflète une spécialisation dans certains biens
incorporant peu de technologie et donc que dans les pays concernés, au
début de leur phase d'industrialisation, les niveaux de
productivité sont faibles et que si ces pays se développent et
atteignent nos niveaux de développement et donc de productivité,
alors les salaires convergeront automatiquement vers nos niveaux de salaires.
L'argument de la concurrence abusive par les bas salaires reflèterait
donc selon Krugman une méconnaissance des vertus du libre-échange
fondé sur la spécialisation en fonction des avantages
comparatifs. Ces études nourrissent l'idée que
les véritables causes du chômage et du creusement des
inégalités sont ailleurs. C'est la thèse défendue
par Krugman dans son dernier livre, intitulé, La
mondialisation n'est pas coupable.En effet selon lui, les
véritables causes du chômage et du développement des
inégalités sont internes. Il souligne en particulier le fait que
la baisse des rémunérations des moins qualifiés aux
Etats-Unis vient tout simplement d'une tendance structurelle de
l'économie américaine à avoir une demande de main-d'oeuvre
peu qualifiée de plus en plus faible. Pour lui, cette tendance
s'explique par le progrès technique et n'a que peu à voir avec
les échanges commerciaux avec les pays d'Asie. Les partisans de cette
thèse (défendue en France par des économistes
comme Daniel Cohen ou Jean-Paul Fitoussi)
soulignent par ailleurs que les échanges avec les pays à bas
salaires représentent une part faible de nos échanges et donc une
part encore plus faible de notre PIB, même si leur place dans nos
échanges a globalement doublé depuis 1979. En 1979, l'Asie en
développement représente 7.5% des exportations mondiales et 7.7%
des importations mondiales. Ces parts étaient respectivement de 14.7% et
15.4% en 1993.En effet, Krugman souligne à plusieurs
reprises que voir la raison du chômage dans cette mondialisation est
directement lié à une vision des relations économiques
internationales en termes de compétitivité, il dénonce
ceux qui présente les échanges comme un eu à somme nulle
où la tâche de chaque pays serait de gagner des parts de
marché à l'exportation , au détriment des concurrents et
où les importations sont un mal nécessaire, qu'il faut limiter le
plus possible. Il dénonce ce qu'il appelle l'obsession de la
compétitivité, de la guerre économique, qui sévit
aux Etats-Unis.
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