L'identité et le spectacle vivant à La Réunion( Télécharger le fichier original )par Virginie Verbaere Université Aix-Marseille III - Administration des Institutions Culturelles 2004 |
(b) Effets de l'intégration à l'espace public sur les citoyensL'élan démocratique, la circulation des idées, la mise en visibilité et en débats des faits de société grâce aux médias de masse se développent donc parallèlement à l'accessibilité de la ville. Elle cesse d'être un territoire réservé à une élite bourgeoise et fortunée. Parce qu'elles valorisent l'individu, ces transformations font surgir, sur la scène publique, la question de la citoyenneté. Selon le modèle républicain français, la citoyenneté suppose que les individus se présentent sur la scène publique comme des personnages autonomes et détachés des liens sociaux et politiques fournis par la famille, la corporation, le territoire ou encore la religion. La société créole, qui s'est constituée à partir des différentes communautés ethniques à l'origine, intègre les individus par leur appartenance à un kartié. Avec l'émergence de l'espace public et la généralisation des communications, qui intéressent d'abord l'individu en effaçant le groupe, c'est la nature du lien social qui se transforme : ceux qui accèdent de façon toute récente à l'espace public, médiatique et urbain, doivent abandonner en partie leurs identités particulières s'exprimant jusque là en termes de territoire et d'ethnicité. L'établissement de la citoyenneté, qui suppose l'adhésion à un ensemble social plus vaste, implique donc une rupture avec les modèles instaurés au cours de l'histoire. La société réunionnaise produit ainsi une citoyenneté locale en gommant les particularités communautaires : ainsi, dans l'espace public local, le fait communautaire se limite, pour le moment, à la publicisation des évènements religieux intéressant les diverses communautés. Seuls ces « marqueurs ethniques »49(*) sont tolérés, les Réunionnais considérant la « créolité » comme la synthèse des différents apports culturels et constituant un élément intégrateur, la « créolité », qui gomme les spécificités communautaires. Mais, au delà de ce comportement, la société locale est tendue car les rapports entre les réunionnais et les métropolitains ne sont pas réguliers. Ici, la concurrence entre ces deux groupes est vraiment visible dans l'espace public et s'exprime particulièrement dans les médias. A l'inverse donc de ce qui se passe pour le fait communautaire, l'opinion publique accepte le débat sur la « réunionnité » et fait donc la distinction parmi les citoyens français, entre ceux qui sont réunionnais et ceux qui ne le sont pas. A La Réunion, la citoyenneté se situe donc à différents niveaux : celui du kartié, espace social constitué par l'histoire, la parenté et le voisinage, celui de La Réunion, qui constitue l'espace politique, celui de l'ensemble national prolongé, à un niveau moindre, par « l'Europe » et enfin celui, naissant, de la région de l'Océan Indien. De fait, La Réunion fournit, comme l'indique J. Simonin50(*). L'espace public réunionnais entre communauté et société », « une communauté inachevée au plan local, largement fantasmée dans son rapport à la métropole », tout en espérant beaucoup de ses relations avec l'Europe et les pays de la zone de l'Océan indien. La généralisation des communications vient donc accentuer les profondes transformations sociales et culturelles qui interviennent à la Réunion après la départementalisation de 1946. Elle accélère le passage d'une société traditionnelle forgée par la Plantation vers une « société individualiste de masse »51(*) (Wolton, 1997) en transformant radicalement la nature du lien social, la relation au territoire, en redéfinissant la proximité et en participant à la mutation de la ville en un espace urbain. L'émergence de l'espace public et la mise en réseau de la société locale réactive par ailleurs la problématique de l'identité en posant la question de la citoyenneté qui, à la Réunion se constitue pour partie en interne, pour partie en opposition à la France métropolitaine. Ces développements sont présentés comme un des vecteurs les plus sûr de l'identité créole en même temps qu'elles participent à la profonde mutation du monde créole. * 49 BAGGIONNI D., MATHIEU M., 1985, Culture(s) empirique(s) et identité(s) culturelle(s) à la Réunion, Service des Publications de l'Université de la Réunion, Saint Denis de la Réunion, 132p. * 50 SIMONIN J., WATIN M., 1993, Espace public et communications médiatisées à la Réunion, Etudes Créoles vol. XVI, N°2, 1993. * 51 WOLTON D, 1997, Penser la communication, Flammarion, Paris, 401p. |
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