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LA CONCEPTION D'UN PROJET
D'ÉTABLISSEMENT
ENTRE POLITIQUE, INGÉNIERIE ET PRAGMATISME
Mémoire de Recherche
Master Professionnel
Direction d'Établissement ou
Organisme de Formation
par
Simon MAMORY
Directeurs
Monsieur Jean-Pierre BRÉCHET
Professeur agrégé des Universités
Institut d'Administration des Entreprises
& Monsieur Christian
GÉRARD
Maître des Conférences, HDR
UFR des Sciences de
l'Éducation
Soutenu le 3 juillet 2006
REMERCIEMENTS
Tout au long de ce travail, il a fallu souvent faire
preuve d'efforts et de résistance sans relâche face à
certaines difficultés à surmonter bien que le jeu a toujours
été très passionnant. Cette partie pourtant,
paradoxalement, paraît impossible tant les personnes auxquelles
je souhaite exprimer ma reconnaissance sont innombrables. Cependant, ne
pouvant
pas dresser la liste exhaustive de tout le monde,
dans la crainte d'oublier ne serait-ce qu'un prénom, je
commencerai volontiers par rendre hommage à toutes celles et
tous ceux, sans exception, qui ont contribué de près ou
de loin à favoriser ce travail. Ils se reconnaîtront. En
effet, un petit coup de pouce, un sourire cordial, un sincère
encouragement sont autant de gestes humains qui renforcent, qui portent
loin. Et le summum, à mon égard, reste cette graine de
confiance que vous m'avez accordé sans contrepartie.
Toutes mes reconnaissances à Madame Brigitte
Philippe pour ses précieuses contributions ayant facilité une
grande partie de ce travail. Il en va de même à toute
l'équipe des formateurs du Master Professionnel DEOF, animée par
Monsieur Christian Gérard.
À tous les personnels de l'Institut d'Administration
des Entreprises de Nantes, sans distinction : merci pour le formidable
accueil que vous m'avez fait durant neuf mois de stage oh combien
formateur, dans une ambiance de grande cordialité. Mention
spéciale à Ellen Berjon-Erichsen, dont la
générosité et la discrétion contrastent avec
sa grande compétence : "mange tak Ellen !" Toutes mes reconnaissances
à Monsieur Pierre Mévellec, l'excellent maître
de stage qui m'a initié à une facette
stratégique de l'art de manager ; à Monsieur Michel Dutrus,
Président du Conseil d'Administration, à Monsieur Bernard
Fiolleau, directeur ; à Madame Françoise Palu-Laboureu,
responsable des services administratifs et financiers ainsi
qu'à Monsieur Jean-Pierre Bréchet qui m'a indiqué
avec une grande patience comment tracer "les sillons" !
Merci à
Marie et Christian Latouche, Andrée Roux ainsi que
tout le Collège Jean
Monnet du Château d'Olonne dont l'engagement professionnel
m'enchante et l'amitié m'honore ;
Thierry Azandegbe, Zaccarelli Damour, Zafiarinefo
Mbelomanantena, Vicky
Le Ruyet, Albertine et Solange pour votre soutien très
actif ;
Faustine, Michel, Manita, Stéphane et sa petite
famille au complet dont la présence, même discrète, m'a
permis de terminer ce travail.
Muito obrigado mãe Laura e Menina !
Sommaire
INTRODUCTION
----------------------------------------------------------------------- 5
PREMIÈRE PARTIE ~ CONTEXTUALISATION DE LA RECHERCHE
------- 9
Brève notion d'autobiographie
référencée ------------------------ 9
CHAPITRE PREMIER EXPÉRIENCES À L'ORIGINE DU SUJET
----- 14
CHAPITRE 2 CONTEXTE UNIVERSITAIRE TRÈS COMPLEXE ---- 36
IIe PARTIE ~ UNE APPROCHE SYSTÉMIQUE DE LA
PROJECTION ---------49
CHAPITRE 3 POUR UNE ÉPISTÉMOLOGIE DE
RELIANCE------- 51
CHAPITRE 4 PROBLÉMATIQUE DE PROJECTION COLLECTIVE -
62
IIIe PARTIE ~ LE CONTENU D'UN PROJET
D'ÉTABLISSEMENT----------- 111
CHAPITRE 5 DÉMARCHES MÉTHODOLOGIQUES ------------
112
CHAPITRE 6 EXPLORATION DU CONTENU D'UN PROJET ---- 123
CONNAISSANCE ACTIONNABLE
---------------------------------------------- 148
CONCLUSION------------------------------------------------------------------------
153
INDEX DES AUTEURS
---------------------------------------------------------------- 158
INDEX DES FIGURES
---------------------------------------------------------------- 160
INDEX DES NOTIONS
---------------------------------------------------------------- 161
INDEX DES SIGLES
---------------------------------------------------------------- 162
BIBLIOGRAPHIE
----------------------------------------------------------------------- 163
Table des matières
------------------------------------------------------------------------ 165
INTRODUCTION
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme4.png)
"Chaque homme porte la forme entière de l'humaine
condition"
Michel Eyquem de Montaigne
"Un fait, un phénomène ne signifie
rien par lui-même. Il ne prends sens que des rapports qu'il
entretient avec le système des éléments auquel il
appartient."
Pol Pierre Gossiaux1
Bien au-delà de l'obtention du Master professionnel de
"Direction d'Établissement ou Organisme de Formation", ce mémoire
marque une étape d'un engagement plus global inscrit dans la
durée qu'est la réflexion sur le métier de direction d'une
organisation ayant pour mission l'enseignement, la formation ou à
finalité socioéducative au sens large. Celui-
ci n'est donc pas une fin en soi, d'autant plus
qu'une autre phase de sa vie commence véritablement dès sa
soutenance devant le jury où questionnements, débats, critiques
et conseils viennent lui donner un nouveau souffle vital. Cette
étape, corollaire de tout un parcours personnel, professionnel
et formatif, a été rendue possible grâce
à un enchevêtrement d'interactions. Des interactions
nées de l'alternance entre l'Institut d'Administration des
Entreprises (IAE) - terrain de stage2 qui s'est
révélé être un environnement d'apprentissage
professionnel par excellence - et la Formation Continue de
l'Université ; une réflexion au carrefour des
expériences individuelles, des pratiques collectives, des
théories ; et des multiples rencontres avec des professionnels aussi
bien lors de chaque semaine de cours que durant le stage. Les
responsabilités professionnelles au coeur d'un réseau
relationnel dans différents établissements d'enseignement
secondaire et supérieur (collèges, lycées,
université, IRTS) ont aussi apporté leurs contributions. Le
tout a évolué dans un cadre conçu et
piloté par deux accompagnateurs, Messieurs Jean-Pierre
Bréchet et Christian Gérard, à la fois
directeurs
d'établissement expérimentés et directeurs
de recherche préoccupés par la complexité3 de
l'art de
1 Grand homme dont l'enseignement
d'anthropologie, à l'université de Liège, m'a
définitivement relié avec ma double culture.
2 Avec une mission à caractère
stratégique entre l'IAE et l'UFR des sciences économiques et de
Gestion de Nantes.
3 Edgar Morin (2001), La méthode 5 :
L'humanité de l'humanité, Coll. Points, éd. du
Seuil.
diriger dans un contexte incertain. La
complémentarité entre les deux formateurs de cadres
dirigeants - l'un spécialiste des sciences de l'éducation,
l'autre de la stratégie et l'organisation des entreprises -
décuple encore la qualité de cet accompagnement
interdisciplinaire. Ainsi, fondé dans l'action, la formation et la
recherche, ce processus d'apprentissage de l'art de diriger crée les
conditions d'émergence de ce que D. Schön (1994) qualifie
de "connaissances actionnables" (actionable knowledge).
Ce travail suit, comme fil d'Ariane, la recherche de
compréhension des stratégies pouvant être
actionnées par la direction ou l'équipe de direction dans
la conception d'un projet innovant qui fédère les
différents acteurs d'un établissement. C'est ce que nous
tâcherons de découvrir en identifiant l'architecture du
contenu d'un projet, de la "boîte noire" dirait J.-P.
Bréchet. En somme, deux interrogations nous préoccupent,
pour être plus précis : comprendre comment se déroule le
processus de conception d'un projet d'établissement, et que contient cet
objet présenté sous forme de discours écrit ?
Compréhension délibérément fondée
sur une utopie humaniste. Il ne s'agit donc pas de fantasmer sur
la découverte d'on ne sait quelle formule scientifique universellement
reproductible. Il n'est pas question non plus d'une tentative
de dégager une méthode infaillible applicable au
management de projet. Ce mémoire ambitionne très modestement de
parvenir à mener une étude pragmatique basée sur des
données empiriques, éclairées par des théories, qui
permettra de dégager une problématique du projet
d'établissement dans sa phase de conception et, au passage, les enjeux
auxquels il participe. La question sous- jacente de cette
problématique est évidemment celle de l'autonomie
organisationnelle. Nous choisirons, pour ce faire, de travailler sur le
deuxième projet d'établissement de l'Université de Nantes.
En espérant que, par la suite, le résultat puisse
servir de levier ou de catalyseur de réflexion et d'actions aux
membres d'équipes de projet d'université, aux concepteurs de
pratiques collectives ainsi qu'à toute personne intéressée
par le devenir et l'autonomie d'un établissement
ou organisme de formation et d'éducation.
Ce mémoire comporte deux facettes indissociables :
celle plus évidente qui se trouve dans ce volume, d'apparence
figée bien que dynamiquement vivante et, celle que nous pouvons
considérer de curriculum caché, située autour (en amont,
pendant et en aval) mais bien présente de la première
jusqu'au-delà de la dernière page. Cette deuxième facette
reste toutefois aisée à représenter car il s'agit de
l'ensemble des recherches exploratoires (entretiens, échanges et
lectures) sans lesquelles, comme matières premières initiales, il
serait difficile de penser aboutir
à ce résultat. Il en va de même pour
la suite, post-scriptum, suggérée par les enrichissantes
critiques puis les connaissances actionnables lors de leur activation depuis
l'anonymat de l'esprit
du lecteur. Les entretiens exploratoires ont été
menés auprès des directeurs et responsables de
services éducatifs ou de formation, sans oublier les
prodigieuses participations des collègues de
promotion toutes les fois où notre sujet a pu
être exposé lors de séminaires. Le quotidien
professionnel en tant que Conseiller Principal d'Éducation a aussi
apporté une profondeur dans nos réflexions. Sans tarder,
voyons maintenant comment va se structurer ce travail dans son
ensemble.
Par souci de clarté, optons pour une progression en
trois grandes parties. Une contextualisation générale de la
recherche donnera le départ dans la première partie
où seront évoqués trois niveaux d'ancrage ou enracinement
: personnel, professionnel et universitaire. En effet, pour des travaux de
recherche-action en sciences humaines et sociales, un repérage
préalable d'où nous parlons pourra se mettre au service d'un
effort d'objectivation et de projection efficiente. Il en va de même de
l'importance accordée à la définition du terrain de la
recherche. Elle sert à une contextualisation du sujet et des corpus
collectés pour des examens systémiques.
La deuxième partie, des réflexions plus
théoriques, débutera par une précision sur notre
positionnement épistémologique avant d'explorer les notions
fondamentales de projet, pour aboutir à la problématique de
l'action collective et la divergence des intérêts. Seront
exposés à la
fin les démarches méthodologiques et
l'analyse proprement dite du projet d'établissement de
l'Université de Nantes. Un chapitre conclusif nous servira à
souligner les enseignements pouvant être retenus de l'ensemble de ce
travail. Lesquels points actionnables susciteront en même temps,
peut-être, l'ouverture d'une perspective pour d'autres
problématiques qui pourront être explorées
ultérieurement.
CONTEXTUALISATION DE LA RECHERCHE
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme5.png)
PREMIÈRE PARTIE ~ CONTEXTUALISATION DE LA
RECHERCHE
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme6.png)
Ignorer le monde, ignorer l'humanité, est une
carence mentale fréquente chez nos intellectuels les plus
raffinés.
Hadj Garm'Orin
Mais pourquoi ne sommes-nous pas tous frères avec des
frères ?
FiodorMikhaïlovitch Dostoïevski
Brève notion d'autobiographie
référencée4
Dans cette quête du chemin qui mène à
l'élargissement de la compréhension de l'une des multiples
facettes du métier de la direction, "peut-on manier les modèles
forgés par les sciences exactes pour rendre intelligibles les
processus sociaux ?" (R. Chartier, 1983)5 Cette question, que
nous prenons à notre compte, semble s'imposer d'elle-même. Sembler
en effet, car autrement ce serait présumer qu'en recherche,
quelque chose puisse aller de soi. En réalité, il n'en
est rien. Certes, il ne peut y avoir de recherche sans des
contraintes de diverses natures mais, pour y faire face, le choix impose
aussi sa présence tout au long du parcours. Du choix du sujet
jusqu'à l'objectif en passant par la ou les méthodologies
adoptées. C'est pourquoi, explorer scientifiquement c'est
problématiser car "quoi qu'on en dise, dans la vie
scientifique, les problèmes ne se posent pas d'eux-mêmes. C'est
précisément ce sens du problème qui donne la
marque du véritable esprit scientifique..." G. Bachelard
(1938)6.
4 L'autobiographie référencée
est composée des dimensions autoréférentielles et
hétéroréférentielles. Nous suggérons une
synonymie entre autobiographie référencée et Enracinement
susceptibles d'être utilisés indifféremment dans cette
étude. Avant d'explorer le contexte socioprofessionnel et
épistémologique en effet, clarifier la signification
du terme autobiographie référencée, que nous avons
découvert et tant entendu (surtout le volet
autoréférentiel) durant la formation, constituera notre
incontournable pose des premières pierres.
5 Roger Chartier (1983), Avant propos, in Norbert
Elias, Engagement et distanciation, Coll. Pocket, Fayard, p. II
6 Gaston Bachelard (1938, 1982), La formation de
l'esprit scientifique, p.14 in J.-L. Le Moigne, (1999), La
modélisation
des systèmes complexes, Paris, Dunod, p. 23.
Avant même d'entamer telle ou telle partie "technique"
propre à la recherche
en sciences sociales ou la gestion en
général, prenons comme prédicat l'idée selon
laquelle s'appuyer sur des méthodes rigoureuses en vue de plus
d'objectivité caractérise toute démarche
qui se veut scientifique. Néanmoins, quel que soit le
sujet, les savoirs produits par les sciences en général sont
liés aux intérêts et engagements de ceux qui les
produisent. G. Bateson, comme H.
A. Simon, a nettement précisé qu'en
réalité, il ne peut qu'être illusoire de prétendre
décrire une réalité objective indépendamment de
l'observateur. Ce dernier, inscrit dans un projet (de vie personnelle,
de recherche, de carrière), positionne son regard depuis un angle de
vue, dans une finalité donnée et par rapport à
certains paramètres contextuels relativement subjectifs ou
contraignants. Ce qui signifie que, nos intentions participent de
manière prépondérante à la construction de
notre vision de la réalité. D'autant plus que la
réalité ne peut qu'être l'interprétation, par
nos multiples filtres, de l'insaisissable réel. Par conséquent,
"c'est seulement
en objectivant sa propre position [d'abord] que le
chercheur peut instituer une distance par rapport aux dépendances
qui le contraignent sans qu'il le sache, et, pratiquer le
"désenchantement émotionnel" qui sépare le savoir
"scientifique" des représentations immédiates, des
préjugés spontanés" (R. Chartier, 1983)7. Une
telle idée se situe aux antipodes
de celle de croyance populaire ou de certains scientifiques
soutenant l'existence d'une objectivité absolue épurée
de toute part subjective, auréolée d'une illusoire
neutralité absolue. Nous soutenons pourtant cette position de R.
Chartier puisque, non seulement, il est possible de la
démontrer, de l'illustrer mais aussi de la critiquer voire la
dépasser peut-être dans quelques siècles lorsque des
futures générations de chercheurs auront trouvé un autre
paradigme. Car, en effet, c'est cela aussi le savoir humain : toujours
provisoire, sous forme de petites strates qui s'accumulent au cours de
l'histoire.
Chaque être humain, dans toutes ses dimensions, est la
résultante vivante des multiples évènements
(répulsifs, douloureux, banals, matériels, idéologiques,
fastes, extraordinaires, biologiques, sensuels, etc.) qui ont traversé
sa vie et avec lesquels il se construit
par interactions, ou dont pour certains il est le
générateur. Alors, "le réseau des activités
humaines acquiert ainsi une plus grande complexité, une plus grande
extension et un maillage plus serré" (N. Elias, 1983)8 dont
l'intelligibilité plus fine suppose une approche globale plutôt
qu'un évitement ou une simplification stérilisante. Se projeter
exige une relecture de l'essentiel
du passé pour en dégager le sens parce
qu'ainsi le présent se comprend mieux et le futur se
conçoit plus aisément sur une base plus solide.
7 Roger Chartier, op. cit. p. IV
8 Norbert Elias (1983), Engagement et
distanciation, Paris, Fayard
Il est donc indispensable de restituer l'essentiel de
ces évènements dans leur contexte géographique,
sociologique et axiologique pour mieux comprendre les fondements de la position
qu'occupe le praticien-chercheur par rapport à son sujet/objet
d'étude. Il en va de même pour la définition de
certaines notions qu'il a pu confronter à son vécu,
à des réalités plus ou moins subjectives, voire
intimement enfouies pour qu'il puisse en être conscient. Ainsi, telle ou
telle perspective adoptée par le chercheur parviendra mieux à
faire sens pour les autres comme pour lui-même grâce à
ce travail d'élucidation et de réappropriation,
éclairé par des jalons théoriques. Aussi pour y
parvenir, "le point capital est que chaque sujet humain peut se
considérer à la fois comme sujet et comme objet, et de
même objectiver autrui tout en le reconnaissant comme sujet" (E.
Morin, 2001)9. Toutefois, avant d'objectiver autrui, il convient
de s'objectiver soi-même. Objectiver seulement ne
suffit pas. Objectiver tout en subjectivant revient à inscrire
l'acteur dans un projet. Appelons alors "projectivation" cette
concomitance d'objectivation avec la subjectivation puisque nous nous
inscrivons délibérément dans la posture
de modélisation-interprétation systémique
qui se veut projective, contrairement à la modélisation
analytique cartésienne qui se contente d'être objective. Ce
qui nous permet de reformuler la précédente proposition,
pour être plus complet, en disant qu'avant de
"projectiver"10 autrui, il convient de se "projectiver"
soi-même puisque l'acteur est relié à son action. Dans
cette action de "projectivation", il y a, pour être logique, une
part de "retroprojection"11 (à prendre au sens
étymologique) du regard. Définissons alors la
"projectivation" comme l'ensemble des mouvements de notre regard sur un
sujet/objet, englobant la "retroprojection" avec la projection.
Le schéma qui suit (cf. fig.1, p.12) se propose comme
illustration, en guise de complément à cette explicitation sur le
positionnement du chercheur par rapport à son sujet/objet
d'étude. Une telle posture est aussi appropriée pour toute
personne exerçant des responsabilités
dans une institution de prestation de services à
caractère social ou éducatif.
9 Edgar Morin (2001), La méthode 5.
L'humanité de l'humanité, Coll. Points, Seuil, p. 84
10 Projeter, même en tenant compte des
éléments du passé, suppose une perspective qui
s'étale vers l'avenir, qui se conjugue au futur avec la grande part de
l'hypothétique que cela recouvre. Or nous voulons exprimer à
travers ce néologisme "projectiver" l'inscription d'un
acteur objectivé et subjectivé à la fois, dans un
projet qui peut être totalement achevé, conjugué
à l'imparfait avec un plus grande par d'interprétation et
modélisation a posteriori (postjectivation)
possible. Pour autant, nous ne perdons pas de vues que tout peut s'inscrire en
un temps dans un continuum "passé-futur" de l'acteur de sa vie.
11 En tant qu'observateur présent, nous
proposons d'appeler retroprojection tout regard sur une vie de projet aboutie
dans le passé, contrairement à la projection qui suppose
un regard devant, vers l'avenir. Ainsi, une Projectivation peut
inclure une Retroprojection et une Projection.
Chercheur
Projectivation
=
(Subjectivation + Objectivation)
Retroprojection
(Rétrospective)
Projection
(Prospective)
Retro-projet Projet
Acteur
(Sujet / Objet)
Passé Présent
Futur
Figure 1 : La "Projectivation"
L'autre motif fondamental de la démarche
réflexive autoréférentielle, incluant tout ce que nous
venons de voir, se résume dans la prise de conscience du fait que
l'heuristique même de cette recherche-action en interaction avec
l'action-recherche s'enracine dans le "terreau expérientiel" (C.
Gérard, 1999)12. De là découle un nouveau
système d'actions résultant de la dialogie
engagement-dégagement. Ce système évolue dans un nouveau
contexte pour opérer une projection véhiculée par et
véhiculant l'hypothèse de C. Gérard (2006) selon laquelle
l'autonomie
de "l'élève" directeur procède de
l'action de se former en actionnant deux méta processus :
enracinement et fondement qui s'autoréfléchissent
dans leur rapport dialogique.
Sans contester la nécessité d'une
légitimation d'un ensemble de corpus scientifique dont des
chercheurs se sont fait la spécialité, tel n'est pas exactement
notre objectif
12 Christian Gérard (1999), Au bonheur des
maths. De la résolution à la construction des
problèmes, Paris, L'Harmattan.
ici puisque nous visons simplement à mieux partager
notre travail dans sa globalité ; mieux faire comprendre (voire,
com-prendre) les multiples nuances d'idées difficiles
à transmettre, dissimulées derrière les recoins de
nos perfectibles exposés. En résumé, cette partie
dite autoréférentielle s'inscrit dans une logique de la
démarche compréhensive caractérisée par le
binôme projet et son contexte, étant attendu que les deux
sont reliés par le chercheur. Comprendre le contexte, les
origines, les fondements et autres enracinements d'un projet de
recherche qui est en même temps un projet de professionnalisation,
éclaire certainement in fine
ses finalités.
Ainsi vient d'être explicitée, en quelques mots, la
pertinence méthodologique
de l'entrée en matière par une
autobiographie référencée afin d'élucider les
positions, les motivations et les valeurs qui portent et supportent ce
travail. Bref, les contextes axiologiques et socioprofessionnels qui
permettent d'identifier les enracinements - d'aucuns disent l'ancrage
(c'est plus dynamique)13 - de nos préoccupations. Mettons
alors en pratique la préconisation de
P. Ricoeur (1990)14 en commençant par nous
objectiver pour mieux objectiver. Nous veillerons,
par la suite, à garder cette idée en filigrane tout
au long de nos réflexions.
13 Toutefois, tout cela n'est que métaphore.
Chacun use de l'image qui convient mieux à sa sensibilité.
14 Paul Ricoeur (1990), Soi-même comme un
autre, Paris, Coll. Points, Seuil.
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CHAPITRE PREMIER EXPÉRIENCES À L'ORIGINE
DU SUJET
Ce chapitre prend la forme d'un récit factuel bien que,
étant donné la modalité
de l'exposé qui suit, nous espérions qu'il soit
plus que cela. En même temps, il ne s'agit pas non plus d'une
autobiographie au sens habituel attribué à ce genre de
littérature. Au fait, est-ce effectivement un banal récit,
une introspection à tendance psychanalytique ou une simple
évocation sporadique de quelques évènements clefs
agrémentée de figures de style pour donner
des effets oratoires ? Non, aucune de ces qualifications ne
s'applique à cette nouveauté dont C. Gérard nous a offert
l'heureuse découverte durant la formation.
Mais quel que soit notre espoir, quelle place occupe le
récit dans les sciences humaines et sociales ? Chaque discipline et
orientation paradigmatique lui donne la place qui convient à son
objet en fonction de sa méthode. Toutefois, quelques idées
fondamentales peuvent certainement dégager un consensus entre toutes ces
sciences, notamment en ce qui concerne les sciences de l'éducation et la
gestion. Ce type de récit désigne, décrit, rapporte la
réalité afin de la soumettre à tous les instruments
servant au recueil et au traitement des informations. Il s'agit d'une
matière première riche pour qui veut en extraire, à l'aide
des concepts outils, un bout de savoir permettant de mieux définir
chaque sujet en le situant dans la complexité de ses contextes. Cela
veut dire qu'il sert de transition entre les données empiriques et les
théories scientifiques.
Dans ce chapitre, comme moyen de concrétiser nos propos
sur l'autobiographie référencée développés
précédemment, il sert donc de médium transporteur de la
réalité à passer sous les prismes des concepts en vue de
tirer des éléments nouveaux qui viendront enrichir, fut-
ce de taille microscopique, la compréhension que l'on
peut avoir du pourquoi de ce travail. Alors commençons par remonter
à l'origine de notre parcours humain, avant d'aborder comment
l'apprentissage dans l'action (de lycéen engagé dans la vie
active au professionnel qui se forme) a permis très tôt de voir
poindre le début de notre intérêt sur la question de
projet.
I.La genèse d'un parcours
La construction d'une identité professionnelle
dépend de plusieurs paramètres, avec systématiquement un
apport de contingences qui se glissent entre les zones d'articulations
de ceux-ci, pour lesquels nous allons esquisser un
exemple de représentation synthétique à travers ce
destin singulier. D'abord, le titre "La genèse d'un parcours",
en plus des sens qu'il véhicule, vise en partie à rendre
hommage à E. Morin pour ses leçons de vie vulgarisées dans
divers ouvrages tels que, notamment, La tête bien faite15
et L'humanité de l'humanité16. Ce qui
reflète en même temps une volonté de s'approprier cette
manière d'apprendre (à penser, à dire, et
à faire) qu'il préconise et à laquelle
nous pouvons adhérer, tant une partie de ces enseignements recouvre la
manière dont nous avons conduit notre métier
d'élève, il y a quelques années déjà mais,
qui semblent si lointaines et si proches à la fois. Une scolarité
qui s'est déroulée dans un contexte où la seule garantie
de succès résidait dans la propension à apprendre à
apprendre dans l'autonomie. Pour finir, un curriculum aussi atypique, non
linéaire que nous allons donner à voir
ne pourra-t-il pas être conçu comme a priori
complexe ? Nous acquiesçons en nous référant à la
définition morinienne de la complexité à laquelle nous
reviendrons ultérieurement.
Voici une proposition facilitant de la communication de
cette expérience unique et très personnelle : nous allons
opter, rien que pour cette partie autoréférentielle, pour un
positionnement en qualité de sujet qui s'affirme avec le pronom
personnel "Je" ; celui qui se cache souvent derrière le Nous
de l'orateur par convention, par civilité, par
élégance oratoire, alors même qu'il se trouve seul face
à ses responsabilités, à ses valeurs et à ses
choix. Il y a des moments où la première personne se doit
d'être assumée pleinement dans toutes ses dimensions
égocentriques afin de mieux s'excentrer en direction d'autrui de
façon plus franche. Cela réduit
au minimum les filtres et parasites communicationnels pouvant
être vecteurs d'ambiguïtés. Ainsi
les échanges en vue d'un partage de toute
expérience très subjectivement impliquante se fera dans un
processus de décentration, donc de réflexion éclairant la
transmission. Ensuite, dès le prochain chapitre, le code du langage
universitaire sera de mise puisque pleinement compris, accepté et
partagé. Cette petite parenthèse étant fermée,
poursuivons maintenant l'exposé vers le coeur du sujet.
En toute simplicité, je considère volontiers
la genèse de ma biographie de professionnel du secteur
socioéducatif comme le fruit d'un long processus de maturation, suite
à
15 Edgar Morin (1999), La tête bien
faite, Paris, Coll. L'histoire Immédiate, Seuil.
16 Edgar Morin (2001), La méthode 5 :
L'humanité de l'humanité, Paris, Coll. Points, éd. du
Seuil.
une subtile union féconde entre ma décision
d'engagement et la rencontre constructive avec le peuple d'un monde à
part, voire parallèle à notre société que
sont les lépreux. De là, une gestation a eu lieu dans
un contexte spécifique pouvant être soit répulsif,
soit, au contraire, favorable au développement des potentiels dormant
dans chacun, suivant sa personnalité. Dans mon cas, ce contexte
correspond à un terreau très fertile qui, associé
à un profond sentiment d'indignation, de refus catégorique du
mépris (nous y reviendrons très rapidement), a servi de biotope
propice au développement de cette inépuisable force qui pousse
à un engagement certes marginal, mais clairement assumé car
probablement un peu humain. Cependant il ne peut y avoir
ni engagement, ni engageant sans la matrice originelle
pour assurer le rôle de pépinière ou d'incubateur
qu'est le premier cercle familial.
A. Un singulier départ
La péripétie d'une prime jeunesse à
travers la moitié nord de Madagascar, dans une famille nucléaire
marquée, trop tôt, par un "accident" fatal du père, m'a
conduit à prendre en main mon destin et à rentrer dans la vie
active dès l'âge de quinze ans, tout en décuplant une
pugnacité pour mener ma scolarité à son terme. Un terme
matérialisé à l'époque par l'obtention d'un
baccalauréat car les études supérieures, en plus
d'être longues, n'étaient accessibles qu'avec suffisamment de
moyens financiers. Sur mes épaules pesait, en même
temps, toute la responsabilité d'aîné d'une famille
nombreuse. Dès lors, le droit de se plaindre et de crier
à "l'injustice" avaient déjà des propriétaires :
les autres. Pourtant, si participer à élever sa fratrie
dès l'âge de cinq ans revêt un
caractère naturel, simple et formateur, en devenir le
père de substitution du jour au lendemain s'avère
être un exercice qui requiert le déploiement d'un certain
degré de maturité que l'on n'a pas toujours du haut de ses quinze
ans. D'ailleurs, dans une pareille position, souvent soit l'adolescent(e)
plonge dans la spirale névrose, toxicomanie et
délinquance17, soit il (elle) se tient débout, droit
et poursuit son chemin en se serrant un peu les dents pour faire triompher
l'instinct de survie. La deuxième posture m'a très bien convenue
car la propension à lutter contre sa propre tentation de baisser les
bras devant l'adversité est enracinée dans toute être
humain. Elle a juste besoin, pour s'exprimer, d'être entretenue
activement dès notre jeune âge. Les vertus des sports de combat
et d'endurance, porteurs de valeurs structurantes autant mentalement que
physiquement, m'ont sûrement entraîné et soutenu dans cette
résistance, sans oublier les multiples rencontres humaines et
humanisantes. Ainsi, cette épreuve m'a permis
de développer un sens de l'écoute empathique
et l'inclinaison à la résolution des problèmes
17 Ou l'un des trois, ou la combinaison de ces trois
pris deux par deux.
humains afin de soutenir, accompagner et donner confiance aux
plus faibles à un moment donné
de leur existence. Pour cela, le mérite revient
à ce père et à une grand-mère qui m'ont
légué en héritage l'essentiel, c'est à dire
l'amour de la nature, le respect de son prochain et le goût
d'apprendre, que d'autres ont enrichi par la suite au
gré des rencontres. S'y ajoute l'incommensurable confiance
dont ils ont fait preuve à l'égard de l'enfant que
j'étais. À croire qu'en matière d'éducation, ils
eurent pour devise la fameuse expression "un enfant n'est pas fort curieux de
perfectionner l'instrument avec lequel on le tourmente ; mais faites que cet
instrument serve à ses plaisirs, et bientôt il s'y
appliquera malgré vous" (J.-J. Rousseau, 1966)18.
Étrangement d'ailleurs, à mes condisciples lycéens qui se
plaignaient de la difficulté d'assimiler
les enseignements, je proposais ceci comme devise :
"L'étude n'est qu'un jeu mais faites-la sérieusement et vous
réussirez."
Cette absence paternelle imposée par
l'inéluctable, en pleine adolescence, a produit en moi un certain
sentiment de vide car "la mort de l'être cher brise chez l'aimant son
Nous le plus intime et ouvre une irréparable blessure au coeur
de sa subjectivité" (E. Morin,
2001)19. Mais la blessure s'est
métamorphosée en énergie de résilience20
donnant, entre autres choses positives, la force de s'opposer à
tout sentiment de mépris - d'où qu'il vienne - envers mes
semblables de quelque condition que ce soit. Cela va de pair avec la
primauté donnée à la dignité humaine. Il en
résulte cette recherche en permanence de favoriser une ambiance de paix
sociale partout où je me trouve quand l'environnement s'y
prête ; puis un manque, une soif insatiable mais, en même
temps génératrice, de savoir puisque l'insuffisant est
productif. Manque qui se manifeste par un besoin de s'ouvrir au monde.
Ouverture qui, bien qu'au départ littéralement entravée
par la vie insulaire, se matérialise à travers le
goût pour le voyage, la recherche et la passion d'apprendre. Une
très grande curiosité intellectuelle en somme. Les
permanents et plaisants efforts d'imprégnation culturelle de toutes mes
sociétés adoptives - dès l'âge de cinq ans - sont
tout à fait emblématiques de cette curiosité. Mais mon
principal allié fut probablement une certaine maturité
précoce (très relative !) qui m'a aidé
à comprendre l'exigence de conjuguer le principe de plaisir
avec le principe de réalité. Cela m'a permis de cheminer
vers le monde des adultes dans une perspective jalonnée par une gestion
pragmatique
du triptyque vie familiale, vie scolaire et vie
professionnelle, excluant sans compromis
l'opportunisme, à l'origine de trop de bassesses dans bien
des cas.
18 Jean-Jacques Rousseau (1966), Émile ou
de l'éducation, Paris, Garnier-Flammarion.
19 Edgar Morin (2001), La méthode 5 :
L'humanité de l'humanité, Coll. Points, éd. du Seuil,
p.86
20 Résilience (déf.) : "la
capacité à réussir, à vivre et à se
développer positivement, de manière socialement acceptable, en
dépit du stress ou d'une adversité qui comportent normalement le
risque grave d'une issue négative " in Boris Cyrulnik (2002), Un
merveilleux malheur, Coll. Poches, Odile Jacob, p.8.
Ainsi, mon entrée effective dans la vie professionnelle a
pu se faire un peu plus précocement que la norme habituelle,
c'est-à-dire trois années avant la majorité.
B. Cheminement d'un ouvrier-élève
Enchaînant maints emplois précaires, j'ai
toujours gardé, autant que faire se peut, des activités
bénévoles, des engagements sociaux et associatifs tels que
représentant des élèves au conseil d'administration du
lycée ou animation de mouvements des jeunes ou encore comme co-fondateur
et rédacteur en chef adjoint d'un petit journal d'éducation
à la santé. Mes rares temps libres étaient souvent
consacrés à des retraites champêtres pour profiter des
faunes et flores luxuriantes, en majorité endémiques de
cette Île sanctuaire, en me laissant aller à des
méditations sur les conditions humaines. Pendant ce temps,
l'école continue à imposer ses exigences prises pour l'unique
priorité qui vaille. Ce à quoi j'ai encore du mal à
m'accommoder maintenant. L'on voit encore, en effet, des
éducateurs21 qui ont tendance - consciemment ou pas
- à faire valoir leur unique ambition pour leurs
élèves au détriment du projet de ces apprenants et celui
de leur famille. L'on s'étonne ensuite des cacophonies à
l'origine des dissonances cognitives, dans la communauté
éducative ; phénomène très perturbant pour des
jeunes étiquetés,
à tort, "en difficulté scolaire". Est-ce
vraiment ces jeunes qui sont en difficulté scolaire ou c'est
plutôt l'école, le système éducatif, voire
même la société qui se trouve en difficulté face
à elle- même à force de ne pas savoir ce qu'elle veut en
terme de valeur ? Le problème pourrait peut- être
s'appréhender en trois pôles solidaires : le jeune, la
famille et le système éducatif. L'interaction, entre les
trois, participe à la production de ce que le jeune peut et pourra
être, à un moment donné, dans ses différents
cercles d'appartenance. Or puisque ces trois pôles forment chacun
un sous-système vivant, l'intervention au milieu d'un super
système regroupant les trois exige des professionnels de
l'éducation une prise de conscience de la complexité à
laquelle ils ont
à faire face. Ainsi, la qualification "en
difficulté" s'appliquera là où elle devra être
plutôt que comme un lourd verdict posé sur la tête des
jeunes.
À l'école, dans un système paradoxalement
élitiste pour l'un des pays classés parmi les plus en retard
économiquement, tout allait normalement sur le plan purement
intellectuel. Toutefois, malgré cette petite réussite cognitive,
je me suis retrouvé quelque fois en position de défouloir de
frustrations de certains enseignants qui ne parvenaient pas à me
modeler
tel qu'ils auraient aimé que leurs élèves
soient. En effet, bien qu'aimant réellement l'école, mon
projet, qu'elle ignorait allègrement, ne concordait
que rarement avec ce qu'elle persistait à
21 Ici l'éducateur est pris au sens large
englobant tout professionnel de l'éducation, de l'enseignement et de
formation.
imposer de façon uniforme. Un fait anecdotique
certes mais potentiellement révélateur de l'ambiance d'ennui
dans laquelle peut être noyé un élève : on peut
affirmer sans exagération que jusqu'en classe de Terminale (7e
année du secondaire ou l'Humanité), près de vingt
pour cent de mon temps scolaire a été passé à
compter des moutons dans les bras de Morphée. Pour autant, cela ne m'a
pas empêché d'atteindre les performances attendues et d'apprendre,
en autodidacte,
sur la nature tropicale qui est restée longtemps ma
grande passion parallèlement à la vie de la cité, au
sens hellénique du terme. Pour assouvir de telles passions, il
valait mieux avoir une curiosité bien aiguisée.
Heureusement, il semblerait, selon Aristote, que "l'Homme a
naturellement la passion de connaître". Cette dernière
explique probablement cela, si tant est qu'il faille toujours tout
expliquer ou tout justifier. Une importante activité, bien que
discrète, illustre mon lien actif au système
éducatif de ma jeunesse. Il s'agit d'un engagement pour la
promotion de la francophonie là où la malgachisation22
était la règle en vigueur. L'unique résultat
palpable de cet engagement, à l'époque, se résume
au fait qu'en classe de première (sixième année du
secondaire) un professeur d'histoire et géographie ait accepté
d'enseigner sa matière en français. Ce ne fut pourtant qu'une
victoire éphémère dans la mesure où le professeur
lui-même n'avait pas le niveau suffisant pour assurer un enseignement
entièrement francophone. Qu'est ce qu'une poignée de
lycéens peut, après tout, espérer apporter comme
changement dans une institution où leur voix équivaut à
un ultrason pour les oreilles des décideurs ? En tout cas, pas rien.
D'abord nous éviter un formatage indélébile et
garder ainsi une souplesse intellectuelle minimale indispensable. Ensuite,
ce groupe d'anciens lycéens français ou francophiles (où
qu'ils soient) est maintenant devenu une force de résistance active pour
favoriser la diversité culturelle dans un bout de territoire du
village-monde qui risque d'être broyé par le rouleau compresseur
de l'uniformisation linguistique de la puissance
économico-militaire du moment23. De tels engagements
apportent, enfin, une réelle ouverture d'esprit sur les
problématiques générales de l'éducation à
une échelle plus large que celle d'un pays.
Ainsi, je ne cesse de m'interroger si, outre la
nécessité d'une adéquation entre
la formation (post enseignement général de base)
et le marché de l'emploi, l'école a pour rôle de livrer au
système économique, suivant la conjoncture, uniquement des
adultes bien formatés à l'identique, bons exécutants
dociles dénués de tout ingéniosité et de
sens critique, soit par "amputation", soit par inhibition. Et que fait-elle
de ceux qui ne rentrent pas avec précision dans
22 La malgachisation n'avait strictement rien
à voir avec une réaction symptomatique d'un nationalisme
post-colonial tel que l'interprètent beaucoup de théoriciens.
Il s'agit d'un système extrêmement efficace pour
promouvoir une oligarchie dont la perpétuation est facilitée
par la transmission du pouvoir à l'intérieur du cercle restreint.
Pour ce faire, il existait des écoles francophones d'excellent niveau
réservées aux élites.
23 Sachant que si le français reste la langue
qui occupe une place particulièrement importante, l'idéal est de
promouvoir toutes les langues permettant une ouverture culturelle, diplomatique
et économique sans exclusivité.
le moule : les "mutiler", punir, écarter, ou
stigmatiser ? Dans ce domaine, l'uniformité peut-elle seulement servir
aux intérêts économiques d'un pays ? Quelle qu'en soit la
réponse, je ne me suis jamais accommodé à cette
habitude de l'école de reléguer systématiquement les
élèves qui n'arrivent pas à suivre ou, tout
simplement, qui ont d'autres centres d'intérêt que ce
"menu" standard servi au nom de l'unique égalité. Les expressions
"bonnet d'âne", "cancre", "dernier de
la classe", "bon à rien", etc., ne sont-elles pas des
inventions des maîtres ? Pourtant, même dans
ma prime jeunesse, je ne me suis jamais senti
à l'aise en recevant les prix d'excellence de fin d'année
(manuels et fourniture pour l'année suivante) qui concourent
à favoriser une minorité d'élèves qui prennent
ainsi d'autant plus d'avance sur les autres, alors que ceux qui mettent en
difficulté l'école sont abandonnés en route.
Dès la classe de 5e (2ème
année du secondaire), bénéficier de ce genre de
prix me faisait déjà éprouver le sentiment de participer
à une profonde iniquité. Mais pour compléter le tableau,
il m'est arrivé aussi de me trouver dans la posture du cancre.
En effet, après un voyage intercontinental,
mes trois premières années universitaires ont
été marquées par de très difficiles
soucis d'acculturation. Une grande insuffisance de niveau en
français et un décalage entre le premier système
éducatif qui m'a formé
et le système éducatif français
constituaient les éléments explicatifs à la base
d'un tel "échec universitaire". Pourtant, dès ma naissance,
la France comme deuxième pays a pris place profondément
dans mon coeur d'autant plus que mon meilleur souvenir d'un grand-père,
qui m'a servi mes biberons, restera cet amour pour la métropole qui
constitue l'unique pays dont il était le citoyen. C'est dire que
l'intention et, le sentiment ne suffisent pas. Il faut aussi déployer
toute son énergie, son intelligence et beaucoup d'audace dans
l'action. S'il ne devait pourtant me rester qu'une seule idéologie
motrice pour redresser ma barque vacillante de jeune étudiant, cela
aurait
été ce proverbe tiré de deux vers des
Géorgiques de Virgile (I, 145-146) : "Un travail opiniâtre vient
à bout de tout" (Labor omnia vincit improbus). Il faut avouer
aussi que "la langue de chez nous", si bien chantée par Yves
Duteil en dépeignant les multiples facettes de la langue de
Molière, a vraiment su me séduire au point de me donner
l'énergie suffisante pour continuer à l'apprivoiser, jour
après jour, voir seconde après seconde pour plusieurs
décennies encore.
En somme, il ne serait pas exagéré d'affirmer que
mon intérêt pour l'éducation
et l'enseignement a pris racine dans la conviction qu'il
est possible de former une société qui relie ses membres
avec toutes leurs différences complémentaires grâce
à la formation diversifiée
de toutes les générations, tout au long de la
vie. Cela suppose, comme condition sine qua non, un fonctionnement scolaire
et pédagogique qui ose parier sur un effort
d'équité et d'inventivité permanente ; une école
qui n'a pas trop de certitudes. Une telle école se doit de donner sa
juste
place à l'enseignant, à l'élève et
aussi à sa famille dans une institution structurée par des
règles du
jeu démocratique et de la laïcité
intégratrice. Il s'agit d'une école à la fois ouverte sur
le monde tout en demeurant protégée des fluctuations
d'humeurs environnantes. Cette école, principale actrice d'une
meilleure instruction et formation se doit aussi de co-éduquer main dans
la main avec la famille sans se substituer à cette
dernière. Enfin, l'école constitue le deuxième
cercle éducatif strictement après la famille, mandatée par
la société pour des missions précises et donc
limitées. Et, bien qu'au service de la société, le
système éducatif n'a ni à se substituer à
celle-ci,
ni à usurper ses responsabilités. De même,
une société démocratique et éclairée se
garderait bien
de désigner l'école comme étant à
l'origine d'éternels symptômes - décrits tout au long de
notre histoire depuis la Grèce Antique - des dysfonctionnements et
non-conformités de sa jeunesse.
Venons-en maintenant à l'une des phases les plus
significatives de ce parcours, matérialisée par la
découverte de la fonction de direction dans une
léproserie. Soulignons d'emblée que, quelles que soient les
idées qui vont être développées et la
manière dont elles seront exposées, l'idée
maîtresse de cette expérience se trouve dans la notion de service.
Servir une organisation ou un public. Ici, le public sort de
l'ordinaire car l'univers des lépreux n'est certainement pas un
monde comme les autres. Pénétrer cet univers unique exige
l'engagement de
la totalité de son être. D'où la
délicatesse de la restitution d'une telle expérience, fut-ce avec
des multiples jalons théoriques. En tout cas, il s'agit d'un engagement
éminemment formateur et, par conséquent, fondateur de quelques
solides valeurs universellement partageables.
II. Unapprentissage dans l'action
A. Une léproserie comme fondation
À dix neuf ans, je me suis vu proposer, par un
prêtre dermatologue malgache d'origine italienne, la direction
sociale de la léproserie24 d'Ambanja25
avec pour mission : concevoir et mettre en oeuvre des solutions
pour une autosuffisance alimentaire et fédérer les
lépreux autour de la co-construction d'un projet de vie sociale qui fait
sens26. Cette proposition correspondait exactement à mes
inspirations de jeune révolté, profondément
indigné par le mépris que l'homme peut avoir pour ses
semblables ayant une quelconque caractéristique
24 Village situé à 5 km, isolé
de la ville et de toute autre vie sociale.
25 Petite ville, chef lieu de sous-préfecture
située au nord nord-ouest de Madagascar dans la province de
Diégo-Suarez.
26 Au départ, prévue pour un
été, l'expérience s'est prolongée pendant une
durée de trois années.
différente des siennes : maladie, handicap,
origine géographique, couleur de peau, orientation sexuelle,
conviction religieuse ou politique, voire spécificités
intellectuelles, etc. Quant aux lépreux, comment peut-on se
contenter, pendant des siècles, d'exclure définitivement ses
propres membres malades au nom d'une peur fondée sur des
préjugés, sans que personne ne réagisse ? Si seulement
quelqu'un ne pensait pas comme les autres, puisqu'il devait bien y en avoir
plus d'un, qu'est-ce qui aurait pu l'empêcher de faire
évoluer son monde ? Certainement l'incapacité à
assumer sa différence en agissant autrement que selon la
pensée traditionnelle immuable et sclérosée ; bref, la
paralysie quand il faut passer à l'action ou même penser autrement
que suivant
les vox populi qui ne sont pas toujours des vox Dei !. Si E.
Durkheim nous a enseigné la richesse
de la conscience collective par rapport à la
conscience individuelle de par la complexité des maillages formant
cette première, nous sommes, au sujet des lépreux, devant un cas
qui infirme partiellement cette idée. Ici, plutôt que
d'intégrer et d'amplifier les sentiments d'indignations
individuelles face aux conditions réservées par la
société à ses membres malades, celle-ci a
réussi longtemps plutôt à les neutraliser. Du coup,
il a fallu l'arrivée de quelques personnes allochtones - devenues
depuis enfants du pays - pour introduire durablement et donner sa juste place
à cette réaction génératrice de changement.
Au final, nous observons une société dont l'ouverture et la
capacité d'assimilation de certaines valeurs de ses hôtes lui
offre une perspective d'évolution qui lui semblait inaccessible en
autarcie.
Jeune et laïc, nous verrons que mon
rôle n'était pas des plus faciles. Néanmoins,
une expérience d'encadrement, une volonté d'écoute
soutenue par une bonne connaissance des us et coutumes du pays ont
été les piliers qui m'ont servi de solides appuis. Les situations
difficiles ont tendance, par ailleurs, à renforcer mon calme
et ma détermination à réussir. Mais cette
expérience a eu lieu dans un contexte si particulier qu'une
très sommaire
anamnèse de la lèpre nous aidera à mieux
représenter quelques unes de ses multiples dimensions.
Maladie infectieuse, contagieuse et
épidémique, le premier symptôme, qui apparaît
après la phase d'incubation (de 6 mois à 15 ans) du
Mycobacterium leprea ou bacille de Hansen27 - se
manifeste d'abord par une perte de sensibilité dermatologique
face aux stimuli. Puis, vient l'affection des muqueuses. Ensuite, les
atteintes du système nerveux périphérique peuvent
souvent paralyser certains muscles et causer l'infection des blessures.
La destruction osseuse va, si le traitement tarde, jusqu'à
l'amputation des extrémités. Pour finir, associée à
une faiblesse du système immunitaire, il arrive que certains patients
finissent avec d'autres infections réduisant considérablement
leur longévité. Socialement, la répugnance, la peur et la
fuite sont les mots clefs de l'existence d'un lépreux. Vieille maladie,
la connaissance de la lèpre est attestée par
27 Du nom de son découvreur Armauer Hansen en
1893.
des écrits historiques datant de l'an 600 avant
Jésus-Christ. La lèpre est donc une maladie infectieuse
à l'origine de multiples handicaps et dont la mort sociale constitue un
incontournable effet secondaire d'une extrême lourdeur
jusqu'à la fin du XXe siècle en tout cas.
Après la confirmation du diagnostic, l'emménagement à la
léproserie s'impose pour tout patient de tous âges et de toutes
conditions sociales, sous peine d'être voué à la
solitude, l'errance et la clandestinité pour le restant de ses jours.
Ce qui n'est tenable pour personne.
Le quotidien de ces villageois est soutenu par un projet
déclinable, dans sa mise en oeuvre, en trois volets :
économique, social et éducatif.
1. Visées économique et socioéducative
a. Une économie vivrière
À l'image de celle du pays qui est basée
en grande partie sur le secteur primaire, l'économie de la
léproserie repose exclusivement sur l'agriculture et
l'élevage. Une prédominance de riziculture pluriannuelle
complétée par le maïs, le manioc et les arbres fruitiers
forme la partie agricole ; tandis qu'un élevage bovin - indispensable
à la ruralité malgache28 -,
de volaille et porcin permet un apport quotidien en
protéine. Pour y parvenir, deux entreprises agricoles de la
région entretiennent un partenariat avec nous en fournissant les
engrais, les plants
et semences (les premières années), tous
les outils de labour ainsi que de précieux conseils techniques.
Par ailleurs, suivant la saison, le recrutement d'entre cinq et quinze ouvriers
agricoles pallie la faible capacité de travail physique des
lépreux29. Mais les principaux acteurs, dans toutes
les phases de la production, restent nonobstant les villageois
eux-mêmes.
En tant que pilote, mon rôle débute par
l'élaboration des stratégies générales,
partiellement négociées avec les villageois, ainsi qu'à
leur communication par des dialogues à caractère
pédagogique. Puis la gestion et la coordination des travaux s'effectuent
en parallèle aux relations avec les partenaires. Ceux-ci m'offrent
des occasions pour m'initier aux multiples techniques agricoles qu'il faut
aussitôt mettre en pratique et transmettre, sans oublier la recherche
de solutions pour les petits tracas quotidiens
(problème de parasites, correction des erreurs, protection de la
culture, etc.). Au final, une participation active à tous les types de
travaux des
champs et d'élevage au même titre que les
villageois ou les ouvriers constitue la touche
28 En effet, le zébu (boeuf à
bosse) jouera longtemps encore un rôle symbolique,
économique et coutumier dans cette société
traditionnelle.
29 Un tel recrutement a pu avoir lieu du fait d'une
possibilité pour les ouvriers de garder leur distance par rapport aux
malades.
personnelle que j'ai tenue à apporter quoiqu'il ne m'a
évidemment pas été possible de consacrer autant d'heures
au travail fermier qu'eux. De toutes les manières, superviser à
distance les mains
sur les hanches m'est inconcevable. Ainsi mes semaines
se passent entre les négociations partenariales et le soleil du
champ de maïs ou sous la pluie entre les pieds des plants d'arbres
fruitiers pour aboutir à la gestion du partage des récoltes
à chaque fin de saison. Cette proximité participe à
l'encouragement que les villageois apprécient
énormément car ils ont un moral en dent de scie dans un
corps souffrant telle des vieilles branches automnales effeuillées et
dont on
ne mesurera jamais assez la fragilité, même
doté d'une empathie exceptionnellement réceptive.
Ces activités, en vue d'une autosuffisance
alimentaire et de réduction de la dépendance envers les
aides humanitaires, jouent en plus un rôle capital dans le
parcours d'insertion sociale au village. Responsabilisée, en
devenant le principal maillon de sa vie économique, la
population se prend en charge et parvient ainsi à se
reconstituer, année après année, des fragiles
prémices d'identité sociale en dépit de son
exclusion. Toutefois, cette question d'identité sociale restera
longtemps encore un grand défi à relever.
b. Un défi de resocialisation
Société traditionnelle, la vie dans les
campagnes malgaches s'articule autour
des travaux des champs et des rites traditionnels/religieux
où chaque évènement occasionne une manifestation festive
qui sert de prétexte au renforcement des liens sociaux. Au cours d'une
fête coutumière, par exemple, les Vieux30 rappellent
les liens de parenté et les règles immuables des interdits et
tabous. Bien que séparés pour toujours de leurs familles,
les villageois tentent de constituer de nouveaux "liens de
parenté" entre eux. Ce qui illustre l'idée de C.
Lévi-Strauss selon laquelle, dans les sociétés dites
primitives, le système de parenté forme l'armature de
l'organisation sociale en créant des relations d'interdépendance
au sein de celle-ci. Ainsi, au lieu
de réciter l'arbre généalogique dont
les Vieux possèdent la parfaite maîtrise, ils
s'échangent autour des anecdotes, évènements marquants
et mythes pour consolider cette parenté à la fois nouvelle et
éternellement vacillante. Mon rôle ici consiste à
entretenir cet embryon des liens sociaux par le biais des
évènements à provoquer, à organiser et à
catalyser. Bref à saisir ou faire
émerger des occasions propices à la mise en oeuvre
d'une existence partiellement réparatrice de
30 Entendons par vieux (en malgache "matoe"[matwe]/
"antitra"/ "Ray aman-dreny"), toute personne âgée (notion
relative
à plusieurs autres paramètres que la seule date de
naissance), référent doté de sagesse (qui, de ses longues
expériences de
la vie, a su tirer des enseignements, savoirs transmissibles
et connaissances), suscitant l'admiration et le respect. On aime donc son
vieux. Sa valeur est proportionnellement inverse à son énergie
physique, qu'il soit riche ou démuni, homme ou femme. Dans beaucoup
de familles, la mienne par exemple, des femmes se retrouvent souvent
à la tête de la "grande famille élargie" selon
certains critères. Après la mort, les vieux devenus
ancêtres occupent une place d'intercesseurs auprès de
Zagnahary (Le Créateur dans la cosmogonie malgache) et protecteurs des
siens vivants.
la violence suprême - et non plus symbolique -
que ces personnes subissent de la part de la société en
général, et de leur famille en particulier. Qu'y a-t-il de pire
pour un humain souffrant déjà d'une maladie aussi grave que
d'être rejeté, à cause de celle-ci, hors de
l'humanité ? Les interactions souvent très conflictuelles entre
les villageois me conduisent aussi à me positionner
en médiateur pour atténuer toute source de
désunion et, encore une fois, entretenir les relations
interpersonnelles. Il est en effet loin d'être évident de parvenir
à ce que des lépreux, qui vivent
au plus profond de leur être le rejet humain et
divin (car ainsi se conçoivent-ils et sont-ils conçus),
s'acceptent eux-mêmes. Alors accepter les autres, fussent-ils
leurs "concitoyens", se situe encore à un degré
supérieur de l'évolution dont la pénible ascension
ne peut avoir lieu qu'avec un accompagnement à long terme. On
comprend combien la parenté nouvelle évoquée
ci-dessus peine à s'enraciner.
L'existence sociale est une perpétuelle interaction
constructive entre l'environnement humain et soi-même. Il semblerait que
"le rapport que les sujets entretiennent avec leur condition et avec les
déterminismes sociaux qui la définissent fait partie de la
définition complète de leur condition et des
conditionnements qu'elle leur impose" (P. Bourdieu et J.-C. Passeron,
1985)31. Cette vision, bien que relativement juste, me
parait un peu trop pessimiste. Alors, fort de l'idée de la
rationalité des acteurs chère à R. Boudon et telle que la
conçoit M. Crozier, je pense que dans certaines situations, rien ne vaut
l'action. D'où mon engagement pour
ce long combat qui nécessite, à mon sens, le
passage par la création d'un petit système scolaire
endogène. Pour apporter du changement, l'éducation, comme vecteur
à la fois de perpétuation et d'innovations d'une
société, occupe une place primordiale dans ma
conception de la reconstitution sociale. Par conséquent, la
création d'une école primaire s'est imposée d'elle-
même comme une décision obvie32. Il s'agit d'une
École à la fois formatrice et protectrice car "c'est
justement pour préserver ce qui est neuf et
révolutionnaire dans chaque enfant que l'éducation doit
être conservatrice ; elle doit protéger cette nouveauté et
l'introduire comme un ferment nouveau dans un monde déjà vieux
qui, si révolutionnaires que puissent être ses actes,
est, du point de vue de la génération suivante,
suranné et proche de la ruine" (H. Arendt, 2001)33. Bref,
mon projet n'est ni révolution - en tout cas pas la
révolution attendue au sens de la Révolution
française avec les lots de violences qu'elle a charriés puisque
je reconnais l'obligation
de révolutionner certaines situations quelque fois, mais
avec une révolution plus pacifique telle
que l'histoire abonde -, ni stagnation, mais juste une
école d'équilibre entre continuité et
31 Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron (1985),
Les héritiers, Paris, Coll. Le Sens Commun, Les Éditions
de Minuit.
32 Qui vient spontanément à l'esprit
33 Hannah Arendt (2001), La crise de la
culture, coll. Folio/Essais, Gallimard, p. 247.
innovation ; une école toujours à parfaire
par et pour la société. Et pour une société
d'exclus, vouée à évoluer à l'abri de toute source
de chaleur et de lumière cordiales de tous ses cercles
d'appartenance de départ, l'école sert d'armature
pour une fondation plus solide.
c. Création d'une école primaire
Parmi de nombreux jeunes en âge d'être
scolarisés, seule une dizaine, de quatre
à quinze ans, de niveau très
hétérogène a été retenue pour participer
à cette première école avec une organisation
pédagogique en classe unique. En dehors des quatre heures
hebdomadaires possibles consacrées à l'enseignement, je me
suis organisé pour multiplier les occasions d'enseigner, de
transmettre à travers toutes les activités de la vie
quotidienne auxquelles les enfants peuvent participer ou assister puisque
"(se) former, c'est [aussi] l'avoir fait soi-même" (C. Gérard,
2005)34. Avec le recul, on peut constater une sorte de
métissage entre l'esprit du Français
C. Freinet35 et du Juif polonais J. Korczak36
dans ma pratique bien que n'ayant eu de formation pédagogique
qu'à la fin de la deuxième année, durant la
préparation militaire37. Cette pratique consiste en tout cas
en une succession de bricolages favorisés par la motivation des
élèves car,
nul n'ignore, pour paraphraser C. Freinet, qu'on ne peut pas
faire boire un âne qui n'a pas soif. Cette formation pédagogique,
reçue dans le Régiment des Forces d'Intervention marine (chez les
fusillers marins), explique, en partie, pourquoi la troisième
année a été la plus rentable par
rapport à la progression de mes
élèves38.
34 Christian Gérard (2005), "Action-recherche
// recherche-action en formation, c'est-à-dire conjoindre l'art, la
science et l'expérience afin de former à (se) former", p. 2
35 Célestin Freinet, Gars, Alpes-Maritimes,
1896 - Vence 1966, pédagogue français, il a
développé une pédagogie fondée
sur les groupes coopératifs au service de l'expression
libre des enfants et de la formation personnelle. À noter aussi que
s'il a pensé cette pédagogie, ce fut pour faire
face à un handicap physique qui fait suite à sa présence
aux fronts pendant la
Guerre.
36 Janusz Korczak (de son vrai nom Henryk
Goldszmit), Varsovie 1878 - Treblinka 1942, pédagogue polonais.
Médecin, fondateur d'un orphelinat dans le quartier juif de Varsovie, il
développa une pédagogie de la responsabilisation, publie
Comment aimer un enfant (1918). Il mourut, tué par les Nazi,
avec "ses" enfants à Treblinka.
37 A Madagascar, tous les bacheliers (qui
représentaient 9 à 11% de la classe d'âge en 1986)
effectuaient leur service national obligatoire. Ce service est à la
fois militaire et civil. En clair, toute la promotion se retrouve prise en
charge par un corps de l'armée pour effectuer une formation
à la fois militaire et pédagogique. La formation
pédagogique étant, évidemment, assurée par des
professionnels de l'éducation nationale. Ensuite, alors que vingt pour
cent de l'effectif seront dispersés dans différents corps de
l'armée, la majorité des ces militaires sera affectée
à l'enseignement dans les collèges (75%) et à
l'alphabétisation (5%).
38 Le fait d'être sous les drapeaux me
donnait un enthousiasme supplémentaire parce que je n'agissais plus
simplement à titre individuel pour une oeuvre qui me tenait à
coeur mais aussi en tant que représentant de la République.
Autrement dit, à travers ma présence, la société
malgache se voit, désormais, pratiquement engagée dans la prise
en charge de la population lépreuse. Mais le plus important se trouve
surtout dans l'impact de cette réalité marginale vis à vis
de la société. C'est ainsi, par exemple, que nous avons
réussi à établir un lien institutionnel avec un
établissement scolaire de la ville. Les soutiens logistiques se sont
multipliés : plus de livres, de craies...etc. Enfin, même si la
ville reste loin d'être facilement accessible, ces enfants et adolescents
existent aux yeux de certaines personnes que je peux toucher plus efficacement
dans mes campagnes de sensibilisation : quelques enseignants et des jeunes.
Régulièrement, je trouve même de plus en plus
d'interlocuteurs quand des problèmes pédagogiques
nécessitent une analyse plus approfondie.
Aussi quand "l'école est finie", on organise des
sorties récréatives en quittant momentanément ce monde
à part pour visiter la ville, sans pour autant sortir du
véhicule. Une telle promenade reste l'unique moyen pour les
enfants de découvrir les actualités et les
évolutions du monde environnant. Quelques sorties dominicales sur des
plages isolées de la côte ouest de l'île, le long du
Canal de Mozambique, leur servaient aussi de véritable
bouffée d'oxygène. Mais, entre nous, reconnaissez que dans
un pareil engagement, peu de monde se satisferait de ce genre de statu
quo, cette vie de bannis ! Alors, afin de rompre cet isolement, j'ai convaincu
mes camarades lycéens à nouer des contacts avec les villageois.
Ces contacts, inspirés
de la parabole du semeur39, visent à
désinhiber et à provoquer la remise en cause profonde - par
l'action plutôt plus que le discours - d'ancestraux
préjugés incarnés par la peur de contracter la
lèpre rien qu'en se trouvant dans le même environnement que les
malades ou en marchant sur leurs pas. Une grande prudence est donc de
mise afin d'éviter que, entre deux mondes qui s'ignorent, la
moindre réaction de crainte de part et d'autre ne soit mal
interprétée pour se transformer en barrière encore plus
infranchissable à la communication, voire n'engendre de la violence.
Nous sommes là à la charnière du rôle social et du
rôle éducatif. D'ailleurs, rien n'est complètement
dissociable, tout s'entrecroise et s'interconnecte dans ce monde chaotique
à gérer
le mieux possible. Il en résulte inévitablement une
profusion de difficultés auxquelles il faut faire face.
2. Des difficultés formatrices
a. Des difficultés humaines
Le coeur du problème se situe dans l'ignorance qui
engendre une conception superstitieuse de cette maladie par la grande
majorité des Malgaches. Il est des moments où l'on
ne peut s'empêcher de penser qu'effectivement, dans une
certaine mesure, "un peuple ignorant est l'instrument aveugle de sa propre
destruction" (S. Bolivar, 1819)40. La lèpre chez ce
peuple, pourtant si pacifique et si sociable, n'est autre qu'une
malédiction divine. Quand Zagnahary (Le Créateur)41
se fâcherait, il pourrait aller jusqu'à jeter le
suprême anathème qu'est la lèpre. Pourtant personne,
parmi les victimes, ne comprend quelle est cette faute si énorme qu'elle
ait pu commettre pour être ainsi maudit et mériter autant
de peine. Puisque la mort est considérée
comme seulement une simple étape pour le passage
de la vie terrestre vers l'autre monde, la
39 Mt 13, 1-9 ; Mc 4, 14-20 ; Lc 8, 4-8
40 Simon Bolivar (1819), Discours de
l'Angostura.
41 Zagnahary : littéralement
Créateur est le Dieu unique dans la cosmogonie malgache.
damnation se poursuit forcément au-delà. Par
conséquent, l'accès dans le monde des ancêtres42
sera ipso facto exclu pour les lépreux. Un individu ainsi
considéré, même par la femme qui l'a engendré, ne
pourra plus jamais espérer trouver une quelconque place sociale nulle
part. Banni pour toujours, aucun cimetière (ni familial ni public)
n'aura de place pour lui. Il ne lui reste plus que l'obligation de refaire sa
vie dans une léproserie. Seulement, l'intégration dans cette
société nouvelle ne va pas de soi, si tant est que l'on puisse
considérer cela comme une société plutôt qu'un bagne
où des communautés religieuses des franciscaines et des
capucins43, soutenues par la fondation Raoul
Follereau44, consacrent une grande part de leur existence
à humaniser les conditions de vie de leurs semblables en assurant tous
les soins médicaux et paramédicaux.
Trouver sa place dans une telle condition exige une
réelle volonté de la part de tous les protagonistes. Or, la
diversité des origines géographiques ou ethniques45,
les différences d'âge à l'arrivée au village et
le degré du handicap de chaque personne ne facilitent rien.
D'ailleurs, on est en droit de se demander par quel mécanisme
magique une personne définitivement rejetée de partout - et
qui au mieux est plongée dans un profond solipsisme46, au
pire se rejette elle-même - puisse être capable, après une
simple transplantation géographique, d'en accepter d'autres.
Effectivement, tu as raison Boris : "nous nous trompons de malade. Ce n'est pas
tant sur le blessé qu'il faut agir afin qu'il souffre moins, c'est
surtout sur la culture"47. Désolé pour l'apparente
familiarité mais il s'agit d'un tutoiement entre éducateurs car
dans ce "tu" se faufile une fraternelle admiration pour ce grand
éducateur neuroscientifique.
De ce fait, on peut imaginer l'ampleur des
difficultés restant constamment à résoudre, à
surmonter ou à supporter, durant cette aventure humaine. Subjectivement,
en plus du sentiment de solitude propre à la fonction de direction, ma
place au coeur de cet univers reste extrêmement difficile à
identifier avec clarté.
42 Très important pour un peuple dont
l'univers existentiel est divisé en trois : la terre des vivants, le
monde des ancêtres et le monde de Zagnahary. Il n'y a pas de notion
d'enfer ni de paradis mais les âmes non admises dans le monde des
ancêtres seront vouées à une éternelle errance.
43 Dirigée par le très dynamique
Frère Stefano Scaringella, prêtre dermatologue, acteur clef du
développement local.
44 Raoul Follereau (Nevers 1903 - Paris 1977)
était un journaliste et avocat français, fondateur en
1966 de la fédération Internationale des associations de lutte
contre la lèpre. (cf. Le Petit Larousse Grand format, 2006).
45 N'oublions pas que nous sommes dans une
société issue d'un très complexe métissage
africain, asiatique, océanique et européen. Par
conséquent, la notion d'ethnie reste délicate à
manier bien que des générations d'ethnologues l'usent
à volonté sans retenue.
46 Solipsisme : nom masculin (latin solus, seul et
ipse, soi-même) [Philosophie] Conception selon laquelle le moi, avec ses
sensations et ses sentiments, constituerait la seule réalité
existante. Le Petit Larousse Copyright (c) Larousse/HER (1999) (c) Havas
Interactive (1999).
47 Boris Cyrulnik (2002), Un merveilleux
malheur, Paris, Odile Jacob, p.174.
L'âge a une importance particulière dans la
société malgache. Cette importance
se manifeste, entre autres, à travers le respect que
les plus jeunes doivent aux plus âgés48. Or, au
début de ma mission, mon âge souleva un problème
précis : comment asseoir une autorité sans être autoritaire
pour diriger un village de cent vingt âmes quand on a à peine
vingt ans ? Être plus jeune, même que le benjamin de la
quinzaine d'ouvriers agricoles que je recrute, n'était pas
évident dans la relation professionnelle. La question ne se serait peut
être pas posée avec autant d'acuité s'il s'était agi
d'une entreprise à finalité exclusivement économique. Peut
être...
Le deuxième point important est que, en dehors des
religieux49 qui ont un statut spécial de "sauveurs" dans
l'esprit de cette population, l'unique personne valide devient presque
l'handicapée, l'intruse, si bien que quelque part je deviens
celui qui n'est pas "normal", l'étranger donc étrange.
D'aucuns n'hésitent pas à poser directement la question : "mais
que fait
ici, chez nous, un jeune en bonne santé et qui a encore
ses études à faire ?". Interrogation teintée
de provocation et de suspicions impossibles à formuler
explicitement et dont aucune réponse ne satisfait. Alors, que faire ?
Accepter sagement les frustrations provoquées par ses limites
et résoudre aux mieux une infinité de problèmes de ce
genre.
Le problème d'âge se résout un peu
plus facilement grâce à un permanent exercice
d'équilibre entre la souplesse et l'affirmation calme, par le
dialogue de l'autorité nécessaire. Il est tout à fait
possible en effet d'inviter une personne à accomplir son devoir tout en
restant très respectueux et même en gardant sourire et gentillesse
francs. De même, quiconque assume une responsabilité ne peut le
faire aussi sans être capable d'entendre des critiques de la part de ses
collaborateurs. L'efficacité peut s'obtenir sans violence, ni je ne sais
quel sentiment
de supériorité car malades ou pas, la
dignité de ces personnes se situe au même niveau que celle
de tout autre humain. Ni supérieur, ni
inférieur. Employer des ruses pour diriger des êtres
humains avec lesquels on prétend instaurer un certain lien
social, revient aussi à les mépriser avec une
prétention à la supériorité, même
habilement dissimulée (serait-ce seulement possible ?). E. Morin a
bien conseillé la ruse, mais il s'agit de ruse pour réformer les
institutions éducatives plutôt que de mesquines manipulations pour
contraindre indirectement, avec lâcheté, son semblable. Non,
les fins ne justifient pas toujours les moyens. Le respect de
l'existence- valeur d'autrui, selon P. Ricoeur, est la conscience d'une
obligation morale. Sans vouloir
contredire un si grand penseur, je précise juste que dans
mon cas il ne s'agit plus d'obligation
48 Mais aussi, la protection et l'éducation
que doit tout vieux envers tout être plus jeune que lui. En effet, tout
le monde se doit d'intervenir pour la sécurité et
l'éducation d'un jeune connu ou inconnu rencontré par hasard dans
la rue.
49 Des infirmières religieuses de la
congrégation franciscaine et deux prêtres capucins dont un
dermatologue s'occupent de
la partie médicale avec une véritable
abnégation, un courage admirable et beaucoup d'efficacité. Les
très rares moments où j'interviens dans ce registre se limite en
tant que garde malade au service de l'accompagnement en fin de vie.
mais de choix librement consenti et qui m'est
consubstantiellement acquis par la voie des trois fonctions - assimilation,
accommodation, réorganisation - définies par J. Piaget, puis
réactivées
et renforcées tout au long de la socialisation par le
mécanisme de conditionnement opérant. Pour
en finir avec l'art de gouverner ses semblables, "La
paix, l'union, l'égalité sont ennemis des subtilités
politiques" préconise Rousseau dans son Contrat social
avant de poursuivre "les hommes droits et simples sont difficiles
à tromper à cause de leur simplicité, les leurres,
les prétextes raffinés ne leur en imposent point" (J.-J.
Rousseau, 1762)50. Alors, au-delà même du cadre de
cette expérience, devient-on vraiment meilleur directeur avec des
petites combines manipulatoires ? D'une infinie rareté sont de telles
postures qui ne se soient terminées sur des discordes et des violences
!
Quant à la différence, seul le temps a permis
une compréhension par certains villageois de ma présence. Mais
compréhension ne signifie pas toujours totale acceptation. En effet,
s'ils ne sont pas capables de s'accepter, il leur est plus difficile
encore d'accepter entièrement un étranger dans leur
univers. Certains y parviennent tout de même en me
considérant comme un religieux ("frère Simon"), pendant que
d'autres m'adoptent comme "fils"
ou "petit mari"51 pour les grand-mères.
b. Une formation au "métier d'homme"
Il est de bon ton souvent, dans notre société
judéo-chrétienne, de se mettre en valeur à travers
certaines qualités individuelles telles que la
générosité et l'altruisme qui se manifestent par des
dons (de soi ou d'objet). Certes, certes. Mais la règle fondamentale -
qui veut que la main droite ignore ce qu'a fait la main gauche -
est très souvent oubliée, ignorée. Ces
qualités les sont pleinement à condition qu'elles ne soient pas
véhiculées par des sentiments de grandeur, de toute-puissance
de la part de celui qui croit donner sans avoir besoin de rien en
retour. Ainsi, en se positionnant dans cette relation d'échange il
convient juste de préciser que ma présence au milieu de cette
population n'a pas sa place, pour aller plus vite, dans le registre de la
générosité ni de bonté. Il s'agit d'une relation
d'échange réciproque où j'ai donné un peu
d'énergie
et d'enthousiasmes caractéristiques de tout
jeune de mon âge à l'époque, en
échange
d'enseignements très concrets dans l'action qu'aucune
bibliothèque des riches universités de mes
50 Jean-Jacques Rousseau (1762, 1992), Du contrat
social, Paris, Flammarion, p.133.
51 Une certaine population du nord de
Madagascar est caractérisée par des relations quotidiennes
structurées autour de plaisanteries permanentes. Quelques exemples de
manifestations de celles-ci : toutes les grand-mères et toutes les
tantes paternelles appellent leurs petit-fils/neveux "maris"et
réciproquement ; des groupes ("tribus") qui n'ont pas le doit de se
faire du mal, sous quel prétexte que ce soit, communiquent avec une
relation de plaisanterie sans borne ; bref, même dans
des occasions tristes et vécues avec lourdeur, la
plaisanterie est toujours présente pour mieux supporter l'insupportable
ou pour égailler la vie et les rapports sociaux.
fréquentations n'a pu m'offrir jusqu'à ce jour. La
léproserie m'a intelligemment appris les bases et
la grande partie structurante, la charpente de mon métier
d'homme.52
À l'issue de l'immersion au milieu de cette triste anomie
à grande échelle, de
ces refoulés à la lisière de
l'humanité, une petite certitude fait partie pleinement de
l'acteur réflexif du système éducatif que je suis devenu :
l'incomplétude, un respect de tout être humain et
un effort permanent de réflexion
éthique forment le moteur de tout mon engagement
socioprofessionnel. L'amour pour l'effort et le travail bien fait contribue
à raviver cette flamme même si l'envie de bien faire ne se traduit
pas toujours par une réussite. On pourrait qualifier volontiers cette
immersion de baptismale53. Ce fut une expérience certes sans
apport théorique, modeste dans toutes ses dimensions, mais forgée
dans les doutes et l'humilité, les interrogations
et les incessantes réflexions stratégiques sur les
moyens à mettre en oeuvre afin de faire advenir -
pour ces êtres humains précipités dans le
talweg du désespoir - une société possible à la
hauteur
de leur dignité. L'immensité d'une telle
entreprise m'a renvoyé aussitôt à l'esprit un mot pesant :
utopie ! Or, "N'avons-nous pas toujours besoin de rêver d'un ailleurs
pour habiter correctement le lieu où nous sommes ?" (P. Ricoeur,
1997)54. Rêver d'accord, mais des rêves
crédibles suivis d'actions, quitte à faire le deuil de
l'écart qui ne manquera pas de séparer la vision onirique du
possible ; puis du possible au réalisé. Il a donc fallu
surmonter ma propre peur et prendre rapidement conscience de mes
illusions. Il a fallu surtout, et il faut encore souvent, faire face
silencieusement à la raison du plus grand nombre pour tailler la
première pierre du passage de l'onirisme à la
réalité qui, soyons-en sûrs, finira par prendre forme
quelque part grâce à d'autres,
des minorités, qui réaliseront le changement. Il
en va de même de la conception que je me fais de l'école de
formation humaine contre certaines qui se sont érigées en
théâtre de compétitions où seule prédomine
la réactivité face à tout changement de
tactiques concurrentielles et d'éphémères alliances
opportunistes pour démontrer une supériorité
présumée à tout prix. Un sentiment de
supériorité brandi comme rempart au moindre contact avec
l'alter ego, servant aujourd'hui encore à considérer
l'Homme comme étant au sommet de la nature et certains hommes -
bien protégés dans une forteresse territoriale dont le titre de
propriété serait consigné dans leurs comptes bancaires,
dans leurs gènes (d'aucun dirait dans leur sang) - au sommet de cette
humanité. Ce genre d'école, dont les vraies règles du jeu
sont transmissibles uniquement entre initiés par l'habitus du groupe
d'appartenance restreint, sert une reproduction sociale par un
mécanisme si bien décrit par Bourdieu et
Passeron dès les années 1970. Une autre école
est
52 Pour reprendre le titre de l'excellent essai
autobiographique d'Alexandre Jollien (2002), Le métier d'homme,
Paris, Seuil.
53 Tel un processus d'initiation chez certains
peuples (cf. Camara Laye, L'enfant noir)
54 Le film : "Pensée de notre temps : Paul
Ricoeur" : P. Ricoeur lors d'un entretien qu'il a accordé en automne
1997, filmé
par l'INA et conduit par Jeffrey Andrew Barash. Une production
ARTE France / INA
cependant possible : celle qui favorise le
développement de toutes qualités et compétences,
reliées et reliantes sans exceptions. Une école
intégratrice de l'ipséité55. Participer
à la réalisation d'un tel dessein passe, à mon sens, par
une co-responsabilité dans une organisation au sein de laquelle il y a
partage des valeurs fondamentales humanistes. Valeurs partagées car
partageables
et discutées car discutables sur un espace commun -
instance ad hoc - de délibération éthique dans un contexte
démocratique en vue d'une prise de décision face aux
contingences, inhérentes
à tout système complexe, qui ne manqueront pas de
surgir. J'insiste, en effet, en mettant l'accent
sur le contexte démocratique pour rendre plus
concrète la suggestion d'institution juste de P. Ricoeur car,
quels que soient la nature et le domaine d'intervention, "Il ne peut y avoir
d'autre mode de légitimation du travail sur autrui que celle qui
découle de la démocratie." (F. Dubet,
2002)56.
Le projet professionnel d'occuper un poste à
responsabilité a éclos au cours de
ces trois années d'expérience passées
au coeur de cet environnement unique - où se débat
l'indestructible humanité précipitée dans
l'inhumanité - pour, chemin faisant, se confirmer et prendre
forme plus concrètement lors des expériences suivantes
jusqu'à l'entrée en formation où
il a atteint sa maturation grâce notamment aux neuf mois
passés à l'Institut
d'Administration des Entreprises de Nantes.
De ces dernières se précisera aussi une partie de la
question qui constituera le fil conducteur de cette recherche.
Une partie seulement, dis-je, puisque d'inéluctables
questionnements suscités par la première expérience de
direction ont évolué et se sont enrichis au cours
d'expériences professionnelles successives. L'alternance des pratiques
avec
les réflexions théoriques, des terrains
professionnels avec les formations universitaires ainsi que
des engagements associatifs, va donner forme
progressivement à la question principale de ce mémoire.
55 L'identité du sujet est
constituée de l'irréductible ipséité dans
la mêmeté, le tout construit dans
l'altérité :
a) Mêmeté : aspect structurel de
l'identité
- persistance dans le temps et l'espace ; la "charpente "
figée par la structuration égologique
b) Ipséité : aspect dynamique du sujet
responsable
- singularité par quoi une personne est elle-même ;
variation du fond identitaire propre.
* Pour P. Ricoeur :
- le maintien de soi grâce à la
fidélité de la parole tenue, à la parole donnée, la
promesse.
- souci que l'humain a de son être, de la manière
dont il agit qui le constitue et le définit.
* Pour E. Levinas :
- l'être ouvert dirigeant vers quelque chose
d'autre. Transcendance, passage à l'autre de l'être.
L'ipséité peut se définir alors comme
étant le fond, en permanente évolution, d'être du sujet
unique qui agit, s'éprouve, se représente, s'affirme comme "je "
; instance de liberté et de responsabilité, en co-structuration
en interaction avec l'altérité.
56 François Dubet, (2002), Le
Déclin de l'institution, Paris, Le Seuil, p.392 in Bertrand
Dubreuil, (2004), Le travail
de directeur en établissement social et
médico-social, Paris, Dunod, p. XI.
B. Alternances entre emplois et formations
1. De l'éducation spécialisée à
l'université
Revenons d'abord sur ce que l'on peut considérer
comme l'origine de notre questionnement. En tant qu'éducateur
s'occupant des personnes en grande difficulté psychologique, physique ou
sociale, j'ai eu souvent en charge tout un groupe d'enfants, de jeunes
ou d'adultes hétérogènes avec lequel
il fallait construire un projet à peu près satisfaisant
pour tous. Puis, alternance oblige, mon retour à l'Université m'a
donné l'occasion de participer, en tant qu'élu
représentant des étudiants, au Conseil de l'UFR57
des Sciences de l'Éducation. De ce mandat, une question
m'est restée sans réponse : quelles compétences
faut-il que le directeur d'une composante de l'université ait
pour pouvoir faire travailler ensemble, dans l'intérêt des
étudiants, une équipe professorale si
hétérogène au point d'être quelques fois
caricaturale ? Ensuite après un mandat de secrétaire
général pendant lequel je me suis attelé à sa
remise en état structurelle, la démocratie associative
m'a confié la vice-présidence d'une
Fédération d'associations d'étudiants, avec pour
mission la coordination au quotidien de la dizaine d'associations
membres. Cette mission sous-tend un objectif plus politique : trouver les
moyens pour assurer, entretenir et renforcer la cohésion
générale au service du quotidien des étudiants et
des échéances électorales. Encore une fois,
la question à laquelle il fallait répondre de manière
pragmatique tournait autour de l'économie des moyens collectifs pour une
finalité donnée.
Une alternance régulière entre le
terrain professionnel et la formation caractérise mon histoire
de vie depuis l'âge de quinze ans et, certainement,
jusqu'à l'âge de la retraite pourvu que celle-ci ne se
confonde pas avec la mort58. D'où une sorte de
parcours en spirale où chaque expérience se nourrit de
façon cumulative et critique des précédentes grâce
aux apports théoriques pluridisciplinaires, régulièrement
renouvelés.
2. De l'enseignement secondaire à l'université
Le retour dans l'établissement secondaire
(collèges et lycée) en tant que Conseiller Principal
d'Éducation contractuel me place, pour divers motifs contextuels, dans
une position consistant à seconder la direction. Pour couper court
à toute polémique stérile que l'on entend souvent sur
cette fonction, il convient de préciser d'emblée que si, certes,
le Conseiller
57 UFR : Unité de Formation et de Recherche
58 De précarité en
précarité, avec les mutations continuelles du marché de
l'emploi, une telle hypothèse est probable pour plusieurs
générations de Français si rien n'évolue
rapidement.
Principal d'Éducation ne fait pas partie statutairement
du personnel de direction, il est cependant responsable du service Vie
Scolaire, une équipe pouvant être composée d'une
dizaine de personnes. Par ailleurs, selon la taille de
l'établissement et les caractéristiques de l'équipe
de direction en place, il est amené à jouer des
rôles différents et complémentaires de celle-ci.
Légalement, aux termes du décret du 30 août 1985 et du
décret du 27 novembre 1991, un chef d'établissement est
secondé dans ses tâches pédagogiques, éducatives et
administratives par un adjoint. Or un Conseiller Principal
d'Éducation peut assurer à temps partiel les fonctions
d'adjoint. Voici deux exemples, faciles à multiplier, montrant que dans
bien des cas, le Conseiller Principal d'Éducation assume une partie des
responsabilités d'adjoint du chef d'établissement.
Soit un cas fictif mais vraisemblable - bien que rarissime -
d'un collège où le Principal (Directeur) et son Adjoint
entretiennent des relations quelque peu difficiles ; le Gestionnaire en
opposition ouverte contre ces deux premiers qui l'accusent, preuves à
l'appui, d'incompétences professionnelles et dont ils se
désolidarisent ; en prime, une partie de l'équipe enseignante et
d'autres catégories du personnel "en guerre" contre
l'équipe de direction. En somme, non seulement il y a un important
dysfonctionnement au sein de l'équipe de direction, mais en plus entre
celle-ci et une grande partie du reste de la communauté
éducative. Dans une telle configuration, il est évident qu'un
Conseiller Principal d'Éducation se doit d'être
préoccupé
par les moyens pour assurer le minimum de cohésion des
différentes équipes, de l'intelligence collective, s'il a tant
soit peu une conscience professionnelle puisque, au final, c'est la
vie présente et l'avenir des élèves qui sont tout de
même en jeu. D'autant que les conditions de vie et
de travail des élèves figurent en tête de
la liste de ses attributions. Il en va de même pour un
établissement sans adjoint. Force est de reconnaître que, dans ce
cas, des interrogations sur les fonctions de la direction s'imposent d'autant
plus quand l'exercice partiel de la fonction d'adjoint incombe au Conseiller
Principal d'Éducation. Tel fut mon cas, dans un
établissement semi- durable, pendant le grand mouvement de contestation
enseignante de 2003 où il a fallu en plus gérer, avec la
précieuse collaboration d'un Aide Éducateur l'absence
totale des surveillants pendant plus d'un mois.
Des interrogations récurrentes qui se sont
affinées au fur et à mesure de rencontres entre actions et
réflexions ont abouti à un questionnement qui tient une place
centrale dans ce mémoire. Ainsi, notre sujet trouve son enracinement
dans les contextes socioprofessionnels et personnels tel que décris
précédemment. Ces contextes constituent un véritable
système "d'action-recherche" versus "recherche-action"59
avant de nous conduire à la
59 Christian Gérard, op. cit.
formation par la recherche en alternance (C. Gérard,
J.-P. Gillier, 2002)60. L'une comme l'autre forme d'apprentissage
engage à chaque fois la responsabilité du sujet puisque
"l'action de se former procède de soi-même voire, dans des
perspectives phénoménologiques et herméneutiques,
dès "l'en-soi-même" des sujets" (C. Gérard, 2003,
2004)61.
Avec un parcours dessiné par une succession
d'alternances entre les pratiques professionnelles et les études
universitaires ; une variété d'expériences
professionnelles entre la gestion socioéconomique et éducative
d'une léproserie, l'éducation spécialisée,
l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur, cette
recherche aurait pu être menée dans n'importe laquelle de
ces différentes branches du secteur socioéducatif. Le
choix de l'université a été favorisé par un
ensemble de circonstances décisives telles que l'immersion dans une
composante
de l'Université de Nantes en tant que stagiaire
et la rencontre avec un enseignant-chercheur activement impliqué
dans la conception des deux projets de cet établissement. Notre
objectif étant de décrire le processus de conception de ce
projet, avant d'en analyser le contenu.
Après cette réflexion sur les contextes personnels
et professionnels à l'origine
de notre questionnement, nous allons à présent
poser les éléments significatifs qui permettent de situer, dans
son contexte aussi, l'Université de Nantes en tant que terrain
même de cette recherche.
60 Christian Gérard, Jean-Philippe Gillier
(Coord.) (2002), Se former par la recherche en alternance, Paris,
L'Harmattan.
61 Christian Gérard (2003), "Concevoir
l'alternance en éducation. Autonomie, apprentissage et accompagnement",
Lille, Note de synthèse à l' H. D. R, 70e section.
CHAPITRE 2
CONTEXTE UNIVERSITAIRE TRÈS COMPLEXE
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme8.png)
Ce chapitre vise à donner une description
générale de ce qu'est l'université,
établissement d'enseignement supérieur, en tant que terrain de
cette recherche. En effet, afin de contextualiter le projet
d'établissement d'une université, la moindre des choses
est d'identifier clairement de quelle organisation nous parlons ; de
quel établissement il s'agit afin de mieux saisir le rôle
que puisse y jouer une démarche projet. Commençons par la grande
superstructure
en nous référant à la définition de
l'UNESCO62- 63.
L'enseignement supérieur inclut "tout type
d'études, de formation ou de formation à la recherche
assurées au niveau post-secondaire par un établissement
universitaire ou d'autres établissement d'enseignement
agréés comme établissement d'enseignement supérieur
par
les autorités compétentes de l'État"
(F. Mayor et S. Tanguiane, 2000)64. Cette définition
est suffisamment globale pour cerner le contour général, mais
trop pour apercevoir les nuances et les articulations, indispensables
repères dans la lecture d'une situation particulière. D'où
l'intérêt de l'affiner par une mise en lumière des quelques
nuances du cas français.
Une majorité d'auteurs, en se basant sur les
catégories officielles, pointe le doigt sur la dualité grandes
écoles/universités de l'enseignement supérieur
français ainsi que sur
les problèmes qualitatifs sociologiques et de
gestion corollaires à cette hiérarchisation, source
d'efficacité pour les uns, machine de reproduction pour les
autres. Dans son rapport n°1927 déposé en 2004, la
Délégation de l'Assemblée Nationale pour l'Union
Européenne65 met pertinemment en exergue cette
dualité en ces termes : "Ces établissements [les grandes
écoles]
ne représentent que 5,4 % à 6% des effectifs de
l'enseignement supérieur mais forment près de
62 Tiré du préambule de la
"déclaration mondiale sur l'enseignement supérieur pour le XXIe
siècle : vision et action", in Frederico Mayor, Sema Tanguiane (2000),
L'enseignement supérieur au XXIe siècle, Paris,
Hermès Sciences Publications, p.263.
63 United Nations Educational, Scientific and
Cultural Organization / Organisation des Nations Unies pour l'éducation,
la science et la culture.
64 Note de pas de page in F. Mayor, S. Tanguiane
(2000) op. cit. : Définition approuvée par la Conférence
générale de l'UNESCO à sa 27e Session
(novembre 1993) dans La Recommandation sur la reconnaissance des
études et des titres de l'enseignement supérieur.
65 Michel Herbillon & al. (2004),
L'enseignement supérieur en Europe, Rapport d'information
déposé par la Délégation de l'Assemblée
Nationale [française] pour l'Union Européenne, N° 1927 du
17/11/2004, p.49.
40% des diplômés à Bac+5. Avec
16% d'étudiants étrangers, ils affichent un taux
d'internationalisation plus élevé que la moyenne de
l'enseignement supérieur français (11 %)."
Tout en soulignant la nature hautement
révélatrice des faits avérés de cette
série de données statistiques, à partir d'un constat
basé sur des critères tels que la sélectivité, le
coût de la formation, la valeur des diplômes sur le
marché de l'emploi, nous suggérons la possibilité
d'un autre classement. En effet, en France, l'enseignement
supérieur regroupe une variété de types
d'établissements que l'on pourrait aussi classer, grosso modo, en trois
catégories: d'abord, les très grandes écoles
d'ingénieurs et de commerce (Polytechnique, École Centrale de
Paris, Ponts et Chaussés, HEC, etc.) ; ensuite, les grandes
écoles d'ingénieurs, grandes écoles de commerce,
écoles des hautes administrations... ; et enfin les universités,
les IUT et une partie
des lycées ayant des Sections de Techniciens
Supérieurs sans oublier les Classes Préparatoires. Ces trois
types d'établissement ont, non seulement des statuts distincts
mais surtout, des modalités de recrutement très
différentes66. Ce qui exige une grande rigueur et des
précautions méthodologiques dans toute tentative de comparaison
de leur fonctionnement. Ainsi, quelles que puissent être leurs missions
officielles, la réalité est qu'ils ne reçoivent pas la
même population, n'ont pas les mêmes ressources, encore moins
les mêmes finalités. Ces remarques semblent primordiales
pour mieux situer l'université.
Ainsi placée dans le contexte de l'enseignement
supérieur actuel, voyons comment peut-on identifier
l'université française à travers le début de
son histoire, les textes législatifs constitutionnels qui la fondent
et les enjeux auxquels elle doit faire face, avant de nous focaliser sur un
établissement particulier, en l'occurrence l'université unique de
la grande capitale ligérienne. Ce retour dans le passé reprend ce
que nous proposions dans l'autoréférentiel avec la
"retroprojection". Telle démarche situera davantage
l'université dans une longue péripétie qui, vue de
là où nous sommes, permettra de mieux la comprendre avant un
examen de son présent,
des difficultés auxquelles elle fait face et, surtout, des
enjeux de sa projection.
Les propos qui vont suivre n'ont alors aucune ambition d'avoir
un caractère les rattachant ou même les rapprochant aux sciences
historiques. Ce sera juste un résumé, voire une liste rapide
d'une succession chronologique des évènements les plus marquants
ayant influé sur l'avènement, le développement et
l'état actuel de nos "fabriques de matières grises". L'objectif
en
est simplement une volonté de placer l'université
dans son contexte.
66 Les uns pratiquent des sélections
(intellectuelle et sociale) draconiennes tout en ayant les moyens colossaux,
tandis que
les autres vivent la massification, le surpeuplement
quelques fois, avec des ressources très modestes par rapport
aux premiers.
I.Le profilde l'université française
Le propos qui suit ne cherche pas à affecter le
système universitaire dans sa totalité mais uniquement
l'établissement. Ce préalable ôtera toute
ambiguïté sur la portée de nos réflexions qui se
veulent circonscrites au niveau local bien qu'une telle limitation
n'empêchera
pas d'avoir en permanence à l'esprit la
dimension nationale de l'enseignement supérieur en France, comme
la dimension internationale que veut se donner chacun des
établissements. Il serait impossible d'ailleurs de faire fi de ces
dimensions.
A. Un héritage millénaire
Après une longue histoire depuis le
Moyen-Âge qui lui a fait passer par diverses étapes dont
suppression, recréation, changements de statuts, l'Université
française telle que nous la voyons aujourd'hui est une
institution tellement complexe que la connaître relève d'une
entreprise lourde. Il faudrait pour cela faire appel à l'histoire,
à la géographie, aux sciences politiques, à la
sociologie, économie...et d'autres disciplines sûrement. La
limite de ce travail n'autorise pas à explorer toutes ces disciplines
complémentaires à la définition de l'université qui
pourrait être plus complète. Nous allons, par
nécessité, choisir une entrée par le droit en nous
concentrant sur ce qu'est l'université du présent, après
un court passage par l'histoire.
Parler de l'histoire des universités ou de
l'université, à son origine, ne peut se faire convenablement
sans se situer à l'échelle européenne. À ce
début du XIIIe siècle, l'on constate
l'émergence de ce que l'on peut considérer comme étant les
ancêtres de l'université dans
les plus grands centres culturels de l'époque
notamment Bologne (1119), Sorbonne (1198), Oxford (1209), Cambridge et
Padoue, Heidelberg.... Il ne s'agit pas d'une création ex nihilo mais
plutôt d'un fruit de l'évolution de différentes formes
d'enseignement supérieur déjà existant.
Pour le cas français, il est possible de
considérer comme son départ un légat pontifical du 1215
octroyant à "la jeune universitas magistrorum et scolaium Parisiensium
ses premiers statuts"67. Peu de temps après, en 1220, ce fut
la création des écoles de médecine de Montpellier.68
Puis vint successivement le tour d'Avignon (1303), d'Orléans
(1306), d'Angers (1337), etc. L'Université de Nantes ne voit jour
qu'au milieu du XVe siècle, en 1460. Depuis
67 Christophe Charles, Jacques Verger (1994),
Histoire des universités, Paris, Que-Sais-Je ?, PUF, p. 12.
68 Idem.
cette naissance moyenâgeuse, l'université va
traverser le temps et les péripéties historico- politiques
de presque huit siècles avant d'arriver à l'état
où elle se trouve. Il s'agit donc d'un héritage qui nous
a été transmis grâce à l'investissement de
milliers de femmes et d'hommes aussi bien pour sa fondation, son
entretien que pour son évolution permanente suite à des
réformes successives. Ainsi elle demande, entre autres choses, à
être connue, comprise afin que
sa perpétuation en meilleur état puisse
être assurée. Alors, voyons maintenant ses contours
juridiques.
B. Une organisation constituée
À la base, c'est la loi n°84-52 du 26 janvier 1984
(modifiée) qui aurait dû régir seule le fonctionnement et
l'organisation de l'enseignement supérieur. Mais faisant suite
à une décision du Conseil Constitutionnel, lors de sa
publication, celle-ci se trouve en cohabitation avec l'ancienne loi,
celle du 12 novembre 1968 ; du moins pour certaines de ses
dispositions. Ainsi, l'enseignement supérieur français est soumis
à deux lois complémentaires.
C'est la loi du 12 novembre 1968 dite d'orientation de
l'enseignement qui donne aux universités un statut
d'Établissements Publics à Caractère Scientifique,
Culturel et Professionnel (EPCSCP) dotés d'une
personnalité civile et d'une autonomie financière. La loi
n°84-52 du 26 janvier 1984, quant à elle, définit les
missions du service public de l'enseignement supérieur. L'organisation
de l'établissement est ensuite précisée par l'article 26
de la même loi (qui correspond à l'art. L. 712-1 du Code de
l'Éducation) : selon l'article L. 712-1 (Loi n°84-52
du 26 janvier 1984, art. 26), le président
de l'université par ses décisions, le conseil
d'administration par ses délibérations, le conseil scientifique
ainsi que le conseil des études et de
la vie universitaire par leurs propositions, leurs avis et
leurs voeux, assurent l'administration de l'université.69
Ces établissements sont alors administrés, chacun,
par un président élu par les représentants de
l'ensemble des parties prenantes. D'où la notion de
collégialité. Déjà l'esprit de cette loi de 1968
propose deux idées importantes : faire vivre le principe d'autonomie et
favoriser
la pluridisciplinarité.
Sur le plan organisationnel et politique, la synthèse des
Art. L. 7112-1 à l'Art.
7112-7 permet de déduire un élément
important : le Président dirige l'université. Pour ce faire, il
gouverne, assisté par un bureau élu en s'appuyant sur les organes
statutaires tels que le conseil d'administration, le conseil scientifique et le
conseil des études et de la vie universitaire. Mais en
69 Henri Peretti (2002), Code de
l'éducation commenté, Paris, éd. Berger-Levrault, p.
318.
quoi consiste vraiment le rôle du Président
d'une université ? Au-delà des textes juridiques
définissant ses attributions, nous allons l'exprimer plutôt de
façon organisationnelle.
H. Fayol considère que toutes les opérations
attenantes à la vie d'une entreprise peuvent se répartir en six
fonctions essentielles, à savoir : technique, commerciale, de
sécurité,
de comptabilité et administrative. Si les
administrateurs administrent, c'est-à-dire prévoient,
organisent, commandent, coordonnent et contrôlent, le
Président, lui, gouverne en assurant le fonctionnement de
l'ensemble des ces six fonctions essentielles à la vie d'une
entreprise formulées par H. Fayol. Certes, comme souligné
plus haut, un établissement d'enseignement supérieur, public
par ailleurs, ne saurait être pris pour une quelconque entreprise
à but lucratif. Mais cette considération des six fonctions peut
être prise dans le sens d'un idéal-type utile à la lecture
de la structure de toute grande entreprise. Le verbe gouverner sous-entend une
idée de fonction politique. Pendant que le secrétaire
général administre, c'est-à-dire s'occupe de la
direction administrative, le président d'une université en assure
alors la gouvernance politique.
Comme l'expriment les différents textes
réglementaires, en résumé, la promotion de la
recherche, la diffusion des savoirs et de la culture sont les principales
missions
de l'université. Ce qui justifie largement le poids du
corps d'enseignants-chercheurs dans cette organisation dont le
métier, pourrait-on dire, est l'enseignement et la
recherche. Cet enseignement a été longtemps
géré par le Ministère de l'enseignement
supérieur de manière disciplinaire, avec
hiérarchisation conjoncturellement entre les différentes
disciplines selon le poids idéologique, sociologique et/ou
financier de chacune. Par ailleurs, "la question des missions est
fondamentale dans la problématique de l'enseignement supérieur et
elle se retrouve
au coeur du débat et de la réflexion sur
l'enseignement supérieur à chaque tournant de l'histoire et
chaque fois qu'il s'agit d'une réforme tant soit peu
significative de ses structures, des ses programmes, de ses
méthodes ou de sa gouvernance" (F. Mayor et S. Tanguiane)70.
Les mêmes auteurs poursuivent "cette question constitue en quelque sorte
le point vers lequel convergent la plupart des questions les plus importantes
de ce niveau d'enseignement."
Cette dernière idée contribue à donner
une vue d'ensemble sur les imbrications entre les multiples centres
d'intérêt sources d'antagonismes au sein d'un
établissement. Elle contribue aussi à confirmer notre
choix de nous focaliser sur la question du projet
d'établissement comme l'un des outils de management susceptible
d'apporter son efficacité par rapport à la
problématique de gouvernance pour que l'université puisse
accomplir sa mission, voire un peu plus que sa simple mission de base tout en
tendant vers plus d'autonomie.
70 Frederico Mayor, Sema Tanguiane (2000), op. cit,
p. 28.
Malgré toute tentative éventuelle
d'uniformiser afin de mieux administrer, aucune université ne peut
ressembler à une autre puisque chaque établissement porte en lui
sa propre histoire, ses contraintes environnementales ou contextuelles. Aussi
chacune est composée d'un groupe d'acteurs
hétérogènes et absolument unique. La
contractualisation avec l'État participe à cette
singularisation dans la mesure où, selon son ancrage et ses ambitions,
chacune tend vers un avenir unique par projection, même s'il y a bien
entendu quelques points communs avec les autres.
C. État des lieux général et
enjeux
La politique éducative définie par la
société française l'amène à tendre vers la
conduite de 80% la classe d'âge au niveau Baccalauréat
(Humanité). Résultat, en 2004, la France compte 61,80 % de
bacheliers. Ensuite, les raisons démographiques prévisibles ont
conduit une certaine stagnation des effectifs universitaires, qui atteint
quand même environ 1.312.141 étudiants (repartis sur 80
établissements), l'année universitaire 2004-2005. Cela signifie
que sur
les 2.268.423 étudiants français,
universités en absorbent à elles seules la moitié, contre
499.439
pour les filières sélectives (Classes
préparatoires aux grandes écoles, STS, IUT, IUFM) et
190.626 aux grandes écoles. Il reste alors 266.217
étudiants repartis dans divers établissements d'enseignement
supérieur.
À cette morphologie démographique, l'on
s'attend logiquement à ce que la répartition
budgétaire suive aussi le même schéma. Or, la
réalité est exactement inverse. Sans s'attarder sur ce point,
peu d'éléments suffisent pour en donner une image exacte.
En effet, si l'université dépense 6.695 € en moyenne par
étudiant, les classes préparatoires en dépensent le
double, soit environ 13.757 €. Les classes préparatoires
avec les grandes écoles réunies accaparent 30 % du
financement, pour 4 % d'étudiants. Pour en finir avec les
références quantitatives, voici encore une dernière
bizarrerie de notre système éducatif. Si dans la moyenne
des pays de l'OCDE, la dépense consacrée à
l'enseignement primaire et secondaire atteint 3,7 %
du PIB en 2002 contre 1,3 % pour l'enseignement supérieur
(soit 2,4% d'écart), en France, l'écart
est le plus grand puisqu'elle dépense 1% pour le
supérieur contre 4,1 % pour le reste (soit 3,1%
de PIB d'écart). Cela dit, relater les chiffres n'a
rien d'argumentatif. Le débat s'ouvre donc sur un terrain plus vaste que
celui de l'enseignement stricto sensu puisqu'il s'insère dans une
réflexion globale en interaction avec le système
économique ou, tout de moins, avec le choix de la gestion
du budget national. De telles descriptions ont le
mérite déjà de planter les décors que les
professionnels les plus compétents servant dans un
établissement n'ont pas toujours en
perspective.
Où se situe cette université sur la scène
internationale ? De nombreuses études comparatives, aboutissant
à la hiérarchisation internationale des
universités, placent les meilleures des universités
françaises en queue des classements. Études douteuses, sujettes
aux réserves ? C'est possible. Il reste tout de même une
certaine unanimité de ces résultats de classement qui
méritent de véritable recherche de voie d'amélioration
plutôt que de s'attarder sur
des contestations. En somme cet état des lieux
peut servir à stimuler la volonté des acteurs
concernés par la gouvernance de l'université de se lancer
dans une recherche tous azimuts d'orientations nouvelles en vue d'une
réussite rapide. Pour ce faire, l'Université de Nantes
s'oriente vers des efforts en matière d'offres de formations,
d'accueil d'étudiants et de grands chercheurs de renommée
internationale et de mobilité des étudiants comme des
enseignants. Une plus grande attractivité en somme avec,
comme résultat attendu, plus de rayonnement international.
D'autres établissements préconisent le renforcement et
l'officialisation d'une certaine forme de sélectivité (qui
existe déjà dans beaucoup de filières
universitaires même si l'hypocrisie de son application, puisque
non légale, la rend plus sournoise et contribuent à
l'explication des 45% d'échec en premier cycle). Mais plutôt que
sélection, ils préfèrent utiliser le terme orientation et
la révision à la hausse de la participation financière des
étudiants. Une des propositions, par exemple, de B. de Montmorillon
plaide que "Le rayonnement international de l'enseignement supérieur
français passe par le renforcement de l'autonomie des
universités, l'orientation sélective au moins à partir de
la Licence [Licence 3], et de nouveaux moyens, dont
la modulation des droits d'inscription et la mobilisation des
entreprises et des anciens." 71 En tout cas, deux points font
l'unanimité : le rayonnement international et l'autonomie des
établissements. Mais de multiples initiatives voient jour,
partout sur le territoire: mode de gestion, renforcement de la recherche,
regroupement en pôle universitaire pour plus de visibilité,
démarche qualité en rentrant dans une logique
d'accréditation aux labels prestigieux, recrutement
de plus en plus d'enseignants de grande qualité...etc.
Mais, plutôt que de retranscrire les
différents textes existants ou en faire de longs commentaires,
quittons la généralité pour découvrir une
université unique et pluridisciplinaire : celle de la capitale
ligérienne. L'Université de Nantes rentre dans cet état
des lieux qui vient d'être fait. Nous ne reviendrons donc plus sur ces
points. Cette partie va plutôt la situer dans son contexte historique
et organisationnel. Étant soumises aux mêmes enjeux que
l'ensemble des universités françaises, ce sont ses
contextes historique, géographique et organisationnel qui pourront
lui servir de leviers pour se distinguer.
71 In Enjeux Les Échos, N° 223,
avril 2006.
II. L'Université unique de Nantes
A. Une personnalité bien ancrée
Fondée par la bulle papale de Pie II le 9 septembre
1460 (cf. note 72)72, avec le titre de studium generale,
grâce à la volonté politique du duc de Bretagne
François II, l'Université de Nantes a vu le jour environ
deux siècles après les premières universités
européennes et françaises. Elle est parmi les
dernières de sa génération à avoir une
existence officielle. Les cinq premières facultés furent celles
de théologie, de droit canon, de droit civil, de médecine et des
arts.
Révolution oblige, elle fut supprimée en 1793 par
décision de la Convention en même temps que toutes les
universités françaises. Toutefois, certaines décisions
révolutionnaires
ont été revues sous l'Empire comme la
réouverture des universités en 1808 sauf quelques
exceptions dont celle de Nantes qui ne reverra jour partiellement -
Faculté de médecine et de pharmacie - qu'en 1956. Dans leur
totalité, les Facultés de Nantes ne redémarreront
qu'à partir de son décret de refondation publié le
29 décembre 1961. Ensuite, comme dans l'histoire de
l'enseignement supérieur français, de facultés, on passe
à l'université en novembre 1968. Selon certains auteurs, les
évènements de 68 ne seraient pas totalement étrangers
à cette transformation
des facultés en université. Toutefois, il semble
aussi juste d'affirmer que tout le système éducatif
français a été affecté par cette tectonique
culturelle qui suscite encore de vives polémiques à cette
aube du XXIe siècle où les
bouleversements socioéconomiques drainent son lot
d'interrogations sur l'éducation. Face à l'immensité
de telles considérations, ne perdons pas de
vue notre préoccupation. L'Université de Nantes
est régie par la loi 84-52 du 26 janvier 1984, établissement
public à caractère scientifique, culturel et professionnel
(EPSCP), et est classée université multidisciplinaire avec
disciplines de santé.
Dans la plupart des grandes villes comparables à
la dimension urbaine de Nantes, des universités ont
été créées en regroupant les anciennes
facultés en fonction de la proximité des
spécialités. Ainsi à Rennes, à Bordeaux,
à Lille, pour n'en citer que trois, coexistent trois ou quatre
établissements. Pour Lille notamment, l'agglomération compte
trois universités : USTL pour l'Université Scientifique et
Technologique de Lille (Lille 1) ; Lille 2 qui regroupe les UFR de Droit,
Médecine et Pharmacie, et l'Université de Gaulle (Lille 3) pour
les
72 Nous avons puisé la plupart des
informations sur l'histoire de l'université de Nantes dans le magnifique
ouvrage collectif rédigé sous la direction de Gérard
Emptoz, (2002), Histoire de l'université de Nantes 1460-1993,
Presses Universitaires de Rennes
Lettres et Sciences Humaines. Nantes se distingue de
celles-là par une université unique et multidisciplinaire.
Cela s'explique par la faiblesse de l'effectif d'étudiants nantais
(8000) en 1968
et le découpage de l'université en plusieurs
entités aurait pu amenuiser son potentiel de dynamisme qui lui a
permis de se relever et se consolider. La politique éducative nationale
(80%
de classe d'âge au baccalauréat) a
démultiplié la démographie étudiante au cours des
années 90, avec un apport de plus en plus croissant d'étudiants
étrangers (européens, africains, asiatiques). Cette
période correspond aussi au début de l'expérience
de démarche projet (1999-2003). Le projet d'établissement
2004-2007 n'est alors que le deuxième du genre, ce qui permet
de souligner combien l'apprentissage est récent. Il serait, par
conséquent, extrêmement exigeant de s'attendre à ce que la
communauté universitaire ait acquis une expertise solide en la
matière.
Puisqu'il est question d'apprentissage, faisons un petit
détour du côté des chercheurs emblématiques de
la cognition et du développement. L'essai-erreur, le tâtonnement,
l'observation, l'imitation et l'expérimentation sont autant
de modalités de mécanismes d'apprentissage qui
dépendent du niveau de développement biologique décrit par
J. Piaget. Freud
a surtout mis en relief l'importance du
développement affectif, alors que Skinner et les behaviouristes
avancent le rôle de l'environnement et du conditionnement. Pour
S. Lev. Vygotski, l'important est d'accompagner l'apprenant à
atteindre sa zone proximale de développement, laquelle
dépend de l'apprentissage et de processus sociocognitifs. Qui a raison
parmi ces quatre géants et qui a tort ? A y voir de
près, si l'on essaie de faire cohabiter harmonieusement
différents paradigmes, ces précurseurs ont construit des
modules théoriques qui, organisés ensemble, nous en apprennent
de façon à la fois globale et détaillée sur ce
que
nous baptiserons volontiers de Système
Général de Développement cognitif, affectif et social.
Ce Système Général de
Développement (SGD) peut être défini
comme
l'interdépendance du processus d'apprentissage et du
processus de développement liés
récursivement pour oeuvrer dans un environnement
grâce aux outils biologiques
(accommodation/assimilation), psychosociologiques
(conditionnement/accompagnement) et
affectif. Ce qui forme un ensemble dynamique, superstructure de
schèmes indissociables à la
vie.
Une considération anthropomorphiste en application du
principe
holographique sur l'organisation permet aussi de lui
conférer un SGD. On parlera alors
Système Général de
Développement organisationnel. Une telle construction parait
apporter
des valeurs ajoutées dans la compréhension de
la place du projet d'établissement d'une
université dans son parcours d'autonomisation. Cependant,
il ne peut s'agir ni de baguette ni
de formule magique. Le SGD nécessite le facteur temps pour
exprimer toutes ses possibilités.
Tel un système expert conçu à partir
d'intelligence artificielle, il a besoin de plusieurs phases
d'apprentissage préalable avant d'atteindre une
performance optimale. Cela conduit droit à
penser la notion d'apprentissage organisationnel. Bien qu'elle ne
sera pas traitée ouvertement
dans ce volume - il y a pourtant tant de concepts comme celui-la
qui méritent tous une petite
place dans notre développement - cette notion reste
accolée à la question de la projection
collective, dans la vie d'une organisation.
Encadré 1: Système Général de
développement
Nous concluons, au vu de la lecture approfondie
de son projet, de la considération de son histoire et
d'autres entretiens formels ou non auprès des ses acteurs, que
l'Université de Nantes est un jeune établissement qui
entame la construction de son devenir d'université de XXIe
siècle. Elle se situe à la transition entre la
période de gestion purement administrative, marquée par le
poids et l'omniprésence de la figure de la tutelle et la
longue marche vers l'autonomie73. En comparaison à la
construction d'une route, elle est, tout juste, au défrichement et
à l'aplanissement de certaines collines pour agrandir la
départementale existante
en autoroute comme voie de circulation
internationale. Par rapport à l'apprentissage de l'autonomie,
son Système Général de Développement n'a eu que
deux expériences de projet dont
un en cours. Lequel projet se construit en partie
avec un environnement - dans une relation d'influence réciproque
- qui doit tenir compte de ses propres contraintes.
L'intérêt pour un chercheur de l'avoir comme sujet
d'étude réside dans cette perspective de
développement en cours dont le suivi ou même l'anticipation (dans
certains domaines) ne pourra qu'être source de connaissances nouvelles et
passionnantes.
Après avoir situé l'établissement dans
son contexte historique et institutionnel, une dernière
étape, la description organisationnelle, complètera
très succinctement la présentation de notre terrain
de recherche. En tant que grande université, unique et
pluridisciplinaire (tautologique), l'Université de Nantes se
présente un peu sous forme de patchwork.
73 Une autonomie à distinguer de
l'indépendance absolue dans la mesure où, en tant
qu'établissement public, il lui restera toujours un socle commun avec
l'ensemble d'établissements d'enseignement supérieur publics.
B. Un établissement très composite
Grande université publique unique dans la capitale
ligérienne, l'Université de Nantes repartie entre La
Roche-sur-Yon, Saint-Nazaire et l'agglomération nantaise (Nantes,
Carquefou) offre une large palette de formations et de diplômes. Cette
dispersion géographique s'organise autour de 19 composantes de
formation et de recherche (CFR) ainsi que d'unités
administratives dotées, chacune, de missions, de dimension et de
fonctionnement propres. Deux paramètres, le statut juridique et les
offres de formation, peuvent regrouper ces éléments
distinctifs personnifiant chaque composante. À partir des données
fonctionnelles, l'établissement
se présente sous 2 visages : d'un coté les
services centraux et services communs ; de l'autre le coeur du métier :
Sciences médicales (médecine, odontologie, pharmacie et instituts
paramédicaux) ; Sciences et technologies (faculté des
sciences, IUT) ; Sciences de l'ingénieur (écoles
d'ingénieurs, école polytechnique, IUT) ; Sciences juridiques ;
Science économiques et
de gestion ; Sciences sociales et humaines ; Sciences du langage
et lettres.
Quant au statut juridique, on distingue 4 groupes :
les divisions et services centraux, les services communs et
généraux, les UFR et départements ainsi que les
écoles et instituts relevant de l'article 33 de la loi 84-52
du 26 janvier 1984 (Art. 713-9 du Code de l'éducation) avec
une relative autonomie et des nuances aussi à l'intérieur
de cette même catégorie.
Cette organisation complexe trouve pourtant un semblant
d'harmonie pour former l'établissement. Il accueille environ de
48000 étudiants et 3900 employés (toutes catégories
confondues)74. Consciente de sa place au premier rang des
universités uniques75 françaises, de sa
contribution au développement économique régional du
Grand Ouest, mais aussi des défis à relever pour faire face aux
concurrences internationales, l'Université de Nantes s'invertit dans
la démarche projet pour conquérir son autonomie. En
effet, "La situation économique, on l'a bien compris, mais
aussi l'ouverture à la concurrence des activités
traditionnellement réservées aux organismes parapubliques,
rendent le changement des modes de management nécessaire." G.
Prouteau (2003)76 Cette autonomie garantira
également la concrétisation de ses ambitions de rayonner sur la
scène internationale en matière d'attractivité
74 Le document "Projet d'établissement
2004-2007" contient les éléments chiffrés très
bien synthétisés. Nous ne relatons donc ici que des
données très générales pour donner une vue
d'ensemble de l'hétérogénéité de
l'université de Nantes.
75 Universités uniques : terminologie qui
désigne les universités publiques présentes en un seul
établissement dans une ville.
76 Gwenaël Prouteau (ancien responsable
Projet Qualité, Assédic des Pays de la Loire), propos
extrait de son allocution dans un DVD du "Colloque Qualité"
organisé par l'Assédic des Pays de la Loire, au Château de
Goulaine,
le 4 décembre 2003.
par la qualité des offres de formation et des
recherches. Est-il vraiment indispensable de prolonger la liste des
multiples éléments hétérogènes
agglomérés qui forment cet établissement
qui n'a pas son pareil de par la singularité de sa
personnalité ? Vu ce qui va se dire aux chapitres dédiés
au projet-contenu et tout ce qui l'entoure, il n'y a pas
forcément d'intérêt à développer davantage
cette partie.
Rappelons enfin, pour conclure, que cette
première partie a permis de démontrer les apports et
les valeurs ajoutées cognitives, dont une meilleure distanciation
objectivante, que procure la compréhension des différents
contextes relatifs au chercheur et son terrain d'investigation. Pour le
premier, ils contribuent à l'identification des motivations, de
l'enracinement de ses interrogations (à l'origine du sujet) dans une
partie de son histoire de vie socioprofessionnelle. Quant aux contextes du
terrain, ils servent à mieux l'appréhender avec toute sa
complexité en l'intégrant dans les autres systèmes
qui influent sur beaucoup de paramètres de son fonctionnement.
Pour nous, par exemple, les diverses expériences de la
léproserie, de l'éducation spécialisée et de
l'éducation nationale (secondaire et supérieur) nous
ont permis d'identifier la permanence de la projection
collective comme nécessité pour créer des valeurs
sociales, économiques, politiques et éducatives fortes.
Sans oublier qu'elles ont aussi contribué à forger nos
propres valeurs humaines indispensables à tout métier qui
s'occupe directement du devenir d'êtres humains. Ainsi, l'interrogation
sur le projet d'établissement d'un organisme socioéducatif se
nourrit des deux enracinements complémentaires : celui d'une longue
expérience du praticien confronté dans son quotidien
à l'activation du projet, et celui d'un établissement
universitaire pour qui la projection constitue plus que jamais une
nécessité vitale.
Voyons alors que véhicule ce concept si répandu,
si utilisé, à tort ou à raison, dans de nombreux domaines
d'activités sociales, économiques, politiques...jusqu'à la
vie privée, dans nos sociétés post-industrielles. En quoi
le projet participe à l'un des plus grands enjeux de la
vie universitaire française qu'est son autonomie ?
D'ailleurs, autonomie vis à vis de qui et pourquoi ? Une
tentative d'approche systémique permettra sûrement de mieux cerner
toutes ses
interrogations.
UNE APPROCHESYSTÉMIQUEDE LA
PROJECTION
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme9.png)
IIe PARTIE~
UNE APPROCHE SYSTÉMIQUE DE LA PROJECTION
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme10.png)
«Nous n'avons que le choix entre les changements dans
lesquels nous serons entraînés, et ceux que nous aurons su vouloir
et accomplir».
Jean Monnet
"Il faut être capable d'inspiration et d'action :
l'un enfante le projet, l'autre l'accomplit."
François René vicomte
de Chateaubriand
L'université, bien que ne participant qu'indirectement au
concert des entreprises
de production de biens ou de services marchands, n'en est pas
moins sujette aux influences de son environnement local, régional et
international. Deux séries de raisons président à
ces influences, par ailleurs réciproques : d'une part
l'adaptation partielle de l'université aux configurations
économiques et sociopolitiques ; d'autre part sa participation aux
évolutions grâce aux forces de création et de
diffusion d'innovations que constituent le couple laboratoires /
enseignants-chercheurs. Or ce début du XXIe
siècle a apporté avec lui son lot de
bouleversements, entamés depuis le siècle dernier :
bouleversements sociologiques, modifications des rapports économiques
(nouvelle répartition géographique de la conception, de
la production et de la commercialisation) avec des
réajustements réglementaires dus aux imprévus ainsi
qu'aux nouveaux rapports à prendre en compte. L'université ne
saurait échapper à
de tels mouvements. Combinés aux évolutions
internes à l'organisation, ces derniers suscitent, voire imposent des
réflexions sur la question du pilotage de l'enseignement
supérieur. Au milieu
de toutes les mutations économiques, politiques
et sociales de ce millénaire qui débute, se dispenser
d'ambitieuses investigations sur l'avenir immédiat et à moyen
terme de l'enseignement supérieur revient, pour tout pays -
développé ou non, riche ou émergeant - à se
condamner au mieux à une longue stagnation, au pire à un
effondrement durable de son potentiel de développement. Or nous
n'osons croire qu'il puisse exister une société, un
gouvernement, une communauté scientifique, etc. qui soit
prêt à endosser une telle irresponsabilité
vis-à-vis des futures générations
héritières de cette partie importante du système
éducatif.
Cependant, ces réflexions diffèrent de
celles qui ont pour objet la vie économique en
général puisque l'université, en tant qu'organisation, a
son identité propre et sa
culture très spécifique. Elle a des aspects
génétiques singuliers et évolue selon des trajectoires
qui tiennent à ses propres tendances
génériques et à ses engagements vis-à-vis de la
société (B. Clark, 2001)77. Par conséquent,
son pilotage actionne plusieurs dispositifs dont l'étude globale
suppose l'investissement d'une grande équipe de recherche
internationale dotée d'importants moyens. Une revue
générale de la littérature permet de citer, entre
autres facettes de ce management, la problématique de
l'équilibre centralisation-décentralisation, la question de
la collégialité, le problème des moyens, le partenariat,
qui peuvent être appréhendés à partir de sa
projection. Telle est l'orientation pour laquelle nous optons,
c'est-à-dire comment se projette cette partie de l'enseignement
supérieur ; à commencer par l'interrogation sur la place du
projet dans l'action collective.
Deux raisons soutiennent ce choix. D'une part, dans le
cas des universités françaises, l'obligation de la part du
ministère de tutelle - principal financeur / bailleur de fonds -
de négocier le Contrat Quadriennal de
Développement à partir du projet d'établissement
rend celui-ci incontournable. D'autre part, le projet constitue une
démarche globale permettant de faire évoluer le fonctionnement
d'une grande organisation bureaucratique et marquée par
l'indépendance des principaux acteurs (enseignants),
conditionnant des réalisations plus ambitieuses pour transformer
les contraintes contextuelles en potentiels de réussite.
Avant d'approfondir la notion de projet, il importe de
découvrir le type d'établissement d'enseignement
supérieur qu'est l'université. L'objectif étant de
poser et de décrire la structure afin de conduire une réflexion
sur le concept projet dans sa généralité, puis sa
matérialisation dans le cadre d'une organisation concrète.
Mais une conceptualisation s'inscrit dans un repère
épistémologique dont la délimitation éclaire toute
la portée des sens véhiculés par
les concepts. Commençons dans ce cas par
préciser dans quelle registre épistémologique
progresse cette quête de savoir. Notons cependant d'emblée que ce
passage par l'épistémologie
ne veut pas tenir lieu d'un agora pour une grande discussion
théorique. Les ouvrages et articles
de très grande qualité traitant d'un tel sujet
abondent tellement que prétendre, de notre part, à un quelconque
apport aux pensées épistémologiques risquerait
plutôt d'avoir un sérieux goût de manque
d'humilité intellectuelle. Le chapitre qui suit sera alors
vraiment, tel que son titre l'indique, des simples jets de cailloux
le long de notre parcours d'apprenti chercheur afin de baliser le cadre
dans lequel nous nous efforcerons d'évoluer.
77 Burton Clark (2001), "L'université
entrepreneuriale : nouvelles bases de la collégialité, de
l'autorité et de la réussite ", in
Revue du programme sur la gestion des établissements
d'enseignement supérieur, OCDE, Vol. 13 - n°2, p. 10.
CHAPITRE 3
POUR UNE ÉPISTÉMOLOGIE DE RELIANCE
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme11.png)
Nombre d'auteurs affirment une opposition
définitive entre deux postures scientifiques : d'un
côté le cartésianisme qui a longtemps dominé
et fait avancer les sciences occidentales telles que nous les
observons et dont nous profitons encore des retombées ; de
l'autre, la perspective systémique plus en mesure de comprendre les
problématiques complexes. L'attitude observée s'incline
souvent du côté de la dénonciation tous azimuts en
apportant des jugements fermes au cartésianisme. À notre niveau,
nous nous contenterons d'effectuer un petit tour d'horizon sur ces deux grands
paradigmes qui s'offrent pour appréhender les
phénomènes
qui nous entourent. De là se dégageront logiquement
les motivations de notre choix. Il s'agit de
la voie qui correspond le mieux à une meilleure
construction de notre modèle de connaissance quant à la question
des stratégies susceptibles d'être activées par le manager
censé fédérer une équipe autour de la conception
d'un projet, et concevoir un projet qui fédère.
I. La logique disjonctive à dépasser
A. Le paradoxe de nos sciences
Pratiquer une science revient à modéliser et
interpréter dans l'objectif de rendre intelligible un
phénomène. Or, de par ses façons de
concevoir ses modélisations et interprétations, le
développement scientifique, de ces trois derniers siècles,
suscite deux constats incontournables et paradoxaux :
- d'abord, la vitesse à laquelle croissent
les progrès scientifiques et technologiques tend à
montrer combien ces sciences sont fertiles, et combien le poids des
moyens alloués à leur service (de manière
générale) prouve l'importance accordée par les
sociétés à leur égard ;
- parallèlement, ces sciences et leurs
résultats corollaires, les différentes technologies d'une
part, les différents modes d'interventions sociales d'autre part,
suscitent des
interrogations de plus en plus criantes quant à
leur pertinence en matière de résolution des
problèmes qui leur sont confiés. Cela est d'autant plus
flagrant quand il s'agit de problème touchant directement l'humain
et son environnement.
Alors, d'où ressort cette réelle contradiction
entre l'évolution scientifique qui court à très grande
vitesse et l'inadéquation des solutions qu'elle apporte aux
problèmes humains ? Le problème est-il nouveau ? À cette
dernière, il semblerait que l'on puisse répondre non, on n'a pas
affaire à une découverte. Mais le problème devient de plus
en plus aigu. Quant à l'origine de ce décalage, il y a des
siècles déjà que des savants ingénieux tels que L.
de Vinci, G. Vico, entre autres, ont fait le même constat
critique tout en proposant une autre manière de concevoir les
problèmes scientifiques. En continuant la litanie des penseurs de
même orientation, nous avons plus près de nous G. Bachelard ainsi
que tant d'autres que nous aurons l'occasion d'évoquer.
La faiblesse de nos sciences, en particulier celles dites
dures ou celles qui s'en inspirent, réside dans leur méthode ; la
manière dont l'Occident s'y est pris pour considérer et
résoudre ses problèmes. Celle-ci trouve en R.
Descartes l'emblème avec une position fondamentale qui consiste
à considérer le problème comme existant en soi,
donné tel quel par la nature ; puis à le résoudre par
découpage en plusieurs éléments disjoints,
c'est-à-dire de manière complètement
désagrégée. R. Descartes (1637) propose, dans le
deuxième précepte de sa Méthode, de "diviser chacune
des difficultés que j'examinerais en autant de parcelles qu'il
se pourrait et qu'il serait requis pour les mieux résoudre"
(réductionnisme). Celui-ci donnerait alors "des longues
chaînes de raisons toutes simples" (déterminisme).
C'est ce qui s'appelle Modélisation analytique. Cette
science se veut objective. En quoi cela constitue-t-il un
handicap ? Ainsi considéré, un problème finit par
se disloquer et se démembrer en portions
élémentaires prises injustement comme autonomes. Il en
résulte une illusion de facilité de traitement pour chaque
élément. Mais facilité ne signifie en rien pertinence ni
qualité puisqu'il
n'y a plus de vue d'ensemble.
En effet, prenons l'exemple du corps humain dont nous
avons tous un minimum commun de savoirs partageables. L'application du
deuxième précepte de la Méthode cartésienne
pourrait impliquer l'apprentissage de l'anatomie uniquement sur un corps
inanimé. Seulement avant même d'être
disséqué, le corps inanimé engendre
l'impossibilité d'observer chaque élément et chaque
membre se mouvoir. Le rôle du cerveau en tant que
système de commande, la place de la volonté, des schèmes
biologiques tels que les réflexes, la concordance
des mouvements, etc. demeurent autant d'aspects anéantis.
Il en résulte une vision statique du
corps humain qui n'a pas grand-chose à voir avec
le vivant. Rien n'empêche par la suite de
donner vie à ces membres disséqués
de façon théorique mais le résultat sera une
vision hautement hypothétique et très éloignée
d'une observation directe du vivant. Néanmoins, afin d'en
apprendre davantage sur le vivant, la dissection assure aussi une importante
complémentarité à l'observation pour mieux, par
exemple, étudier les mécanismes internes de nos membres.
Un problème humain ou sociétal
appréhendé de manière cartésienne a produit tous
les modes d'interventions sociales, remplis de grandes volontés
politiques dont l'honnêteté
ne peut pas constamment être mise en doute, que
l'on connaît en France depuis les années quarante (à
la sortie de la Deuxième Guerre Mondiale). Aujourd'hui les politiques de
tous bords comme les professionnels de l'intervention sociale ainsi que la
société toute entière reconnaissent l'échec des
solutions mises en oeuvres. Pire encore, les problèmes s'aggravent. Mais
ailleurs en Europe ou en Amérique, la situation n'est guère
meilleure.
Un autre exemple relatif au système éducatif
français mérite que l'on s'y attarde pour poser juste un
élément de réflexion. Face à l'impossibilité
d'apporter des réformes
en profondeur à l'Éducation Nationale,
quelle que soit la couleur politique de l'équipe
gouvernementale à l'origine de l'initiative, chaque protagoniste
se trouve entraîné dans des polémiques consistant
toujours à mettre en accusation ses contradicteurs pour
identifier les causes du mal. Quelque fois pire encore, les
débats des initiés peuvent avoir l'air des joutes
oratoires entre différentes chapelles philosophiques ou
idéologiques totalement déconnectées de
la réalité vécue sur le terrain par les
professionnels. Pourtant, cela ne mène à rien si ce n'est
à exacerber le corporatisme qui frôle l'extrémisme pour
certains, comme la tentation dictatoriale et démagogique croissante
des autres78. D'autant que le mythe semble avoir pris place
à la dimension politico-historique réelle de la fondation de
notre école. Raisonner sur de telles bases
ne peut que nuire à l'objet de sa préoccupation.
Et si le problème remontait aux origines même de cette
construction de la Troisième République avec le poids des
positivistes tels que Rabeau Saint-Etienne bien inspiré par
l'emblématique Auguste Comte, pour n'évoquer qu'eux ? Si
l'oeuvre de Jules Ferry (le Tonkinois... !) qui a servi à unifier la
Nation et à rependre de force -
au nom de l'universalisme - sa supériorité
culturelle chez "les peuples inférieurs" était devenu trop
obsolète79 pour une société
européenne qui encourage l'épanouissement de ses cultures
régionales ? Et que dire du système éducatif d'un pays
dont l'économie est imbriquée dans une
énorme toile d'araignée nommée
mondialisation ou globalisation ? L'histoire de l'Éducation
78 Plus soucieux de laisser des traces dans
l'histoire à travers les réformes qui porteraient leurs noms.
79 En dépit des "ré-formes" successives
qui ressemblent plus au lifting, aux changements des formes qu'aux
redéfinitions
de fond.
Nationale est pourtant émaillée des
ré-formes qui ressemblent plus aux modifications successives
des formes qu'à de véritables
redéfinitions en profondeur de l'institution. Nous ne
prétendons certainement pas posséder les réponses à
toutes ces questions, néanmoins, elles valent la peine d'être
posées afin que tous, collectivement, l'on s'en saisisse comme pistes
possibles à explorer.
Heureusement, après tant de siècles de domination
positiviste, des consciences s'éveillent grâce, entre autres
paramètres, à nos aînés.
B. Prise de conscience pour un changement
Reprenons la question de la vision analytique
cartésienne. Nous arrivons à une époque où le
monde scientifique commence à entendre les propositions sur
l'autre voie de production de savoir déjà évoquée
ci-dessus avec G. Vico et L. de Vinci.
Des exemples abondent sur les problèmes dus
à la méthode cartésienne. En plus de la
manière dont le chercheur observe son sujet/objet d'étude,
sa place constitue un problème en soi. En effet à trop
vouloir feindre d'ignorer l'implication intellectuelle (processus hautement
complexe dont on ignore encore une grande partie du fonctionnement),
affective (inscrite dans son choix, sa motivation), sociale (habitus et
diverses influences) et philosophique (fondement de son propre engagement) de
ses principaux acteurs, les sciences disons classiques drainent des effets
pervers pour infliger à l'Homme des problèmes plus graves encore
que ceux auxquels elles s'attellent. Signalons par ailleurs que
l'étouffant enfermement dans une hyperspécialisation,
cohérente avec ses principes généraux cependant,
n'aide pas non plus le cartésianisme. De la question
nucléaire aux catastrophes écologiques mettant en cause l'avenir
même de l'humanité, en passant par la puissance qui peut servir
d'arme à double tranchant de la génie génétique
(fantasme du libre clonage eugénique humain : pour quelle
finalité ?), il était urgent que la Science opte pour une autre
façon de procéder. Dès 1708 pourtant G. Vico80,
en publiant Discours sur la Méthode des Études de
notre Temps, a déjà lancé un sérieux
avertissement sur le caractère dangereux de l'érection du
cartésianisme en unique méthode scientifique qui prime. G.
Vico n'était pas le seul à nous mettre en garde contre toute
forme de cloisonnement analytique du savoir. De L. de Vinci aux nombreux
penseurs du vingt et unième siècle, la liste de ceux qui
enseignent les vertus scientifiques de l'ingénierie
systémique est longue.
80 Giambattista Vico, Né et mort
à Naples (1668-1744) : historien et philosophe italien. Entre
autre bibliographie :
Discours sur la Méthode des Études de notre
Temps (1708), Principi di Scienza Nuova.
Certes, le cartésianisme commence à faire
déchanter même ses plus ardents défenseurs.
N'empêche qu'il a montré les preuves de son efficacité au
moins pour la résolution de certains problèmes à
caractère exclusivement technologique. Là réside son
paradoxe. Il paraît donc prudent d'éviter de tomber dans le
manichéisme en adoptant la même attitude que ceux qui
ont érigé la méthode analytique comme
étant l'unique. Critiquer ne signifie pas nécessairement exclure.
Nous proposons, alors, de voir une autre méthode qui,
plutôt qu'opposée, inclut l'ancienne pour la dépasser.
II. Une vision plus globale et reliante
A. Changement de paradigme
L'hominisation a atteint ses caractéristiques
actuelles suite à une longue évolution depuis
l'apparition de la vie. Au départ furent, probablement,
des individus monocellulaires asexués. Au stade où nous
sommes, l'arbre du vivant se compose de diverses espèces
d'individus pouvant être composés de jusqu'à
plusieurs milliards de cellules différenciées. Entre les
deux, l'écart s'explique par d'infinis processus de
complexification adaptative, comme étant l'unique garant à la
fois de conservation et d'évolution. Ainsi, quel que soit
l'époque où le mot est apparu dans le vocabulaire pour rentrer -
il y a peu - dans le registre
des concepts, il est possible d'affirmer que la
"complexité" est vieille comme notre monde.
Un petit effort pour sortir des considérations
européocentristes - qui veulent que la science soit presque
uniquement celle qui s'est développée ostensiblement depuis
l'Occident -, il est possible, avec une petite gymnastique cognitive,
d'observer une autre manière d'appréhender le monde. C'est dire
que là où les dogmes du cartésianisme, grâce
à l'oralité81 ou à l'existence d'une autre
façon d'acquérir le savoir, n'ont pas pris racine, comprendre le
concept de complexité semble plus aisé et ressemblerait
surtout à une mise en mots, à un exercice de
définition, car le monde a toujours été pris dans
toute son irréductible globalité. Puisque la sagesse peut se
comparer au vent qui, surgissant de nulle part et à tout moment - pourvu
que les conditions de son émergence soient remplies -, ignore les
frontières, rien n'empêche d'envisager que dans toutes les
civilisations, toute personne non initiée, peu encline, sceptique ou
carrément
81 Facteur explicatif de la fragilité de ces
cultures mais aussi sa principale force face à la vicissitude de
l'histoire.
réticente au cartésianisme, perçoive
aussi les principaux phénomènes de la vie de
manière complexe.
Voilà pourquoi, après les
déterminismes et les certitudes positivistes qui ont atteint leur
amplitude maximale en plein milieu des Trente Glorieuses, la
progression d'un mouvement de pensée prônant une vision
plus globale des phénomènes marque à la fois une
nécessité absolue et une rupture. Une rupture ou, mieux,
une translation épistémologique qui mérite une
présentation rapide d'autant que notre travail s'inscrit volontiers dans
ce mouvement. Nous entendons par translation épistémologique
ce que T. Kuhn qualifie de "changement de paradigme"82.
J.-L. Le Moigne va plus loin en qualifiant cela de "tectonique des
paradigmes", faisant allusion à l'image de la tectonique des
plaques. Il s'agit de passer du positivisme au constructivisme.
L'importance d'un tel changement lui confère une place
incontournable dans une réflexion sur une partie du métier
des responsables de la préparation des jeunes pour affronter,
s'insérer dans, imaginer et construire ce monde en mouvement.
La science requiert d'abord une formulation constructiviste du
problème - au lieu d'admettre passivement que les problèmes
soient déjà formulés par la nature ou par ceux qui nous
ont précédés - ainsi qu'une vision
multiréférentielle débouchant sur une meilleure
modélisation et de résolution plus pertinente.
Cette recherche trouve donc son ancrage
épistémologique dans ce nouveau paradigme
dénommé, à juste titre, complexité. Ce qui
explique et justifie deux points qui s'imbriquent :
- La référence à des disciplines aussi
variées que la sociologie, l'anthropologie,
la psychologie cognitive, la gestion, les sciences de l'
ingénieur, etc. Non seulement la liste n'est
pas exhaustive, mais il n'y a ni ordre ni hiérarchie entre
ces disciplines. Nous ferons, comme cela
a été le cas tout au long de la partie
sur l'enracinement, appel à chaque branche des sciences selon le
besoin concret d'éclaircissement heuristique.
- La multiplication des paramètres explicatifs, avec
des rencontres propices à une meilleure co-construction, nous a
conduit à placer ce travail sous la conduite de deux
accompagnateurs issus de deux formations complémentaires,
évoqués en introduction. Ainsi, concrètement
pratiquée, la transdisciplinarité professée par G.
Bachelard, H. A. Simon, E.
82 Thomas S. Kuhn (1962), La structure des
révolutions scientifiques, Éd. Champs Flammarion.
Le paradigme peut être considéré
comme étant une façon d'appréhender le monde
avec le positionnement, la problématisation et la méthode
qui lui sont attachés.
Morin, J.-L. Le Moigne, etc. et découverte de
manière plus approfondie pendant la formation à
l'Université de Nantes, nous espérons que son assimilation n'en
sera que meilleur.
Quelle est donc cette vision complexe et
systémique, mieux appropriée pour observer et comprendre les
phénomènes aussi bien naturels que sociaux ? Quel est ce
paradigme assez heuristique pour supplanter le cartésianisme
triomphant qui règne dans l'ensemble de l'univers scientifique
occidental depuis des siècles ?
B. Appréhender la complexité
Le mot complexe vient du latin complexus,
c'est-à-dire, selon le Petit Larousse,
qui se compose d'éléments différents
d'une manière qui n'est pas immédiatement saisissable. Nous
pouvons compléter cette définition en précisant que
non seulement insaisissable dans l'immédiat, mais jamais
complètement non plus, du fait du caractère imprévisible
inhérent à sa nature. D'où l'émergence possible,
selon le contexte, des nouveaux évènements issus de
l'environnement pour influer le cours du système ; ou bien des
évènements issus du même système qui reviennent
en boucle récursive l'influencer ; peut être même les deux.
Un système complexe est donc, par définition, un système
que l'on tient pour irréductible à un modèle fini
(J.-L. Le Moigne, 1999)83. Par conséquent, il
n'est pas question d'une quelconque déterminisme
qui permettrait une prédiction totale, fut-ce avec le plus
puissant des processeurs mathématiques.
Mais une précision s'impose. Notre expression
"inhérent à sa nature" ci-dessus,
n'a rien à voir avec l'idée de "né
avec la Nature". La complexité est une nature
délibérément attribuée par l'observateur au
modèle par lequel il appréhende un phénomène,
un objet. Pour décrire la complexité, l'outil fondamental
se nomme système, c'est-à-dire : enchevêtrement
intelligible d'actions interdépendantes dotées d'un projet
commun. Le système, toujours selon J.-
L. Le Moigne84, exprime la conjonction de deux
perceptions antagonistes : un phénomène que l'on perçoit
dans son unité, sa cohérence, son projet, et ses interactions
internes entre composants actifs dont il constitue la composition
résultante. Ainsi, autonome depuis 1975, la systémique, pour
rester sur l'excellente définition de J.-L. Le Moigne, est la science
qui fait son projet des méthodes de modélisations des
phénomènes par et comme un système en
général. Ce paradigme,
baptisé Ingénierie Systémique, se
veut, contrairement au cartésianisme, projectif car "la
83 Jean-Louis Le Moigne (1999), La
modélisation des systèmes complexes, Paris, Dunod.
84 J.-L. Le Moigne, Ibid.
méditation de l'objet par le sujet prend toujours la
forme du projet" (G. Bachelard)85. Quant à
l'ingénierie, il s'agit, selon G. Vico, de "cette étrange
faculté de l'esprit humain qui est de relier...Il a
été donné aux humains pour comprendre, c'est-à-dire
pour faire"86.
C'est donc ce paradigme qui fonde, en plus du choix de notre
sujet, le maillage théorique construit en vue de sa meilleure
compréhension ainsi que notre posture de chercheur. Nous l'avons
souligné à propos de la vie sur terre dont
l'évolution va de pair avec la complexification. C'est pourquoi, en
accord avec D. Genelot, nous suggérons que les dirigeants doivent "se
doter des méthodes de pensée qui leur permettent à la fois
d'inventer le progrès et d'en limiter les effets pervers"87.
Cela suppose l'adoption de stratégies interdisciplinaires afin de mieux
gérer la complexité. Une telle conclusion explique la nature de
cette partie qui se veut un engagement civique dans cette culture
épistémologique avec une meilleure adoption de
"l'obstinée rigueur" plutôt qu'un simple exposé
théorique88. Ainsi sera aussi exprimée,
concrètement, la reliance permanente entre le faire et le savoir
théorique pour mieux produire des nouveaux savoirs qui
amélioreront, à leur tour, les pratiques. Et le spiral vertueux
de la reliance action-savoir produit la transformation, l'amélioration,
l'évolution des pratiques justifiant par du concret l'apport des "ruses
de l'intelligence" ou "métis" (E. Morin) au service de la recherche-
action.
C. Un projet de recherche reliant
En homme d'expérience, directeur
d'établissement, puis de formation et de recherche, C.
Gérard a très tôt compris la proximité de
notre sujet de mémoire avec sa préoccupation du moment : la
prise de fonction des jeunes directeurs. De là, il s'est proposé
de diriger cette recherche. Ce qui convient bien à notre
objectif d'associer deux orientations de recherche en même temps. Il
en découle une collaboration fort stimulante dans la mesure où
l'on s'exprime avec le même langage : celui des sciences de
l'éducation. La contextualisation de la recherche, partie la plus
délicate89 et la plus longue à travailler -
proportionnellement au temps moyen nécessaire investi à chacune
des parties - a vu le jour et atteint son stade de maturation
85 "La complexité appelle des
stratégies interdisciplinaires et donc le redéploiement des
sciences d'ingenium" in l'éditorial
de La Lettre Chemin Faisant, n°38 du mars 2001,
p.2.
86 Idem.
87 Dominique Genelot (1992), Manager dans la
complexité, Paris, Insep. Éditions, p. 37
88 Puisque sur le plan théorique, ouvrages et
auteurs de grande qualité abondent à l'image de H. A. Simon, D
Schön, E. Morin, J. de Rosnay, F. J. Varela, J. L. Le Moigne...
89 Qui m'a coûté cher du fait de la
nouveauté de l'exercice de dévoilement de soi et de
justification
grâce à la souplesse de nos interactions au
cours desquelles le sentiment de pouvoir mener librement une recherche a
entouré ce travail.
Toutefois, en disciple - pour une fois un peu plus conforme -
d'E. Morin, il nous a toujours semblé cohérent de
procéder à une reliance entre les sciences et les hommes.
Notre formation s'intitule "Direction d'Établissement ou Organisme de
Formation". Elle se situe bien au carrefour entre les sciences de
l'éducation et de la gestion d'entreprise. Et notre sujet de
mémoire parait être un excellent lien qui pourrait
faire se réunir ces deux disciplines convergentes autour d'une
même formation.
Nos interrogations, au départ issues des
différentes expériences successives relatées dans les
enracinements, se sont d'abord stabilisées sous la formulation "quelles
stratégies
à mettre en oeuvre par la direction ou l'équipe
de direction pour fédérer une équipe
hétérogène autour d'un projet ?" Or, au fur et
à mesure de nos lectures, la stratégie a apparu comme
un concept trop délicat à manipuler pour qui ne l'a pas
suffisamment approfondi auparavant. Le risque semblait être la
manipulation très superficielle d'un concept que même
certains spécialistes redoutent. Plutôt qu'un repli
tactique, la prudence permet, dans ce cas, de se prémunir
contre le sentiment de conduire un travail sans enthousiasme ni
implication qui aboutirait à un résultat insipide, respectueux
des procédures et des formes mais qui ne dégage rien qui
satisfasse personne. Une rencontre imprévue servira cependant de
catalyseur stimulant pour débloquer cette hésitation.
Étant stagiaire à l'IAE de Nantes, nous
avons vécu d'innombrables faits inattendus, notamment la rencontre
avec un professeur. Il se trouve que celui-ci, J.-P. Bréchet, en plus
d'avoir été directeur de l'IAE de Nantes et
président du réseau des IAE de France, est
spécialiste en stratégie des organisations. L'un des conseillers
du président, il a été engagé dans
la conception du projet d'établissement de
l'Université de Nantes en tant que coordinateur. Il se pose des
questions autour de la mise en adéquation des
intérêts particuliers des composantes avec les
préoccupations transversales et générales d'un
établissement universitaire ainsi que leurs expressions dans un document
commun. Plusieurs échanges et discussions franches entre nous
ont abouti à une décision de collaborer dans un
cadre de recherche universitaire classique où le professeur dirige,
accompagne, guide le travail de l'étudiant. L'attraction
entre deux préoccupations convergentes s'est incarnée dans une
reformulation, chemin faisant, du sujet.
Au final les interrogations de cette recherche se
résument en l'analyse du contenu d'un projet d'établissement
afin de découvrir son architecture générale des points de
vue stratégique, politique et pragmatique.
Ainsi, ce travail a fait se rencontrer les intérêts
intellectuels de deux directeurs
de recherche avec celui d'un apprenti chercheur. Mais
par-delà les personnes, il relie aussi, espérons-le, pour
une longue collaboration, deux composantes de l'Université de Nantes
autour
de la formation des futurs responsables
d'établissements d'enseignement, de formation ou
socioéducatifs. La plupart des organisations pédagogiques
ayant participé à notre formation intellectuelle ont
été dominées par la culture de cloisonnement
disciplinaire. Ce qui engendrait
un affrontement avec notre inclinaison naturelle,
même sans y mettre le bon titre, à
l'interdisciplinarité. Un changement de cap a
démarré en premier cycle de psychologie où la
nature même de l'objet de savoir - la psyché - requiert
une base en biologie (morphologie, biologie cellulaire,
génétique), chimie organique, statistiques, sociologie,
anthropologie, pédagogie en même temps que toutes les
disciplines de la psychologie proprement dite. Les sciences de
l'éducation ont encore servi de tournant. Il a fallu attendre
l'arrivée à la Formation Continue de l'Université de
Nantes pour enfin apercevoir l'éloignement de l'horizon dessiné
par
la perspective systémique et la complexité.
Prendre conscience d'un tel retard et de tous les espoirs
proposés par un paradigme si heuristique procure l'envie de
l'explorer avec plus de liberté. Deux guides-accompagnateurs dans une
telle aventure intellectuelle tombent à point pour
un assoiffé de savoir toujours à la recherche de la
qualité.
Résumons en un schéma inspiré par
celui d'Y. Giordano (2003)90 cette démarche, afin
de dégager une vue d'ensemble synthétique de cette recherche.
Problématique
Articulation intérêts particuliers /
intérêts généraux
Objet théorique
Action collective
|
|
Évènement
Changement de présidence
Objet empirique
Le projet d'établissement
|
QUESTIONS DE LA RECHERCHE
Comment se déroule la conception d'un projet-contenu ?
Que contient un projet d'établissement ?
|
CADRE CONCEPTUEL
|
|
POSITION
DU CHERCHEUR
|
|
MÉTHODOLOGIE
|
|
|
|
Le projet
|
Immersion à l'intérieur de l'organisation
|
Approche compréhensive
Analyse de contenu
|
Figure 2 : Définition de la
démarche
90 Yvonne Giordano (2003), Conduire un projet de
recherche, Colombelles, coll. Management & Société,
éd. EMS.
Nous avons vu, pour conclure, que l'ancien paradigme
proposé, notamment,
par R. Descartes occupait encore beaucoup d'espaces
dans le monde scientifique. Mais il est temps aussi, malgré la
manière dont on a pu être formé, une bonne fois pour toutes
et de façon radicale, de réaliser "L'idéal de
complexité de la science contemporaine : restituer aux
phénomènes toutes leurs solidarités" (G. Bachelard,
1934)91.
Cet idéal de complexité présidera
toujours l'ensemble de nos réflexions pour mener cette recherche
dont nous allons aborder les fondements conceptuels dans le chapitre qui suit.
Sera alors traitée la notion de projet depuis
l'étymologie jusqu'à une tentative de
modélisation.
91 Gaston Bachelard (1934), Le Nouvel
Esprit scientifique, cité par F. Kourilsky (dir.) et al.,
Ingénierie de l'interdisciplinarité, p.129.
CHAPITRE 4
PROBLÉMATIQUE DE PROJECTION COLLECTIVE
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme12.png)
Quel dispositif pourrait servir à rendre possible
et organiser la mise en cohérence des interactions entre les
différentes compétences en vue de la recherche du bien
commun dans une organisation ? Autrement dit, dans sa quête de
performance, avec quel moyen une organisation peut-elle faire converger
des acteurs hétérogènes en vue de la construction
ingénieuse d'un avenir commun ?
Parmi les dispositifs possibles et mis en oeuvre, le projet
retient notre attention dans la mesure où, en tant que processus de
rationalisation et de construction, il a fait preuve d'une capacité
à fonder toute action collective réfléchie et
téléologique. Les personnes individuellement, les
entreprises, les associations, les établissements
d'enseignement - de primaire au supérieur - et socioéducatifs
en général se dotent d'un projet par nécessité
vitale, par obligation légale (pour certains) ou par
stratégie face à la réalité
concurrentielle92 (pour beaucoup). Plus encore, notre
société, constate à juste titre J.-P.
Boutinet93, est caractérisée par la mobilisation du
projet sous ses diverses acceptions. Pour un concept aussi omniprésent
dans les divers secteurs de l'activité humaine, le détour
par ses origines serait un moindre effort pour essayer de comprendre, ne
serait-ce que dans sa généralité, ce qu'il recouvre. Par
la suite, avant une tentative de définition, nous proposerons une
modélisation sur laquelle vont se baser les réflexions qui
pourront servir de balises dans la lecture des cas empiriques,
notamment les problématiques de l'action collective dans une grande
organisation comme l'université. Avant de plonger dans cette longue
réflexion, une précision pourra dissiper toute source de
malentendu éventuel sur la portée de ce chapitre. Bien
qu'au coeur même de notre étude, ce passionnant concept
recouvre de nos jours tellement de champs d'application qu'oser envisager d'en
faire le tour complet serait trop audacieux pour être crédible
dans un mémoire de Master. Ce qui suit n'épuisera donc
certainement pas le sujet. En revanche, nous tenterons de cibler quelques
angles d'approche qui puissent servir notre problématique de
recherche.
92 Même si d'aucuns abhorrent le
terme concurrence en le remplaçant par d'autres termes tel
l'émulation..., une confrontation compétitive ne peut pas
être exclue dans une activité où il n'y a pas de monopole
garanti par la puissance publique pour l'accès aux ressources.
93 Jean-Pierre Boutinet (2003), op. cit.
I. Notions fondamentales de projet
A. Les diverses origines du concept
Le maniement d'une notion très usitée dans
presque tous les domaines de l'activité humaine se
révèle souvent délicat. Le projet n'échappe pas
à un tel constat. Étant au fondement de la lecture des
phénomènes complexes (J.-L. Le Moigne, 1999),
considérer ces notions ouvre donc une voie qui mène vers la
compréhension d'un phénomène social tel que le devenir
d'une entreprise de formation. Nous prenons, par conséquent, une
orientation clairement ancrée dans la partie de la sociologie des
organisations et de la psychologie, qui se retrouvent dans les sciences de
gestion.
Il a été vu dans le repère
épistémologique combien la complexification itérative
du vivant était le garant fondamental de la
conservation, de l'évolution et, par conséquent, le facteur
explicatif de l'écart entre l'individu monocellulaire du
départ à l'homo sapiens d'aujourd'hui. Ce qui rejoint
exactement la thèse de J. Monod (1970)94 selon
laquelle les organismes vivants seraient des organismes à projet. Si
"le projet fait partie de cette catégorie de concepts, tel celui
d'identité, qui abondent dans notre culture langagière,
auréolés de positivité"
(J.-P. Boutinet, 2003)95, s'il va de pair avec le
développement du vivant jusqu' à l'artefact qu'est
l'organisation, son importance est alors sans conteste. Auquel cas, sa
circonscription s'impose.
Formuler le fondement théorique d'une telle notion passe
par une explication sémantique. Or, les fouilles successives à
travers les époques et les diverses activités humaines
ont permis de découvrir quatre vestiges dont la
reconstitution fait apparaître le profil d'un concept qui ne
cesse d'évoluer pour aboutir à son sens actuel. Ainsi,
"le concept de projet apparaît donc comme un concept instable
chargé des présupposés de la culture ambiante" affirme
à juste titre J.-P. Boutinet96, avant de
conclure qu'il nous obligeait à l'appréhender d'un point de vue
multidimensionnel.
Les quatre repères que sont l'architecture, la
pragmatique, la philosophie et la politique, ont apporté, chacune, leur
part de briques à l'édifice dans la constitution
généalogique
du projet. D'où l'intérêt de les voir
successivement même de manière synthétique.
94 Jacques Monod (1970), Le hasard et la
nécessité, Paris, Le Seuil in J.-P. Bréchet et A.
Desreumaux (2005), op. cit.
95 Jean-Pierre Boutinet (2003), op. cit., p. 14
96 Jean-Pierre Boutinet (2003), op.cit, p. 82.
1. Retour à l'étymologie
Projet vient du latin projicere signifiant
"jeter en avant" ; mot à connotation spatio-temporelle qui
implique un processus : lancer, à partir d'un point de départ,
vers un but situé en avant. D'où projectus (jeté
en avant) devenu projectile en français. L'ascendance latine directe
focalise l'attention de tous ceux se penchent sur cette notion. Nous
proposons de compléter celle-ci par un léger détour
hellénique97. En grec on se réfère plutôt
à proballein, jeter
en avant aussi. Mais au figuré proballein c'est
poser une question, devenu problèma en latin dont
le dérivé problématique occupe une place
considérable dans la façon de pratiquer la science.
Ainsi, du projicere à proballein,
se déduit un certain lien entre problème, questionnement
et projet. Schématiquement, une situation problématique
entraîne un questionnement dont la résolution fait appel aux
interventions possibles modifiant l'état actuel, pour l'amener, dans un
futur plus ou moins proche, vers un état plus bénéfique.
Dans une autre acception on peut aussi l'entendre au sens de mettre en avant
dans l'espace, comme par exemple
le balcon sur une façade. Cette dernière est
certainement issue de l'usage architectural.
Mais comme tout concept de vieille ascendance et
d'usage tous azimuts, le projet a connu, à travers les
siècles, des mutations et des mouvements sémantiques au
gré des paramètres contextuels des disciplines à
travers lesquelles il a été appréhendé. C'est
ainsi du projicere et proballein, le concept a connu
des apports de l'architecture, l'économie, la philosophie
politique, la phénoménologie et d'autres domaines plus
pragmatiques, pour lui donner les significations qu'il a prises en ce
début du XXIe siècle. Passons en revue quelques unes de ces
significations dont les différences paraissent être souvent une
question de nuances ou
de champ d'application. Pour autant, entre deux auteurs, deux
propositions de définition peuvent occasionner des débats
sémantiques car circonscrire, de manière rigoureuse et
universelle, un concept flou semble hors de portée des esprits
les plus brillants, à moins de se donner collectivement la
responsabilité d'y parvenir en effectuant un travail
interdisciplinaire et de longue haleine. Pour le moment, une telle
proposition ne fait pas encore partie du projet de nos scientifiques. Alors,
allons revisiter les différentes pensées des
différentes époques grâce auxquelles on peut mieux saisir
tout ce que peut renfermer l'idée de projection. De même qu'il
nous a fallu identifier nos enracinements et ceux du terrain de cette
recherche, il va falloir aussi
parcourir les différentes couches à l'origine du
concept.
97 Notre culture scientifique étant issue
d'une double racine gréco-latine, même si cela ne saute pas aux
yeux, aller
au-delà de l'évidence nous procurerait plus
d'informations heuristiques quand la tâche consiste à
remonter les origines de certaines notions.
2. Les différentes pensées
Au Quattrocento (Renaissance italienne), c'est avec la
construction de la coupole de l'église Santa Maria Del Fiore à
Florence par Filippo Brunelleschi, de 1420 à 1436, que l'architecture
marque son empreinte dans l'histoire du concept. F. Brunelleschi apporte
l'un
des premiers projets architecturaux, en dissociant dans le temps
le projet de son exécution. Ce
qui révolutionne réellement le métier
des bâtisseurs où l'architecte dirigeait le chantier en
décidant phase par phase.
L'univers pragmatique, quant à lui, aborde le
projet comme une anticipation instrumentalisée. Ce qui a donné
un vaste ensemble de techniques dédiées à
l'ingénierie de projet
de nos jours. Presque aucun domaine d'activité
collective humaine n'a intégré le concept dans
l'idée, au moins, que chaque secteur se fait de son métier. Cela
va du projet industriel de l'ère victorienne au projet de transfert
technologique du XXIe siècle ; du projet
d'aménagement d'un ouvrage de travaux publics au projet commercial
d'une entreprise mercantile ; du projet d'investissement en
équipement médical au projet de recherche
épidémiologique d'envergure internationale, etc. Bref, l'univers
pragmatique a contribué et poursuit sa contribution.
La philosophie quant à elle a nourri la notion de deux
manières :
- en associant le projet au progrès pour former le volet
collectif que constitue la philosophie politique matérialisée,
entre autres, par Émile ou de l'éducation (J.-J.
Rousseau,
1750) qui propose un véritable projet
éducatif censé être fondateur d'une
société peuplée de femmes et d'hommes meilleurs ; par la
suite Du contrat social (Rousseau, 1762) harmonise la cohabitation
entre eux. Il sera plus facile alors de mettre en oeuvre un Projet de paix
perpétuelle
(E. Kant, 1795) permettant de faire se communiquer en bonne
intelligence les nations.
- en s'associant avec la psychologie pour approfondir les racines
individuelles
de la projection. À commencer par J. G. Fichte qui, en
interprétant Kant, propose un idéalisme absolu où le moi
justifie l'existence du monde et son sens. À sa suite, plusieurs
générations de penseurs tels que le psychologue-philosophe
F. Brentano, le phénoménologue E. Husserl et
l'existentialiste J. P. Sartre ont théorisé en mettant l'individu
au centre du système avec l'intention projective.
Dans une perspective globale, le projet sociétal
traduit l'orientation qu'une société en mutation entend se
donner98, alors que les cultures et sociétés
industrielles valorisent le projet pour affirmer et assurer leur propre emprise
sur la nature et leur devenir. Mais la fin des
98 Alain Touraine (1973), Production de la
Société, Paris, Le Seuil, in J.-P. Boutinet (1993).
Trente Glorieuses s'est traduite par l'abandon de cette vision
sociétale et le repli vers des projets plus restreints porteurs de
microréalisations. Depuis, en Occident, de nombreuses industries ont
cédé la place à une économie basée, de plus
en plus, sur le service donnant ainsi une société dite
Postindustrielle. Celle-ci continue cependant à considérer
le projet comme une opportunité culturelle à saisir pour
quiconque (individu ou groupe) veut assurer une relative maîtrise de son
avenir face à la croissante complexification de tous les contextes
technologiques, économiques, sociaux et professionnels. Aujourd'hui,
depuis les adolescents au collège jusqu'aux adultes postulant
pour une formation, sans oublier les entretiens professionnels (de
recrutement ou d'évaluation) on demande aux individus de se projeter.
Quelque fois, on peut s'interroger tout de même sur la pertinence de
l'exigence, de la part de l'administration, imposée aux personnes en
grande difficulté sociale de justifier d'un projet bien
élaboré. Comme toute extrémité souvent, se servir
du projet comme d'un outil omni fonctionnel ("couteau suisse") pour
régler tous les maux risque de frôler l'absurdité.
Mais après cette généalogie
inscrite dans l'étymologie, l'architecture, la philosophie et la
psychologie, la suite de la démarche ne peut pas se dispenser d'une
réflexion qui tend vers une modélisation du concept projet.
B. Pour une modélisation du projet
1. Les processus de projection
Partant du principe de la non exhaustivité
d'explications possibles et afin de se prémunir contre toute tentative
de réification permettant une fausse maîtrise de la
représentation d'un fait ou d'un phénomène, la
modélisation s'offre à nous comme méthode
suffisamment rigoureuse tout en étant souple pour représenter de
manière plus dynamique la notion de projet. Les modèles sont, en
effet, des artefacts qui servent l'intelligibilité d'un système,
d'un phénomène complexe, puisque conçu a priori comme tel.
Par conséquent, ils porteront toujours cette part de
subjectivité, dû au point de vue du modélisateur, et cette
incomplétude qui ouvre l'horizon à la quête de savoir
qu'ils servent. Nous proposons, avant une tentative de définition,
quatre niveaux
de modélisation : la morphologie du projet dans
sa globalité ainsi que les trois parties indissociables que sont
les continuums du Fondement à la Finalité, de l'Existant au
Contenu et le passage du Contenu au Produit. À la fin, une
représentation de l'ensemble situera mieux les interactions des
détails avec la globalité du projet dans sa dimension
spatiale, temporelle et organisationnelle.
Comme toute modélisation, caractérisée
par une incomplétude inhérente à son rôle de
représentation, celle-ci reste toujours ouverte à des
enrichissements en fonction de la réalité empirique ou
théorique à représenter et des objectifs visés par
le modélisateur. À l'image
du modèle archétype d'un système
complexe (J.-L. Le Moigne, 1999)99, le projet peut se
présenter progressivement dans sa complexité croissante. Ce qui
suit se présente alors comme le début d'un chantier ouvert et
dynamiquement perfectible.
Enfin, reprenons l'excellente pensée selon laquelle :
"On a toujours cherché des explications quand c'était des
représentations qu'il fallait s'efforcer d'établir, des
modèles sur lesquels on puisse travailler, comme on travaille sur une
carte, ou l'ingénieur sur une épure, et
qui puisse servir à faire." (P. Valéry,
1942)100. En effet, outre la fonction de représentation, les
modèles ont ceci de plus par rapport à toute
théorie : ils favorisent la simulation, qui autorise l'essai et
erreur, et l'ajustement au plus près de l'optimum ou du meilleur
compromis des effets recherchés dans les interventions sur un
phénomène donné. De ce fait, ils peuvent constituer une
aide précieuse à la conceptualisation comme à l'action.
a. Morphologie générale du projet
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme13.png)
Direction
Politique
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme14.png)
Anticipation opératoire
Ingénieur
Pragmatique
Conception
Réalisation
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme15.png)
Figure 3 : Perspective du projet
contextualisé
99 Jean-Louis Le Moigne (1999), pp. 58-64
100 Paul Valéry, 1942, Cahiers, 1, p.
854 in François Kourilsky (dir.), 2002, Ingénierie de
l'interdisciplinarité. Un nouvel esprit scientifique, Paris,
L'Harmattan, p. 36.
Ce premier schéma traduit, à peu de chose
près, notre proposition de définition
(cf. p.90) dans la mesure où, contextualisé au
milieu de trois repères - organisationnel, spatial et temporel, le
projet donne ici à voir un profil en perspective formé par
l'acteur (au centre) entouré dans chaque pointe du triangle par
l'un des inséparables éléments du trinôme
Direction, Conception et Réalisation. En effet, parler de projet
implique aussi d'évoquer la notion de stratégie. Or, dans la
perspective stratégique proposée par E. Friedberg et M. Crozier,
l'acteur est
au centre du "jeu". Une telle perspective ne suffit toutefois pas
à percevoir exactement toutes les facettes de la morphologie complexe de
ce concept. Posons un moment notre regard sur le plus
de surfaces possibles en faisant le tour du projet.
Alors, puisqu'il se trouve au centre, commençons par identifier
l'Acteur.
Une remarque s'impose tout de même. Dans cette
étape de la réflexion, nous ne sommes plus dans une exploration
des théories mais bien sur un essai d'observation empirique. Avant toute
théorisation, observons simplement cette entité,
décrivons-la pour nous l'approprier puisqu'elle foisonne dans notre
quotidien sans qu'il soit très commode de l'appréhender. Parfois
même, des professionnels scandent haut et fort leur attachement
au projet, le leur ou celui de l'une des organisations desquelles ils
font partie, alors qu'ils s'embourbent rapidement dans une confusion totale de
signification avec un simple but ou un objectif quelconque.
modèle.
Commençons alors par nous demander qui est cet Acteur au
centre du premier
L'Acteur
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme16.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme17.png)
Politique
Ingénieur
Pragmatique
Figure 4 : L'Acteur et sa triple fonction
En se focalisant cette fois-ci, uniquement, sur des projets
sociaux, l'acteur est vite cerné puisqu'il s'agit d'un ou
plusieurs individus humains qui s'emploient à construire un futur
censé améliorer partiellement ou totalement leur présent.
Souvent utilisé au singulier, dans
la plupart des passages où il a été
question de lui avant ce paragraphe, l'acteur peut être - vu plus haut -
individuel ou collectif. Puisqu'il est question ici d'un projet d'une
grande organisation, notre Acteur ne peut être logiquement que
collectif, alors que l'acteur sera individuel.
Cet Acteur collectif versus collectif d'acteurs se
présente sous forme d'un triangle bordé, sur chaque sommet,
par un attribut correspondant à un ensemble de compétences
fonctionnelles complémentaires des deux autres en face. L'Acteur
est à la fois politique, ingénieur et pragmatique. Une
explication pour chacune de ces "casquettes" conviendra dans
l'immédiat. Bien que doté, chacun, d'une fonction
spécifique, il ne manquera pas, à un moment donné du temps
projectif, d'y avoir un espace commun résultant des domaines
particuliers de ces trois acteurs.
L'Acteur Politique est celui qui suscite, propose et
porte le projet à bras le corps. Il est celui qui conduit, qui
donne la direction. Or dans la direction, on peut entendre une question de sens
qui se décline en trois possibilités : sens en tant que valeur
axiologique, sens pour une orientation et, pour finir, la sémantique.
L'Acteur Politique serait alors celui qui bat la mesure, tel un chef
d'orchestre, en harmonisant un ensemble, souvent
hétéroclite, à l'aide des valeurs communes et des caps
communs reliés par la communication.
La conception reste une étape incontournable d'un bon
projet qui fait appel à de multiples compétences. Le processus de
conception du projet d'établissement de l'Université de Nantes a
permis de constater trois grands types d'opérations qui
intervenaient régulièrement jusqu'à l'édition de
l'ouvrage : consultation, arbitrage et décision. Deux figures
(Figure 15 : "Projetmètre", et Figure 12 : Modèle
tridimensionnel du projet) dans le chapitre 6 consacré au
projet-ingénierie illustrent la prépondérance et
l'alternance de ces trois opérations au cours de la conception. Quoi
qu'il en soit, tout acte de conception nécessite, exige de
l'ingéniosité au sens de l'ingenium d'Aristote et de G.
Vico. Ce qui sous-entend imagination, inventivité, intuition et
liberté créatrice. Voilà pourquoi nous qualifions
d'ingénieur l'Acteur de tels actes.
L'Acteur Pragmatique, quant à lui, désigne
l'ensemble des acteurs impliqués concrètement dans la mise en
oeuvre des contenus du projet, les transformant en réalité
physique
ou organisationnelle palpable et mesurable. Il se charge des
opérations élémentaires qui relèvent
de la pragmatique dans la réalisation de ce qui a
été conçu par l'Acteur ingénieur.
Ainsi ont été décrites trois
catégories d'Acteurs qui peuvent l'être séparément,
mais qui peuvent ne former qu'un. Un groupe d'acteurs restreint est susceptible
de se voir chargé
de l'ensemble de toutes les différentes phases de
la projection, de la première interrogation devant les constats
sur l'existant (diagnostic, audit, examen...) jusqu'à la mise en
disposition,
pour usage, de l'ouvrage final. Il arrive aussi qu'une partie
plus ou moins vaste de ce processus
soit sous-traitée ou confiée à une
autre équipe plus compétente dans un domaine d'expertise
donné. Souvent aussi, des contraintes environnementales
imposent à l'Acteur de passer impérativement par des
experts accrédités car ainsi en ont décidé
les législateurs. Exemple, actuellement, le recourt au service
d'un architecte est obligatoire pour toute construction d'un
bâtiment de plus de 170 m². Plaçons maintenant cet Acteur au
centre de l'ensemble d'éléments
qui constituent le projet afin d'avoir une vue globale.
Le projet : vue globale
FONDEMENT
(Mission)
Direction
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme18.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme19.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme20.png)
Politique
FINALITÉ
(Objectif)
Ingénieur
Pragmatique
EXISTANT
(Diagnostic)
Conception
CONTENU
(Modèle)
Réalisation
PRODUIT
(Résultat)
Figure 5 : Morphologie générale du
projet
Le contour octogonal en pointillés symbolise la
délimitation institutionnelle, géographique et temporelle du
projet. Il est en pointillés car bien que formellement et
matériellement circonscrit, le projet n'en est pas moins sujet
aux influences réciproques avec l'environnement au milieu
duquel le tout, de la conception au "produit" final,
évolue interactivement. En effet, le lendemain de la date qui marque
l'aboutissement, la fin du projet, après une phase d'évaluation,
ce Produit sort du cadre projectif pour devenir l'existant venu pour
améliorer ou innover l'existence organisationnelle. Le projet est donc
un système ouvert, dans un cadre non hermétique d'où
il sortira, après évaluation et d'éventuelles
rectifications, tel un système cybernétique, pour faire place
à des successeurs.
L'Acteur, apparent ou pas, sera toujours situé
délibérément au centre, pour éviter tout
débat de même nature que celui qui cherche à identifier la
primauté de l'oeuf sur la poule (ou l'inverse), dans la mesure
où, bien que philosophiquement démontrable dans plusieurs
cas de figure, nous optons pour un point de vue plutôt
factuel, voire matérialiste, comme départ. Dans cette
perspective, les idées, les valeurs sont issues de l'esprit de l'acteur
ou d'autres acteurs
qui l'ont précédés et dont il prolonge, en
quelque sorte, l'existence. Ainsi, nous considérons toute organisation
comme, au départ, l'oeuvre d'esprit exprimé par la parole d'un
groupe humain.
Quant à la forme et la disposition des contours des
cinq éléments que sont le Fondement, la Finalité,
l'Existant, le Contenu et le Produit, deux idées méritent
l'attention. La ponctuation rejoint partiellement la première
description ci-dessus. La forme s'explique par l'idée
de la direction vers l'avant, l'avenir, c'est-à-dire le
jet. À chaque fois, les éléments s'imbriquent puisque le
passage du Fondement à la Finalité, par exemple, restera
toujours un continuum à jonction floue. Le recours au
découpage artificiel seul offre une fausse netteté de rupture
dans ce continuum. Seule la découverte du mécanisme du
passage de l'un à l'autre éclaircira cette relation. Tous
les éléments impliqués sont liés à
l'ensemble dans un mouvement général d'interactions
(attraction, répulsion, construction, réaction,
feed-back, etc.) dignes de la thermodynamique du noyau de la terre qui,
grâce au contact avec l'atmosphère, se termine par une
orogenèse ou autres manifestations tectoniques qui peuvent aussi
être discrets.
Outre l'Acteur agissant au coeur du système, les
éléments constitutifs du projet
se présentent en cinq grands membres
inséparables, articulés solidement les uns aux autres et
groupés en trois pôles pour former deux dimensions fondamentales
interconnectées : la première dimension se confond avec le
pôle idéel du Fondement à la Finalité ; la
seconde dimension regroupe le pole conceptuel de l'Existant au Contenu, et le
pôle praxéologique allant du Contenu
au Produit. Sur le plan humain, la liaison entre deux pôles
est assurée par une première activation
par l'Acteur du mécanisme de "division constituante"
lacanienne, c'est-à-dire la séparation entre
le Sujet et l'objet de son désir. Le projet-contenu
endosse ainsi le statut de résultante scripturale à
la fois fédératrice et prolongement de
l'Acteur (toujours collectif ici) dont le contexte de conception postule
une éthique de conversation101.
Chronologiquement, notre réflexion correspond
à toute la durée de la conception du Projet-contenu. En
l'occurrence, pour le cas de l'Université de Nantes, la période
allant de la prise de fonction officielle du nouveau Président
(qui marque le démarrage de la phase préparatoire)
à la date du dernier vote du Conseil d'Administration qui a
abouti à
101 En l'absence de l'éthique de conversation,
il n'est plus question de projet collectif mais d'un projet individuel
imposé aux autres directement ou par des ruses que seuls les
mégalomanes confondent avec l'intelligence.
l'adoption du nouveau Projet d'établissement, soit
environ 6 mois et demi. En somme, la liaison entre la dimension idéelle
à la dimension matérielle, qui s'est déroulée
dès la première décision d'entamer la démarche,
s'est poursuivie pendant toute la durée de la conception
coopérative, jusqu'à l'obtention de l'artefact
présenté sous forme de document final d'une centaine de pages. Il
serait plus juste de dire document charnière plutôt que
final dans la mesure où la suite de l'opération prendra
racine, principalement, à partir de ce contenu.
Lors du passage du Contenu au Produit, les acteurs
réactivent la "division constituante" à travers la
coopération dans la mise en oeuvre qui succède
nécessairement la conception (pour un projet abouti)102. Ce
découpage, quelque part artificiel, ne doit jamais faire perdre de vue
qu'un projet est toujours un processus de conception fondé,
finalisé et porté par son acteur. Et que plié en deux
symétriquement, dans le sens de la longueur, ce modèle
dit "morphologie générale du projet" offre une
représentation plus fine de ses deux côtés :
Côté pile : - le continuum
Fondement-Acteur-Finalité (Projet politique). Côté face : -
le continium Existant-Acteur-Contenu (Projet ingénierie),
- le continium Contenu-Acteur-Produit (Projet pragmatique).
Ce schéma relate aussi l'implication de la
stratégie dans le projet et vice versa, comme ceci : pour transformer
les missions en objectifs, l'entreprise élabore des stratégies ;
de même, la stratégie générale peut se
décliner en un ensemble de différents projets, procédures
et dispositifs techniques avec allocation de moyens, pour éviter le
statut de simple leitmotiv. À quel moment la politique
intervient-elle ? Se confond-t-elle avec la stratégie ou bien
forment elles, ensemble, un mécanisme dont les rouages
s'emboîtent tellement que la distinction en devient ardue, voire
confuse ? Espérons qu'avant le point final de ce travail, nous
aurons quelques prémices de réponses à toutes ces
inévitables interrogations. Ou bien, qu'en parcourant les cent et
quelques pages de ce volume, les lecteurs parviennent à
apercevoir les silhouettes desdites réponses.
Dispositif de gestion parmi d'autres, non seulement le projet
s'agrège à d'autres systèmes avec lesquels il est
interconnecté, mais il est aussi, telle une poupée russe,
surmonté d'un autre système dont il est issu ou qui le
contrôle. Ce dernier, à son tour, obéit au
même mécanisme, et ainsi de suite jusqu'à un
système dont la modélisation semble atteindre ses limites :
la volonté humaine, son affect et son ingéniosité. Quel
que soit le développement des théories et instrumentations
neuroscientifiques au point de parvenir à établir la
cartographie
102 Car un projet peut aussi avorter, cela reste
toujours un projet.
exacte des réseaux neuronaux, cette part de
l'Humanité constituera longtemps encore une source
de contingences dans tout système organisationnel. C'est
peut-être mieux ainsi.
Notons enfin que puisqu'il s'agit d'un système ouvert,
le système projet s'auto- organise, certes, mais
s'hétéro-organise aussi à partir des aires de
contact avec son environnement où son système de contraintes
se confronte avec ceux du son milieu. Autrement,
il pourrait s'auto-suffire de manière absolue.
Or, soutenons que toute organisation humaine absolument close risque
à terme l'implosion et la dégénérescence et sera
donc non viable. Une telle remarque met en perspective ce travail bien qu'il se
concentre uniquement sur une partie de cette part auto-organisée dans
lequel nous allons revenir en examinant successivement les trois pôles
évoqués ci-dessus.
b. Projet-politique : du Fondement à la
Finalité
FONDEMENT
(Mission)
FINALITÉ
(Objectif)
Direction
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme21.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme22.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme23.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme24.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme25.png)
Politique
Ingénieur
Pragmatique
Conception
Réalisation
Figure 6 : Projet politique
D'abord, plutôt que du Fondement, parlons de la
Mission qui en est la traduction plus matérielle. "La loi
n° 84-52 du 26 janvier 1984 assigne au service public
d'enseignements supérieurs quatre grandes missions : la formation
initiale et continue, la recherche et la valorisation de ses
résultats, le développement de la culture et la diffusion des
connaissances, la coopération internationale." Ainsi sont clairement
résumées, à la page 22 de son Projet
d'Établissement 2004-2007, les missions de l'Université de
Nantes.
La Finalité est "de faire de l'Université
de Nantes une université publique et multidisciplinaire de
dimension européenne" (Projet d'établissement 2004-2007, p.41)
avec, en plus, le renforcement de son hégémonie régionale.
Cette finalité se décline ensuite en plusieurs objectifs concrets
et opérationnels tout au long du reste de l'exposé.
Symbolisons, dans notre modèle, le mécanisme et
les processeurs du passage entre le fondement et la finalité par trois
graphiques ovales sous forme de menhir. Ces éléments ovales
représentant les opérations restent vides car là commence
une interrogation qui ouvre une voie de recherche intéressante. En
effet, comment passe-t-on du Fondement à la Finalité ? Est-ce une
question d'évidence, d'automatisme, d'intuition, de mécanisme
procédural bien précis ? Ou bien ce subtil passage est-il plus
d'ordre philosophique que matériel ? En évoquant les missions
et les objectifs, a-t-on tout dit sur cette étape ou,
simplement, le problème est-il momentanément évacué
afin de pouvoir avancer ? Pour l'heure, répondons
affirmativement à cette dernière question.
Nous choisissons d'inclure l'Acteur Stratégique dans
l'Acteur Politique tant les subtilités de distinctions
précises entre les deux tendent plutôt à surligner
notre manque de bagage théorique à ce propos qu'à
nous aider dans la description de ce sous-système "Projet
politique". Or, "il ne peut y avoir de projet sans une stratégie
à moyen ou à long terme de la direction. Cette
stratégie constitue à côté de la culture une
donnée avec laquelle il faut compter
[...]" (J.-P. Boutinet, 2003, p.243). Si l'Acteur politique
procède au passage du Fondement à la
Finalité en terme des principes identifiant et
véhiculant des valeurs de l'organisation, le stratège
lui transforme les missions en objectif précis en
choisissant ce dernier, puis en y allouant des moyens. Par ailleurs, la
conception et l'activation de la stratégie - entendue comme
l'allocation
des ressources nécessaires à la mise en
oeuvre d'une politique issue d'une projection dans le devenir à
moyen ou long terme - articulent les fondements d'un projet avec sa
finalité. Une telle articulation, opérée en amont de la
conception du Produit, constitue en soi une problématique dans la
vie d'entreprise. D'abord délicate, elle peut, en tenant compte des
imprévus, endosser la responsabilité de son avenir
existentiel. De plus, la complexité de cette articulation
suscite de multiples interrogations : de quelle manière, sous quelle(s)
forme(s) s'exprime la stratégie dans le contenu d'un projet ? La
stratégie suffit-elle, seule, à être le rouage de cette
articulation ou en est- elle uniquement la composante la plus manifeste ?
L'une des difficultés qui font obstruction dans la
tentative de répondre à ces interrogations peut venir aussi
du fait de l'ambiguïté de ce que renvoie la représentation
que l'on
se fait de la fonction Direction de l'Acteur-Politique.
Lever un tel brouillard revient, soit à plonger dans une longue
polémique, soit, et tel est notre choix, à fixer quelques traits
marquants
de la signification que nous lui attribuons. Ainsi, l'on
attend par Direction, cette fonction dans une organisation (entreprise,
école, association, etc.) à qui revient la charge de donner du
sens à l'ensemble. Trois sens distincts mais complémentaires
peuvent être distingués : l'orientation (vers
où tendre, le cap à fixer), la signification
(sémantique, langage de communication) et la valeur
(axiologie) dont est porteur toute activité humaine.
Ces trois sens suffisent-ils pour procéder au
passage du Fondement à la Finalité ? La question reste encore
en suspens. Toutefois, à défaut de savoir, ce modèle
permet à tout novice dans la fonction de direction d'agir. L'action,
l'agir en apprendra certainement plus et,
par conséquent, procurera des éléments
de réponse pertinents à nos interrogations. S'attarder
ainsi un peu sur ce point apporte davantage d'éclairage
sur l'Acteur-Politique.
SIGNIFICATION
(Sémantique)
VALEUR
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme26.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme27.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme28.png)
(Axiologique)
ORIENTATION
(Cap)
3 SENS
Direction
Figure 7 : La Direction et ses 3 sens
Une idée semble se dégager, intuitivement, de ce
modèle de projet-politique :
du Fondement à la Finalité, il existe une
continuité dont la découverte du mécanisme suppose un
projet de recherche qui lui soit entièrement consacré. Cette
proposition permet, du coup, de poser comme hypothèse l'idée
selon laquelle la stratégie ne serait qu'une simple composante
manifeste
de ce mécanisme. Pourquoi alors cette
prégnance, dans une vie organisationnelle, au point d'engendrer
toute une palette de spécialités (stratégie,
management stratégique, etc.) ? Cette prégnance se justifie
du fait de son poids dans le système de pilotage d'une
organisation. En effet, gérer "le nez dans le guidon" en se laissant
submerger par le quotidien, sans aucune vision
à long terme, revient à prendre le risque
de s'engouffrer dans un impasse, de se heurter frontalement aux
impératifs concurrentiels ou tout simplement de s'essouffler sans
atteindre son objectif faute d'avoir mesuré la distance et les
différentes étapes à parcourir. Plus
concrètement,
en matière de formation, l'absence de stratégie
risque d'aboutir à former des citoyens certes bien cultivés, mais
incapables de devenir des leviers du développement parce que l'absence
de vision
des ingénieurs pédagogiques et des
formateurs les aurait rendus inadaptés à la vie
socioéconomique. L'analyse du contenu des projets
d'établissement ou d'entreprise aiderait certainement à
esquisser des éléments de réponse quant à la place
qu'occupe la stratégie dans ce type de document.
Puisqu'elle fait partie des incontournables leviers
actionnés par les acteurs du gouvernement d'une entreprise comme d'un
établissement de formation, comment alors se forme
la stratégie ? "Si les interactions sont sources
de conflit, elles sont également l'occasion de
négociations, de consensus, d'échanges entre les diverses
représentations que les acteurs ont de leur organisation, de son
environnement, de sa mission, de ses moyens d'action. Ces
représentations font partie intégrante de la stratégie de
l'organisation, ce sont elles qui alimentent
le processus de décision sous-jacent à
l'élaboration de la stratégie", répond avec pertinence S.
Ehlinger (n.d.)103.
Une conception naturaliste du projet autorise à comparer
celui-ci à une faune
ou une flore qui, à la fin de son cycle de
vie, se fait souvent succéder par une ou d'autres
générations qu'elle a engendrées. La même
métaphore aide à signaler que le projet cohabite avec d'autres
projets au sein d'une même organisation et à ses environs ; il
succède à d'autres et il sera précédé par
d'innombrables suites de projets tant qu'existe un acteur pour le porter.
Aussi, dans nos sociétés post-modernes, ils se reproduisent et
cohabitent pour préserver, perpétuer et parfaire une
organisation qui peut être vue comme un méta projet ou
système de/à projets. Le projet d'établissement
pourra alors être perçu comme un sous-système
en soi. Sur le plan méthodologique, une telle conception
pourrait aussi servir de grille de lecture de la vie
organisationnelle. Ce qui peut se montrer très intéressant pour
appréhender la problématique de
la modernisation de la gouvernance d'une université
à l'heure où sa survie face à la concurrence
et au contexte de mondialisation/globalisation exige de
lui de l'innovation, de l'autonomie de gestion et de
l'ingéniosité plus fertile dans une intelligence collective bien
orchestrée.
D'autre part, parler de fondements et de
finalités signifie évoluer dans un univers axiologique. Telle
ou telle mission pour quelle finalité ? Telle ou telle finalité
pourquoi ? Sur quelles valeurs reposent notre métier de
médiateur de savoir, d'accompagnateur à l'apprentissage,
de facilitateur de formation et de conquéreur de savoirs ? Or, dans
l'univers de sens, des questions peuvent se succéder et se
succéderont à l'infini puisqu'une réponse
103 Sylvie Ehlinger (n. d.), "L'approche
socio-cognitive de la formation de la stratégie :
apports théoriques et méthodologiques", Texte publié
au format pdf sur l'Internet par l'auteur, ATER, Docteur ès Sciences de
Gestion Université Paris-Dauphine - Centre de Recherche DMSP.
engendrera une nouvelle question, et ainsi de suite.
Chaque réponse amène néanmoins un meilleur
éclairage d'une facette de l'interrogation précédente.
Que les législateurs aient publié des
articles et des articles de lois indiquant noir sur blanc les missions
d'un établissement d'enseignement supérieur ou de n'importe
quelle école, n'empêchera pas des dissonances entre les
valeurs décrétées, les valeurs comprises, les valeurs
souhaitées et celles portées par chacune des parties prenantes du
système éducatif. De là
les malentendus et confrontations des valeurs
contradictoires dont les règles de dialogue, en revanche, ne se
décrètent point. Or, c'est justement à ce point de
collision des valeurs que naît le problème éthique versus
problème moral. Chacun possédant sa conviction, en faire valoir
coûte que coûte conduirait droit vers l'intégrisme et
la violence qui ne devrait trouver place dans aucune
société. L'éthique de conversation (J. Habermas,
1981)104, surmonte ce danger en favorisant l'écoute,
l'explication, la compréhension réciproque - sans
forcément gommer la dissymétrie interpersonnelle
inhérente à la vie sociale (grade, fonction,
responsabilité, etc.) - ainsi que le dépassement des
contradictions dialectiquement ou dialogiquement (E. Morin) selon
le sujet. Enfin, la mise en oeuvre de cette instance
d'échange constructive, souvent ad hoc, incombe à la
responsabilité (H. Jonas, M. Weber) de chaque interlocuteur,
animée, orchestrée
par le directeur105, le manager, le responsable du
groupe. C'est ce que nous qualifions d'éthique
de direction qui, conformément à la
pensée de P. Ricoeur, doit évoluer dans un contexte
favorable dit "institution juste".
Sans avoir à chercher très loin, le terme
même de mission suffit pour provoquer l'incompréhension entre
des membres d'une communauté éducative qui est si
hétérogène. L'ambiguïté de ce mot
abondamment usité dans l'univers religieux en constitue l'une
des explications. Mais elle n'en est pas l'unique. Cependant, la notion de
laïcité, valeur hautement structurante du système
éducatif et de la société française toute
entière, incarne parfaitement l'esprit de cette "institution juste".
Quels que soient les grades, le tempérament, les convictions
personnelles (privées) et la tendance politique de chacun, quant au
sujet de la mission et de la finalité d'un établissement
d'enseignement ou éducatif, il devrait toujours être
possible de concevoir ensemble par le dialogue, à partir des
textes fondateurs, des valeurs fondamentales
républicaines, un futur collectif souhaité.
104 J. Habermas, 1981, Théorie de l'agir
communicationnel
105 Nous avons tenté de modéliser la
notion d'éthique de direction qui, précisons le, n'a rien de
moralisant mais plutôt une posture sous forme de
méta-système favorisant la vie sociale et le
dénouement des noeuds axiologiques dans une organisation
composée d'acteurs hétérogènes.
Ainsi, l'objet "Projet d'Établissement 2004-2007"
de l'Université de Nantes résulte d'une longue conception
coopérative entre différents niveaux et catégories
d'acteurs mettant en oeuvre le passage du fondement (missions) à la
finalité (objectifs) d'un projet collectif
à caractère probablement à la fois
existentiel, axiologique et technique. Ces trois caractères se dessinent
dans le Projet-contenu dont la conception fait intervenir une phase
incontournable d'une vie de projet. Il s'agit du passage de l'Existant au
Projet-contenu par la conception.
c. Projet-ingénierie : de l'Existant au
Contenu
Direction
Politique
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme29.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme30.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme31.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme32.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme33.png)
Ingénieur
Pragmatique
Arbitrage
Conception
Réalisation
Décision
EXISTANT
Expression
(Diagnostic)
CONTENU
(Modèle)
Figure 8 : Projet ingénierie
L'évolution de la mission vers l'objectif passe par l'un
des stades intermédiaires
qu'est le passage de l'Existant au Contenu. L'existant
étant le présent qui, pour un individu, intègre
l'ensemble de son histoire du passé lointain au futur proche.
Il en va de même pour l'organisation, à ceci près :
l'existant d'une organisation peut être manié à
travers les données formalisées par le diagnostic, l'audit ou
l'état des lieux. C'est à partir de l'Existant que démarre
alors le travail de conception du projet-contenu. En considérant
toujours un acteur collectif, cette conception engage une coopération
impliquant des acteurs hétéroclites. Dans le cadre du Projet
d'établissement de l'Université de Nantes, le
processus a été passé par quatre types de
processeurs humains effectuant quatre types d'actions : l'expression,
l'arbitrage, la décision et la rédaction.
Concevoir collectivement suppose l'expression d'un grand
échantillon représentatif de la population totale.
Théoriquement en tout cas, car la réalité dépend de
l'identité
des acteurs et du mode de management en vigueur. Or, l'expression
du plus grand nombre prend aussi une forme de groupement d'idées
truffées de contradictions. Au-delà de
l'incompatibilité
des divers intérêts particuliers, l'abondance
des besoins entraîne une nécessité impérieuse
"d'élaguer" pour des impératifs purement économiques,
certes, mais suivant certaines règles pour éviter par la
même occasion de "tuer l'arbre". D'où l'entrée en action du
processeur "Arbitrage"
qui est censé intégrer comme paramètres,
outre toutes les règles du jeu, les intérêts
supérieurs communs sans léser les particuliers. La question
cruciale consiste alors à savoir comment ou par qui, avec combien de
personnes, doit être composé ce processeur d'Arbitrage ? Pour une
grande organisation, une personne, fut-ce un acteur doté de
compétences unanimement reconnues et omniscientes, peut-elle
s'octroyer seule une telle fonction ? Auquel cas, pour des projets
techniques, la multiplicité des spécialités en jeu dans
une quelconque innovation technologique
est devenue telle que l'ingéniosité et
l'efficience des solutions retenues risqueraient fort de produire une
qualité médiocre, donc économiquement non rentable. Pour
des projets à caractère plus politique ou existentiel en
revanche, un arbitre unique plongerait la vie organisationnelle dans un
fonctionnement anti-démocratique tel que, même dans un
système de management bureaucratique très pyramidal, le risque
est d'aboutir au mieux à une fissure de la cohésion de
l'équipe, au pire à son implosion. L'équilibre requiert
alors une équipe d'arbitrage qui n'élude pas
la confrontation entre les intérêts particuliers et
les intérêts communs - au bénéfice des uns ou
des autres - mais, au contraire, dont l'intelligence collective
favorise la recherche des compromis
les plus rentables. Une telle démarche ne peut faire
l'économie d'intenses communications entre l'équipe de projet et
l'ensemble constitutif de l'organisation, ne serait-ce que pour information,
afin que les résultats de l'arbitrage fassent sens pour l'ensemble.
Ainsi, ce dernier participe à la progression du projet. Il en va de
même pour l'organe décisionnel qui doit être
constitué d'acteurs légitimes et représentatifs. Le
titre "Ingénierie du contenu" (Chap. 6) illustre ce
sous-système avec le cas de l'Université de Nantes.
Une fois ces trois processeurs (expression, arbitrage,
décision) techniquement, économiquement et
démocratiquement constitués, le travail de conception,
faisant passer l'existant (éléments de diagnostic et le
contexte) au contenu, peut se dérouler dans une progression
optimale avec la plus grande probabilité d'aboutir à un
résultat favorable.
Mais le projet-contenu est loin d'être un
aboutissement. Il peut être qualifié simplement de cahier
de charge pour le projet purement technique. Dans le projet à
caractère existentiel d'une organisation, il intègre à la
fois des grandes valeurs philosophiques, des visées politiques et des
expressions stratégiques d'un futur qui attend des actions pour
le faire se
transformer en faits. En plus des grandes idées, il peut
aussi contenir une gamme de décisions
(prises, à prendre), règles et procédures
plus concrètes indispensables au déroulement des actions
de mise en oeuvre. Il va jusqu'à comporter des
descriptions si précises de certaines actions concrètes,
aux propos purement ornementaux du type affirmation positive ou
politiquement convenable mais tellement floue et qui n'engage à rien,
que nul ne peut le contredire, ou bien des leitmotivs qui servent à
motiver les acteurs directs ou partenaires à divers titres du projet.
Outre
sa fonction de noyau référentiel qui fait
converger autour de lui la majorité, à défaut
d'être la totalité des parties prenantes, il s'agit d'un outil de
communication et de négociations pour des actions concrètes.
Celui de l'Université de Nantes joue ce rôle :
- En interne, par le biais des Plans d'Actions
Prioritaires (PAP) à caractère transversal et des Protocoles
Internes d'Actions (PIA) avec chacune des composantes.
- En externe, par les Pactes de Progrès Concertés
(PPC) négociés en vue des mises en oeuvre, dans une relation
partenariale, avec les collectivités territoriales.
- Mais aussi dans ses relations avec la superstructure
ministérielle, tutelle et bailleur principal, pour la
négociation du Contrat Quadriennal de Développement (CQD),
c'est-à- dire le financement des programmes d'actions importants.
Notons que cette partie rédactionnelle constitue une
part importante du projet, mais ne peut toutefois pas en être la
totalité dans la mesure où elle se matérialise par un
volume écrit de discours. Or, le discours n'équivaut pas
toujours à l'action bien que la parole fasse exister. Ce
discours, une forme communication, est aussi à l'origine de la
stratégie dans la mesure où il peut servir, de par ses modes
d'expression, à faire passer les orientations choisies
par l'Acteur-politique, à qui incombent les
décisions stratégiques. Il va falloir alors passer
à l'acte, à la mise en oeuvre du Projet-contenu qui est
à la fois un modèle, un plan, un mode d'emploi, une
maquette, des règles de références communes. Elle
sert alors de noeud de convergence de toutes les parties prenantes qui,
outre les règles, affiche les valeurs partagées qui sous-tendent
l'identité même de l'établissement ou l'entreprise.
Ce qui permet d'éviter le mythique phénomène "Tour
de Babel". Une fois que le volume rédigé a reçu
l'adhésion de la majorité, sa mise en oeuvre peut
démarrer suivant le calendrier, les règles
(spécifiques, particulières et générales) et
la coordination prévus à conjuguer avec les
imprévus, les contingents.
En somme, l'idéal-type du projet-contenu comporte, au
minimum, les valeurs
revendiquées de l'entreprise, ses missions, les
éléments de diagnostic, ses objectifs avec
d'éventuelles descriptions des résultats attendus,
les différentes règles de fonctionnement et,
le dernier élément mais pas le moindre, les
moyens que l'Acteur se donnent pour agir
concrètement. Mais pour dépasser le stade du
souhait, l'allocation des moyens (techniques,
économiques et organisationnels) doit être
clairement définie tout comme les modalités
d'évaluation finale.
Encadré 2 : Idéal-type d'un
projet-contenu
Dans ce schéma, nous confondons,
délibérément, les dispositifs d'évaluation dans
le bloc Diagnostic.
|
Valeurs
|
Acteur
|
Règles
|
|
Missions
|
|
Diagnostic
|
|
Moyens
|
|
Objectifs
|
Échéancier
|
Figure 9 : Idéal-type du
projet-contenu
Qui dit structure de base, dit aussi le minimum
nécessaire pour qu'un projet soit crédible et puisse aboutir
à son terme, quelles que soient les difficultés et les
éventuels ajustements nécessaires en route. Si l'un de ses
éléments constitutifs manque, le projet claudique.
d. Projet-pragmatique : du Contenu au Produit
Direction
Politique
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme34.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme35.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme36.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme37.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme38.png)
Ingénieur
Pragmatique
Conception
Réalisation
CONTENU
(Modèle)
PRODUIT
(Résultat)
Figure 10 : Projet pragmatique
En tant qu'objet dynamique, le projet recouvre un
ensemble qui va de la conception à son évaluation finale, en
passant par la mise en oeuvre. Dire d'un chef d'entreprise qu'il communique
son avant-projet afin de collecter les apports de ses collaborateurs,
renvoie déjà à l'image où il transmet un
contenu, fut-ce à l'état embryonnaire. Cette dimension
révèle donc une dynamique permanente entre les différents
stades de vie de l'objet, l'ensemble d'actions
qui oeuvrent à le faire advenir et son contenu. Ce
dernier peut être la matière même opérée par
la mise en oeuvre comme, par exemple, la formation du personnel
recruté par la nouvelle usine Nissan-Renault de Valenciennes
destinée à la construction commune d'un modèle de
véhicule ;
ou bien la définition du plateau-recherche
réunissant les équipes de conception des deux firmes.
Il peut aussi s'agir d'un document contractuel consignant,
décrivant et formalisant les valeurs, les différentes
règles décisionnelles ainsi que les modalités techniques
de ce processus. Le document intitulé "Projet d'Établissement
2004-2007" produit et diffusé par l'Université de Nantes en est
une illustration.
L'acteur, vecteur de projet, est rarement isolé.
Le projet s'articule dans les interactions, au moins entre un individu et
d'autres ; plus souvent entre différentes logiques au sein d'un
collectif, ou entre plusieurs collectifs. Qualifier un projet d'individuel ou
de collectif suppose non pas l'unicité ou la multiplicité de son
acteur mais l'existence d'un système individuel relativement autonome
en interaction avec autrui ou pas. Un projet individuel serait alors
un projet fondé sur des logiques individuelles mais qui, pour
sa réalisation, ne pourra qu'être confronté aux
différentes logiques environnantes afin de s'ajuster aux
contraintes exogènes auxquelles il doit s'adapter. Il en va de sa
richesse et de son réalisme. Sans quoi, il ne peut y avoir de projet.
De même dans un projet collectif, il n'est pas rare de voir
une dimension individuelle. L'initiateur et l'épaule sur lesquels
repose la conception collective peuvent être un seul individu ou un
très petit groupe, formé pour des motifs purement individuels.
Dès lors, "Il n'est pas plus de projet séparé ou de fins
particulières que d'action solitaire. Faire sien un projet, c'est en
faire l'objet d'une réappropriation seconde quant à la
part que l'agent a prise à sa réalisation et que les autres
lui consentent. Projeter c'est anticiper une action où je suis
engagé avec autrui, une action qui doit être conjointe si
elle veut être réalisable." (F. Jacques, 1982,
p.210)106. Dans tous les cas, le passage d'une
décision initiale au Produit (document, objet, service,
état) active des suites de coopérations dans une co-conception
suivie d'une réalisation ou mise en oeuvre. C'est ce que les Italiens
désignent par le progettazione. Puis, l'aboutissement par
la concrétisation de l'objectif annonce la fin du
projet. L'oeuvre ainsi réalisée quitte le domaine projectif,
après son évaluation et d'éventuels correctifs, pour
appartenir désormais à un autre registre, celui de
l'existant. Le cordon qui l'attachait à l'acteur peut désormais
être coupé ou, tout
au moins, change de nature.
Il sera intéressant de conclure par un regard plus global
du projet pour, plutôt que provoquer une redondance avec la Figure
5 : Morphologie générale du projet, vient la
compléter en l'observant depuis un autre point de vue.
106 In Jean-Pierre Boutinet (2003), Anthropologie
du projet, Paris, PUF, p. 282
e. Modèle fonctionnel et tridimensionnel du
projet
Tous ces différents modèles successifs peuvent se
résumer, afin d'être lus d'un seul trait, et posés dans les
trois dimensions organisationnelle, temporelle et spatiale.
Modèle fonctionnel
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme39.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme40.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme41.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme42.png)
Direction
Fondement
EXISTANT
CONTENU
PRODUIT
Finalité
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme43.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme44.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme45.png)
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![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme48.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme49.png)
Décision
Arbitrage
Expression
Conception
Réalisation
Figure 11 : Modèle fonctionnel du
Projet
Modèle tridimensionnel
Espace
Finalité
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme50.png)
Direction
PRODUIT
Politique
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme51.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme52.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme53.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme54.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme55.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme56.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme57.png)
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![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme59.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme60.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme61.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme62.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme63.png)
CONTENU
EXISTANT
Fondement
Ingénieur
Décision
Arbitrage
Conception
Pragmatique
Réalisation
Expression
Organisation
Temps
Figure 12 : Modèle tridimensionnel du
projet
Le projet ne peut donc consister à être un simple
dispositif ; ce n'est non plus ni une simple méthode de création,
de planification, ni un algorithme prêt à l'exécution mais,
plutôt,
un modèle évolutif de réponses,
conçu pour être matérialisé. La modélisation
d'une telle "entité" difficilement saisissable favorise de toute
évidence une meilleure compréhension, grâce à
des vues de ses multiples facettes et ses multiples composants interactifs.
Enfin, cette modélisation du projet, vu sous
différents angles, et conclue par ce dernier constat, nous accompagne,
pour terminer, vers une tentative de définition.
2. Une tentative de définition
Parler de "tentative de définition" revient à
reconnaître la difficulté, si ce n'est l'impossibilité
à fixer une formulation unique, suffisamment précise et
complète du projet comme concept. Il existe en effet un
foisonnement de définitions suivant le domaine d'application,
le métier ou le champ disciplinaire dans lequel les auteurs
s'inscrivent. Plutôt que
des débats contradictoires entre différents
auteurs, se concentrer sur des points communs et complémentaires
contribuera mieux à retenir le sens général et
plus opérationnel. Une étude sous-tendue par la recherche d'un
outil, d'une voie, d'une méthode facilitatrice de la
fédération d'une équipe hétérogène
autour d'un projet, garantirait donc mieux sa cohérence en
choisissant
les définitions plutôt convergentes et
complémentaires. Pour ce faire, trois groupes d'auteurs nous
serviront de guide : les généralistes (J.-P.
Boutinet, L'Association Francophone de Management de Projet), les
penseurs du projet d'entreprise (J.-P. Bréchet, A. Desreumaux, M.
Crémadez) et ceux du champ socioéducatif (P. Lefèvre,
J.-C. Becker et al., J. Ardoino).
Diriger un établissement ou organisme
socioéducatif suppose d'abord de rappeler que nous entendons par
formation, toute action visant à conduire un être humain à
partir d'un état cognitif, affectif, socioprofessionnel vers
un autre. Ce qui englobe l'éducation
spécialisée, l'enseignement et la formation professionnelle.
Qu'il soit public, associatif ou à but lucratif, un établissement
de formation, a fortiori un établissement d'enseignement
supérieur de
la taille d'une grande université, possède
quelques caractéristiques fondamentales communes à toute grande
organisation. Par conséquent, faire appel aux auteurs ayant pensé
le projet dans un contexte d'entreprise comme à ceux ayant plus
orienté leur regard vers une organisation de formation revient
à nier toute tentative d'une confortable suffisance d'une discipline par
rapport à d'autres. Faire travailler, faire dialoguer des
réflexions sur l'enseignement supérieur avec celles issues des
entreprises constitue un choix qui se veut contraire à toute posture
sectaire107 afin de se situer plus au carrefour des disciplines
complémentaires telles que les sciences de l'éducation, de
la gestion et même de l'économie. Bref, "la
nature flou du concept" (J.-P. Boutinet, 2003)108,
légitime l'approche transdisciplinaire pour mieux
l'appréhender109.
107 Illustrée souvent par une
archaïque querelle de chapelle incarnée par certains
acteurs-penseurs - souffrant de problèmes d'ego - qui s'insurgent
à la moindre évocation des sciences autres que les leurs, quand
bien même ils sont les premiers à prêcher
l'interdisciplinarité. Heureusement, tous n'ont pas la même
réaction. Car il arrive souvent que l'on éclaire mieux une
problématique en s'outillant des concepts issus des autres
disciplines.
108 Jean-Pierre Boutinet (2003), Anthropologie du
projet, Paris, PUF, p. 292
109 Une telle démarche nous éloigne du
confort intellectuel que nous aurions pu avoir en se contentant des
frontières imposées par une discipline. Mais elle offre, au moins
une possibilité d'une expérimentation formatrice.
Définitions généralistes
Du point de vue anthropologique, à la fois approfondi et
ouvert, le projet peut
se définir comme étant une représentation
opératoire, "un compromis entre le souhaitable et le possible" (J.-P.
Boutinet, 1992)110. En quittant la généralité,
l'auteur poursuit dans un volet plus existentialiste, psychologique puisque
"chaque homme, pour vivre, a besoin d'un projet qui le porte en avant
et donne une dimension à son existence, sinon il en découle une
absence de futur,
le vide et l'inquiétude." Et enfin, "Apte à
désigner les nombreuses situations d'anticipation que suscite notre
modernité, le projet n'en reste pas moins cette figure aux
caractères flous exprimant
à travers le non-encore-être, pour reprendre
l'expression de E. Bloch, ce que les individus recherchent
confusément, ce à quoi ils aspirent c'est-à-dire le sens
qu'ils veulent donner à leur insertion momentanée, aux
entreprises qu'ils mènent." (J.-P. Boutinet, 2003)111.
L'Association Francophone de Management de Projet, quant
à elle avance, de façon plus pragmatique, que "Le projet
est un ensemble d'actions à réaliser pour satisfaire un
Objectif défini, dans le cadre d'une mission précise, et
pour la réalisation desquelles on a identifié non seulement
un début, mais aussi une fin".
Dans une perspective plus globale encore, "le projet,
c'est tout d'abord une intention philosophique ou politique, une
visée affirmant des valeurs en quête de réalisation
; c'est seulement ensuite, la traduction stratégique,
opératoire, précise, déterminée, d'une telle
visée" (J. Ardoino). Une telle conception donne au projet une
double face indissociable, composée d'un côté d'une
source de valeurs (projet visée) complétée par un
côté plus technico- économique (projet programmatique).
Le "projet visée" est central : "...c'est l'idée
même de "valeur" (au sens philosophique et non économique du
terme) qui spécifie le mieux le projet [...] porteur de
significations, plus soucieux, finalement de signifiance que de
cohérence". "Tout à l'opposé, le projet programmatique
[...] se définit avant tout par sa rigueur, par son exactitude,
par sa consistance logique et, le cas
échéant, par sa référence à une
réalité qui en permet la possibilité, sinon la
probabilité ou la faisabilité. Un tel projet est
essentiellement technique,
quand ce n'est pas technocratique." (J. Ardoino,
1984)112.
110 Jean-Pierre Boutinet (1992), Anthropologie du
projet, Paris, PUF, page 231
111 Jean-Pierre Boutinet (2003), op. cit. p. 16.
112 Jacques Ardoino (1984), "Le projet", Revue
POUR, n° 94, mars - avril 1984.
Définitions issues de la gestion
De véritables préoccupations sur la
gestion stratégique ont abouti à la
conception de la notion de projet productif (J.-P.
Bréchet, 1996)113 comme au fondement de l'entreprise et
de toute organisation à finalité de production de biens ou de
services, avec trois dimensions : éthico-politiques en jeu dans l'action
collective orientée vers la recherche du bien commun ;
technico-économique, c'est-à-dire grandes missions ou besoins que
l'entreprise réalise
à travers le choix du métier
approprié ; et praxéologique de par les aspects
structurels et d'animation par lesquels le projet se déploie dans le
temps et l'espace. "On peut ainsi retenir que tout projet d'organisation
combine un projet politique, un projet économique et un projet
d'action." (Bréchet, Desreumaux 2005)114. Ces dimensions
interdépendantes constitutives du projet le définissent
à la fois. Pour certaines entreprises à activité non
répétitive (M. Crémadez,
2004)115, il est nécessaire de fonder
l'organisation sur le concept projet qui se définit comme un processus
original de création conçu pour répondre
spécifiquement à la demande d'un client.
Dans le même sens, "Le projet est
constitué par la synthèse des grandes priorités
économiques et sociales que l'entreprise se donne ; il indique les voies
et moyens pour parvenir à ce qu'elle a la volonté
d'être", proposent encore L. Boyer et N. Equilbey dans leur
ouvrage paru en 1986116.
Définitions issues du champ socioéducatif
Sans prétendre à l'exclusivité de
l'usage du terme, la notion de "projet
d'établissement" renvoie de prime abord au projet des
établissements socioéducatifs et médicaux.
Un regard rapide sur les résultats d'une requête
dans le meilleur moteur de recherche sur Internet montre immédiatement
cette tendance d'appropriation du terme par ces secteurs d'activité bien
délimités, corrélée par une surabondance de
réponses. L'idée de rechercher une définition toute
prête à adopter nous confronte aussitôt à un
foisonnement de nuances dont l'extraction de l'essentiel risque de
s'apparenter à un fastidieux démêlage de pelotes qui
n'a rien d'aussi romantique que l'aventure de Pénélope
en attendant Ulysse. Cependant, se pencher sur l'abondante
littérature, en retenant deux ou trois définitions dont
la résultante puisse servir de repère et, par
conséquent, donner une certaine représentation de la notion,
donnera d'excellentes
références sur ce sujet.
113 Jean-Pierre Bréchet (1996), Gestion
Stratégique. Le développement du projet d'entreprendre,
Paris, Eska.
114 In Jean-Pierre Bréchet, Alain
Desreumaux (2005), "Le projet au fondement de l'action collective ",
Sociologies
Politiques, n° 10/2005, p.129.
115 Michel Crémadez (2004), Organisations
et stratégie, Paris, Dunod.
116 Luc Boyer, Noël Equilbey, (1986), Le
projet d'entreprise, Paris, éd. d'Organisation, in Bernard
Dobiecki, (1998), Diriger une structure d'action sociale aujourd'hui, Paris,
ESF, p. 73.
Dans l'univers des organisations sociales et
médico-sociales, P. Lefèvre propose une définition
assez longue mais suffisamment large pour couvrir une bonne partie des
multiples facettes du phénomène. "Le projet
d'établissement est une élaboration dynamique des objectifs
d'action sociale et médico-sociale fixé par une institution au
regard de sa philosophie,
de ses missions et ses choix stratégiques, pour
répondre le mieux possible aux besoins des usagers et aux
attentes de l'environnement et des partenaires. Le projet est un
contenu traduit dans un écrit ou un ensemble de documents
à destination interne et externe, c'est aussi un processus de
réflexion et de mobilisation interne des acteurs professionnels
salariés et bénévoles, usagers et partenaires. Le
projet d'établissement constitue une référence
institutionnelle qui définit une plate-forme contractuelle, il peut
être décliné en projets de service ou programmes. Il
est régulièrement évalué afin
d'analyser les écarts et de proposer des réajustements (P.
Lefèvre,
2003)117.
"Le projet d'établissement est un
référentiel, un "produit spécifique" qui s'inscrit
dans un contexte territorial et temporel, et qui se veut aussi prospectif. Il a
vocation à constituer la "pièce d'identité" de
l'établissement ; à lui servir de support promotionnel et
de communication ; à permettre le contrôle et
l'évaluation des prestations servies ; à
fédérer l'ensemble des professionnels et à faciliter
le pilotage de l'établissement" (J.-C. Becker et al.,
2004)118.
J.-P. Obin, comme d'autres auteurs, a aussi
proposé des descriptions fort instructives du projet
d'établissement scolaire. Or, un établissement
universitaire n'est comparable ni à un lycée, ni à
un foyer d'éducation spécialisée, et encore moins
à une école primaire. C'est la raison pour laquelle nous ne
faisons que donner à voir ces définitions119 afin de
nous concentrer plus sur la problématique de l'enseignement
supérieur qui semble se rapprocher davantage d'une entreprise de
prestation de service que d'une école primaire.
Mises ensemble et bien réorganisées, toutes
ces définitions se complètent et peuvent offrir une vue
générale un peu plus éclairante pour identifier ce qu'est
le projet.
117 Patrick Lefèvre, (2003), Guide de
la fonction de directeur d'établissement dans les organisations
sociales et médico-sociales. Paris, Dunod, p. 200.
118 Jean-Claude Becker, Claudine Brissonnet,
Bruno Laprie, Brice Mañana, (2004), Projet
d'établissement. Comment le concevoir et le formaliser, Paris, ESF,
p. 34.
119 Pourtant, notre intérêt pour les
établissements médico-sociaux et socioéducatifs se passe
de justification car la première partie consacrée à
l'enracinement de cette recherche l'a longuement illustré. Mais, le
terrain de ce mémoire reste l'université et, par ricochet,
l'enseignement supérieur. Ce passage furtif de l'autre
côté du système éducatif marque surtout une
reliance, même très symbolique, entre l'éducation
spécialisée et l'éducation nationale qui peinent
à communiquer. Parvenir à établir un pont
entre les deux sera pourtant une source d'efficacité dans nos
métiers.
Enfin, nous suggérons de définir le projet comme
étant un système génétique
finalisé d'anticipation opératoire
procédée par un acteur (individuel ou collectif) à l'aide
du
trinôme direction/conception/réalisation,
à partir de valeurs, de désirs et de
données
concrètes, dans un cadre singulièrement
contextualisé par des contours organisationnels,
géographiques et chronologiques. L'acteur lui-même
est un projet en soi. D'où la récursivité
de son rapport avec son projet, caractérisé
par des transformations réciproques de chaque
partie. Pour une organisation évoluant dans un
contexte incertain, le projet est à la fois
modèle évolutif d'un devenir à construire,
réducteur d'incertitude et mobilisateur des forces
vives par la création de règles, de sens pour des
intérêts communs.
Encadré 3: Définition du projet
Le Projet-ingénierie activé dans la
conception pour passer de l'Existant au Contenu sous-tend un autre sujet
qui, certes, n'apparaît pas de manière flagrante sur ce
modèle, mais dont la prégnance pèse lourd dans toute
projection collective. Il s'agit de la problématique
de l'action collective à travers la coopération
et la divergence des intérêts. De manière théorique,
allons découvrir cette question qui permettra d'avoir une
meilleur lecture des différentes articulations en jeu dans
l'université française.
II. Le projet dans l'action collective
A. Une problématique de l'action collective
1. Question de coopération
Un groupe, une équipe, une organisation ont à la
base, au moins, l'agrégation d'individus comme dénominateur
commun. Certes, chaque individu peut entreprendre la
réalisation de son propre projet. Mais étant par nature
limité, nul ne peut se suffire à lui seul. Alors, là
où la capacité individuelle s'arrête, commence la
coopération. Quand la coopération permanente et durable
s'avère impérative, la naissance d'une organisation n'est pas
très loin. Cela revient à dire que chaque complexification de
l'activité, en fonction des ressources individuelles,
du degré d'outillage, de connaissance et de moyens
économiques, pousse à la coopération. Celle-
ci existe depuis la nuit des temps ne serait-ce que
pour des raisons de lutte pour la survie. Vraisemblablement, peu de
domaines d'activité humaine échappent à la
possibilité voire à la
nécessité, à un moment
donné, de l'unification des ressources et des actions
finalisées. L'éthologie fournit aussi une infinité
d'illustrations qui étayent cette thèse chez tous les animaux
grégaires. Pour autant il ne s'agit en rien d'un automatisme qui ne pose
pas de difficulté.
La coopération peut se définir comme étant
le processus d'actions collectives
par lequel des sujets oeuvrent ensemble pour le(s) même(s)
objectif(s), au-delà des limites de la possibilité de l'action
individuelle, dans la réalisation d'un besoin. Ce que J.-L. Soubie, F.
Burato
et C. Chabaud120 expriment, à
partir d'une synthèse pluridisciplinaire par "une
activité coordonnée visant à atteindre un objectif commun
aux agents coopérants et pour laquelle le coût spécifique
de la coordination est inférieur au bénéfice de celle-ci
dans la poursuite de l'objectif". Personne, par exemple, n'aurait jamais
pu élaborer seul ces centaines de pages du projet
d'établissement de l'Université de Nantes tant l'ampleur
de la tâche est grande sur le plan politique. La
coopération, dont la mise en oeuvre lui confère un
caractère processuel, implique une relative dépendance et une
complémentarité entre les participants. Elle peut être
volontaire, spontanée, consentie ou négociée (Boyer et
Orléan, 1997)121. Notons que bien qu'il n'y ait qu'une
modalité de définition qui soit présentée ici, la
littérature sur la coopération en connaît autant de
variété que de modalités. Toutefois, il est
possible de considérer l'existence de deux grandes formes
significatives :
- La Coopération dite "autonome" (Romelear, 1998)
est née pour s'achever avec le début et la fin de la
production commune d'une valeur. Pour ce faire, les acteurs
s'agrègent autour d'un projet en développant un
référentiel commun.
- La Coopération comme moyen stratégique (M.
Crozier et E. Friedberg, 1977,
1993) pour le contrôle de sa zone d'incertitude en vue de
l'accession à des ressources par des négociations et des
échanges.
Dans la pratique, ces idéaux-types composent, dans des
proportions variables, toute entreprise vue comme système de
coopération (C. Barnard, 1938). Néanmoins, la
coopération autonome focalise notre attention dans la mesure où
elle devient de plus en plus un enjeu managérial (par exemple, G. de
Terssac et E. Friedberg, 2002). La conception d'un projet
d'établissement ambitieux est une affaire de coopération
où se joue un savant dosage entre coopération autonome et
coopération stratégique. D'où l'importance, à
plusieurs titres, d'élucider
120 Jean-Louis Soubie, Florence Burato, Corinne
Chabaud, (1996), "La conception de la coopération et la
coopération dans
la conception", in Gilbert de Terssac, Erhard Friedberg (dir.),
(2002), Coopération et Conception, Octares Éditions,
p.189.
121 R. Boyer, A. Orléan, (1997), "Comment
émerge la coopération ? Quelques enseignements des jeux
évolutionnistes", p.
19-44 in B. Reynaud, (1997), Les limites de la
rationalité, Colloque de Cerisy, éd. La
Découverte.
la problématique de l'action collective à
travers la divergence des intérêts avant de rapporter
celle-ci dans le cas plus précis d'un établissement
universitaire.
Mais il est temps de s'interroger sur ce qu'est le projet
d'établissement tant de fois évoqué jusqu'ici. De
manière générale, la littérature abonde de
définitions de projet d'établissement. Mais il ne s'agit
que d'établissements d'enseignement préscolaire, primaire et
secondaire. Or, le décalage de préoccupation est
tel entre l'enseignement scolaire et l'enseignement supérieur
que ces données, malgré leur valeur certaine, ne peuvent
être d'une grande utilité pour éclairer notre
problématique. Alors, plutôt que de nous perdre dans
d'interminables spéculations pour justifier à tout prix
"l'introduction d'un taureau dans une cage réservée à une
brebis", intéressons-nous à un cas empirique dont l'exploration
pourrait réduire notre ignorance. Autrement dit, si le cas de
l'enseignement supérieur ne s'accommode pas du moule du secondaire,
il vaut mieux se focaliser sur la nature du projet de l'université.
De l'école primaire à l'université, le
projet d'établissement a trouvé sa place parmi les
principaux dispositifs de gestion étroitement associés à
la notion d'autonomie. Dès lors,
la tentation de le prendre comme un simple dispositif parmi
d'autres, peuple les esprits pour qui
la définition du projet d'établissement se
confond dans le brouillard des groupes nominaux tels que projet
pédagogique, projet éducatif, projet de formation, projet
individuel de l'apprenant, etc. Pourtant, l'une de ses caractéristiques
propres réside dans l'implication de toute la communauté
éducative ou universitaire dans son élaboration et sa
mise en oeuvre. Dans l'idéal en tout cas puisque tel n'est pas
toujours le cas. À l'instar des questions afférentes
à la pédagogie, la littérature abonde sur le projet
d'établissement jusqu'à l'enseignement secondaire. Ce qui est
loin d'être le cas pour celui de l'université. Pas
étonnant étant donné le caractère trop
récent de l'obligation légale de la démarche, dans
l'enseignement supérieur, qui n'a pas donné assez de recul
aux chercheurs. Cependant, le peu de recherches qui évoquent
le sujet, notamment les réflexions sur l'avenir de l'enseignement
supérieur, offrent suffisamment de pistes convergentes pour confirmer
le caractère stratégique de la démarche projet.
Nous nous limitons toutefois à l'étude des différentes
étapes de fabrication du contenu d'un projet d'établissement
universitaire. Dans cette oeuvre coopérative, nous discuterons aussi du
rôle joué par chaque groupe d'acteurs en interaction.
2. Divergence des intérêts
Discuter des notions de projet en oubliant la
stratégie, et vice-versa, équivaudrait à
décoller du tarmac dans le cockpit d'un monomoteur sans plan de vol ni
radio de bord puisque "la stratégie, si elle est faite de
projets, ne se réalise que dans le cours d'une
coexistence dynamique avec d'Autres qui sont toujours
à la fois des adversaires-partenaires" (Poirier, 1987, p.
73)122. "Le dialogue stratégique est à la fois orbi et
urbi. D'un côté il se joue avec les acteurs
extérieurs à l'entreprise, de l'autre il met aux
prises les membres de l'organisation."123 Ce "dialogue" qui
met aux prises les membres de l'organisation a été
étudié de manière complémentaire par M. Weber
qui a planté le décor, et par le duo M. Crozier et E.
Friedberg qui ont mis en évidence les mécanismes des
jeux de pouvoir, conséquence de la divergence des
intérêts et, par conséquent, de confrontations de
différentes rationalités.
Il est possible de distinguer quatre types de
rationalité humaine : rationalité traditionnelle,
rationalité affective, rationalité axiologique et la
rationalité téléologique. De cette rationalisation de
l'action humaine, l'auteur théorise l'existence des règles
rationnellement établies pour accéder au pouvoir. D'où,
aussi, la nécessité de la bureaucratie pour l'administration
de masse. Ce que le structuro-fonctionnaliste R. K. Merton a
étudié dans le sens inverse pour constater que "plus les
bureaucraties concrètes se rapprochent de l'idéal-type
wébérien (règles abstraites, hiérarchie
fonctionnelle, impersonnalité de la relation d'autorité,
etc.), plus des conséquences non prévues, sous la forme
de dysfonctions, de routines, paralysent l'activité de
l'organisation"124. La bureaucratie pure engendre donc des effets
pervers contreproductifs allant jusqu'à développer une
"personnalité bureaucratique" (R. K. Merton). Prenez le cas
d'une secrétaire de l'intendance, qui est chargée d'instruire les
dossiers de bourses des collégiens depuis
20 ans. Quelle ne fut pas la surprise d'un Conseiller
Principal d'Éducation lorsque celle-ci renvoya un jour un
élève en grande difficulté sociale, qu'il lui a
confié, faute de dossier complet. L'élément manquant ?
L'avis de non-imposition d'une mère bénéficiaire de
Revenu Minimum d'Insertion depuis une dizaine d'années ! Et comme
argument, la secrétaire, de bonne foi, montre
à son collègue le formulaire-type avec la liste
des documents nécessaires, précédé chacun d'une
case à cocher. Bref, l'élève, cumulant les
difficultés matérielles et humaines, aurait été
privé de l'aide que la nation lui réserve - dans le
droit fil du principe de l'égalité des chances - sans
l'insistance du CPE pour que l'on instruise son dossier en remplaçant
l'avis de non-imposition par une attestation de ressources
délivrée par la Caisse d'Allocations Familiales. Loin
d'être anecdotique, ce genre de cas est répandu dans
l'administration, quel que soit le ministère de tutelle. Souvent,
ce sont les plus faibles, moins aptes à se défendre, qui sont
broyés par ce type
de dysfonctionnement organisationnel ; ceux-là mêmes
que le service public est censé protéger.
Toutefois, rien ne prouve que la manifestation de la
personnalité bureaucratique soit pour autant
122 Gérard Koenig (2004), Management
stratégique. Projets, interactions & contextes, Paris, Dunod,
p. 2.
123 idem, p. 3
124 Claudette Lafaye (1996), Sociologie des
organisations, Paris, Nathan, p.17.
systématique et de même ampleur partout. De
plus, la bureaucratie peut concerner toute organisation. Autrement dit,
elle n'est pas automatiquement greffée sur une organisation de type
administratif même si l'on y rencontre quelquefois des caricatures.
L'intérêt de ces notions (bureaucratie,
personnalité bureaucratique) est qu'elles plantent le décor
pouvant servir de champ d'interaction entre des acteurs aux
intérêts diversifiés.
J. March et H. A. Simon, après avoir
analysé les différentes théories de l'organisation,
considèrent que "seule une théorie partant de
l'hypothèse que les membres des organisations opèrent des
choix et prennent des décisions permet de renouveler l'analyse
des organisations" (C. Lafaye, 1999)125. Par la suite, la notion de
rationalité limitée va inspirer M. Crozier et E. Friedberg pour
théoriser sur l'analyse stratégique à partir
d'observations empiriques. Cette démarche a permis de mettre en
évidence les relations de pouvoir qui se trament dans une organisation
marquée par une forte division du travail, une grande
importance accordée aux règles, le strict respect des
ordres hiérarchiques ainsi qu'une véritable
compartimentation des métiers qui ne se croisent qu'autour des
points d'intersection que nous pouvons appeler processus-noeuds. Dans ce
cas l'enjeu se trouve dans les relations de pouvoir où l'objectif est de
chercher, en permanence, à maîtriser le maximum de zones
d'incertitude des autres acteurs tout
en réduisant la sienne. Ce qui ne favorise pas la
coopération. De ce fait le vrai pouvoir ne se calque pas du tout sur
l'organigramme. L'expertise, l'appartenance à un corps de
métier, les affinités personnelles et la capacité
à fomenter des petits complots discrets mais paralysants pour
ses partenaires-adversaires en se servant au mieux les
règles institutionnelles sont autant de sources de pouvoir pour
le contrôle des jeux. Le sociogramme l'emporte sur
l'organigramme. "Analyser une relation de pouvoir exige donc
toujours la réponse à deux séries de
questions....les ressources dont chaque partenaire dispose...la pertinence de
ces ressources...les enjeux de la relation et... les contraintes structurelles
dans lesquelles elle s'inscrit ?" (M. Crozier
et E. Friedberg, 1977)126. De là, C.
Lafaye qualifie le pouvoir de relation déséquilibrée
impliquant l'échange et la négociation. M. Crozier et E.
Friedberg, quant à eux, formulent la notion de "système
d'action concret" pouvant se définir comme "le jeu à la
fois structuré et mouvant des relations de pouvoir qui
s'établissent dans les rapports sociaux"127. Les deux auteurs
aboutissent à la conclusion que "Le fonctionnement des
organisations formelles n'obéit que
partiellement à leurs caractéristiques
formalisées et les contextes d'actions plus diffus sont plus
125 Claudette Lafaye (1996), op. cit., p.37.
126 Michel Crozier, Erhard Friedberg (1977),
L'acteur et le système, Paris, Seuil, p. 73-74.
127 Claudette Lafaye (1996), op. cit. p. 49.
structurés qu'il n'y parait". D'où l'ambition que
s'est donnée l'analyse stratégique de comprendre l'action
collective au sens large.
Or, P. Roggero128 a démontré
de façon claire et plutôt convaincante la
compatibilité entre le système d'action concret et le paradigme
de complexité. D'où l'imminence
de la place que nous accordons volontiers à ces
deux orientations dans une discussion sur la coopération d'un
collectif hétérogène.
Dans une relation de coopération visant un
objectif commun, lorsque les limites individuelles nécessitent la
mise en commun des compétences, cohabitent deux tendances antagonistes
et complémentaires à la fois. D'un côté, la
convergence des acteurs qui sont engagés
et motivés par la réussite d'une collaboration
à travers des actions et apprentissages collectifs. De l'autre, chacun
des membres de ce collectif porte en lui ses intérêts propres
à satisfaire. Les deux orientations ne vont pas dans le même sens
au premier abord, mais à y regarder de près, elles peuvent
s'alimenter pour aboutir à favoriser la dynamique collective en
même temps que la satisfaction individuelle. L'attention doit donc
être attirée par le dosage entre ces orientations. Pour
motiver une équipe, il faut que les acteurs y trouvent leur
compte. Considérations humaines, matérielles ou/et symboliques
contre engagement peuvent résumer schématiquement
l'équation à résoudre par l'ingénieur de l'action
collective. Certes les contrats, les multiples règles formelles ou
émergentes, et les relations interpersonnelles participent
à la coordination. Mais sans une motivation suffisante, nul projet
innovant ne pourra voir le jour et se mettre en oeuvre jusqu'au terme de son
cycle de vie. La motivation peut d'ailleurs être, entre autres,
un fort sentiment d'appartenance communautaire, un fort degré de
certitude d'avoir suffisamment de moyens au service du projet dans lequel
on s'engage, ou de confiance en la faisabilité de l'action.
Ce qui permet, en terme d'économie de moyens,
d'évaluer la rentabilité escomptée de l'énergie
(temps, forces, sacrifices divers) dépensée
individuellement comme collectivement. L'individuel
et le collectif ne sont pas, par conséquent, à
opposer mais plutôt à faire s'équilibrer puisque sur une
échelle plus large que le groupe, c'est l'ensemble des individus qui
forment une société, qui humanise chaque personne. Alors
plutôt que de se focaliser continuellement sur ce qui oppose ou
désagrège, pourquoi ne pas problématiser autour de ce qui
permet de fédérer ?
E. Durkheim dans Le suicide et M. Weber dans
Sociologie de la religion ont exprimé chacun à leur
manière l'existence d'une dichotomie dans le lien social. Ce
que R. Boudon et F. Bourricaud formulent par le paradigme holiste, qui
appréhende la société comme une totalité, et le
paradigme individualiste comme un ensemble d'individus autonomes. Alors, en
128 Pascal Roggero (n. d.), "La complexité
sociologique : éléments pour une lecture complexe du
système d'action concret", in http
://w3.univ-tlse1.fr/LEREPS/publi/teleload/Roggero%202000-4.pdf
se référant à ces deux paradigmes, que
peut-on dire en matière d'analyse stratégique dans le
contexte particulier de l'enseignement supérieur comme organisation en
pleine mutation et, donc,
qui se cherche ? Formulé autrement, comment se
déroule le processus d'action collective centré
sur le projet d'établissement - en tant que dispositif de
coopération au service du changement -
dans l'apprentissage d'un collectif en quête d'autonomie
organisationnelle ?
B. Dans les contextes d'une université
Dès le milieu des années 1980, E.
Friedberg et C. Musselin ont entamé une étude comparative
du fonctionnement de deux universités françaises et deux
allemandes dans une perspective de politologie organisationnelle.
L'objectif était de saisir leurs modes de gouvernement.
Afin d'avoir une vue d'ensemble, dans un contexte
général, le choix des observations s'est posé sur une
étendue plus large que l'établissement proprement dit. C'est
ainsi que C. Musselin élabore le concept de "système
universitaire" comme étant le cadre national siège de
trois pôles en interdépendance que sont : le type de
gouvernance au sein d'un établissement, le style de pilotage du
ministère tutélaire ainsi que les modes de
régulations internes des disciplines. Elle postule que ces
interdépendances influencent fortement l'action collective et les
modes de régulation interne de chaque pôle (Brèves du CSO,
1998)129. Un tel concept permet à la fois de
caractériser et d'analyser l'articulation entre le niveau local (micro)
et
le global (macro). Or, qui dit articulation dit
possibilité d'une observation autonome de chaque pôle, de chaque
niveau.
Reprenant cette notion de système universitaire, notre
étude est centrée sur le pôle gouvernance au sein d'une
université, à travers le sous-système "projet
d'établissement" que l'on qualifierait volontiers de niveau
méso. Dans un premier temps, en mettant la démarche
projet au centre, nous visons à la contextualiser par des
hypothèses posées sur deux niveaux : d'un côté
l'articulation entre l'autorité de tutelle (niveau macro) et l'autonomie
de l'établissement ;
de l'autre la dynamique de l'action collective au niveau
local. Mais avant d'aborder ces deux points, posons d'abord quelques
repères. La problématique de l'action collective dans le
contexte
de l'enseignement supérieur français peut
être caractérisée par cinq points :
1- Une université agrège une très
vaste palette de catégories de métiers contribuant à
faire avancer ce grand paquebot quelque peu surdimensionné. Cette
palette va des
129 Brèves du CSO, 1998 n° 7 -
juin 1998, Centre de Sociologie des Organisations (UPR 710 - CNRS)
métiers de bouche, de l'hébergement, des
technologies de l'information, de la logistique, du social, du
médical, de l'administratif, jusqu'à l'enseignement
proprement dit. Chacune de ces catégories se compose d'autant de
diversités que de regroupements possibles, aussi cohérents les
uns que les autres suivant le point de vue. Le cas des enseignants, notamment,
illustre de telles imbrications de logiques. Il n'y a apparemment pas
grand-chose en commun, par exemple, entre une équipe d'enseignants de
Français Langue Étrangère et celle de
l'informatique industrielle. Pourtant, dans une formation de Master
Professionnel propre à leur discipline respective, elles se retrouvent
préoccupées de la même manière par les questions
relatives à la professionnalisation
des cadres et l'adéquation de la formation avec le
marché de l'emploi.
2- Les différences interpersonnelles selon l'origine
sociologique, la conviction politique, la conception "idéologique" du
métier, les ambitions, la perspective professionnelle de chacun, mais
aussi les affinités humaines et intellectuelles contribuent
à désagréger ou, au contraire, souder les
différents groupes d'acteurs. Ainsi, par exemple, ces deux
enseignants vraisemblablement de conviction politique différente (l'un
démocrate-chrétien, l'autre plutôt de gauche) se retrouvent
à mener ensemble un combat intellectuel et humain en s'investissant
dans
la formation des gestionnaires africains comme façon
concrète de contribuer à remédier l'insoutenable
situation de retard de développement de ce vaste continent.
3- La complexité de l'architecture d'ensemble
des différentes formes de légitimité :
légitimité élective, légitimité statutaire,
légitimité par la compétence, avec les types
de pouvoir associés.
4- La multiplicité et la singularité des
composantes organisationnelles au sein d'un même établissement.
Cela est valable pour toute université d'une agglomération qui
possède deux établissements ou plus, comme pour
l'université unique.
5- Le rapport entre le mandat assigné par
l'autorité centrale financeur et le projet de chaque
établissement, c'est-à-dire la relation entre centralisation
et autonomie de gestion.
Tous ces points évoluent dans un contexte très
spécifiquement français où le système
éducatif constitue une grande affaire d'État dans le cadre d'une
société très sensible. Le poids de son histoire aussi,
en dépit de plusieurs réformes successives, explique en
partie son caractère centralisé.
De ce fait, trois interrogations attendent des débuts
de réponse ou des axes de réflexion. Devant une telle
complexité de paramètres, comparables à des forces
multidirectionnelles enchevêtrées au sein d'une
même organisation, comment trouver la
résultante qui exprime l'orientation globale ? Par
ailleurs, la conciliation entre le pouvoir tutélaire
et l'autonomie comme voie de développement
relève-t-elle d'une pure illusion en faveur de l'État central ou
est-ce une perspective réaliste pour l'établissement ?
Dans l'hypothèse optimiste, quelles en sont les conditions ? Nos
réponses, loin d'être séquentielles, ni exhaustives,
seront plutôt des réflexions englobantes établissant
des connexions entre les divers aspects de ces questions. Ces constats
de confrontation entre différentes logiques, souvent
contradictoires, tendent à supposer qu'un chaos total règnerait
dans l'enseignement supérieur français. Que nenni. Comme tout
système complexe, mis en place et géré par un
autre ayant une complexité supérieure à la sienne, il
n'y a pas de raison d'avoir un blocage. Cependant, ce n'est certes pas le
chaos, mais il s'agit tout de même "d'anarchies
organisées" s'exclame C. Musselin130. Trois groupes de
logiques sont, en fait, en tension, en plaçant l'établissement
(à travers son projet) au centre de notre système :
En amont : la logique exogène et verticale de
l'autorité de tutelle dont l'articulation avec celle de
l'établissement se dessine dans le Contrat Quadriennal de
Développement ;
Au centre : la logique endogène et verticale de
l'établissement ;
En aval : la logique endogène et horizontale de chacune
des composantes.
Une représentation par un schéma global
procurera certainement une vue d'ensemble qui permet de situer rapidement
certains enjeux. Nous proposons alors le schéma qui suit avec ceci
comme précision : primo, l'on peut constater une certaine
symétrie entre le fonctionnement ministériel et celui d'un
établissement, en matière de projet. En effet, si le
ministère doit présenter à la représentation
nationale (au Parlement) son Projet Annuel de Performance,
l'établissement ne peut se passer du vote de son Conseil
d'Administration pour arrêter son Projet d'Établissement.
Secundo, les deux éléments "Disciplines" et "Groupes
d'intérêts" se trouvent bien entremêlés à
l'intérieur de l'ovale représentant l'établissement
même
si nous les avons placés,
délibérément, en dehors dans ce schéma juste
pour délimiter notre champ d'investigation. Mais, ce faisant, il n'est
pas question de perdre de vue ces deux éléments importants qui
expliqueraient bien de choses en matière d'analyse stratégique.
Ils seront toujours présents, en filigrane, dans toute réflexion
sur la vie d'un établissement.
Ce schéma place et relie les trois niveaux
qui s'articulent : le tutelle l'établissement et les
composantes.
130 Christine Musselin (1998), "Comprendre les
systèmes universitaires", brèves du CSO n° 7 - juin 1998
MINISTÈRE DE TUTELLE
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme64.png)
L T
POLITIQUE NATIONALE
PROJET ANNUEL
DE PERFORMANCE
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme65.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme66.png)
Présenté au Parlement
Contrat Quadriennal
de
Développement
Partenaires
Institutionnels
Locaux Régionaux Internationaux
PROJET
D'ÉTABLISSEMENT
Voté par le Conseil d'Administration
BUREAU
Partenaires
Économiques
Locaux Régionaux Internationaux
UFR
DÉPARTEMENTS
Services
Centraux
Établissement
L E
Services
Communs
ÉCOLES
L C INSTITUTS
LABORATOIRES
Disciplines
Groupes d'intérêts
LT = Logiques Tutélaires
LE = Logique d'Établissement
LC = Logique des Composantes
Env = Environnement
PRJ = Projet
PRJ_ETB = Projet d'Établissement
PRJ_ETB = (PRJ (LT, LE, LC) Env)
Figure 13 : Projet au carrefour de 3 logiques
1. Articulation avec la tutelle
Les établissements de l'Éducation Nationale
relèvent en France du service publique. De ce fait,
"l'État définit la politique d'enseignement supérieur
et la finance, les établissement et les personnels relèvent
majoritairement de statuts publics, toutes les universités
se valent..." (E. Friedberg, C. Musselin, 1992).131
Évoquée la première fois à
l'occasion du colloque de Villars de Lans en 1975, réunissant les
présidents d'université et autres acteurs de l'enseignement
supérieur, l'idée d'une contractualisation a mis une vingtaine
d'années pour atteindre sa forme actuelle. Si le premier contrat de
recherche a eu lieu en 1983, il a fallu attendre 1990 pour que les premiers
contrats d'établissement soient signés. 1990 est aussi
l'année où la Direction de la Programmation et de
Développement Universitaire exprime son souhait de baser la
négociation entre la Tutelle et l'établissement sur un
projet. Le contrat quadriennal global, qui sert d'outil de
négociation budgétaire, associant toutes les activités de
l'université, démarre en 1993. L'État continue,
malgré cette partie de négociation, à gérer 80% des
fonds consacrés aux universités, contre 20% de la DGF (Dotation
Globale de Fonctionnement). Au final, près de 16% du financement
seulement faisait l'objet de contractualisation entre 1999 et 2002. C'est dire
combien le degré de liberté des universités reste
très faible. Le caractère centralisé du système
universitaire français est tel que "comme il n'y a guère de
marge de manoeuvre institutionnelle entre l'université et
l'État, les instances ministérielles conservent leur rôle,
qui consiste à accepter ou à repousser les projets"
(C. Beckmeier, 1992)132. Plus
précisément, l'État intervient de deux façons
: par les politiques d'enseignement ; et par l'allocation de
ressources matérielles, financières et humaines pour
financer lesdites politiques. Structurellement, prononcer des leitmotivs
et légiférer en guise d'instruments d'incitation, en
direction des universités afin qu'elles prennent leur autonomie
partielle, ne va pas de soi sans le transfert du pouvoir
décisionnel correspondant, ni la restructuration du
fonctionnement ministériel. Sans une véritable
révolution transformant l'habitus centralisateur ministériel,
les relations entre tutelle et établissement tournent alors en
une équation dont la résolution appelle une
ingéniosité face à une confrontation complexe et
déséquilibrée entre les deux. Il en
résulte un premier problème par rapport à
l'équilibre entre les
131 Erhard Friedberg, Christine Musselin (1992),
Le gouvernement des universités, Paris, Coll. Logiques
Politiques, éd. L'Harmattan, p. 316.
132 Carola Beckmeier (1992), "Réseaux
décisionnels dans les universités françaises et
allemandes", in E. Friedberg, C. Musselin (1992), op. cit., p. 52.
deux premières logiques : la ministérielle et
celle de l'établissement, c'est-à-dire le poids du bailleur
face à l'autonomie de gestion133.
Si l'autorité de tutelle l'emportait sur l'autonomie,
la logique de fonctionnement local s'apparenterait plus à celle d'une
bureaucratie qu'à une université entrepreneuriale. L'action
collective reviendrait à l'exécution des routines
coordonnées par des règles, normes et coutumes institutionnelles
habituelles. Les liens entre acteurs, entre les différents
métiers seraient alors sous-tendus par la prédominance des
questions de pouvoir au sens de l'analyse stratégique de M. Crozier et
E. Friedberg, où la majorité des acteurs se comporte
souvent comme des petits fonctionnaires au travail (M. Crozier,
1955)134. Dans une telle condition, la finalité d'une
démarche projet se résume à la conception d'un dispositif
servant de base, comme l'exige la loi, à
la négociation du Contrat Quadriennal de
Développement avec l'État. Par conséquent, ce que l'on
nomme "projet d'établissement" ne contiendrait alors que des
éléments de conformité au cahier
des charges d'un grand argentier avec lequel le gouvernement
de l'université tente de "grignoter" quelques milliers d'euros
supplémentaires pour fonctionner au quotidien conformément
aux orientations fixées par les décideurs
ministériels. Afin d'augmenter la probabilité d'obtenir les
quelques rallonges budgétaires escomptées, l'équipe
de direction focalisera ses arguments sur plus de moyens
nécessaires à l'accomplissement de ses missions plutôt
qu'aux risques pris pour
la mise en oeuvre d'un projet innovant vecteur de
changements. Parler de la relativité de l'autonomie devient lors un
euphémisme. De même, parler de projet dans une telle configuration
relève un peu du non-sens car intituler ce document "plan" serait plus
approprié. Par ailleurs, ne rallie-t-on pas plus de monde en
observant une attitude conservatrice qu'en cherchant à bouleverser
les habitudes rassurantes ? Très souvent si. En évitant
habilement de provoquer un phénomène de résistance, les
gouvernants d'établissement peuvent assurer sans trop de peine une paix
sociale. Cela peut être un excellent argument sécuritaire
au service du confort pour l'exercice de leur mandat quand ils prennent
conscience de l'importance des efforts à déployer pour
transformer une organisation aussi ancienne et dotée d'une
"personnalité" aussi singulière, loin de celle d'une entreprise
sans être proche du monde associatif. Seulement, il n'est pas dit
qu'un tel fonctionnement puisse être longtemps tenable pour un
établissement d'enseignement supérieur tel qu'une
université.
Cette hypothèse, pessimiste, ne reflète
heureusement pas la réalité car des études du CSO ont
montré que les universités françaises étaient bel
et bien en mouvement.
133 Écartons volontairement les questions
de la gestion des disciplines et du recrutement déjà
traitées par Christine
Musselin.
134 Michel Crozier (1955), Petits Fonctionnaires
au Travail, Paris, éd. du CNRS.
Dans l'hypothèse la plus optimiste, cette
interaction ministère-établissement engendre un équilibre
si l'établissement exploite sa relative autonomie pour atteindre les
limites
de ses "zones proximales de développement" (S.
Lev. Vygotski). Ce qui se traduit par la conception et la mise en oeuvre
effective (avec allocation des moyens appropriés) d'un projet qui
implique le plus grand nombre d'acteurs. La question d'action collective prend
alors du coup tout son sens. Une enquête empirique approfondie
dirigée par l'équipe de E. Friedberg et C. Musselin,
en 1988, a permis de constater que des changements
importants étaient intervenus dans les universités
françaises. Ainsi, soulignent les deux auteurs, "dans chaque
établissement, nous avons pu identifier un groupe d'acteurs
solidaires, l'équipe présidentielle, qui est porteur de
politiques d'établissement dont la mise en oeuvre est
engagée..."135. En tout cas, les discours des principaux
acteurs comportent des éléments conduisant à
considérer que l'idée de la nécessité de moderniser
le fonctionnement universitaire, avec une prise de conscience de leur
part de responsabilité dans certains problèmes, fait son
chemin. Cependant, les auteurs relativisent aussitôt cette
observation à cause des écarts constatés entre la
pensée et le difficile passage à l'action car "les opinions
favorables disparaissent pour céder la place aux
résistances dès qu'il s'agit de passer aux
actes"136. Cette fois, même si l'équipe
dirigeante se donne les moyens de rendre actif le projet
d'établissement co-élaboré - quelle que soit la
modalité de cette élaboration collective -, les
résistances aux changements peuvent entraver sa mise en oeuvre.
Soulignons toutefois que, contrairement aux auteurs qui
semblent ne considérer dans leur analyse que les relations entre
enseignants, directeurs des composantes et présidence,
reconsidérer les places et les rôles des autres catégories
de personnel doit participer largement à une nouvelle orientation de
l'université. En effet, loin du cercle de décision
pourtant, elles parviennent aussi à déverser leurs grains
de sables dans certains rouages du mécanisme de changement.
À se demander si le fait de se trouver à une position de
"serviteurs" du métier ne leur fasse pas pencher plus du
côté des conservateurs que des novateurs. Cela a été
constaté au cours de plusieurs immersions dans deux
universités durant ces six dernières années. En
tant qu'observateur participant137, nul doute que nous pouvons
souligner combien le rôle joué par certains personnels
non-enseignants est loin d'être une variable à minimiser
quel que soit leur
poids statistique.
135 in Erhard Friedberg, Stéphanie
Mignot-Gérard, Christine Musselin (n. d ), "Les incidences du
changement sur le gouvernement des université"
136 Erhard Friedberg, Stéphanie
Mignot-Gérard et Christine Musselin (n. d.), op. cit.
137 comme étudiant, élu au sein d'un
conseil d'UFR, dirigeant d'une grande fédération d'associations
d'étudiants, salarié ou encore stagiaire toujours
intéressé par la question de la gouvernance et de l'action
collective dans le système universitaire.
Dans cette revue générale des acteurs, leviers
et/ou freins, de l'effectivité des changements susceptibles
d'être impulsés par la "viabilisation" du projet
d'établissement, la présence presque anecdotique
d'étudiants dans le pilotage de l'université
interpelle138. Certes, des élus étudiants
siègent dans les différents conseils, mais combien
pèsent leurs voix dans les instances de délibération
quand leurs votes ne sont pas récupérés par les
différents groupes influents ? Avec une légitimité
élective, sont-ils vraiment représentatifs de l'ensemble
des étudiants ou uniquement de la minorité militante dont
quelques individualistes qui poursuivent une finalité personnelle ?
Au final, le parti des "usagers" que sont les étudiants
n'apparaît vraiment dans l'orchestre de la gouvernance de
l'établissement qu'en cas de crise pour jouer la partition de la
revendication. Une expérience personnelle nous a permis d'observer ce
mécanisme
de fausse représentativité chez les
étudiants139. I. Ekeland, Président de
l'Université Paris- Dauphine en 1993 livre, à ce propos, un
témoignage éloquent : "Par exemple, les élus
étudiants n'appartiennent pas, généralement, à
de grandes organisations nationales. Leur
représentativité
est relativement douteuse en ce sens qu'ils ne
représentent qu'eux-mêmes. Comme, par nature,
les étudiants sont des gens de passage, et que les
étudiants ne votent pas, une sorte de jeu pervers
en résulte. Il suffit ainsi de très peu de voix
pour être élu. Il est clair que 4 ans plus tard, quand tout le
monde est sorti de l'université, tout est oublié. Ainsi,
on a un ensemble de quelques personnes qui essentiellement
représentent des intérêts particuliers à un moment
donné et dont
on sait très bien que ces derniers n'ont pas d'avenir et
pas beaucoup de passé"140. Il y a clairement
ici une solution ou des solutions à concevoir.
L'ingéniosité et la fertilité des recherches
universitaires devront apporter leur contribution à cette
tâche.
Ces remarques sur l'absence ou la négligence de
la place des personnalités extérieures, des non-enseignants
et des étudiants dans l'analyse des interactions au sein des
établissements d'enseignement supérieur français viennent
du fait que l'université est pilotée, au niveau de
l'établissement, quasi-uniquement par une
collégialité professorale. Or, "La gouvernance et
l'organisation de l'Université doivent répondre au principe
de représentativité
maximale de tous les membres qui la constituent" (E. Morin, A.
Pena-Vega, 2003)141.
138 Paul Leroy (1992), "Contribution à une
réflexion sur le pouvoir dans les universités françaises
à partir de la réalité grenobloise" in E. Friedberg, C.
Musselin (1992), Le gouvernement des universités, Paris, Coll.
Logiques Politiques, éd. L'Harmattan, p. 118. Les chiffres
présentés par l'auteur sur les universités
grenobloises des années 80-90 sont assez représentatifs de
la réalité nationale.
139 En tant que secrétaire
général, puis vice-président d'une grande
fédération d'associations d'étudiants à Lille 3.
140 Ivan Ekeland, (1993), "Le métier
de président de l'université", discours prononcé
lors des Petits Déjeuners
"Confidences" organisé par les Amis de l'École de
Paris, in
http://www.ecole.org
141 Alfredo Pena-Vega, Edgar Morin (coord.), (2003),
"Université, quel avenir ?" Propositions pour penser une réforme,
Paris, Éditions-Diffusion Charles Léopold Mayer. / Association
pour la Pensée Complexe (APC).
Ainsi, la volonté d'exploiter l'autonomie de
l'établissement pour le conduire vers le progrès est
avérée ; seulement des difficultés internes freinent la
progression. La logique verticale présidentielle se heurte à
celles des composantes et des acteurs individuels ou groupes
d'intérêt particuliers (laboratoires, coalitions de toute sorte,
différentes catégories du personnel). Alors, qu'en est il de ce
deuxième type de logique ?
2. Logiques des composantes
Pour qu'il y ait décisions, notamment
décisions projectives, cette collégialité implique "un
accord sur les finalités organisationnelles" (E. Chaffee,
1983)142. Comment obtenir
un accord qui soit satisfaisant pour toutes les
parties dans une organisation constituée, par exemple, d'une
vingtaine de composantes143 ? Le processus de la
conception du Projet d'établissement 1999-2003 de
l'Université de Nantes, décrit par J.-P. Bréchet, est une
possibilité
qui a le mérite de mobiliser tous les protagonistes
représentés par deux ou trois experts, issus de chaque
composante, repartis dans diverses commissions. Ensuite, les réunions de
travail avec les instances consultatives (pour avis, propositions de
rectification) avant de passer devant une instance
délibérative (pour décisions) donnent une image
très démocratique pouvant compléter et rendre notre
réponse "parfaite". Le pouvoir, pour citer Habermas
(1986)144, n'est pas "l'instrumentalisation de la volonté
d'un autre, mais la formation d'une volonté commune pour une
communication orientée vers l'obtention d'un accord". Ce qui suppose que
"le consentement
des gouvernés soit mobilisé pour des
buts collectifs". Pourtant, bien qu'éthiquement et
politiquement irréprochable, cette démarche ne répond pas
exactement à la question posée ou - disons le autrement - ne
satisfait pas toutes les dimensions sous-tendues par cette question
puisque procéder ainsi n'ôte pas l'épineux dilemme entre le
projet collectif et le projet individuel
de chaque composante. Certes, le problème de la
mobilisation de l'intelligence collective trouve une solution efficace dans
cette modalité d'élaboration du Projet d'établissement de
l'Université
de Nantes en coordonnant de la sorte la
coopération. Mais il reste à résoudre la question
fondamentale de l'articulation entre les intérêts collectifs et
les intérêts particuliers ; la logique
verticale de l'établissement et la logique horizontale de
chaque composante. Cette question est
142 E. Chaffee (1983), Rationnal Decision
Making in Higher Education, Boulder, Co, National Center for
Higher
Education Management Systems.
143 Certaine littérature parle de "
départements" mais utilisé dans le contexte des
universités françaises, il risque d'y avoir
des confusions avec la possibilité de présence de
département(s) au sein d'une UFR. Nous préférons pour
cette raison le terme "composantes", plus général et
englobant.
144J. Habermas (1986), "Hannah Arendt's
Communications Concept of Power" cité par Cynthia Hardy (1992),
"Les stratégies internes des universités canadiennes face aux
restrictions budgétaires", in E. Friedberg, C. Musselin, op. cit. p.
77.
d'autant plus problématique parce que le tout
(l'établissement) n'est pas réductible à la somme de
ses éléments. De même, quand la logique
générale aura vu le jour dans un document scriptural final de
construction commune, il ne suffit pas d'appliquer la
méthode cartésienne en saucissonnant le problème
jusqu'au plus petit élément pour y voir poindre des
solutions qui satisfassent chacun. Quand bien même, dans les
différentes phases décrites par J.-P. Bréchet, il y
en ait qui soient consacrées à l'arbitrage, il
reste à trouver quel procédé permettrait d'effectuer un
arbitrage entre dix-neuf composantes de constitution très
différentes, services communs, catégories professionnelles
particulières et l'entité université unique qui puisse
être satisfaisant pour tous ? Peut-être alterner la
réalisation des priorités de chacun inscrit dans un plan
décennal.
Or, le mandat présidentiel comme le Contrat
Quadriennal ne dure que quatre années, sauf à reconduire
la même équipe pour un deuxième mandat. Ce qui est peu
probable dans la réalité pour ce qui est du mandat, est
impossible concernant le Contrat Quadriennal. Un autre argument
qui s'oppose à une telle proposition est
inhérent au rythme de l'évolution du contexte
socioéconomique avec lequel l'enseignement universitaire se doit
d'être en cohérence, même si le système
éducatif n'est pas exactement un agent servile aux fluctuants besoins
conjoncturels du patronat. La mise en adéquation entre logiques
particulières et logique générale serait alors
l'ombre même du management d'un établissement d'enseignement
supérieur que nulle méthode
ou posture intellectuelle ne peut rattraper ? Ce qui
confirmerait, au final, l'hypothèse de P. Perrenoud145
qui soutient que "la gestion par projets est une
façon de décentraliser les contradictions et les impasses
du système éducatif, de remettre aux établissements un
pouvoir de décision qui apparaît comme un cadeau
empoisonné" en parlant de la décentralisation du
système éducatif, en général. Rien n'est si
sûr. Cela ouvre en tout cas une perspective de recherche
intéressante.
Et si la difficulté de répondre aux
exigences de chaque composante par l'établissement venait en
partie de la logique de celui-ci ou des contraintes auxquelles il
est soumis ?
3. Logiques d'établissement
Un établissement universitaire se trouve,
d'après ce que nous venons de voir, pris en tenaille entre deux types de
logiques qui n'ont rien à voir l'une avec l'autre : en amont la
puissante tutelle qui détient les nerfs de la guerre, en aval les
exigences des composantes. Une
145 Philippe Perrenoud (1999),
"L'établissement scolaire entre mandat et projet : vers une autonomie
relative ", p. 5. Texte
de la conférence d'ouverture du colloque international
organisé conjointement par l'AFIDES et l'Université de
Montréal
"Autonomie et évaluation des établissement :
l'art du pilotage au printemps du changement", Montréal, 14-16
octobre
1998.
troisième force source de pression, bien que
laissée volontairement en arrière plan dans cette
étude146, sont les disciplines elles-mêmes ; le
métier en somme, en tandem avec le corporatisme. Aux gouvernants
épaulés par le système administratif alors de gérer
toutes ces contraintes. Ne perdons pas de vue qu'avec l'ancrage dans un
environnement mouvant, des influences du milieu amènent aussi d'autres
paramètres qui interagissent avec les contraintes internes.
Cependant, parler de contraintes pour qualifier ces
différentes forces n'est pas
les définir forcément comme freins ou obstacles.
Ces éléments portent en eux dialogiquement les vertus
créatrices comme les vices de destruction. Après tout,
"ne vouloir faire société qu'avec ceux qu'on approuve en
tout, c'est chimérique, et c'est le fanatisme même" dit Alain.
Alors, c'est
à l'établissement de définir et de mettre en
oeuvre une politique apte à transformer le maximum
de contraintes en leviers d'actions favorables à
son évolution. Ce en quoi la démarche projet constitue un
dispositif très pertinent, efficient, à condition qu'elle soit
conçue, élaborée, mise en oeuvre et
évaluée au terme de son cycle de vie. À condition
aussi que l'université se dote des dispositifs de pilotage plus
performants que ceux existants, et que sa politique et sa performance soient
évaluées pour en tirer des feed-back ou des retours
récursifs, sources d'apprentissage.
S'il fallait le dessiner, le projet d'établissement
entrepreneurial ressemblerait à
un quadripode à multiples facettes, fondé,
finalisé et porté par un patchwork d'acteurs dont la force
résultante fait voguer l'université dans un environnement
complexe vers la performance, tout en gardant les valeurs de ses missions. Par
entrepreneurial nous entendons une disposition à exploiter les
possibilités au-delà des moyens disponibles. Ce qui
suppose une ingéniosité entendue au sens donné par H. A.
Simon, E. Morin ou J.-L. Le Moigne.
Certes il y a les logiques verticales de la tutelle
; certes un établissement d'enseignement supérieur
comporte, en son sein, des éléments tantôt
créateurs, tantôt destructeurs ; et le tout évolue dans
un océan d'incertitude. Mais plutôt que de subir, la logique
de l'établissement devrait être une
logique de pragmatisme et d'ingéniosité. Piloter un
établissement consiste, à ce titre, à trouver une forme
d'harmonie de tout cet ensemble disparate.
En fixant les caps des étapes clefs entre l'actuel et le
futur désiré, l'équipe de dirigeants se doit de
se servir de toutes les forces en interaction pour construire le
mécanisme d'horloge qui s'auto- organise. Ce qui exige une double
posture : le respect des missions de service public confiées par
la société et la capacité d'entreprendre de
réelles innovations au-delà de simples ravalements de
façades. "En bref, les systèmes nationaux sont des instruments de
réformes contondants. L'État,
ou d'autres bailleurs de fonds, ne peut mener à
bien la réforme des universités. Seules les
146 En nous référant à ce que
d'autres ont écrit là-dessus.
universités elles-mêmes peuvent prendre les
dispositions essentielles" (B. Clark, 2001)147. Cette
épineuse question de réforme de la gouvernance de
l'université n'est pas le signe de la faiblesse
du système français puisqu'il s'agit d'une
préoccupation planétaire. Ainsi, observe Clark Kerr au
début des années 90, "Pour la première fois, on
voit se profiler un monde de l'apprentissage réellement
international et hautement compétitif. Si vous voulez vous
placer sur cette orbite, vous ne pourrez vous fier qu'à vos propres
mérites. Inutile de compter sur la politique ou sur quoi que ce soit
d'autre. (...) La direction entrepreneuriale doit se développer de pair
avec l'autonomie institutionnelle"148. Or, tout cela peut-il se
concevoir sans faire évoluer le mode de désignation de
présidence d'une université ? En clair, comment peut-on
accéder au sommet d'une aussi grande organisation complexe avec
l'onction des urnes sans avoir eu aucune formation préalable ? N'est-
il pas temps de songer à la
professionnalisation des gouvernants des établissements
d'enseignement supérieur public en France ?
En résumé, deux perspectives importantes se
dégagent de ce regard sur les logiques d'établissement. On
constate une nécessité d'entreprendre une nouvelle
modélisation de l'université afin de lui faire tendre vers une
évolution caractérisée par un renforcement de l'axe
de pilotage en englobant l'entité centrale et
les composantes et en conciliant les valeurs traditionnelles et les
missions avec de nouvelles valeurs de gestion. Financièrement,
afin de réduire la grande dépendance avec un ministère de
tutelle, multiplier les origines des ressources. Enfin, redéfinir la
collégialité universitaire. Concevoir, en somme, un
nouveau, un vrai projet entrepreneurial constitue la source d'une certaine
forme de subsidiarité. "C'est tout un projet !", ironiserait le
sceptique. Mais bien souvent, "le progrès n'est que l'accomplissement
des utopies" rétorquerait Oscar Wilde149, si toutefois il y a
utopie. Nous pensons que le défi à relever reste parfaitement
réaliste bien qu'il faille compter sur la prégnance du facteur
temps parce qu'on ne réforme pas une organisation aussi ancienne et
aussi complexe en une décennie. Et dans cette perspective d'une longue
évolution, sans trop traîner non plus, la nécessité
absolue de donner aux futurs gouvernants de l'université une formation,
nous semble revenir en tête de la liste. En effet,
"depuis le début du XIXe siècle, ce n'est plus le
secret qui légitime "les arts de gouverner" en
147 Burton Clark (2001), "L'université
entrepreneuriale : nouvelles bases de la collégialité, de
l'autonomie et de la réussite "
in Gestion de l'enseignement supérieur, Vol 13,
N° 2, OCDE, 2001, p. 11.
148 In Burton Clark, op. cit. tiré de Banque
Mondiale (1998), Rapport sur le développement dans le monde : le
savoir au service du développement.
149 Oscar Wilde, in L. Boyer, M. Marchesnay, (2003),
La stratégie en citations, Éditions d'Organisation.
Europe. C'est la science" (O. Ihl et all., 2003)150.
Vient en deuxième place la question d'une réelle autonomie qui
crée l'unanimité entre la majorité des chercheurs
préoccupés par le sujet.
En conclusion, toutes ces pistes d'innovation de la
gouvernance et la gestion doivent passer par un enrichissement de la culture
universitaire en matière de compétences en projection. En
effet, "De nos jours, l'entreprise ne peut plus être
organisée selon une seule logique, par exemple,
hiérarchique descendante. L'attention accordée
actuellement aux organisations par projet, aux processus, montre que c'est la
finalité qui compte de plus en plus, c'est-à-dire la
capacité des composantes de l'organisation à nouer les
coopérations les plus efficaces pour faire face à un
événement donné." (J.F. Raux, 1996)151. Plus
que pour faire face à
un évènement, l'entreprise se doit de se donner
une capacité d'anticipation pour l'ensemble de son fonctionnement. Ce
qui ne relève pas uniquement d'une volonté de faire, mais aussi
et surtout d'une volonté d'apprentissage organisationnel. Il s'agit
d'un double apprentissage : celui de l'Acteur, collectif, et de l'acteur
individuel. Nous estimons en effet que, autant l'organisation de la division du
travail regroupe les Acteurs en trois catégories - Acteur Politique,
Acteur Ingénieur, Acteur pragmatique -, autant chaque acteur est
à la fois politique, ingénieur et pragmatique. Et l'espace
d'activité du Politique est couvert et couvre
réciproquement ceux de l'Ingénieur et du Pragmatique.
Seulement un tel agencement, en système un peu complexe mais
plus cohérent, permettra d'optimiser toute organisation par
projet, en tout cas pour ce qui est de l'activité humaine. Il
en va inévitablement de la révision de la notion de
responsabilité. Pour un projet donné, ou un des modules d'un
projet, la responsabilité hiérarchique habituelle devrait
céder la place à une responsabilité totale de chaque
acteur individuel ou groupe d'acteurs concerné par un processus dans la
mesure où il est aussi Acteur (qui ne peut pas être
démembré). Or, nous l'avons déjà souligné,
un Acteur est à la fois Politique, Ingénieur et Pragmatique. Ces
trois facettes d'une seule entité, en effet, ne se
distinguent que fonctionnellement en partie car elles sont
inséparables. Ainsi, l'ensemble des processus allant de la
conception à l'évaluation finale du projet, en passant par
la mise en oeuvre, trouvera une plus grande cohérence et
sûrement plus d'efficacité. Pour trouver un consensus entre
plusieurs composantes d'une organisation complexe,
il faut aussi un dispositif complexe.
150 Olivier Ihl, Martine Kaluszynski, Gilles Pollet
(2003), Les sciences de gouvernement, Paris, éd. Economica, p.
4e de couverture.
151 J.F. Raux, (1996), "Entreprendre et diriger", p.
20, in Marie-José Avenier (coord.), 1997. La stratégie
"chemin faisant", Paris, éd. Economica, p. 269.
Selon H. SAOUD (2005)152, "Pour briser ces cercles
vicieux bureaucratiques, Crozier propose d'ouvrir la boîte noire [...] et
d'analyser empiriquement ce qui se passe dans l'application. C'est là
que l'analyse stratégique des organisations élargie à
l'analyse du système apporte sa contribution." Venons-en alors
maintenant à l'ouverture de notre boîte noire qu'est le
Projet d'Établissement 2004-2007 de l'Université de
Nantes.
152 Hicham Saoud (2005), "La contribution de
l'analyse sociologique de Michel Crozier au Management Public", Document
préparé dans le cadre du séminaire RECEMAP - IAE Lyon 2
& 3 juin 2005.
LE CONTENU D'UN PROJET D'ÉTABLISSEMENT
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme67.png)
IIIe PARTIE~
LE CONTENUD'UNPROJET D'ÉTABLISSEMENT
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme68.png)
"Mais il se trouve que la méthode s'applique toujours
à une idée.
Or il n'y a pas de méthode pour traquer les
idées. Ou alors, ce qui revient au même,
tout est bon pour les idées: l'analogie, le
plagiat, l'inspiration, la séquestration, le contraste, la
contradiction, la spéculation, le rêve, l'absurde...Un plan pour
acquérir des idées n'est profitable que s'il nous incite
continuellement à l'abandonner, s'il nous invite à nous
détourner de lui, à humer l'air à droite à
gauche, à nous éloigner, à tourner en rond, à
divaguer, non pas à nous laisser guider vers l'obtention des
idées, mais plutôt à nous disposer au traitement de
celles-ci. S'accrocher avec rigueur à un plan de recherche
d'idées constitue une anesthésie pour l'intuition."
Jorge Wagensberg
Après la contextualisation de cette recherche dans la
première partie, suivie par une deuxième partie
consacrée à la construction d'un ensemble
d'outillages théoriques susceptible d'éclairer certains
enjeux et problématiques soulevés par l'approche
systémique de notre sujet, nous voici en route pour une lecture
du fait organisationnel plus empirique que constitue le contenu d'un
projet d'établissement d'enseignement supérieur. N'en ayant pas
trouvé
de semblable dans la vaste littérature
consacrée à la gouvernance, la modernisation et plus
spécifiquement aux réflexions sur l'urgence de rendre les
établissements publics d'enseignement supérieur plus autonomes,
cette démarche semble être un précédent avec
tout ce que cela ne manque pas de comporter. Une première
exploration donne souvent, aux yeux des ses successeurs, l'image
d'une action très rudimentaire, teintée d'un manque
d'application, d'une insuffisance méthodologique ou d'une mauvaise
lecture des manifestations si apparentes du phénomène
étudié. Loin de nous donc l'idée, même la
plus secrète, d'une entreprise qui apporterait d'énormes
nouveautés par rapport à l'état actuel des connaissances
sur le contenu d'un projet d'établissement qui constitue le coeur
de cette étude. Nous espérons surtout parvenir à
soulever le couvercle de la "boîte noire", et fait une
description générale enrichie par des interrogations. Alors,
après avoir donné quelques repères
méthodologiques, nous expliquerons
les différentes étapes en amont et l'analyse
proprement dite du corpus avant d'en interpréter les résultats.
Une modélisation de ces derniers illustrera nos constats
avant de tirer les enseignements possibles dont toute cette recherche
aura pu nous enrichir. Le rêve ou l'idéal peut donc être
grandiose, mais le principe de réalité maintiendra la
juste modestie pour dire que l'ultime objectif de ce travail consiste
à une découverte du projet dans le contexte d'une partie du
système éducatif.
CHAPITRE 5
DÉMARCHES MÉTHODOLOGIQUES
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme69.png)
Cette recherche vise à en apprendre de
manière plus approfondie sur un dispositif de management parmi
la palette d'outils existants et actionnés dans la gestion
quotidienne comme dans la gestion stratégique de toute organisation
entrepreneuriale.
Étant formé pour être qualifié
à assurer la direction d'un établissement ou organisme de
formation, affirmer notre choix d'opter un établissement d'enseignement
supérieur comme terrain de recherche serait alors partiellement
tautologique. En effet, s'intéresser à l'une
des activités d'un établissement de formation,
d'enseignement ou d'éducation pour des futurs directeurs n'a rien
d'original. Le contraire serait étonnant. En revanche, orienter sa
recherche vers
tel ou tel type d'établissement mérite
toutes les explications que nous avons données dans la
contextualisation de la recherche. À cela nous rajoutons que la
complexité de lecture d'une organisation aussi grande et aussi
composite nous a aussi particulièrement attiré vers
l'université unique et multidisciplinaire de Nantes. Ne dit-on pas "qui
peut plus, peut moins" ? Notre retour dans deux établissements
secondaires nous a confirmé, en effet, qu'après avoir
déployé un effort pour tenter de cerner un grand
établissement d'enseignement supérieur, l'on est
suffisamment entraîné pour évaluer, en un temps
raisonnable, les différents fonctionnements d'un établissement
plus petit ou de taille moyenne. Ainsi, l'Université de Nantes nous sert
de terrain, ou autrement
dit, de population pour cette recherche.
L'étude des représentations que se fait une
population d'un phénomène relatif à l'éducation (au
sens large), la recherche des typologies ou des mécanismes explicatifs
sont autant d'axes de recherche habituels dans la tradition des
sciences de l'éducation notamment de la sociologie comme
l'ethnologie de l'éducation. Notre recherche se distingue
légèrement de cette tradition dans la mesure où il n'est
pas question ici d'étude des représentations, mais plutôt
d'une recherche de compréhension du mécanisme de fonctionnement
d'un dispositif de gestion. Ce qui place notre sujet à un carrefour
entre les sciences de l'éducation et la gestion. D'ailleurs, comme
il y a la sociologie, l'histoire, le droit et l'économie
de l'éducation, notre étude relève bien de la
gestion de l'éducation.
D'où la spécificité aussi de la
construction méthodologique qui ne peut pas être exactement
similaire à celles utilisées pour toutes ces
branches de recherche. Au lieu d'appréhender le terrain par
une enquête ou un entretient (directif, sémi-directif) avec
des questions ouvertes ou fermées, etc., c'est son Projet qui
nous intéresse à travers le document rédigé
intitulé "Projet d'établissement 2004-2007 de
l'Université de Nantes". Ce document, un dispositif de gestion
parmi d'autres, constitue donc l'échantillon qui a été
choisi. Enfin, l'analyse
du contenu nous sert de moyen méthodologique pour
l'étudier.
Explorer l'intérieur d'un dispositif de gestion qui
prend certes de plus en plus d'importance dans la vie des entreprises comme
dans celle d'un établissement de formation, mais dont on ne
connaît pas encore grand-chose du contenu, appelle un effort particulier
de prudence dans la méthodologie d'approche. La rigueur habituelle des
méthodes quantitatives sert à réduire
au minimum la prégnance éventuelle,
logiquement probable, de la subjectivité du chercheur. Cependant,
une rigueur toute numérique appliquée aux sciences
humaines comporte aussi le risque de retour quelques siècles en
arrière pour retomber dans la fameuse "physique sociale". Malgré
l'évolution des outils méthodologiques, rendue possible par
l'usage de plus en plus incontournable de l'informatique, nous
estimons encore plus que jamais indispensable d'avoir recours à
une méthodologie qualitative en complément du quantitatif.
Nous allons, pour ces raisons, effectuer cette "exploration"
à l'aide d'un outil d'analyse quantitative de discours plus avec le
logiciel Alceste qui sera complété par une posture
délibérément qualitative durant toute l'étape
d'interprétation des résultats. Cela sera fait dans
l'espoir de mieux comprendre ou, du moins, mieux remarquer les faits
essentiels qui se dégageront de ce Projet. Après les
éléments indispensables à l'identification de ce
choix méthodologique, suivi des étapes de préparation
du corpus, ce chapitre s'achèvera sur la problématique de
cette recherche et nos différentes hypothèses.
I. Approches méthodologiques
A. Analyse de contenu à l'aide d'Alceste
1. Analyse de contenu
Une précision préalable est indispensable :
travailler sur un document pour procéder à l'analyse de
contenu n'a rien à voir avec l'analyse documentaire. En effet,
"opération
ou ensemble d'opérations visant à
représenter le contenu d'un document sous une forme
différente de sa forme originelle afin d'en faciliter la consultation ou
le repérage dans un stade ultérieur"153, l'analyse
documentaire fait partie des activités au service de la gestion d'un
centre de documentation.
Au croisement entre les techniques "artisanales" et
l'informatisation, l'analyse
de contenu recouvre une palette de pratiques allant de
l'analyse traditionnelle faite à la main, à l'utilisation de
logiciels spécialisés. Cet état de fait
résulte naturellement de l'évolution de la méthode
et de son usage accru depuis l'après-guerre. Il vient aussi
d'une rencontre entre les théories du langage et l'informatique.
L'efficacité de ses résultats a rependu l'utilisation de
l'analyse de contenu dans la psychologie, la sociologie, la politologie ainsi
que dans les sciences
de gestion.
L'étude de notre corpus - le projet d'établissement
de l'Université de Nantes -
ne trouve pas mieux comme outil d'investigation. La
définition qu'en a donnée B. Berelson pourrait suffire
déjà pour s'en convaincre :
"L'analyse de contenu est une technique de recherche pour
la description objective, systématique et quantitative du contenu
manifeste de la communication."154
Bien entendu, une telle définition datée
des années 40-50 est loin d'être satisfaisante tant elle est
restrictive. Depuis, il est revenu sur sa propre définition pour
déclarer : "L'analyse de contenu, comme méthode, n'a pas de
qualités magiques" et "on en retire rarement davantage que ce que l'on y
met et quelquefois moins - en fin de compte, il n'y a pas de substitut aux
bonnes idées". Dans ce cas à quoi bon s'y attarder encore ?
L'évolution de cette technique reflète peut être tout
simplement les caractéristiques de l'épistémologie d'une
science carrefour puisque L. Bardin, dans la première partie de son
ouvrage, retrace l'historique d'une technique marquée de hauts et de bas
; des aventures plus ou moins solitaires à la convergence d'attention
entre plusieurs disciplines pour aboutir à une approche
pluridisciplinaire en faisant collaborer des branches de la linguistique
avec les statistiques et l'informatique. Aujourd'hui, l'analyse de
contenu a atteint un niveau de sophistication tel dans ses outils,
tout en restant commode d'utilisation, que son usage couvre des champs aussi
diversifiés que la lexicométrie, l'énonciation
linguistique, l'analyse de conversation, l'analyse documentaire...etc. au
service des linguistes,
des chercheurs en sciences humaines et sociales, en journalisme,
jusqu'aux sciences politiques.
153 Laurence Bardin (2003), L'analyse de
contenu, Paris, coll. Le psychologue, PUF, p. 50.
154 Idem, p. 21
Une idée motive le recours aux outils
méthodologiques en sciences sociales comme en gestion : la recherche
de plus d'objectivité. Ce qui est à distinguer du scientisme.
Pour
y parvenir, il y a deux déclinaisons opératoires
:
- Dépasser les limites des possibilités
offertes par les cinq sens humains, si puissants qu'ils puissent
être. C'est l'occasion par ailleurs de plus de distanciation.
- Accroître l'échantillonnage, voire
l'exploitation du matériau dans sa totalité, quelle qu'en soit la
taille, sans qu'il faille le saucissonner en plusieurs morceaux entre plusieurs
regards avant une impossible recomposition des résultats.
Au final, l'objectif étant d'obtenir des
résultats délestés du plus de préjugés
possibles, heuristiques et, de ce fait, répondant au plus près
aux interrogations du chercheur dans
sa précision tout en fournissant des arguments
solides de confirmation, d'infirmation ou de découverte. Alors,
quel en est le champ d'application ? P. Henry et S. Moscovici
répondent : "Tout ce qui est dit ou écrit est susceptible
d'être soumis à une analyse de contenu." 155 De cela
découle la définition de l'analyse de contenu par L. Badin comme
"Un ensemble de techniques d'analyse des communications visant, par
des procédures systématiques et objectives de
description du contenu du message, à obtenir des indicateurs
(quantitatifs ou non) permettant l'inférence des connaissances
relatives aux conditions de production/réception (variables
inférées) de ces messages."156
La méthodologie Alceste figure parmi la courte
liste des outils/méthodes les plus performants et prisés par
la majorité de la communauté scientifique du moment. Enfin, pour
enfin être plus opératoire, explorons Alceste sans trop nous
attarder sur les détails pointus des outils statistiques dont elle
se sert mais qui, raisonnablement, peuvent être
considérés comme acquis avant le cycle Master ou à
acquérir dans les ouvrages abondants qui lui sont
dédiés.
2. Principes du fonctionnement d'Alceste
Dès 1974, M. Reinert met au point une méthode de
Classification Descendante Hiérarchique (CDH) qui s'inspire de
l'Analyse Factorielle des Correspondances (AFC) du Mathématicien
J.-P. Benzecri. Et il va se démarquer à la fois de
l'analyse de contenu, de l'approche linguistique des textes et de la
lexicométrie.
155 In Laurence Badin (2003), op. cit. p. 36.
156 Laurence Badin (2003), op. cit., p. 47.
Conçue à l'intersection de l'analyse des
données statistiques appliquée à la linguistique de
J.-P. Benzécri et l'analyse de contenu en psychologie sociale, la
Méthode Alceste (Analyse des Lexèmes Cooccurrents dans les
Énoncés)157 de M. Reinert s'inscrit dans le
courant
de statistique textuelle de P. Achard. Elle a pour
objectif la quantification d'un texte pour en extraire les structures les
plus significatives qui sont liées à la distribution des mots.
Or, cette distribution, qui n'est pas un fruit du hasard, dessine un univers
dit "monde lexical".
À l'affirmation de Foucault selon laquelle le
thème d'un discours circule d'énoncé en
énoncé, Reinert poursuit en précisant que : "Ce qui reste
de cette circulation du sens dans un discours, c'est le texte. Mais le sens
[note : En cela le sens se différencie nettement de la signification]
n'est pas dans le texte, le sens était dans le temps de
cette circulation, dans le dynamisme d'une parole réelle. Il reste
cependant dans le texte, une trace formelle du passage de l'objet, non
seulement à travers les significations construites,
représentées, mais aussi à travers ce
qui se montre seulement comme des traces de pas. Si
le sens particulier à l'origine du texte semble à jamais
perdu, un ordre temporel, linéaire, s'y est déposé, dont
la lisibilité dépendra de l'expérience réelle d'un
lecteur, avec sa propre scansion, susceptible de mettre en résonance sa
propre histoire. (...) notre propos avec Alceste n'est pas d'analyser
la signification représentée dans un texte dans sa
complexification progressive. Le texte est déjà là dans
toute sa complexité
et suffit à la montrer. Notre propos est plutôt
d'aller à contre-sens, vers cette origine objective et dynamique,
présente dans les traces les plus immédiates, les moins
pensées. Et pour cela il faut déconstruire le texte ; à
chaque pas, cerner une marque de ce qui s'offre spontanément. Pour
cela,
le discours doit s'entendre dans le rythme de ses moments
toujours renouvelés. Ce n'est pas tant
qui parle, ou ce qui se dit, qui nous intéresse mais
d'où ça parle, à chaque instant ! (...) Aller vers
l'origine topique du sens plutôt qu'à sa poursuite, telle fut
notre premier désir avec Alceste." (M. Reinert, 2001)158.
Purement formelle, la logique d'Alceste ne s'occupe pas
des critères de contenu. Ainsi, plus important deviennent les
relations entre les classes que les classes elles- mêmes bien
qu'il ne faille pas, pour autant, les négliger.
Le monde lexical est la "trace lexicale" d'un
"référent" (dont la matérialité n'est
pas obligatoire) ou "point de vue" qui sert à l'orateur
pour construire ses énoncés. Pour illustrer cette idée de
monde lexical, reprenons deux énoncés proposés par M.
Reinert lui-même :
157 ALCESTE : Analyse des Lexèmes
Cooccurrents dans les Énoncés. Nous reviendrons plus tard
sur la signification logique de ce nom.
158 Max Reinert (2001), "Alceste, une méthode
statistique et sémiotique d'analyse de discours ; Application aux
'Rêveries
du promeneur solitaire", La Revue française de
Psychiatrie et de Psychologie Médicale, V (49), pp. 32-36.
Énoncé 1 : "Camarades si impérialisme
déclare guerre aux soviets notre position sera conformément
aux directives troisième internationale position des membres parti
communiste français."
Où la trace lexicale est : l'idéologie
communiste
Énoncé 2 : "Des orages artificiels sur des baraques
de chiffons dont les fenêtres sont faites de roseaux jaunes."
Où la trace lexicale est : un espace naturel
L'analyse des traces lexicales d'un ensemble de discours permet
de différencier globalement les référents qui sont les
lieux à partir desquels l'énonciateur énonce. Or
justement,
la méthodologie Alceste vise à mettre
en évidence les "lieux" les plus fréquentés
par l'énonciateur grâce à la fréquence des traces
lexicales identifiables statistiquement.
Un monde lexical est donc la trace statistique d'un "lieu"
fréquemment "habité"
par l'orateur. Les mondes lexicaux d'un corpus
s'identifient à l'aide d'une simple analyse statistique puisqu'il
s'agit des traces purement sémiotiques gravées dans le
texte en lui-même. Ces traces sont des données brutes et neutres
que seule l'interprétation, qui dépend de l'objectif
du lecteur, permet de donner du sens. À noter enfin
qu'un monde lexical se définit toujours de façon
systémique, par rapport aux interactions (fréquence, absence,
opposition) qu'il entretient avec d'autres mondes lexicaux.
"Un monde lexical est donc à la fois la trace
d'un lieu référentiel et l'indice d'une forme de
cohérence liée à l'activité spécifique
du sujet-énonciateur" (M. Reinert)159. Le
référent n'est donc pas, pour nous, un continent
de la réalité extérieure au sujet mais
intrinsèquement lié à son activité, ses
désirs, sa mémoire, lieu à la fois des
représentations individuelles et sociales
(Moscovici)160. Mais il existe aussi de par ses
interactions (rapprochement, opposition) avec d'autres lieux, d'autres
manières d'être, de s'exprimer, etc. Ces croisements conflictuels
ou collaboratifs des référents sont à la base
même des activités réflexives. Et pour terminer, selon
l'auteur de cette méthode, l'investissement de l'orateur de ces "lieux"
le conduit aussi à suivre obligatoirement, malgré lui, une sorte
de logique de contenu qui leur est intrinsèque. Ce qui permet de
conclure à l'efficacité et l'efficience de la méthode
Alceste
dans la démarche d'interprétation plus libre des
contenus d'un corpus.
159 Max Reinert (n. d.), extrait de l'article "Les
"mondes lexicaux" des six numéros de la revue Le surréalisme
au service
de la révolution" in page web de l'Équipe
de Recherches Cliniques en Psychanalyse et Psychologie (ERC).
160 In Max Reinert, op. cit.
Notons pour terminer qu'une méthodologie, et
encore plus un logiciel au service d'une méthodologie, n'est
autre qu'un outil qui doit servir l'objectif du chercheur. Ce serait
une sorte de prolongement des cinq sens qui l'aide à gagner du temps
dans le traitement d'une masse d'informations qui, manuellement,
accaparerait trop de temps. Mais aussi une double interface entre lui
et son sujet/objet d'étude ; puis entre lui et la
communauté des chercheurs détentrice du pouvoir de
reconnaissance sur le caractère scientifique ou non de la
recherche, de la validité ou non des résultats obtenus. De ce
fait, nous ne lui accordons pas plus
de poids que d'autres outils pourvu qu'ils soient
appropriés à notre sujet/objet d'étude. Par
conséquent, l'utilisation du logiciel Alceste sera forcement
complétée par une démarche plus compréhensive,
donc qualitative, plus intuitive, en tout cas plus libre. Les entretiens
formels ou informels en amont et pendant toute la durée de
travail auprès des chefs d'établissement, des personnels de
l'université ayant été ou étant encore
impliqués à la conception de ce document qui nous occupe ainsi
de la mise en oeuvre proprement dite de ce Projet, complètent
ce travail principal et que nous avons choisi de mettre plus en
lumière. Pour y parvenir, un long et fastidieux travail de
préparation ont été nécessaires sur le document
brut.
Voyons maintenant, très rapidement, les étapes
préparatifs qui précèdent la soumission du corpus
à l'analyse proprement dite.
B. Préparation du corpus
1. Échantillonnage
Échantillonner revient à
sélectionner les données d'un corpus selon des
logiques de représentativité. Pour les enquêtes sous
forme de questionnaire ou entretien sémi- directif, des formules
statistiques permettent une réduction des informations à
une taille convenable pour mieux assurer leur exploitation. Il en va de
même pour les textes faisant l'objet d'une analyse de discours.
Certes, notre corpus, Le Projet d'établissement 2004/2007 de
l'Université de Nantes est assimilable à un discours. Mais cela
dépend de la définition que l'on donne au discours. Ce dans
quoi nous ne nous embarquerons pas. Du moins, pas plus que
sommairement. Il est néanmoins important de préciser la
nature de ce corpus pour mieux comprendre les choix méthodologiques
qui lui sont appliqués.
"Développement oratoire sur un sujet
déterminé, prononcé en public ; allocution"
(Petit Larousse, 2005) ? Tel n'est pas exactement le cas de ce
Projet. Auquel cas, notre corpus ne serait pas un discours. "Ling. a.
Réalisation concrète, écrite ou orale, de la langue
considérée comme un système abstrait." (Petit
Larousse, 2005) semble déjà correspondre à sa
nature, dans sa globalité. Il convient toutefois
d'apporter quelques précisions pour préciser une
catégorisation qui semble si nette. Les deux pages d'avant-propos du
président François Resche, oeuvre individuelle s'il en est,
vérifient bien la première définition. Les 91 pages
suivantes, plus collectives quant à elles, revêtent une forme
mixte : elles mélangent la forme d'un discours oral semblable à
l'allocution du Président et une forme de rapport
structuré et documenté par des tableaux statistiques,
graphiques, listes et index qui ressemble plutôt à la
deuxième définition. Dans tous les cas, "une réalisation
écrite [...] de la langue considérée comme un
système abstrait" définit mieux ce document. Alors comment
échantillonner un tel document qui traite de plusieurs sujets
complémentaires pour former un ensemble de projection d'une
grande organisation ? Malgré d'énormes efforts de
réflexion pour y parvenir, nul argument ne nous parait justifier la
négligence de telle partie au dépens de telle autre, la mise en
relief de telles idées par rapport à d'autres sans tomber dans
une prise de partie fortement inductive. Le choix de
considérer le document dans sa totalité, pour respecter son
intégrité, l'a donc emporté. Il en va de la qualité
de l'enseignement qui peut en être tiré. Techniquement, par
ailleurs, plus le corpus est volumineux, meilleure sera la qualité des
résultats de son traitement par Alceste.
Cependant, pour des raisons techniques liées à
l'utilisation du logiciel Alceste,
il a fallu procéder à une très longue
préparation, en amont, afin que le maximum de données
texte soit compatible avec le format imposé par le traitement
automatique.
2. Formatage du texte
Toutes les manipulations du texte ont été faites
à partir de la version numérique
du document. Complète, elle contient les mises
en forme très élaborées qu'offre le logiciel
Microsoft Word qui a servi à son édition. Il a donc fallu
"nettoyer" ce corpus pour le mettre au format Alceste. Ce qui a
nécessité deux phases de travail :
Malgré notre aisance en matière de
bureautique, le plus long et fastidieux travail fut l'élimination
de tous les index qui ne peut s'effectuer que mot par mot,
élément par élément, sans aucune automatisation
possible. En tout cas, aucune astuce de la version de Microsoft Word
2003 ou antérieure ne le rend possible encore. Ensuite, plus
raisonnable en temps de travail, la suppression des graphiques pour
finir par la conversion des tableaux en textes. En allocation de
ressources temporaires, cette partie de formatage nous a
dilapidé des heures de travail excessivement
disproportionnées.
La suite a été faite dans un délai
plus raisonnable proportionnellement à l'ensemble du temps
consacré à la réalisation de tout ce travail de
mémoire. Il s'agit de rendre le corpus exactement conforme au format
Alceste : conversion du document en format texte ;
transformation des majuscules en minuscules pour que maximum
d'items puisse être analysé ;
réécriture de certaines expressions (ie. groupes
nominaux, noms composés...) concaténées par
des tirets bas (_) pour garder leur unité sous forme
d'un seul mot, etc. Quant au découpage par UCI et UCE, le texte a
été laissé en entier dans sa forme "naturelle" afin que le
logiciel prenne entièrement en charge de sa réorganisation. Un
tel choix est le corollaire même de la nature du document qui
l'autorise. Il participe aussi de certaines précautions pour se
prémunir des tentations d'influer sur la direction de l'analyse en
intervenant le moins possible en amont. Cela correspond bien à la
philosophie générale d'Alceste.
Soulignons seulement pour finir, que la méthodologie,
qu'elle soit quantitative
ou qualitative, avec tous les lots d'instrumentations qu'elle
propose, n'a pas pour fonction de faire
la recherche à notre place. Si en sciences physiques ou en
chimie cela semble possible - ce qui
est moins sûr - en sciences humaines, nous estimons
que la méthodologie aide et encadre le travail de recherche pour
assurer un travail scientifique. Mais ce n'est pas une procédure
à suivre
à la lettre ou à la virgule près. À
nous d'adapter soit la méthode, soit le résultat de ses
instruments
à ce que nous observons et au résultat de notre
propre constat, analyse ou remarques inopinées, pour vérifier si
notre hypothèse est corroborée, pour l'échantillon choisi,
ou infirmée.
Alors, passons au stade suivant pour poser nos
hypothèses.
II. Questionnement de la recherche
A. Problématique du projet-contenu
Si le Projet, en tant que dispositif
opératoire d'anticipation, offre une perspective
intéressante pour l'innovation en vue d'une meilleure
performance de toute organisation, quel que soit sa taille et sa nature,
son contenu reste encore totalement inexploré au point de recevoir le
qualificatif de "boîte noire". Cela nous intéresse en tant
qu'expression d'un compromis entre intérêts divergents en
tension, mais aussi comme référentiel collectif qui
comporte un ensemble d'éléments fondamentaux rendant possible
l'action. Nous nous référons, pour prendre en
considération cette expression écrite du projet, à
J.-P. Bréchet qui la définit comme une rationalisation
ex-ante, un mixte d'intentions, de règles de décisions et de
décisions déjà retenues, un discours de justification et
de légitimation des fins et des moyens envisagés.
Sur le plan théorique probablement, sur le
plan pragmatique sûrement, procéder à l'inventaire,
même partiel, du contenu de ce projet d'établissement contribuera
donc à
nous - acteurs du système éducatif - donner
quelques repères de vigilance pour plus d'efficacité lors des
futures projections. L'activation de tels repères pourra servir comme
levier d'une création d'un futur meilleur pour le
développement d'un établissement doté d'une
volonté de réussir à s'imposer face, aussi bien
à la vicissitude des contextes environnants, notamment la concurrence,
qu'à l'incertitude caractéristique de notre époque.
L'analyse de projet-contenu contribuera à réduire son
caractère flou pour ce cas précis de projet, c'est-à-dire
celui d'une université.
Alors, pour un processus de fédération d'un
ensemble d'acteurs hétérogène, quel type de discours
comporte ce projet : énoncée de grandes valeurs axiologiques,
expressions
de règles, de décisions, de procédures ou
une programmation bien détaillée, budgétée avec un
calendrier précis ? Par rapport à notre idéal-type, ce
projet est-il structurellement équilibré ? Ce sont autant
d'interrogations auxquelles nous allons tenter de répondre
concrètement en allant parcourir l'intérieur du Projet
d'Établissement de 2004-2007 de l'université unique de
Nantes. Pour y répondre, posons une hypothèse d'abord
global, ensuite des hypothèses plus opérationnelles,
pour orienter nos investigations.
B. Nos hypothèses
Dans une perspective systémique et,
conformément à la manière dont nous avons
conçu la modélisation du concept, nous proposons comme
première hypothèse (H-1)que le Contenu d'un projet
d'établissement renferme des éléments très
disparates qui forment un tout. Ensuite, en deuxième hypothèse
(H-2), que parmi ces éléments, quatre catégories,
au moins, devraient se manifester clairement pour donner la morphologie
globale du contenu : des éléments
de diagnostic (H21), des objectifs précis (H22), un
échéancier (H23) et les moyens alloués à la mise en
oeuvre de ce projet (H24). Enfin, nous suggérons l'existence d'une
certaine corrélation entre cette structure fondamentale du
projet-contenu et la nature d'éléments du discours qui
l'accompagne ou l'enveloppe.
|
Valeurs
|
|
|
Règles
|
|
Missions
|
|
Diagnostic
(H21)
|
|
Moyens
(H24)
|
|
Objectifs
(H22)
|
Échéancier (H23)
|
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme70.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme71.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme72.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme73.png)
Figure 14 : Les hypothèses
Cet avant-dernier chapitre a posé deux types
d'éléments clefs dans ce processus
de recherche : le choix méthodologique et la
problématique. L'utilisation d'Alceste comme outil ancre notre
inscription dans une triangulation méthodologique alliant une analyse
quantitative de contenu avec une interprétation qualitative plus
compréhensive. Une telle posture garantit la prise en compte de
notre sujet/objet dans toute sa complexité. De la
problématique du projet- contenu qui se résume par son
caractère flou puisque inexploré, nous proposons de
répondre à la question du savoir ce qu'il peut recouvrir, par
deux hypothèses complémentaires. D'abord, que le contenu du
projet est constitué d'éléments disparates. Ensuite, que
malgré cette disparité, il existe
un certains nombres d'éléments bien
identifiés qui devraient y être pour qu'il y ait
équilibre.
C'est ce que nous allons vérifier dans le chapitre
qui suit, en partant de son processus de conception avant de plonger
notre regard à l'intérieur de ce discours écrit.
CHAPITRE 6
EXPLORATION DU CONTENU D'UN PROJET
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme74.png)
Après cet indispensable préparatif technique
marqué par le choix méthodologique suivi par une longue
préparation du corpus, nous voici enfin au moment le plus important de
la délicate exploitation du résultat d'analyse. Mais il
convient, selon nous, de précéder cette phase par d'autres
actions elles aussi sources d'enseignements en vue d'une meilleur
exploitation du corpus. Il s'agit des deux étapes incontournables : la
description, aussi détaillée que possible de la brochure
"Projet d'établissement" de l'Université de Nantes, et la
description très méthodique du processus de sa conception.
Notre corpus a, en effet, un historique marquant qui ne peut pas
être exclu du travail d'examen de son contenu. L'exposé de
ce processus d'élaboration sera suivi de la description
de la structure proprement dite du projet- contenu avant d'apporter quelques
remarques sur la nature et la portée du discours que ce
document comporte.
I. L'élaborationdu corpus
A. Description de l'objet
Un bel objet de communication au format A4, notre
corpus se présente sous forme d'un volume d'environ 8 mm
d'épaisseur, protégé par une couverture en papier
cartonné tricolore : une bande horizontale grise de 5,4 cm en
en-tête, suivie d'un corps à un tiers bleu marine à
gauche, et à deux tiers blanc cassé à droite.
"Université de Nantes 2004-2007" est inscrit sur l'en-tête
grise, suivie en bas à droite par "Projet d'établissement
2004-2007" alors que
la bande verticale bleue de gauche est estampillée,
presque en bas de la couverture, par le logo
(l'ancien) de l'université. La quatrième de
couverture bicolore, quant à elle, porte en entête -
toujours grise - la même inscription mais avec des
polices de caractères différentes de la
première de couverture ; et en trois colonnes dans le
bas de page le numéro ISBN161 surplombant son
code-barres162, l'adresse Internet de l'Université de
Nantes surmontée par l'adresse de la présidence ; et enfin
le logo dans l'angle à droite.
Le contenu s'organise comme ceci : après
l'Avant-propos du président, une première partie
présente le contexte,les enjeux et les dispositifs de la
démarche ; alors que la seconde partie donne les orientations, les
objectifs et les ambitions de l'établissement.
Pourquoi tant de description même pour certains
éléments qui semblent si peu intéressants et qui ne
rentreront même pas dans l'analyse du corpus, au coeur de ce travail ?
Parce que ce sont justement les détails si négligeables et si
négligés, dont l'importance ne relève pas de
l'évidence, qui peuvent sûrement contribuer à transmettre
des bribes d'informations perceptibles
par l'intuition, et qu'ils méritent donc au moins
d'être relevés. Ce corpus est aussi un document de communication
stratégique. À ce titre, le contenant,
c'est-à-dire l'apparence a sa part d'importance. Dans un grand
établissement comme l'Université de Nantes où la lecture
intégrale,
par toutes les parties prenantes, des documents officiels
d'information semble loin d'être encore gagnée, proposer un objet
de design, de qualité visuelle agréable participe à
l'effort de diffusion convenable pour un dispositif qui se veut
fédérateur. "Communication : rien ne vaut un bel ouvrage"
s'exclame l'auteur (C. A.) d'un petit article du même titre dans Enjeux
Les Échos 163, avant de citer M. Bouygues qui souligne
:"Je crois au rôle essentiel du verbe pour définir qui nous
sommes et qui nous voulons être". Ainsi, c'est bien ce qu'il contient qui
nous intéresse le plus dans le projet de l'Université de
Nantes, notamment à ce stade de l'avancement de cette
recherche.
Dans une gouvernance par collégialité
caractéristique de l'université française,
la portée communicationnelle de ce document apparaît
évident pendant toutes les phases de sa conception, après la
consultation générale ayant impliqué 575 personnes. Ne
serait-ce que lors
des deux réunions du Conseil d'Administration, on
devine l'effervescence des débats sur l'acceptation de tel ou tel
terme ; les revendications sur l'inscription de tel ou tel principe pour que
l'objet en conception obtienne l'assentiment de toutes les parties.
Or, la communication comme ensemble de dispositifs fonctionnels et
symboliques peut être vue de trois manières : courroie de
transmission de choix stratégiques, processus de mise en commun
d'acteurs, ou bien
encore perspective plus englobante qui considère
qu'agir collectivement, c'est toujours
161 ISBN : 2-86939-200-1
162 Code barre : 9 782869 392007
163 C.A. (2006), "Communication : rien ne vaut un bel
ouvrage" in Enjeux Les Échos n° 223 - avril 2006, p.38.
communiquer (Y. Giordano, 1999)164. Ces trois
manières se combinent à différentes proportions
et à différents moments pour donner la
communication effective d'une université. Mais, au vu de notre
interrogation sur la stratégie que peut mettre en oeuvre un directeur
pour fédérer une équipe hétérogène
autour d'un projet, la communication comme processus de mise en commun
d'acteurs
est déjà une réponse. Et cette
"cum-unicare" se sert du langage, certes, mais d'un langage compris
par l'ensemble des acteurs au sein d'une même organisation,
propre à la culture commune. Pourtant, le langage semble encore
si partiel dans ce cas. Alors, on devrait plutôt, quand il s'agit
de culture, parler d'habitus professionnel, ici, de l'enseignement
supérieur public.
C'est dans ce contexte de communication, de
résolution de problème, de coordination et de consensus
qu'a eu lieu le processus de conception du projet-contenu. Ce dernier,
objet palpable, nous intéresse autant que les différentes phases
de son avènement que nous qualifions de projet-ingénierie.
B. Ingénierie du contenu
La modélisation proposée au chapitre 4
alimente la lecture des différentes phases de la conception du
dernier Projet d'établissement de l'Université de Nantes,
depuis la décision initiale à l'édition du
document définitif. Cette lecture s'effectuera suivant le
déroulement chronologique des suites d'actions, tout en veillant
au maintien de l'emboîtement entre les processus. Elle
évitera ainsi un découpage mécaniste induit par une
quête de fausse clarté qui risque d'émietter des
éléments qui ne révèlent mieux leur sens
qu'intégrés au système dont ils contribuent au
fonctionnement.
En vue d'une meilleure investigation du projet-contenu,
nous suggérons une
explicitation au préalable, dans ses grandes lignes,
de sa conception dès la première page
blanche jusqu'au volume édité. Qu'il n'y ait pas de
malentendu, le projet-contenu dont il est
question ici peut être défini à travers
une métaphore que nous baptiserons volontiers
"poétique de l'embryogenèse".
Poétique car il n'y a ici aucune prétention à une
rigueur
scientifique mais il s'agit d'une considération
mêlant culture générale et réflexions
hypothétiques.
Partant d'une paire de gamètes male et femelle,
nous sommes en présence
d'une vie en devenir, génétiquement
prête, si la rencontre entre les deux se fait dans les
164 Yvonne Giordano (1999), "La communication
est plurielle dans ses représentations", Les cahiers de la
communication
interne, n° 4 - février 1999.
meilleures conditions. Mais en amont de cette rencontre,
au-delà des évolutions purement
biologiques, un ensemble de contraintes, calculs,
libertés, imaginations, rêves, désirs,
sentiments et décisions, en interaction avec tout un
climat environnemental des deux parents,
ont participé à l'existence desdites
gamètes. Mises en contact, leur évolution en embryon
dépendra autant des lois génétiques que de
l'entrecroisement de conditions, dont les volontés
des géniteurs et les compétences d'une
équipe médicale éventuellement impliquée. Ce
qui
suppose toute une série de coordinations, de
communications et de partages de sens. Par la
suite, rien ne sera automatique ; pas même
l'espérance de vie (intra-utérine, périnatale).
Aucune prédiction n'est possible, sinon très
peu. Même le futur développement des deux
embryons homozygotes d'éventuels dépendra, pour
chacun, de leur interaction individuelle
avec l'environnement qui ne pourra avoir lieu que de
manière très singulière. La poétique de
l'embryogenèse considère donc ce
potentiel, cette ou ces vies en puissance que constitue
l'embryon, dans sa globalité technique,
génétique, environnementale, psychologique et
philosophique.
Encadré 4 : Poétique de
l'embryogenèse
Il en va de même du projet-contenu qui
représente la verbalisation d'un ensemble d'intentions, des
règles, de hiérarchies décisionnelles, de programmes et
d'images d'un futur commun désiré à faire advenir.
À défaut de lui obtenir un statut précis,
unanimement reconnu par des différents spécialistes, cette
potentialité nous sert de compromis entre la velléité
de le considérer comme un simple script figé, d'un
algorithme prêt à être compilé, et la tentation
de lui conférer la place de but ultime. À la fois
matrice et interface relationnelle, c'est à partir de
ce potentiel que se fondera la phase de la mise en
oeuvre d'un projet puisque, loin d'être une simple
représentation prospective, le projet, une fois imaginé et
dessiné, reste à réaliser. Sans le passage à
l'acte, réussi ou pas, tout cela relève du mirage. La question de
mise en oeuvre dépasse déjà le cadre de notre
étude, mais en amont, il nous faut décrire, à
partir d'un cas concret, le passage progressif, au cours d'un temps
limité, de la décision de se projeter, au projet-contenu.
Deux outils complémentaires alimentent ce travail :
l'ensemble des documents initiaux et intermédiaires (rapports de
commissions et sous-commissions) et le document final diffusé. Le tout
est complété par des entretiens auprès de
différents membres de l'équipe projet.
Le tableau récapitulatif des données essentielles
de ce processus de conception.
DUREE
DATE
2 m ois
PR EPAR ATOIR E
02/10/2002
PHASE
Equipe PROJET
Prise de fonct. Président
Equipe de coordin. du PROJET
Nom bre
Acte urs
1
2
PRODUCTION
COMMISSIONS
197 Jours (6 MOIS 1 /2 )
23 J ours
2 m ois
C ONSUL TATIVE
02/12/2002 NUM Nom s/comm
SESSIONS
(Nom bre)
PAPPORT
(Nbr pages )
|
1
|
Formation
|
3
|
88
|
6
|
10
|
|
2
|
Recherche
|
3
|
86
|
15
|
12
|
|
3
|
Vie étudiante
|
2
|
74
|
6
|
6
|
|
4
|
Culture
|
0
|
42
|
4
|
10
|
|
5
|
Internationale
|
5
|
69
|
7
|
10
|
|
6
|
Personnel univ
|
2
|
37
|
5
|
8
|
|
7
|
Santé, Sécurité, Social
|
6
|
96
|
9
|
10
|
|
8
|
Administr, Décentralis
|
2
|
51
|
9
|
11
|
|
9
|
TIC
|
4
|
32
|
8
|
10
|
21/02/2003
|
|
|
27
|
575
|
69
|
87
|
GROUPE DE TRAVAIL ACTION
PRODUCTION
Synthèse
Président
Arbitrage 1
Equipe de coordin.PROJET Synthèse 2
Avant-PROJET
14 J ours
14/03/2003
Bureau
Décision 1
Groupe de coordination Commissions consultatives Conseils
consultatifs
Amendements
16 J ours
28/03/2003
4 J ours
14/04/2003
18/04/2003
CA
ÉL ABOR ATION
S ynthès
Equipe de coordin. du PROJET
Conférence dir. Composantes
Décision 2
Commission Paritaire de l'établ
CS CEVU
Commission Finances/Moyens
CA
60
1er vote
2
Propositions
2nd vote 60
Modifications
Enrichissement
New version PRJ Liste Préconisations
Modifications
Tri amendements
Vote PRJ 2004-2007
Tableau 1 : Processus de conception du
projet-contenu
DURÉE
|
DATE
|
PHASE
|
197 JOURS (6 mois 1/2)
|
60 Jours
|
02/10/2002
|
( I )
PRÉPARATION
|
80 Jours
|
02/12/2002
|
( II )
CONSULTATION
|
23 Jours
|
21/02/2003
|
( III )
ÉLABORATION
|
Synthèse 1
|
14 Jours
|
14/03/2003
|
Examen
|
28/03/2003
|
Décision 1
|
16 Jours
|
|
Synthèse 2
|
4 Jours
|
14/04/2003
|
( IV )
FINALISATION
|
Examen
|
18/04/2003
|
Décision 2
|
Figure 15 : "Projetmètre"
DURÉE
|
DATE
|
PHASE
|
197 JOURS (6 mois 1/2)
|
60 Jours
|
02/10/2002
|
( I )
PRÉPARATION
|
80 Jours
|
02/12/2002
|
( II )
CONSULTATION
|
23 Jours
|
21/02/2003
|
( III )
ÉLABORATION
|
Synthèse 1
|
14 Jours
|
14/03/2003
|
Examen
|
28/03/2003
|
Décision 1
|
16 Jours
|
|
Synthèse 2
|
4 Jours
|
14/04/2003
|
( IV )
FINALISATION
|
Examen
|
18/04/2003
|
Décision 2
|
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme75.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme76.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme77.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme78.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme79.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme80.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme81.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme82.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme83.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme84.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme85.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme86.png)
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme87.png)
1
Décision
2 Planification
|
9 Commissions
1-Formation
2-Recherche
3-Vie étudiante
4-Culture
575 5-Internationale 9 Rapports
6-Personnel universitaire (87 pages)
7-Santé, Sécurité, Social
8-Administr, Décentralisation
9-TIC
|
1 Arbitrage
2 Avant-Projet
|
Conseil d'Examen 1
Bureau
? Groupe de coordination Amendements
Commissions (18)
Conseils consultatifs
1er vote
60 Conseil d'Administration
|
1 Arbitrage
2 Projet version 1
|
Conseil d'Examen 2
CDC
? CPE Modifications
CS
CEVU Propositions
CFM
|
60 Conseil d'Administration 2nd
Vote
PROJET
2 D'ÉTABLISSEMENT
|
Figure 16 : Processus de conception du
projet-contenu
Le contour chronologique
PHASES
|
JOURS
|
TAUX (%)
|
1
|
60
|
30,46
|
2
|
80
|
40,61
|
3
|
23
|
11,68
|
4
|
14
|
7,11
|
5
|
16
|
8,12
|
6
|
4
|
2,03
|
|
197
|
100
|
Repartition du temps projet
90
Consultative
80
70
Préparatoire
N o m b r e d e jo u r s
60
50
40
30
20
10
0
Arbitrage
Synthèse Examen
Décision
Arbitrage
Synthèse
Décision
Finale
-10
1 2 3 4 5 6
Les 6 pha ses du projet
Repartition du temps projet
45
40
35
30
25
20
% T e m p s
15
10
5
0
1 2 3 4 5 6
Les 6 pha ses du projet
Graphique 1: Courbe de répartition
chronologique
Le Tableau 3 retrace la répartition chronologique de cette
conception du projet avec les phases et interphases, le calendrier
précis, ainsi que le nombre de jours correspondants.
Il en ressort rapidement une tendance remarquable
à la fluctuation de la durée des différentes phases
du travail. Cette durée se réduit presque
régulièrement au fur et à mesure que l'on tend vers la fin
des travaux. De même, le projet se déroule dans un temps
donné avec une date de début et une date de fin. Il est
possible d'accorder une attention particulière à ce
tableau, en forme d'une règle graduée, que nous allons
dénommer "projetmètre".
Récupérées dans un tableau
récapitulatif, ces données (les phases de travail et
les nombres de jours) permettent de tracer deux courbes pour
donner une autre lecture de cette même réalité. La
première représente la courbe de tendance, tracée
au-dessus de l'histogramme
de la répartition des différentes phases
en valeur absolue, alors que la seconde exprime la répartition
en valeur relative. Il se trouve que les deux montrent, à
quelques nuances près, la même tendance. Les travaux ont
commencé le 2 octobre 2002 et se sont achevés le 18 avril
2003.
Il a donc fallu 197 jours pour concevoir le Projet
d'établissement de l'Université de Nantes.
Le président, initiateur du projet a pris la
première décision d'entamer le travail. "Le Projet
d'Établissement 2004-2007, dont, avec mon équipe, nous avons
immédiatement mis en oeuvre la préparation, est en phase
avec la durée de mon mandat", souligne-t-il dès le
deuxième paragraphe de son avant-propos. Puisqu'il se place, à
travers son discours, en figure de principal porteur du projet,
l'analyse de ses propos donne son positionnement par rapport à
l'ensemble de l'équipe projet. Lors d'une lecture comparative avec
la même partie du Projet d'Établissement 1999-2004,
un constat saute rapidement aux yeux. Pour
le Projet 2004-2007, le président engage sa
personne individuellement en s'exprimant à la première
personne du singulier. Les pronoms personnels "je", "me(s)" ou "mon"
reviennent 8 fois au cours des deux premières pages : "j'ai
pris mes fonctions", "j'ai fait adopter", "je renouvelle...à
titre personnel", etc. Alors que dans le projet
précédent (1999-2004) les formulations restent
impersonnelles en mettant plutôt en avant les différentes
composantes organisationnelles et les différents groupes d'acteurs.
L'Équipe de Coordination du Projet (ECP),
constituée de deux personnes (un professeur de stratégie des
organisations à l'IAE et le secrétaire général
adjoint de l'université), assure le suivi du projet, depuis sa
phase préparatoire jusqu'à la rédaction du document
final. Riche d'une première expérience, avec le Projet
d'Établissement 1999-2003, l'équipe a organisé,
en accord et en étroite collaboration avec le
nouveau président, la programmation de la
conception du nouveau projet ainsi que la constitution des
différents acteurs impliqués dans la
phase consultative (9 commissions, une assemblée qui
effectue l'examen avant le passage au
Conseil d'Administration).
Ces 9 commissions et sous-commissions, ayant
impliqué exactement 575 participants, ont produit 9 volumes de
rapports qui totalisent 87 pages. Elles sont l'émanation, savamment
dosée, de toutes les différentes composantes de
l'université dotée d'expertises complémentaires et de
personnalités extérieures. Une telle composition joue en
faveur de l'expression des besoins et inspirations particuliers de
chacune des composantes. En effet, "s'appuyant sur les instances
existantes (conseils d'université, conférence des directeurs
de composante, conseils d'orientation des services généraux,
commission paritaire d'établissement, commissions des finances et
des moyens, comité d'hygiène et de
sécurité), ces neuf commissions, enrichies d'experts et de
responsables universitaires directement concernés,...ont apporté
leur précieux concours aux réflexions menées" (F. Resche,
2003)165. Leurs concertations
ont durée 80 jours, ce qui correspond à
l'espace-temps le plus long de la graduation du
"projetmètre" (cf. p.128). Dans la courbe de la
répartition chronologique du projet (cf. p.130) cette phase est
représentée par l'unique partie ascendante pour atteindre
l'amplitude maximale de
la courbe. Sur le plan démocratique, il convient de
constater que dans cette conception collective,
la majorité a pu s'exprimer dans le laps de temps le plus
long proportionnellement au nombre des participants.
Le président a alors examiné les 9 rapports
en y apportant son premier arbitrage avant que l'Équipe de
Coordination (ECP) ne les synthétise pour rédiger
l'Avant-Projet.
Ce dernier a été alors soumis au Conseil
d'Examen qui y a apporté de correctifs, amendements et propositions. Ce
fonctionnement pose une interrogation sur la qualité de la prise en
compte de l'expression des intérêts particuliers. Quelle nature de
document examine-t-on dans cette phase puisque le président a
déjà fait valoir son arbitrage, et que le document se trouve donc
épuré de certains éléments sur la décision
d'une seule personne ? Une telle interrogation vient mettre un bémol
sur le constat d'expression "démocratique" annoncée
précédemment. En tout cas, si l'expression fut
démocratique, l'arbitrage obéit à une autre règle
du jeu politique que celle de la démocratie pour une organisation
réputée gouvernée par collégialité. Que le
registre évoqué soit
du domaine des sciences politiques ou de la gestion,
le problème que pose cette notion d'arbitrage, dans une grande
organisation telle qu'une université, renvoie à la
question de la représentativité face au grand nombre et
à la grande diversité des parties prenantes. Si notre
corpus ne fournit pas de piste d'action, une étude
comparative d'un certain nombre de pratiques
165 François Resche (2003), "Avant-propos" du
Projet d'Établissement 2004-2007 de l'Université de
Nantes, p.9.
des universités françaises établira une
liste des modalités d'actions possibles pour choisir soit la meilleure,
soit effectuer une synthèse des meilleures.
Le 28 mars 2003, le résultat du travail du
Conseil d'Examen est soumis au débat du Conseil d'Administration
qui, après amendements et propositions, adopte par vote
l'Avant-projet. Ensuite, la deuxième phase de synthèse - d'une
durée de 16 jours - commence
par l'arbitrage du président avant que
l'Équipe Coordination ne rédige la première version
du
Projet.
Un deuxième Conseil d'Examen apporte de
nouvelles modifications et propositions. Et puis, le Conseil
d'Administration prend la dernière décision à
travers un vote précédé de débats. Pour finir,
l'Équipe de Coordination rédige la version définitive du
document
qui fait 103 pages. Après la phase consultative, quel est
le mécanisme de décision qui aboutit à l'objet final ? (En
distinguant le fonctionnement théorique de la réalité
empirique). Que reste-t-il
des expressions des composantes à la fin ?
II. La structure du contenu
Pour l'ensemble du corpus, 693 UCE (unités
contextuelles élémentaires) ont été classées
sur 1029 soit 67,35 %. Ce taux souligne la qualité du corpus
exploité puisque la partie traitée atteint largement plus de
55%. Ce qui signifie que tout notre travail d'interprétation
qualitative qui suit porte sur un corpus quantitativement très
représentatif. Il en découle une Classification Descendante
Hiérarchique de ces 693 uce en 5 classes stables dont le
poids correspond aux places que chacune occupe dans le corpus :
Classe 1 (93 uce) soit 13,42 %
Classe 2 (84 uce) soit 44,59 % Classe 3 (122 uce) soit 17,60 %
Classe 4 (85 uce) soit 12,27 % Classe 5 (84 uce) soit 12,12 %
3e
1er
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme92.png)
2e
4e
5e
L'observation de près de ces 5 classes
permet d'identifier une grande
importance accordée à la communauté
universitaire, représentée par la classe 2. Celle-ci couvre,
en effet, 44,59%, soit près de la moitié de
l'ensemble. Au deuxième rang des préoccupations se placent les
explications de la démarche projet proprement, suivies par la
qualité des offres de
formations et de la recherche, la gestion prévisionnelle
des emplois et des compétences et, enfin,
la diffusion de connaissance en lien avec le
développement territorial ferme la marche au cinquième rang.
Cette considération de chaque élément pris
individuellement ne reflète toutefois
pas exactement la structure du document vue par un regard de
stratège.
Dès lors, une autre lecture, celle du dendrogramme des
classes stables, donne à voir deux grandes catégories
d'éléments prédominants qui structurent l'ensemble de ces
5 classes
en les organisant comme ceci : d'un côté les
objectifs liés aux missions assignées à
l'université (70% du texte analysé) qui inclus les classes 1, 5
et 2 ; de l'autre les classes des dispositifs de gestion (30%) avec les classes
3 et 4.
Le schéma suivant procure une vision à la
fois synthétique et dynamique permettant une meilleure description du
produit de l'analyse du corpus avec Alceste.
Projet d'Établissement 2004-2007
De
Université de Nantes
Objectifs
70,13 %
Dispositifs de gestion
29,87 %
Prestations
25,54 %
Acteurs
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme93.png)
44,59 %
Démarche Projet
17,6%
GPEC
12,27%
Offres
13,42%
Valorisation
12,12%
Figure 17 : La composition du projet-contenu de l'univ.
Nantes 2004-2007
Croisons ce résultat d'un examen quantitatif avec
une démarche qualitative, plus empirique mêlant observations,
associations d'idées et même intuition, afin de reconstituer
l'essentiel de cet ensemble dont l'agencement, selon certaines
logiques, forme le reflet de la structure interne du projet-contenu.
Dès sa première lecture, ce corpus
dégage une impression d'être, face à un patchwork
constitué de plusieurs pièces, pour former un ensemble
cohérent qui vaut plus que la somme de ses éléments. Ces
derniers ne sont toutefois pas quelconques puisque chaque propos, chaque phrase
assure une fonction importante dans un document dont la nature
stratégique lui vaut l'attention de tous ceux qui s'intéressent
aux problématiques du projet.
Notre première hypothèse est donc
vérifiée par la lecture et confirmée par les
résultats détaillés de l'analyse à l'aide du
logiciel Alceste. Depuis un ensemble de valeurs philosophiques
portées et affichées (humanisme, épanouissement de
chaque citoyen, égalité, etc.) jusqu'à des propos qui
relèvent plus du leitmotiv en passant par des messages à
caractère informatif, des règles de fonctionnement ainsi
que du rappel des missions (formation initiale, recherche et
valorisation de ses résultats, développement de la
culture et diffusion des connaissances, et coopération
internationale.), ce document propose une très large palette de
registres discursifs. À défaut de parvenir à
dresser une liste exhaustive de ces derniers, la vérification des
quatre hypothèses opérationnelles nous informera un peu plus sur
une partie des composants de notre grille de lecture, à savoir
les éléments du diagnostic, les objectifs,
l'échéancier et les moyens.
A. Des éléments de diagnostic
Notre document comporte de manière claire des
éléments de diagnostic confirmant ainsi notre
hypothèse (H21). Seulement, pour l'illustration, la notion de
diagnostic semble provoquer une hésitation dans la manière dont
on peut étudier ce document. S'agit-il des résultats,
exclusivement, des procédures engagées directement ou
pilotées par une structure spécialisée à cet
effet, connue sous l'appellation du Comité National
d'Évaluation (CNE), des conclusions du bilan d'exécution du
Contrat Quadriennal de Développement 2000-2003, ou des
éléments groupés sous l'intitulé "Le
contexte", qui s'étend de la page 13 à la page 34 de
la brochure ? La réponse est concise : le tout.
C'est à partir de ces éléments de
diagnostic, associés aux ambitions délibérées que
les acteurs ayant contribué à la conception du
projet-ingénierie ont formulé, au le long des différentes
phases successives de cette ingénierie collective, les objectifs
à atteindre.
B. Des objectifs
En effet, deux des quatre Classes de données mises en
évidence par le résultat
de l'analyse d'Alceste se groupent pour confirmer
l'hypothèse (H22) qui supposait la présence
des objectifs dans le contenu de ce projet. Il s'agit
de la Classe 1 et la Classe 5. Ces classes correspondent à
deux sortes d'objectifs qui se complètent et qui sont même
liés par des relations récursives : parvenir à offrir
les meilleures prestations possibles avec des acteurs de grande
qualité. Or il ne peut pas y avoir de prestation de valeur sans acteur
excellent, et vice versa. D'où
la nécessité d'appuyer simultanément sur les
deux leviers.
1. De meilleures prestations
a. Des offres de qualité et plus visibles
En tête des missions assignées à
l'université se trouve l'enseignement, la formation et la
recherche. Ce qui correspond à l'objectif premier de ce projet
que sont, logiquement, la volonté d'offrir des formations plus
lisibles et attractives en direction des étudiants comme au
marché de l'emploi (cf. Classe 1, soit 13,42 % des corpus). Cet objectif
se déclinent en : multiplication des actions pour rendre plus visibles
les diplômes, développement
des formations en adéquation avec le marché de
l'emploi dont des 3e cycles professionnels et de
recherche, tout en conservant les dénominations
nationales de ces diplômes. Toutefois, pour rester toujours
conforme à ses missions, l'université doit maintenir des
filières de haut niveau culturel "utiles" pour la
société même si celles-ci ne démontrent
pas leur efficacité professionnelle. Le tout s'accompagne
d'innovations et de rénovations pédagogiques avec,
notamment, l'intégration au schéma LMD (Licence Master
Doctorat).
Pour ce faire, le projet propose des procédés plus
ou moins tangibles tels que
des soutiens aux acteurs et à la création
d'unités mixtes, le renforcement de la pluridisciplinarité,
la collaboration du conseil scientifique avec les grands
organismes de recherche et de formation
qui sont incités à créer une synergie.
Cela ressemble fort aux procédés qui dépendent plus des
volontés et l'envie des acteurs à collaborer. Un
élément seulement rentre dans le registre du concret sans
conteste : les contributions des partenaires tels que les collectivités
territoriales et
les institutions socioéconomiques (la CCI) qui
ont permis l'amélioration de la gestion des ressources
documentaires. Ainsi, ces partenaires vont servir de transition,
d'appui solide à l'Université de Nantes dans la mise en oeuvre
de l'autre volet de ses missions.
b. Renforcement de la Valorisation
Les savoirs accumulés et produits n'ont de
valeur réelle que de par leur utilisation pour améliorer
la recherche et dans des actions concrètes. En bon
système ouvert, l'université productrice a besoin de la
société consommatrice de ces savoirs. D'où
l'entrée en scène des partenaires, cités ci-dessus,
concernés à double titre. Comme soutien, en contribuant au
financement ou à la mise en disposition d'infrastructures
destinées à l'accroissement de la qualité
et de la quantité des savoirs produits ; et comme
plates-formes de diffusion desdits savoirs en destination des
différents membres de la société et des
entreprises. L'Université de Nantes compte rendre plus performant
son rôle d'acteur du développement économique, social
et culturel. D'où, l'engagement des actions autour sur
quatre échelles complémentaires. Ce découpage peut
être sujet au débat puisque toutes les actions peuvent
nourrir chacune de ces quatre horizons. Le classement des actions s'effectue
surtout en fonction de l'importance de sa contribution immédiate.
À l'échelle globale, la mutualisation
des ressources avec les grandes organismes de recherche (écoles
d'ingénieurs, CNRS, IFREMER, INRA, INSERM, LCPC, etc.) contribuera
à renforcer la recherche et son corollaire, l'augmentation de
dépôts de brevets. Ensuite faire connaître les
résultats par le biais de la communication. À l'échelle
internationale, l'Université de Nantes s'intègre à
plus de projets possibles, dont le Programme Cadre des Recherche et
Développement européen (PCRD) et le Projet "Afrique" dans lequel
la MSH "Ange Guépin" est engagée. Des efforts seront menés
aussi pour faire connaître ses contributions à faire progresser
l'état du d'accroître le nombre de publications.
En revendiquant un statut d'acteur du développement
régional, quatre axes déjà existants servent
particulièrement à cette grande université
ligérienne pour se rendre incontournable. Une recherche
coopérative inter-établissements et avec les entreprises favorise
le deuxième axe : ouverture des écoles doctorales sur le
monde économique. Les deux derniers peuvent, dans une certaine
mesure, se compléter aussi. Il s'agit du transfert technologique
pouvant être la conséquence directe des deux
précédents tout en favorisant le dernier qu'est la
création des jeunes pousses d'entreprises (start-up) soutenues
ATLANPOLE, l'incubateur de l'université.
Une politique plus incitative en matière des ressources
humaines, notamment concernant les techniciens et les chercheurs, semble
à l'échelle organisationnelle, pouvoir développer et
récompenser la motivation des acteurs performants.
Pour finir, "L'objectif général est de renforcer
les réseaux de valorisation,..." (Corpus, p. 52). L'amélioration
des prestations et de la valorisation se base, selon ce Projet, sur deux
leviers d'actions. D'un côté le partenariat
inter-établissement (interne au métier) et le partenariat
externe avec les programmes internationaux, les collectivités
territoriales et les acteurs économiques régionaux. De l'autre,
le souhait d'une politique plus incitative en direction
des acteurs. Les acteurs, d'ailleurs, auxquels le projet
accorde une première place dans son traitement dont nous allons
examiner les détails.
2. Des acteurs de qualité
Près de la moitié, soit 44,59 % exactement, du
corpus analysé traite des acteurs
de la communauté universitaire, toutes
catégories confondues. C'est dire son poids par rapport au reste puisque
avec un tel taux, ils occupent la première place loin des autres
thèmes. Au vu des lectures du document, confirmées par le
résultat de l'analyse par Alceste, les acteurs sont abordés sous
trois axes qui forment les pierres angulaires de la réussite
d'une grande institution qui enseigne, forme, cultive tout en
produisant des savoirs : l'attraction, l'accueil et la mobilité
internationale. Nous pouvons alors considérer cette proportion comme
logique ? Oui et non. Oui,
en raisonnant de manière inductive. Non, parce qu'il
s'agit d'une expression de choix, avec un degré de liberté plus
ou moins haute suivant les contraintes. Consciemment ou non,
délibéré ou non, l'ingénierie de ce projet a
produit ce que nous constatons et dont la description ouvrira peut- être
une voie à l'analyse de la ou des logiques sous-jacentes.
a. Attraction des meilleurs
L'expression des ambitions de l'Université de Nantes de
devenir une université
de référence internationale passe par la
volonté d'être de plus en plus attractive. L'attraction peut avoir
comme finalité une croissance quantitative. Certes, il en est
question pour "enrayer la baisse des effectifs", tout au moins
à l'atténuer, sachant que la fluctuation
démographique en constitue la principale origine. Mais cette
attraction est surtout qualitative. Que la catégorie d'acteurs en
cause soit estudiantine, professorale ou technicienne, l'objectif reste
le même : mettre en oeuvre des politiques susceptibles de rendre
l'établissement attractif pour les meilleurs,
de renommée internationale pour les chercheurs et avec
d'excellents résultats académiques pour
les étudiants.
Pour que les plus belles abeilles rejoignent nos
ruches et s'y attachent fidèlement, la qualité de
celles-ci, avant toutes autres considérations, constitue l'une
des conditions primordiales.
b. Fidélisation par un accueil confortable
En matière d'organisation, il convient de mettre en place
le système européen
de transfert de crédits pour rentabiliser le
séjour des étudiants Européens à Nantes. Vient
ensuite l'accueil physique qui débute par une semaine
intensive des primo-entrants (bacheliers, européens,
étrangers) organisée par une cellule dédiée.
Sur le plan matériel, des efforts sont entrepris pour
qu'il y ait la même priorité
et possibilité d'offre de logements aux
étudiants étrangers de 2e et de 3e
cycles. L'accueil et le suivi des stagiaires et demandeurs d'emploi,
des sportifs de haut niveau et des étudiants handicapés
reçoivent autant d'attention. Socialement, toute initiative qui favorise
l'intégration et l'épanouissement (associations, sports, culture,
etc.) sont à promouvoir.
Si les uce de la Classe 2 soulignent surtout le cas
des étudiants, la lecture attentive du corpus nous apprend que cette
problématique d'accueil touche aussi les scientifiques
de haut niveau pour qui il faut "dérouler le tapis
rouge" pour rendre suffisamment confortable leur séjour. En plus de
la question d'hébergement qui devient ici accessoire, il
convient de se doter de laboratoires et centres de recherche d'envergure
internationale tant pour leur taille, leur niveau d'équipement que pour
la qualité de leurs sujets d'investigation.
L'idéal serait alors d'investir dans des
dispositifs et dispositions humains qui favorisent le meilleur accueil
afin non seulement d'attirer mais aussi de fidéliser les bons
étudiants comme les techniciens et enseignants-chercheurs de
qualité.
c. Mobilité internationale
La qualité de l'accueil commence par la mise en
place des programmes modernes, aux normes européennes, donc aux
résultats transférables grâce à l'European Credit
Transfer System (ECTS), semestrialisation et transparence des modules (cf.
Classe 2, uce 706 de Khi2 31). Ce qui règlera le problème
de la validation d'acquis lors des échanges d'étudiants
internationaux. Il s'agit donc aussi d'un dispositif au service de la
mobilité de nos étudiants. En effet, comment convaincre les
étudiants des l'Université de Nantes de la rentabilité et
l'efficience
de passer une partie de ses études à se
confronter aux autres cultures européennes, américaines,
asiatiques ou australienne si au retour, ils ont le sentiment d'avoir
perdu une ou deux années censées les enrichir, par manque de
compatibilité des formations de leur université avec celles de
leur destination ? Une fois ce genre d'obstacle levé, notamment avec la
mise en place du LMD,
on ose espérer que l'augmentation de passages de quelques
mois, dans une ou deux universités
étrangères, enrichira en retour
l'Université de Nantes "peuplée" et animée par une
population d'étudiants ouverts au monde et aux autres cultures humaines
comme scientifiques.
De même, la multiplication d'échanges des
professionnels sera une source d'amélioration par des échanges
de bonnes pratiques. Par ailleurs, plus les acteurs de tout niveau voyagent,
mieux l'Université de Nantes sera connue. Associé à
un accueil chaleureux, cela augmente l'attractivité. Au final, c'est
la qualité des acteurs qui en tirera les bénéfices.
C. Un échéancier
Dès le deuxième paragraphe du discours du
président François Resche dans l'Avant-Propos, une
indication nette apparaît sous la formulation :"Le Projet
d'Établissement
2004-2007, ..., est en phase avec la durée de
mon mandat." À en croire cette phrase, cet intervalle de temps
délimiterait l'ensemble du Projet. Cependant, sachant qu'une
négociation serrée avec le ministère pour fixer le contenu
et la portée du Contrat Quadriennal ainsi que les partenaires
régionaux, viendront influencer considérablement une grande
partie de ces décisions,
il y a fort à parier que cette échéance
risque d'être purement théorique. Il y a aussi, concernant les
différentes réalisations particulières prévues,
des calendriers dont le respect ne pose aucun obstacle dans la mesure
où ils correspondent à un mouvement national
coordonné par le ministère de l'enseignement supérieur
et de la recherche. Le passage au schéma LMD en est un exemple.
D'autres obstacles organisationnels ou humains participent aussi
à ce phénomène de bouleversement chronologique dans la
concrétisation des objectifs fixés par ce projet. Le cas de
la tentative de rapprochement entre l'Institut
d'Administration et l'UFR des sciences économiques, en vue d'une
meilleure visibilité et cohérence des offres de formations en
gestion, illustre ce dernier. Techniquement y a-t-il un obstacle
organisationnel, érigé entre ces deux structures, susceptible
de bloquer significativement ce processus de rapprochement ? Sûrement
qu'entre deux composantes de statut juridique, donc de fonctionnement et de
culture légèrement différents, des aménagements
sont indispensables, mais il n'y a aucune montagne infranchissable
de ce côté. En revanche, il n'est pas certain
qu'un tel "mariage" où des questions de prestige, de privilèges,
d'habitudes, de positionnement stratégique (entendu au sens de
M. Crozier et E. Friedberg) et...même des craintes de changements, ne
nécessite pas plus de temps de maturation que prévu pour
cheminer dans l'esprit des acteurs concernés. Dans ce cas,
l'obstacle est psychologique, sociologique, bref humain en somme. Alors,
quand, à partir du diagnostic, des objectifs ont été
fixés pour une échéance que l'on sait plus ou
moins facile à respecter, il est grand temps d'allouer des moyens
si l'on tient à rester réaliste.
D. Deux dispositifsde
gestion
1. La démarche projet
Près de 18%, soit exactement 17,60 % du contenu
analysé décrit, de manière détaillée,
l'ensemble de la démarche projet à l'origine de ce
corpus sur lequel s'appuie notre travail. Cette partie correspond
exactement à ce que nous avons développé dans le
titre "Ingénierie du contenu". Il s'agit donc d'un
élément ayant de multiples fonctions dont
légitimation, communication interne et externe, etc. Pour plus
d'approfondissement, nous proposons, par conséquent, un renvoi à
ce titre développé plus haut avec ceci comme remarque :
ce passage intitulé "Ingénierie du contenu" va plus
loin qu'une description. Un élément important
car mis en évidence par le résultat de
l'analyse par Alceste, mérite alors que l'on s'y attarde, encore
une fois, dans une posture la plus descriptive possible :
il s'agit de la Gestion Prévisionnelle des Emplois et
Compétences.
2. Des propositions de GPEC
La Classe 4 qui représente 12,27% de l'ensemble
du corpus analysé traite spécialement de la Gestion
Prévisionnelle des Emplois et Compétences. Deux axes
d'idées sont abordés ici : l'annonce d'une action
réelle mise en oeuvre et une sorte de plaidoirie en faveur
d'une GPEC à l'université. La première est d'une
description très rapide puisqu'il s'agit d'une politique
volontariste d'accueil et de mise en adéquation des postes de
personnels porteurs d'handicaps. Quant à la Gestions des
ressources humaines, les propos sont d'ordre à la fois
théorique, du conseil et propositionnel. Ainsi, à la vue
des différents déficits dans tous les niveaux de postes, il
est question d'engager des réclamations auprès du
ministère pour qu'il y ait une résorption générale
indispensable au bon fonctionnement des services. Il convient aussi pour
l'établissement d'opérer des procédures
d'évaluation annuelle afin de disposer d'un bilan social servant de
repère dans l'ensemble des initiatives visant à une
meilleure répartition des compétences disponibles, ou
à prévoir la manière de combler les déficits. Pour
ce faire, le Projet propose une "décentralisation managériale" de
la GPEC au niveau des composantes ce qui rendra cohérentes les
décisions relatives à ce sujet dans la mesure où les
responsables des composantes
ont une vision exacte, donc plus pertinente de tout besoin en
personnel. Au niveau central, en revanche d'organiser des concertations
régulières donnant lieu aux simplifications administratives et
améliorations des pratiques. À lui aussi de s'efforcer d'avoir,
en se servant du bilan social, une vue générale de la
répartition et des mouvements (mutation, départ en retraite,
etc.) pour permettre un redéploiement rapide des
personnels.
E. Maisavecquelsmoyens ?
En cohérence avec notre l'idéal-type du
contenu de projet, s'attendre à la présence des moyens
exprimés dans celui-ci relève de la simple logique. Or,
ni les lectures approfondies, ni l'analyse du logiciel dont la
pertinence lui vaut son succès auprès d'un grand nombre
de chercheurs et des laboratoires, n'a permis de confirmer cette
dernière hypothèse (H24).
Cela fait un peu catégorique comme constat ? Même en
s'efforçant de nuancer
en s'attardant longuement sur la sémiologie pour
identifier sans ambiguïté ce dernier paramètre,
un problème persiste. Il arrive, en effet, que les
propos qui poussent à penser que nous sommes bien devant une
expression de moyens, ramènent plutôt à l'idée
d'organisation. Ce cas arrive souvent dans le document. À moins que
la définition du terme "moyen" ne soit problématique
par nature. Dans ce cas, entendons par moyen un budget, une
enveloppe financière et une équipe d'acteurs précis
dédiés à une réalisation bien
déterminée. Alors que le fait d'inciter les différentes
structures à s'engager dans une démarche coopérative dans
leur métier (formation de haut niveau type doctorat, recherche)
relève plus à notre sens d'une restructuration, d'une
innovation, d'un changement de culture. Même une restructuration peut
avoir un coût financier chiffrable. Et le fameux adage qui veut que
"quality is free" soit extrêmement trompeuse (P. Mévellec,
2003)166
car une démarche qualité coûte, au
contraire, très cher au départ. Pour terminer, en plus
du budget, dégager une équipe pour être affectée
à des missions précises relatives à la vie du projet
est aussi un autre type de moyen. Pour ce faire, tout en
respectant le règlementations en matière
des droits du travail, il faut "délester" les membres
de ladite équipe d'une partie de leur charge de travail habituelle. Et
comme "toute peine mérite salaire", des incitations symboliques
ou matérielles aux personnes qui s'investissent dans ce genre
d'activité font, sans aucun doute, partie
des moyens indispensables à la mise en oeuvre des
objectifs que les acteurs ont la volonté patente
de ne pas laisser à l'état de voeux ou
d'affirmations d'intentions.
Un tel constat d'absence de budget suscite une
interrogation. Que vaut, en efficacité, un projet dont les moyens ne
sont indiqués nulle part ? Est-ce un projet qui claudique
un peu, ou bien ce que nous constatons comme pouvant
être problématique ici se rectifiera "naturellement" au
cours de la vie du projet ? Évidemment, la budgétisation
ne se fait pas de façon rigide et ferme une bonne fois pour
toutes. De même que le calendrier connaîtra des
mouvements en fonction des négociations avec l'État
et les partenaires régionaux (collectivités
166 Pierre Mévellec (Professeur de
Contrôle de Gestion), propos extrait de son allocution dans un DVD du
"Colloque
Qualité" organisé par l'Assédic des Pays de
la Loire, au Château de Goulaine, le 4 décembre 2003.
territoriales et acteurs socioéconomiques locaux),
l'allocation des moyens n'échappera pas à certains
bouleversements exigeant des "stratégies chemin faisant"
(M.-J. Avenier). Mais confondre stratégie chemin faisant et
opportunisme conduira tôt ou tard à un crash car cela
signifie une absence totale de cap de la part du pilote. Or, même si des
bouleversements sont prévisibles, fixer un cap - ici, en
l'occurrence, allouer, même théoriquement les moyens
financiers et humains indispensables à une projection viable -
relève du devoir de l'Acteur- politique tel que nous l'avons
modélisé plus haut. Cela peut très bien consister à
"faire du plus avec du moins". Qu'importe pourvu qu'il y ait clarté.
Pour finir, sur le plan humain, puisque se
préoccuper de la vie d'un établissement scolaire ou
universitaire revient à penser à la psychologie de l'acteur
individuel ou
de l'Acteur collectif, qu'adviendra-t-il d'une
organisation qui mobilise jusqu'à plus de 700 personnes dans la
conception de son Projet si, en cours de route, celui-ci s'écroule faute
d'avoir rempli certaines conditions de base, fut-ce théoriquement
? Vaste question dont le bilan de l'évaluation à l'issue de
la fin prévue des réalisations seulement pourra contribuer
à apporter des éléments de réponse qui soient plus
objectifs, donc dénoués de toute arrière-pensée
polémique ou
purement hypothétique.
Contenu du Projet
GPEC 12,27% Of f res 13,42%
Démarche-Projet
17,60%
Valorisation
12,12%
A c teurs 44,59%
Offres
Valoris ation
Acteurs
Dém arche-Projet
GPEC
Graphique 2 : Contenu du Projet
III. La portée discursive du document
La brochure du Projet d'établissement 2004-2007
de l'Université de Nantes, c'est-à-dire le deuxième
véritable projet élaboré institutionnellement dans sa
forme actuelle, en tant qu'objet multifonctionnel (de communication,
stratégique, de coordination, etc.) est sujet aux différents
regards et, par conséquent, différentes interprétations.
Après un long développement
sur la problématique de la dialectique entre
intérêt particulier et intérêt collectif dans
un processus de création d'un avenir pour un établissement
socioéducatif et de recherche, nous allons regarder ce volume
sous le prisme de la communication à caractère
stratégique. Plus précisément, la question qui se
pose est de savoir dans quel registre sémantique tendent, en
général, les propos tenus dans cet ensemble de discours
censé entraîner ?
D'abord, sur 105 pages, le document se présente
en deux grandes parties, en excluant les annexes. La première partie
qui porte bien son titre, est consacrée au contexte, aux enjeux et aux
dispositifs de la démarche. Alors que la seconde est
intitulée "Orientations et objectifs pour une université
multidisciplinaire, de dimension européenne".
La première consiste en une définition
synthétique des éléments clefs indispensables
à l'identification et à la compréhension de
l'établissement en opérant un exercice
de circonscription historique, géographique,
démographique, budgétaire et pédagogique avec un rappel
des missions d'un Établissement Public Scientifique, Culturel et
Professionnel (EPSCP). Elle pose aussi dynamiquement l'essentiel du
fonctionnement, des innovations - établies et en cours de
réalisation - pédagogiques et relatives au métier
de la recherche avec chiffres, graphiques et commentaires à l'appui.
Ce faisant, elle comporte des informations relatives aux résultats du
diagnostic, incontournables pour la morphologie d'un projet
équilibré. Plutôt technique et informative, cette
première partie nous semble réussir sa fonction d'information
à caractère légèrement didactique. Qu'en est-il de
la suite ?
La partie qui propose l'ensemble des orientations et objectifs
de l'établissement diffère très significativement de
la précédente par le style d'expression. Autant la
première s'exprime dans une neutralité et sobriété
qui la fait apparenter à un extrait d'article scientifique, autant cette
deuxième partie se démarque par une posture d'engagement
volontariste. Les deux premières phrases du premier paragraphe du
discours donnent le ton juste sur l'orientation de l'ensemble qui
sera, d'ailleurs, confirmé par les détails
sémantiques tout au long du reste du document. "Le Projet
politique de l'Université de Nantes affirme les grandes orientations et
les principaux objectifs de l'Établissement pour les quatre prochaines
années." Le verbe "affirmer"
débute le document pour qualifier sa fonction. Nous y
reviendrons. La deuxième phrase stipule
"Il annonce les lignes d'actions et les mesures
concrètes...". Le verbe annoncer vient compléter
le premier. Ainsi, ce Projet "affirme" et "annonce".
En faisant abstraction de toute idée que l'établissement
pourrait chercher à transmettre à travers son
discours, contentons-nous d'identifier les termes dont il se sert pour en
tirer une conclusion sur sa véritable nature.
"Notre projet est de faire de l'Université de Nantes
une université publique et multidisciplinaire de dimension
européenne." L'Université de Nantes est publique et
multidisciplinaire au moins depuis sa refondation par le décret
du 29 décembre 1961. Pour le moment, nous sommes devant une
affirmation qui - malgré les brillantes explications attenantes
- se rapporte, pour les trois quarts, à un fait, une
réalité déjà là. Reste à comprendre
ce qu'il faut entendre par "de dimension européenne".
Apparemment, il s'agit d'un enjeu justifié par
l'incontournable volonté de donner une envergure internationale à
l'établissement. À l'instar du pays dont le budget
s'évalue désormais au niveau européen avec le pacte
de stabilité, la performance d'une université, voire de tout
établissement d'enseignement supérieur susceptible d'être
confronté aux influences des ses semblables extranationaux, sera aussi
mesurée à l'aune de critères uniques de niveau
international. Ce challenge prend appui sur un ancrage territorial qui sert
à la fois de ressource et à qui l'établissement reverse,
pour une grande part, les résultats de
ses missions, à savoir, des citoyens biens formés
et des produits de la recherche mis au service
du développement culturel, social et économique.
La dynamique régionale centrée autour de la capitale
ligérienne, qui lui vaut déjà l'attribut de
métropole du grand ouest européen crédibilise cette
orientation. De même, tous les points que nous avons mis en
évidence précédemment, à savoir une performance
en matière des prestations, opérée avec les
meilleurs acteurs dans un calendrier bien défini, ne peuvent que
susciter l'adhésion d'une large majorité des parties
prenantes de cette entreprise. Pourtant, à la lecture de ce document,
l'on ne peut que s'interroger
sur le caractère opérable de cette expression de
volonté.
En effet, la remarque sur la difficulté à
identifier clairement le financement des engagements est
complétée par celle sur la prédominance des expressions
qui s'apparentent plus
à des explications pédagogiques de "ce qu'il faut",
"ce qui doit être", "ce à quoi on est pour", "l'objet de notre
inspiration" ou à des professions de foi portant sur des idées
avec lesquelles il
est très difficile de ne pas être en accord. De ce
fait, au-delà de toute appréciation quantitative ou
méthodologiquement rigoureuse selon les paradigmes du moment, le contenu
de ce Projet inspire
au lecteur attentif un sentiment de manque, d'être
suspendu à une interrogation sans réponse : "d'accord avec
les enjeux annoncés, les voeux et souhaits exprimés, les
objectifs clairement décrits, mais comment exactement va se
matérialiser l'exécution d'une telle perspective
ambitieuse et entraînante ?".
Cette étude empirique tire une part de sa
légitimité de notre immersion au sein
de l'Université de Nantes, que ce soit en tant
qu'étudiant ou en tant que stagiaire pendant neuf mois dans l'une de ses
composantes. C'est par cette présence, par une écoute sensible,
que nous avons pu enregistrer et assimiler, au quotidien, les réactions
des acteurs ou groupes d'acteurs face
à ce document. Par ailleurs, certes, ces acteurs ne
manient pas tous les outils méthodologiques. Quand bien même tel
est le cas, ils lisent ce document "naturellement" et du fruit de cette lecture
naît leur adhésion, leur implication ou, au contraire leur
perplexité, doute voir rejet. Notre objectif, au-delà de
l'analyse du contenu d'un projet d'établissement, est d'identifier des
moyens,
des pratiques, des manières de procéder pour
fédérer une équipe autour d'un dispositif prospectif mais
doté d'une réelle opérabilité. Or, nous
considérons que le directeur, quotidiennement dans le cockpit
(normalement équipé en outils de navigation indispensables)
de son établissement, se doit d'être capable d'écouter
son équipe et son environnement avec ses oreilles, observer avec ses
propres yeux et son humanité sans vouer une ferveur cultuelle
aux technologies ou aux quelconques vérités scientifiques qui,
par définition, ne sont souvent valables que pour un temps
et dans un contexte donnés. Ainsi, nous soutenons que
notre ensemble d'analyse, appuyée à la fois sur des outils
quantitatifs et sur des postures compréhensives, donne à voir le
reflet d'une partie de la structure du Projet-contenu de l'Université de
Nantes. Des interrogations ouvrant des perspectives de recherche sont aussi
posées, en prime.
Concluons ce chapitre en précisant que ce
contenu de projet contient des multiples éléments
variés qui se résument : aux valeurs et missions de
l'université, éléments de diagnostic de
l'Université de Nantes, à ses ambitions (rayonnement
international) et ses objectifs (meilleur offres, meilleurs acteurs),
à la gestion prévisionnelle des ressources humaines du
projet, et aux éléments explicatifs sur le
déroulement de sa propre conception. Sur le plan discursif, on
y observe beaucoup de propos relatifs aux souhaits et un peu
normatifs (ce qu'il faut, ce qui doit être) ou affirmatifs
("pour une université...", "Pour un personnel ayant un
sentiment...", etc.). De ce fait, soit les propos ont un caractère
pédagogique, soit on a affaire à
des affirmations positives pour lesquelles personne ne pourra
être contre ou très difficilement, mais dont
l'opérationnalisation possible ne soit visible nulle part. Ce qui
amène aussi au constat
de l'absence dans ce discours, des moyens à
allouer afin que la réalisation des objectifs clairement
énoncés puisse être effective. Ce qui nous fait nous
interroger sur la nécessité, peut- être, d'un document
supplémentaire qui viendrait traduire ce projet politique en
projet plus technique et opérationnel.
Nous allons maintenant essayer de tirer les enseignements de
l'ensemble de ce long exposé afin de souligner ce qui peut bien
être qualifiable de ce que D. Schön nomme "connaissances
actionnables". Proportionnellement à la longueur de ce mémoire,
cet extrait du concentrée des idées, des procédures, des
propositions de leviers à l'action susceptibles de servir
à d'autres équipes projets, risque de sembler
court. Notre objectif, toutefois, n'est pas tant la longueur que la
qualité des résultats de cette recherche. Alors, ce qui suit
restera à l'appréciation
de ceux qui s'y intéressent, en particulier lors de leur
mise en application sur le terrain car il y a
des moments pour réfléchir, pour parler ; et il y
en a d'autres pour agir.
CONNAISSANCE ACTIONNABLE
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme94.png)
"Enseignabilité" ou "Connaissance actionnable", quel
que soit l'intitulé choisi même si notre
préférence va au second, ce pénultième bloc
n'a pas pour objet d'enseigner à l'Université de Nantes ce
qu'il faut, ce qu'elle aurait dû faire ou ce qui devrait être fait
pour sa projection. Telle n'est pas notre intention même si elle
fût le terrain de cette recherche puisque l'objectif était,
avant tout, d'étudier la conception du contenu d'un projet
d'établissement et d'examiner ce qui peut y avoir dans ce contenu une
fois rédigé. Pour ce faire, la population aurait très bien
pu être un groupe d'établissements d'enseignement secondaire, un
Centre de Formation
des Apprentis, un centre de formation pour travailleurs
médico-sociaux ou une association à finalité
socioéducative, etc. De toutes les façons, loin de nous
la présomption de donner des leçons à qui que ce
soit quand bien même, nous estimons que seule une organisation
à compétence douteuse pourrait se prévaloir de la
perfection de son entreprise, au point de peiner à admettre le moindre
regard extérieur porté sur son fonctionnement.
Ce que l'on nomme "connaissances actionnables" ici
s'adressent, par conséquent, d'abord simplement à
nous-même ; ensuite à quiconque, acteur collectif ou
individuel engagé dans une démarche projet, quel que soit le type
d'établissement ou du projet en question. Par ailleurs, ce que nous
allons dégager ne sera pas toujours ce que chaque lecteur
trouvera d'essentiel pour ses besoins. Chacun puisera donc dans ce
volume, les idées, les éléments qui lui sont
instructifs pour sa projection professionnelle, voire personnelle. Cependant,
nous avons organisé cette partie en trois volets : d'abord celui
où nous formalisons un condensé d'enseignements issus de cette
expérience personnelle d'apprentissage à la recherche ; ensuite
le volet où, en tant que futur membre d'une équipe de
projet, nous nous adressons à toute organisation en démarche
projet ou à toute personne intéressée par le sujet. Enfin,
en coiffant la virtuelle casquette du directeur - puisque tel est
l'objet de cette formation167 - nous nous adressons aux
collègues qui trouvent un peu de sens dans un ou deux propos
tenus dans ce
mémoire.
167 DEOF : Direction d'Établissement ou
Organisme de Formation.
A. Ce quenous avonsappris
La découverte de la notion des contextes
autoréférentiel et
hétéroréférentiel constitue une première
étape dans ce long parcours. Certes, l'enseignement théorique a
permis une petite révolution intellectuelle en nous faisant
comprendre l'importance capitale de bien identifier les différents
niveaux contextuels avant toute intervention auprès d'un
phénomène social. Mais le complément de formation a eu
lieu par la suite, durant ce travail personnel sur la projection d'un
établissement où il a fallu mettre en pratique cet
effort de contextualisation. Celle-ci se déroule en deux temps. Une
première répond à la question "en tant que chercheur,
d'où je parle ?" C'est-à-dire, d'où m'est venue
l'idée d'un tel ou tel sujet/objet de recherche ? Ce
qui implique de voir dans notre subjectivité,
une part de l'objectivation d'une interrogation scientifique. La
contextualisation autoréférentielle a été
aussi, dans le second temps, une occasion de réfléchir sur
nos valeurs (absolu respect de la dignité humaine, réflexions
éthiques et incomplétude) qui portent et cadrent nos pratiques
professionnelles. Ainsi, de nature injonctive
au départ, nous avons fini par nous approprier cette
partie à force d'un travail acharné qui nous a demandé
à nous surpasser en dévoilant une infime partie de notre histoire
de vie. Au final, la satisfaction l'emporte sur le reste.
Ensuite, cette longue marche alternant lectures,
observations et réflexions, inductions et déductions, a
été émaillée de moments cruciaux qui
méritent une révision réflexive
un jour. Ce furent des moments qui concluent ce cycle
d'alternances par des prises de conscience
sur tel ou tel aspect du travail. L'on peut se demander
si ce n'étaient pas des moments où l'assimilation
d'informations a produit des savoirs nouveaux, voire des connaissances,
à l'image
de la découverte qui a fait crier Archimède
"eurêka !" Sans aller jusqu'à s'approprier une telle exclamation,
ces prises de conscience ont libéré en nous, à
plusieurs reprises un : "ah bon ?", "enfin, c'est ça !", ou
"ben...oui, j'ai compris ! Ce qui doit dénoter des
transformations provoquées par l'action de professionnalisation qui
oeuvre de façon constructiviste.
Ainsi souligné à l'introduction,
plutôt qu'une découverte d'un mécanisme de management
de projet, scientifiquement éprouvé, l'ambition de ce travail
reste la compréhension d'une partie de la projection en mettant
l'Humain au centre. Le projet écrit, que nous avons
étudié, a été alors considéré
surtout comme un ensemble de paroles humaines, un discours à
comprendre de manière plutôt "anthropo-logique",
stratégique que mécanique.
C'est dans cet optique que se propose cet
élément de connaissances, éventuellement, actionnables
par les équipes de projet.
B. Levier d'actionpourune
équipedeprojet
De même que les précédents
paragraphes, cette recherche nous permet de dégager quelques
principes fondateurs qui pourraient conditionner la réussite
d'une projection organisationnelle.
En tête de liste de ceux-ci se trouve
l'importance de la dimension autoréférentielle de
l'organisation dont la prise en compte constitue une condition sine qua non
d'une projection. La prise en considération de cette dimension
requiert de situer l'organisation dans son contexte historique, territorial,
sociologique et économique, aussi bien que la prise en compte des
éléments de diagnostic sur son état présent.
D'où une double vision : rétrospective ("rétroprojection")
et introspective. Une connaissance de tels contextes seulement permettra la
meilleure intégration de l'organisation, qui veut se projeter,
dans son environnement présent comme à venir ; une meilleure
construction prospective en somme.
Le deuxième élément important se trouve dans
la conception et l'énonciation d'une définition collective de ce
que l'on entend par projet. Cela s'explique par le foisonnement
de définitions selon les références
théoriques de son auteur. Il en va de même d'un choix de la
méthode à mettre en oeuvre. La principale action consiste
à répondre à la question "quoi, comment, quand, avec
quoi et par qui faire ?" Une méthodologie commune sert de dispositif de
coordination de base d'une équipe afin d'assurer la réduction de
dissonances cognitives dans une démarche qui est aussi un
apprentissage collectif. En plus d'une méthode, nul ne peut
faire l'économie d'une théorie de référence pour
alimenter l'action car les deux - l'action et la théorie -
se nourrissent mutuellement.
Enfin, un projet-contenu doit comporter certains
éléments. Modéliser ces éléments afin de
se donner un "idéal-type" de projet sert, à l'Acteur,
au cours de ou après sa conception, de vérifier la
cohérence d'ensemble de sa création. Ce schéma de
l'idéal-type (chap.
4 p. 84) sert de grille de lecture pour analyser les
éléments constituants du projet. Cela ressemble
à ce processus que nous qualifions d'ouverture de la
"boîte noire". Cette recherche pourrait donc contribuer à
améliorer une projection, en occupant cette place de
démarche d'évaluation du contenu afin de renvoyer un feed-back
pour compléter ce qui manque, corriger ce qui défaille et, enfin,
améliorer ce qui est perfectible. Les deux autres schémas,
"Projetmètre" (chap. 6, p.128, fig.15), "Modèle fonctionnel et
tridimensionnel du projet" (chap. 4 p.84-85) que nous avons mis
au point pourraient aussi servir d'outils
d'appréciation pour des réajustements de certains
paramètres en jeu, enjeux dans un processus de conception
collective d'un dispositif de rationalisation.
C. Quelques outils pour l'Acteur
Politique
Incarnation de l'Acteur Politique, tous les membres d'une
équipe de direction
ont une responsabilité primordiale dans la vie d'un
établissement. Cette responsabilité s'exprime dans le quotidien
comme lors des différentes étapes de projection dont ils sont les
garants du bon déroulement et du succès.
Puisque l'Acteur Politique assure par la fonction de
direction l'expression, le maintien et la création des valeurs
axiologiques (l'un des trois sens) ; puisqu'il assure aussi la dynamique
des deux autres sens qui sont la sémantique et le cap
(cinétique), il lui faut, par- dessus toute technicité,
une éthique de direction claire et solide en guise de
méta compétence pour fédérer son équipe.
Nous avons souligné (cf. chap. 4, p. 77) qu'il ne s'agit pas d'une liste
de recommandations morales ou déontologiques propres à cette
classe d'Acteur, mais plutôt d'une posture, d'une posture d'écoute
respectueuse et d'échange de valeurs dans une instance ad hoc
démocratique, surmontant toute dissymétrie interpersonnelle
inhérente à l'organisation professionnelle. "C'est dire que
la démarche par projet peut être identifiée à
un processus unificateur destiné à produire un lien
social à dominante consensuelle." (J.-P. Boutinet)168.
L'éthique de direction facilite une deuxième posture que
nous avons proposée pour les chercheurs mais dont l'Acteur
Politique peut se servir aussi afin de mieux subjectiver tout en
objectivant, c'est-à-dire appréhender l'établissement dans
son continuum retrospectif et prospectif
(cf. p.11-12.). Ainsi, il lui devient incontournable de
considérer l'ensemble de son organisation
(service, établissement, association ou même
organisme) dans sa complexité globale, sous forme
de système. Telles sont les conditions fondamentales
pouvant rendre plus réaliste la recherche du compromis entre les
différentes logiques en tension, puis celui entre les
intérêts particuliers et l'intérêt collectif.
Alors, il sera possible de mettre les différentes forces
présentes en synergie pour co-construire un futur commun, et
transformer les éléments du contexte en potentiels.
Enfin, ce cas de l'Université de Nantes, comme plusieurs
cas d'institutions se donnant pour mission la prestation de services en
direction des humains, nous enseigne combien
la notion de qualité est devenue le paramètre
central pour le développement et la performance d'une organisation. Mais
la qualité a un prix qu'il faut, impérativement, évaluer
et budgéter. P. Mévellec, lors de son allocution au "Colloque
Qualité" organisé par les Assédic des Pays de la Loire, au
Château de Goulaine, le 4 décembre 2003, a bien mis en garde son
auditoire sur cette
nécessité d'allocation des moyens d'action.
De même, toute démarche projet nécessite
168 Jean-Pierre Boutinet (2003), op. cit., p. 284.
l'évaluation préalable des coûts pour que
la projection ne se réduise pas à une énumération
des intentions. Ensuite, une fois chiffré, la question de l'origine du
financement s'impose à son tour. L'une des voies possibles pour cet
aspect matériel se trouve dans le travail en partenariat. Telle
est, par ailleurs, l'orientation de l'Université de
Nantes, dans certains axes de son développement, avec les
collectivités territoriales et les acteurs économiques
régionaux, notamment la Chambre Régionale de Commerce et de
l'Industrie, etc.
Dessiner et construire un avenir différent fait appel
aussi au pari, à une volonté d'innovation car "le projet est
précisément ce qui modifie le cadre,
régénère le système, transforme la
définition des activités." (G. Koenig, 2004)169. Tous
les outils d'apprentissage sont, pour cela, à la disposition de l'Acteur
Politique, y compris l'expérimentation.
Avant de poser le dernier signe de ponctuation de l'ensemble de
ce travail, nous devons passer à la très délicate, mais
incontournable conclusion générale.
169 Gérard Koenig, (2004), Management
stratégique. Projets, interactions & contextes, Paris, Dunod,
p. 86.
CONCLUSION
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme95.png)
Le projet peut être considéré comme un
système finalisé composé d'acteurs, de processus de
conception formalisé par un document écrit, et de sa mise en
oeuvre pour l'obtention d'un artefact (organisationnel ou matériel) qui
fera l'objet d'une évaluation. Le tout évolue dans
un support caractérisé par une triple dimension :
spatiale, chronologique et organisationnelle. Ce support sera toujours
contextualisé et porteur de valeurs. La problématique du projet
couvre donc
des vastes champs interdisciplinaires et d'expertises.
Face à cette multiplicité et étendue des domaines
pouvant être concernés par une seule démarche projet, nous
avons opté pour l'étude du contenu afin d'en dégager :
primo le processus qui préside à sa conception et,
secundo, les éléments qui le composent.
Nous avons dévoilé dans la Première
partie le double enracinement qui fonde cette recherche sur le projet
d'établissement. Le premier se rapporte à notre
parcours socioprofessionnel durant lequel, nous avons été
confronté, quotidiennement, à la problématique
du projet collectif. Il a servi aussi de
pépinière qui a vu germer et se renforcer nos valeurs
humaines170 et à la multiplication des formes
d'expériences de direction (léproserie,
fédération d'associations, enseignement secondaire). Le
second enracinement est celui de l'Université de Nantes comme
terrain de recherche. Située dans son contexte historique,
politique et économique, celle-ci se comprend mieux dans sa
deuxième expérience de projection dont l'importance est
fondamentale pour son ambition de développement et de performance.
La Deuxième partie a servi à construire les
jalons théoriques considérés dans une perspective
systémique et constructiviste, qui ont d'ailleurs guidé
l'ensemble de cette recherche. Celle-ci a eu pour terrain un
établissement d'enseignement supérieur, à cette
époque
de rupture avec l'ancien mode de gestion exclusivement
bureaucratique et centralisé sous une certaine forme d'isolement
routinier ; époque qui inaugure l'ère de l'ouverture
géographique et concurrentielle avec un besoin crucial d'innovation et
de qualité pour espérer se développer et se
perpétuer dans des meilleures conditions. À
cet égard, les différentes théories
évoquées et
170 Qui se résument en respect pour tout
être humain, effort permanent de réflexions éthiques,
laïcité et démocratie. Tout cela, en interagissant,
nous sert de moteur qui nécessite un continuel
apprentissage pour combler l'incomplétude qui nous
caractérise.
discutées, afférentes à la notion de
coopération dans la conception (G. de Terssac et E. Friedberg)
et la divergence des intérêts (M. Crozier et E. Friedberg) ont pu
être confrontées à la problématique de la
gouvernance de l'université avec l'apport de C. Musselin puis
d'autres auteurs ayant été publiés sous
l'égide de l'UNESCO, l'OCDE, l'Union Européenne et le
Parlement français. Ensuite, J.-P. Bréchet nous a permis
d'opérer la jonction entre la stratégie des organisations et le
développement de l'université à l'aide ses
différentes publications basées sur
la notion de projet d'entreprendre. Cela a permis de
situer exactement la difficulté, pour une équipe de
direction d'un aussi grand établissement que l'université,
de gouverner en activant, entre autres, la démarche projet comme
levier de développement. Globalement, cette difficulté vient de
l'exigence d'une grande compétence politique et managériale pour
fédérer une équipe hétérogène dans un
contexte particulièrement marqué par une culture
d'indépendance des acteurs dans leur quotidien professionnel. La
question qui se pose est alors, comment faire pour parvenir
à présenter un projet d'établissement qui
suscite un sentiment d'appartenance et l'adhésion de la plus grande
majorité des personnels, et qui soit partageable avec toutes les parties
prenantes ? Notre cas d'étude a opté pour une démarche qui
inclut une large consultation générale (jusqu'à
575 personnes concernées) suivie d'une alternance des
phases d'arbitrage, d'examen, de décision
et de rédaction. C'est ainsi qu'a été
conçu et a pris forme, au bout de 197 jours de gestation, le Projet
d'établissement 2004-2007 de l'Université de Nantes qui est le
deuxième du genre dans son histoire.
De l'étude de cette oeuvre conçue
collectivement, quelques enseignements théoriques et
praxéologiques ont pu être retenus. Ainsi, peut être mise en
exergue l'importance d'une modélisation et de méthodologie
communes de travail, arrêtées collectivement si l'ambition
des initiateurs de la projection s'inscrit vraiment dans une
posture démocratique. Nous insistons
sur cet aspect politique du problème dans la mesure
où l'article. L. 712-1 du Code de l'Éducation (Loi n°84-52
du 26 janvier 1984) qui régit le gouvernement de
l'établissement universitaire explicite son caractère
démocratique et collégial. Aucune institution à
finalité socioéducative d'ailleurs ne peut faire fi
impunément de ce fondement politique de notre organisation sociale.
Il
ne suffit pas, en effet, de procéder à une large
consultation. Il faut aussi que les sollicitations des acteurs soient
entendues, comprises et prises en compte, même si faire oeuvre commune
n'est pas synonyme d'addition brute, ni encore moins de concaténation,
mais d'intégration des expressions particulières dans une
stratégie globale. De même, il convient de préciser
l'importance de la possibilité qu'offre ce que nous avons
nommé projetmètre (cf. Figure 15 :
"Projetmètre"). Ici, l'outil proposé s'adapte parfaitement
à la gestion des délais et sert à la
planification pour
l'équilibrage chronologique171 entre les
différents processus activés durant la conception. Mais
rien n'empêche d'en faire usage, moyennant quelques adaptations
certainement, pour la phase d'exécution aussi, c'est-à-dire,
lors de l'activation de ce continuum qui fait passer du projet-
contenu (fruit d'une ingénierie collective) à la production de
l'artefact final (projet pragmatique).
Enfin, fonction difficile effectivement, mais
parfaitement possible que de gouverner un grand établissement s'il ne
fallait se focaliser que sur la démarche projet. Difficile, entre autres
motifs, car le contenu de ce projet revêt une double fonction. En effet,
référentiel commun censé contenir tous les
éléments et les règles permettant la mise en oeuvre des
décisions prises, sans quoi il risque de rester "lettre morte", il est
aussi un dispositif de contractualisation.
En tant que tel, il sert aux négociations pour
le financement des réalisations prévues avec le
ministère de tutelle (Contrat Quadriennal de
Développement)172, avec les collectivités
territoriales et les partenaires économiques régionaux (Pactes de
Progrès Concertés), mais aussi avec les composantes de
l'université (Plans d'Actions Prioritaires, pour les actions
transversales ; Protocoles Internes d'Actions, avec chacune).
L'établissement se trouve donc, littéralement au confluent de
plusieurs logiques, quelques fois contradictoires : celles du
ministère de tutelle, celles de ses composantes et celles de
son environnement. De plus, ce dernier est agencé
schématiquement en plusieurs cercles concentriques : le contexte
immédiat, local et régional (interne et externe) ; le
contexte national ; et le contexte international devenu incontournable
puisque même les critères d'évaluation d'un
établissement sont désormais harmonisés en vue d'une
comparaison, au moins, européenne. Cela devient alors impératif
que l'équipe de direction
de l'université parvienne à trouver la
résultante de toutes ces forces, multidirectionnelles et de
différentes puissances, en interaction. Cette résultante
intégrée à la stratégie de
l'établissement
est soumise au respect des valeurs revendiquées
et promues par celui-ci; établissement qui propose des prestations
de services scientifiques et culturels. Et il faut enfin que le contenu du
projet scriptural comporte des objectifs précis, des moyens
organisationnels (qui font quoi, comment et avec quelles règles ?) et
financiers pour les concrétiser. Dans une échelle plus large,
Y. Vallée173 chiffre, au premier semestre
2006, à 3 milliards d'euro annuel, au bas mot, la somme
nécessaire pour remonter les universités françaises
à la norme moyenne de celles des pays de l'OCDE. Certes, mais
où trouver une telle somme si l'État ne l'inclut pas dans sa
ligne budgétaire
affectée à la politique d'enseignement
supérieur et de la recherche ? À quand le recours
à
171 En amont, bien entendu, mais pour des
réajustements en cours d'action aussi et pour un diagnostic a
posteriori.
172 Un ministère encore principal bailleur
de fonds (avec 40 à 45% du budget ?) sur lequel l'établissement
n'a pas
de réelle prise dans les négociations.
173 Yannick Vallée, Président de
l'Université de Grenoble.
l'ingéniosité de l'expertise en
ingénierie financière multisectorielle pour concevoir un
nouveau système de financement des universités ?
En tout cas, à travers l'exploitation
méthodique de cet exemple de projet- contenu, qu'est celui de
l'Université unique de la capitale ligérienne, il nous a
semblé être devant
un projet à forte tendance politique
marquée par une discrétion des volets techniques et
financiers. Mais, il informe aussi sur son ambition - bien que l'on n'y
décèle pas d'expression explicite des moyens
budgétaires - d'offrir des prestations de qualité
(formation, recherche et valorisation) grâce à de meilleurs
acteurs à attirer, à accueillir et à fidéliser,
puis à rendre plus compétents par l'incitation à la
mobilité internationale174. La lecture des récentes
déclarations des différents présidents
d'universités françaises confirme la même tendance,
même si les moyens engagés et les leviers d'action
diffèrent.
Au final, rappelons surtout que l'Université de Nantes, de
même que la plupart
des universités françaises, se trouve
actuellement, par rapport à sa démarche projet, dans une
phase où son Système Général de
Développement organisationnel (SGD)175 (cf. Chap. 2,
p.45)
n'a pas encore pu déployer l'optimum de sa
potentialité. Néanmoins, à chaque action, à chaque
pas, que cela se déroule avec un peu d'agitations ou dans le
calme plat, l'apprentissage organisationnel est en oeuvre. D'où
le possible optimisme sur sa capacité à réussir
son pari exprimé à travers ses différents objectifs
: devenir une université attractive car fertile en productions
scientifiques et technologiques de haut niveau, grâce
à ses acteurs. La reconnaissance et le rayonnement international
suivront. Mais quand ? Seule l'évaluation à terme
de ce projet 2004-2007 produira les éléments
de réponse : le taux des objectifs atteints par rapport à
la prévision, les entreprises en cours qui auront pris du retard, mais
aussi les échecs et
les effets pervers éventuels de certaines
réalisations, etc.
Alors, à quand la démarche qualité totale
avec certification à l'université ? Elle
y est déjà pour, au moins certaines composantes
de quelques universités. Mais la généralisation d'un tel
procédé suppose une petite "révolution" de
mentalité et de culture pour s'implanter sans heurt et avec
efficacité. Une étude prospective, à partir
des cas expérimentaux, sur la généralisation de
la démarche qualité à l'université ou
dans toute autre organisation socioéducative - en lien avec
les problématiques de la projection - apporterait, sûrement,
des
174 Meilleur façon de développer les
échanges des bonnes pratiques, tout en multipliant les apports
culturels.
175 Que nous avons défini comme
l'interdépendance du processus d'apprentissage et du processus de
développement
liés récursivement pour oeuvrer dans un
environnement grâce aux outils biologiques (accommodation/assimilation),
psychosociologiques (conditionnement/accompagnement) et affectif. Ce
qui forme un ensemble dynamique, superstructure de schèmes
indissociables à la vie. Modèle que nous transposons, par le
principe holographique, à l'organisation.
savoirs ouvrant une perspective vers un nouvel horizon sur la
gouvernance d'un établissement. L'étude d'un projet de
création d'un établissement avec tous ses paramètres
contextuels, incluant d'emblée la démarche qualité
apporterait aussi sûrement sa part de contribution aux sciences de
management éducatif. Bref, plusieurs voies de recherches sont
envisageables pour donner une suite convexe à cette réflexion
sur la place du projet dans le développement d'un
établissement.
Ainsi s'achève cette longue marche d'apprentissage
par la recherche-action176
sur un sujet de plus en plus présent dans la
vie des entreprises comme dans celle des établissements
socioéducatifs, à une époque où l'incertitude
rend caduque l'exclusivité des routines pour exiger des projections.
Des projections existentielles, reliantes et vecteurs à la fois
de cohésion interne et d'insertion contextuelle. La
conception d'un projet d'établissement reste, néanmoins, une
activité encore peu connue théoriquement car si vaste et si
complexe qu'au lieu
d'un point final, posons plutôt trois points de
suspension...
176 Marqué par des efforts soutenus,
d'opiniâtreté et qui pourrait bien donc être
prolongée, cette fois-ci, par une action-recherche !
INDEXDESAUTEURS
Ardoino
Jacques---------------------------------------------------------------------------------------
86, 87
Arendt Hannah
---------------------------------------------------------------------------------------
25, 104
Aristote
-------------------------------------------------------------------------------------------------
19, 69
Avenier Marie-José
--------------------------------------------------------------------------------
108, 143
Bachelard Gaston
------------------------------------------------------------------------- 9,
52, 56, 57, 61
Barash
-------------------------------------------------------------------------------------------------------
31
Bardin
Laurence------------------------------------------------------------------------------------------
114
Barnard C.
--------------------------------------------------------------------------------------------------
91
Bateson
G.---------------------------------------------------------------------------------------------------
10
Beckmeier C.
---------------------------------------------------------------------------------------------
100
Bolivar Simon
----------------------------------------------------------------------------------------------
27
Boudon Raymond
-------------------------------------------------------------------------------------
25, 95
Bourdieu
Pierre----------------------------------------------------------------------------------------
25, 31
Boutinet Jean-Pierre
------------------------------------------------------ 62, 63, 65, 74, 83, 86,
87, 151
Bréchet Jean-Pierre
---------------------------------------------5, 6, 59, 63, 86, 88, 104, 105,
120, 154
Brunelleschi Filippo
---------------------------------------------------------------------------------------
65
Burato Florence
--------------------------------------------------------------------------------------------
91
Chabaud
Corine--------------------------------------------------------------------------------------------
91
Chaffee E.
-------------------------------------------------------------------------------------------------
104
Charles
Christophe-----------------------------------------------------------------------------------
38, 103
Chartier Roger
------------------------------------------------------------------------------------------
9, 10
Clark Burton
------------------------------------------------------------------------------------
50, 107, 164
Crémadez Michel
-------------------------------------------------------------------------------------
86, 88
Crozier Michel
--------------------------------------------------- 25, 68, 91, 93, 94, 101,
109, 140, 154
Cyrulnik
Boris-----------------------------------------------------------------------------------------
17, 28
Descartes René
----------------------------------------------------------------------------------------
52, 61
Desreumaux Alain
--------------------------------------------------------------------------------
63, 86, 88
Dostoïevski Fidor Mikhaïlovitch
-------------------------------------------------------------------------- 9
Durkheim Emile
--------------------------------------------------------------------------------------
22, 95
Duteil
Yves--------------------------------------------------------------------------------------------------
20
Ekeland Ivan.
---------------------------------------------------------------------------------------------
103
Elias Norbert
---------------------------------------------------------------------------------------------
9, 10
Fayol
Henri--------------------------------------------------------------------------------------------------
40
Ferry Jules
--------------------------------------------------------------------------------------------------
53
Follereau Raoul
--------------------------------------------------------------------------------------------
28
Freinet
Célestin---------------------------------------------------------------------------------------------
26
Friedberg Erhard -------------------------------
68, 91, 93, 94, 96, 100, 101, 102, 103, 104, 140, 154
Garm'Orin Hadj
--------------------------------------------------------------------------------------------
9
Genelot Dominique
----------------------------------------------------------------------------------------
58
Gérard Christian
---------------------------------------------------------------------- 5, 12,
14, 26, 35, 58
Gérard Emptoz
---------------------------------------------------------------------------------------------
43
Gillier Jean-Philippe
---------------------------------------------------------------------------------------
35
Giordano Yvonne
------------------------------------------------------------------------------------
60, 125
Goldszmit
Henryk------------------------------------------------------------------------------------------
26
Gossiaux Pol Pierre
-----------------------------------------------------------------------------------------
5
Habermas Jürgen
------------------------------------------------------------------------------------
77, 104
Hansen Armauer
-------------------------------------------------------------------------------------------
22
Herbillon Michel
-------------------------------------------------------------------------------------
36, 163
Ihl Olivier
-------------------------------------------------------------------------------------------------
108
Koenig Gérard
-----------------------------------------------------------------------------------------
93, 152
Korczak
Janusz---------------------------------------------------------------------------------------------
26
Kourilsky
François-----------------------------------------------------------------------------------------
61
Kuhn
Thomas-----------------------------------------------------------------------------------------------
56
Laye Camara
------------------------------------------------------------------------------------------------
31
Le Moigne Jean-Louis
---------------------------------------------------------- 9, 56, 57, 58, 63,
67, 106
Léonard de Vinci
-------------------------------------------------------------------------------------
52, 54
Levinas Emmanuel.
----------------------------------------------------------------------------------------
32
Lévi-Strauss Claude
---------------------------------------------------------------------------------------
24
Mayor
Frederico---------------------------------------------------------------------------------
36, 40, 163
Merton P. K.
------------------------------------------------------------------------------------------------
93
Mévellec Pierre
-------------------------------------------------------------------------------------
142, 151
Mignot-Gérard Stéphanie
------------------------------------------------------------------------------
102
Molière
------------------------------------------------------------------------------------------------------
20
Monod Jacques
---------------------------------------------------------------------------------------------
63
Montaigne (de) Michel
-------------------------------------------------------------------------------------
5
Morin Edgar
--------------------------------------------------5, 11, 15, 17, 29, 56, 58,
59, 77, 103, 106
Musselin Christine
-------------------------------------------------------96, 98, 100, 102, 103,
104, 154
Obin
Jean-Pierre--------------------------------------------------------------------------------------------
89
Passeron Jean-Claude
--------------------------------------------------------------------------------
25, 31
Pena-Vega Alfredo
--------------------------------------------------------------------------------------
103
Peretti Henri
------------------------------------------------------------------------------------------------
39
Perrenoud Philippe
--------------------------------------------------------------------------------------
105
Piaget Jean
---------------------------------------------------------------------------------------------
30, 44
Prouteau Gwenaël
-----------------------------------------------------------------------------------------
46
Rabeau
Saint-Etienne--------------------------------------------------------------------------------------
53
Raux J.- F.
------------------------------------------------------------------------------------------------
108
Reinert
Max-----------------------------------------------------------------------------------
115, 116, 117
Ricoeur Paul
-------------------------------------------------------------------------------
13, 29, 31, 32, 77
Roggero P.
--------------------------------------------------------------------------------------------------
95
Romelear
----------------------------------------------------------------------------------------------------
91
Rousseau Jean-Jacques
--------------------------------------------------------------------------- 17,
30, 65
Schön Donald
--------------------------------------------------------------------------------------
6, 58, 147
Simon Herbert-Alexander
--------------------------------------------------------------10, 56, 58, 94,
106
Soubie Jean-Louis
------------------------------------------------------------------------------------------
91
Tanguiane Sema
--------------------------------------------------------------------------------------
36, 40
Terssac (de)
Gilbert----------------------------------------------------------------------------------
91, 154
Verger Jacques
---------------------------------------------------------------------------------------------
38
Vico
Giambattista-----------------------------------------------------------------------------
52, 54, 58, 69
Virgile--------------------------------------------------------------------------------------------------------
20
Vygotski Lev Semenovitch
------------------------------------------------------------------------ 44,
102
Weber
Max-----------------------------------------------------------------------------------------
77, 93, 95
INDEXDESENCADRÉS
Encadré 1: Système Général de
développement --------------------------------------------------------
45
Encadré 2 : Idéal-type d'un projet-contenu
-------------------------------------------------------------- 81
Encadré 3: Définition du projet
---------------------------------------------------------------------------
90
Encadré 4 : Poétique de
l'embryogenèse---------------------------------------------------------------
126
INDEXDES FIGURES
Figure 1 : La "Projectivation"
---------------------------------------------------------------------------
12
Figure 2 : Définition de la démarche
------------------------------------------------------------------- 60
Figure 3 : Perspective du projet contextualisé
--------------------------------------------------------- 67
Figure 4 : L'acteur et sa triple fonction
----------------------------------------------------------------- 68
Figure 5 : Morphologie générale du
projet------------------------------------------------------------- 70
Figure 6 : Projet politique
--------------------------------------------------------------------------------
73
Figure 7 : La Direction et ses 3 sens
-------------------------------------------------------------------- 75
Figure 8 : Projet
ingénierie-------------------------------------------------------------------------------
78
Figure 9 : Idéal-type du
projet-contenu-----------------------------------------------------------------
81
Figure 10 : Projet pragmatique
----------------------------------------------------------------------------
82
Figure 11 : Modèle fonctionnel du Projet
--------------------------------------------------------------- 84
Figure 12 : Modèle tridimensionnel du projet
---------------------------------------------------------- 85
Figure 13 : Projet au carrefour de 3 logiques
----------------------------------------------------------- 99
Figure 14 : Les hypothèses
------------------------------------------------------------------------------
121
Figure 15 : "Projetmètre"
--------------------------------------------------------------------------------
128
Figure 16 : Processus de conception du projet-contenu
--------------------------------------------- 129
Figure 17 : La composition du projet-contenu de l'univ. Nantes
2004-2007---------------------- 134
INDEXDESGRAPHIQUES
Graphique 1: Courbe de répartition chronologique
-------------------------------------------------- 130
Graphique 2 : Contenu du Projet
----------------------------------------------------------------------- 143
INDEXDESTABLEAUX
Tableau 1 : Processus de conception du projet-contenu
--------------------------------------------- 127
INDEXDES NOTIONS
Acteur --------------------------------------- 6, 11, 31, 68, 69,
71, 72, 76, 78, 79, 83, 90, 94, 108, 136, 137, 143, 148, 164
Action collective
------------------------------------------------------------------------- 7,
50, 62, 88, 90, 92, 95, 96, 101, 102
Anticipation
-----------------------------------------------------------------------------------------------45,
65, 87, 90, 108, 120
Complexité --------------------------- 5, 10, 14, 15, 18,
22, 47, 55, 56, 57, 58, 60, 61, 67, 74, 95, 97, 112, 116, 122, 151
Conception 6, 25, 27, 31, 35, 49, 51, 59, 69, 70, 71, 72, 74, 76,
78, 79, 82, 83, 87, 88, 90, 91, 97, 101, 102, 104, 108,
118, 122, 123, 124, 125, 127, 129, 131, 132, 135, 143, 146, 148,
150, 153, 154, 157
Contenu -- 6, 35, 47, 59, 71, 74, 76, 78, 79, 80, 81, 82, 89, 92,
111, 113, 114, 115, 116, 117, 120, 121, 122, 123, 124,
125, 126, 127, 133, 134, 135, 136, 140, 141, 142, 145, 146, 148,
150, 153, 155, 156
Contexte ---- 6, 9, 11, 12, 13, 15, 16, 22, 32, 35, 37, 42, 45,
57, 71, 76, 77, 79, 86, 89, 90, 96, 97, 104, 105, 111, 124,
125, 135, 144, 146, 150, 151, 153, 154, 155
Contextualisation
---------------------------------------------------------------------------------------------
7, 58, 111, 112, 149
Convergence
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
80, 95, 114
Coopération
----------------------------------------------------------------------- 72, 73,
78, 90, 91, 94, 95, 96, 104, 135, 154
Démocratique
-------------------------------------------------------------------------------------
21, 32, 79, 104, 132, 151, 154
Divergence
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------
7, 92, 93, 154
Éducatif ---------------------------6, 11, 18, 19, 20, 21,
23, 27, 31, 41, 43, 49, 53, 65, 77, 89, 92, 97, 105, 111, 121, 157
Enseignement ---5, 18, 19, 20, 26, 33, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 45, 49, 50, 59, 62, 77, 86, 89, 92, 96, 97, 98,
100, 101, 103, 105, 106, 107, 111, 112, 119, 125, 136, 140, 145,
148, 149, 153, 155, 164, 165
Établissement
------------------------------------------------------------ 5, 59, 73, 78, 82,
109, 121, 131, 132, 140, 144, 148
Formation
---------------------------------------------------------------------------------------------------------
5, 33, 59, 60, 148
Ingénierie
------------------------------------------------------------------------ 54,
58, 65, 69, 72, 78, 90, 125, 135, 138, 155
Intelligence collective
----------------------------------------------------------------------------------------------
34, 76, 79, 104
Objectif - 9, 12, 33, 35, 37, 50, 51, 58, 68, 74, 75, 78, 83, 91,
94, 95, 96, 111, 115, 116, 117, 118, 138, 146, 147, 148
Organisation 5, 21, 24, 26, 32, 36, 39, 40, 44, 46, 49, 50, 62,
63, 69, 71, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 86, 88, 90, 93, 94,
96, 97, 101, 103, 104, 107, 108, 112, 119, 120, 125, 132, 139,
142, 143, 148, 150, 151, 154, 156
Performance
---------------------------------------------------------------------------------
19, 45, 62, 106, 120, 145, 151, 153
Politique 22, 39, 40, 41, 43, 44, 53, 59, 63, 64, 65, 69, 72, 73,
74, 77, 79, 80, 87, 88, 91, 97, 100, 106, 107, 108, 132,
137, 138, 141, 143, 144, 146, 154, 155, 156
Pragmatisme/Pragmatique
----------------------------------------------- 6, 17, 33, 59, 63, 65, 69, 72,
82, 87, 108, 120, 155
Processus --6, 9, 12, 15, 31, 35, 44, 55, 62, 64, 66, 69, 70, 72,
76, 78, 82, 88, 89, 91, 94, 96, 104, 108, 121, 122, 123,
124, 125, 127, 140, 144, 150, 151, 153, 156
Projection - 7, 11, 12, 35, 37, 41, 45, 47, 50, 64, 65, 70, 74,
90, 108, 119, 143, 148, 149, 150, 151, 152, 153, 154, 156
Projet -6, 7, 10, 11, 13, 14, 18, 21, 23, 25, 32, 33, 35, 36, 40,
44, 45, 46, 47, 49, 50, 51, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64,
65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 78, 79, 80, 81,
82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 95, 96, 97,
98, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 111, 114, 120,
121, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 129, 131, 132,
133, 134, 135, 136, 138, 140, 141, 142, 144, 145, 146, 148, 149,
150, 151, 153, 154, 155, 156, 157
Stratégie---------------------------------------- 6, 59,
62, 68, 72, 74, 75, 76, 80, 88, 92, 107, 108, 125, 131, 143, 154, 155
Système Général de Développement
---------------------------------------------------------------------------------
44, 45, 156
Université
------------------------------------------------------------ 5, 6, 33, 38, 43,
60, 76, 78, 79, 103, 105, 123, 125, 132
Valeurs --13, 15, 16, 21, 22, 32, 44, 47, 69, 71, 74, 76, 77, 80,
81, 82, 87, 90, 106, 107, 121, 135, 146, 149, 151, 153,
155
INDEXDES SIGLES
AFC : Analyse Factorielle des Correspondances
----------------------------------------------------------------------------
115
CDH : Classification Descendante Hiérarchique
----------------------------------------------------------------------------
115
CFR : Composantes de Formation et de Recherche
---------------------------------------------------------------------------
46
CPE : Conseiller Principal d'Education
---------------------------------------------------------------------------------------
93
CQD : Contrat Quadriennal de Développement
-------------------------------------------------------------------------------
80
CSO : Centre de Sociologie des Organisations
--------------------------------------------------------------------- 96, 98,
101
DGF : Dotation Globale de Fonctionnement
---------------------------------------------------------------------------------
100
ECP : Équipe de Coordination du Projet
-------------------------------------------------------------------------------
131, 132
ECTS : European Credit Transfer
System------------------------------------------------------------------------------------
139
EPSCP : Établissement Public à caractère
Scientifique, Culturel et Professionnel --------------------------------- 43,
144
GPEC : Gestion Prévisionnelle des Emlpois ed des
Compétences --------------------------------------------------------
141
H. D. R. : Habilitation à Diriger des Recherches
------------------------------------------------------------------------------
35
IAE : Institut d'Administration des Entreprises
-------------------------------------------------------------------- 59, 109,
131
IRTS : Institut Régional de Travail Social
--------------------------------------------------------------------------------------
5
IUFM : Institut Universitaire de Formation des Maîtres
--------------------------------------------------------------------- 41
IUT : Institut Universitaire de Technologie
-------------------------------------------------------------------------- 37,
41, 46
LMD : Licence, Master, Doctorat
--------------------------------------------------------------------------------
136, 139, 140
OCDE : Organisation de Coopération et de
Développement Economiques -------------------------41, 50, 107, 154,
164
PAP : Plans d'Actions Prioritaires
-----------------------------------------------------------------------------------------------
80
PCRD : Cadre des Recherche et Développement
européen
---------------------------------------------------------------- 137
PIA : Protocoles Internes d'Actions
---------------------------------------------------------------------------------------------
80
PPC : Pactes de Progrès Concertés
----------------------------------------------------------------------------------------------
80
SGD : Système Général de
Développement-------------------------------------------------------------------------
44, 45, 156
UCE : Unité de Contexte Elémentaire
----------------------------------------------------------------------------------
120, 133
UCI : Unité de Contexte Initial
------------------------------------------------------------------------------------------------
120
UFR : Unité de Formation et de Recherche
------------------------------------------------------------------------------------
33
UNESCO : United Nations Educational, Scientific and Cultural
Organization ------------------------------------- 36, 154
USTL : Université Scientifique et Technologique de
Lille------------------------------------------------------------------- 43
1-OUVRAGES
BIBLIOGRAPHIE
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FILMS
"Pensée de notre temps : Paul Ricoeur", lors d'un
entretien qu'il a accordé en automne 1997, filmé par
l'INA et conduit par Jeffrey Andrew Barash. Une production ARTE France / INA.
[Diffusé sur ARTE].
"Colloque Qualité", organisé par l'Assédic
des Pays de la Loire, le 4 décembre 2003 au Château de
Goulaine.
[En DVD].
Table des matières
Sommaire
-------------------------------------------------------------------------------------
4
INTRODUCTION
----------------------------------------------------------------------- 5
PREMIÈRE PARTIE ~ CONTEXTUALISATION DE LA RECHERCHE
------- 9
Brève notion d'autobiographie
référencée ------------------------ 9
CHAPITRE PREMIER EXPÉRIENCES À L'ORIGINE DU SUJET
----- 14
I. La genèse d'un parcours
----------------------------------------------15
A. Un singulier départ
------------------------------------------------------------- 16
B. Cheminement d'un
ouvrier-élève------------------------------------------- 18
II.Un apprentissage dans l'action
-------------------------------------21
A. Une léproserie comme
fondation------------------------------------------- 21
1. Visées économique et socioéducative
------------------------------------------ 23
a. Une économie vivrière
------------------------------------------------------------------23
b. Un défi de resocialisation
--------------------------------------------------------------24
c. Création d'une école primaire
----------------------------------------------------------26
2. Des difficultés formatrices
------------------------------------------------------- 27
a. Des difficultés humaines
---------------------------------------------------------------27
b. Une formation au "métier d'homme"
-------------------------------------------------30
B. Alternances entre emplois et formations
--------------------------------- 33
1. De l'éducation spécialisée à
l'université---------------------------------------- 33
2. De l'enseignement secondaire à l'université
----------------------------------- 33
CHAPITRE 2 CONTEXTE UNIVERSITAIRE TRÈS COMPLEXE ---- 36
I. Le profil de l'université française
-----------------------------------38
A. Un héritage millénaire
--------------------------------------------------------- 38
B. Une organisation constituée
------------------------------------------------- 39
C. État des lieux général et enjeux
-------------------------------------------- 41
II.L'Université unique de Nantes
-------------------------------------43
A. Une personnalité bien ancrée
----------------------------------------------- 43
B. Un établissement très composite
------------------------------------------ 46
IIe PARTIE ~ UNE APPROCHE SYSTÉMIQUE DE LA
PROJECTION ---------49
CHAPITRE 3 POUR UNE ÉPISTÉMOLOGIE DE
RELIANCE------- 51
I. La logique disjonctive à
dépasser-----------------------------------51
A. Le paradoxe de nos sciences
----------------------------------------------- 51
B. Prise de conscience pour un changement
------------------------------- 54
II.Une vision plus globale et
reliante---------------------------------55
A. Changement de
paradigme-------------------------------------------------- 55
B. Appréhender la complexité
-------------------------------------------------- 57
C. Un projet de recherche reliant
---------------------------------------------- 58
CHAPITRE 4 PROBLÉMATIQUE DE PROJECTION COLLECTIVE -
62
I. Notions fondamentales de projet
-----------------------------------63
A. Les diverses origines du concept
------------------------------------------ 63
1. Retour à l'étymologie
------------------------------------------------------------- 64
2. Les différentes pensées
----------------------------------------------------------- 65
B. Pour une modélisation du
projet-------------------------------------------- 66
1. Les processus de
projection------------------------------------------------------ 66
a. Morphologie générale du projet
-------------------------------------------------------67
b. Projet-politique : du Fondement à la Finalité
----------------------------------------73
c. Projet-ingénierie : de l'Existant au Contenu
-----------------------------------------78
d. Projet-pragmatique : du Contenu au
Produit-----------------------------------------82
e. Modèle fonctionnel et tridimensionnel du
projet------------------------------------84
2. Une tentative de définition
------------------------------------------------------- 86
II.Le projet dans l'action
collective-----------------------------------90
A. Une problématique de l'action collective
--------------------------------- 90
1. Question de
coopération----------------------------------------------------------
90
2. Divergence des intérêts
----------------------------------------------------------- 92
B. Dans les contextes d'une université
--------------------------------------- 96
1. Articulation avec la tutelle
------------------------------------------------------100
2. Logiques des
composantes------------------------------------------------------104
3. Logiques
d'établissement--------------------------------------------------------105
IIIe PARTIE ~ LE CONTENU D'UN PROJET
D'ÉTABLISSEMENT----------- 111
CHAPITRE 5 DÉMARCHES MÉTHODOLOGIQUES ------------
112
I. Approches
méthodologiques--------------------------------------- 113
A. Analyse de contenu à l'aide d'Alceste
---------------------------------- 113
1. Analyse de contenu
--------------------------------------------------------------113
2. Principes du fonctionnement d'Alceste
---------------------------------------115
B. Préparation du corpus
------------------------------------------------------ 118
1. Échantillonnage
------------------------------------------------------------------118
2. Formatage du texte
---------------------------------------------------------------119
II.Questionnement de la recherche
--------------------------------- 120
A. Problématique du projet-contenu
---------------------------------------- 120
B. Nos
hypothèses---------------------------------------------------------------
121
CHAPITRE 6 EXPLORATION DU CONTENU D'UN PROJET ---- 123
I. L'élaboration du corpus
-------------------------------------------- 123
A. Description de l'objet
-------------------------------------------------------- 123
B. Ingénierie du contenu
------------------------------------------------------- 125
II.La structure du contenu
------------------------------------------- 133
A. Des éléments de diagnostic
----------------------------------------------- 135
B. Des objectifs
------------------------------------------------------------------- 136
1. De meilleures prestations
-------------------------------------------------------136
a. Des offres de qualité et plus visibles
------------------------------------------------ 136
b. Renforcement de la Valorisation
---------------------------------------------------- 137
2. Des acteurs de qualité
-----------------------------------------------------------138
a. Attraction des meilleurs
-------------------------------------------------------------- 138
b. Fidélisation par un accueil confortable
--------------------------------------------- 139
c. Mobilité
internationale----------------------------------------------------------------
139
C. Un
échéancier-----------------------------------------------------------------
140
D. Deux dispositifs de gestion
------------------------------------------------ 141
1. La démarche
projet---------------------------------------------------------------141
2. Des propositions de
GPEC------------------------------------------------------141
E. Mais avec quels moyens
?------------------------------------------------- 142
III. La portée discursive du document
-------------------------- 144
CONNAISSANCE ACTIONNABLE
---------------------------------------------- 148
CONCLUSION------------------------------------------------------------------------
153
INDEX DES AUTEURS
--------------------------------------------------------------------------------------------
158
INDEX DES FIGURES
--------------------------------------------------------------------------------------------
160
INDEX DES NOTIONS
--------------------------------------------------------------------------------------------
161
INDEX DES SIGLES
--------------------------------------------------------------------------------------------
162
BIBLIOGRAPHIE
---------------------------------------------------------------------------------------------------
163
L
A CONCEPTION D'UN PROJET
D'ÉTABLISSEMENT
ENTRE POLITIQUE, INGÉNIERIE ET PRAGMATISME
Ce mémoire porte sur le projet d'établissement, en
tant que dispositif d'anticipation opératoire, qui permet de
fédérer une équipe hétérogène.
En quoi le projet constitue-t-il un concept central dans la
gouvernance d'un établissement à une époque où
les contextes exigent de sortir de la routine pour concevoir
collectivement un avenir ambitieux mais réaliste ? Comment cet effort
d'intelligence collective se confronte-t-il aux problèmes complexes de
la coopération et de la divergence des intérêts ?
Enfin, quels sont les différents éléments constitutifs
d'un projet-contenu ? Ce dernier se présente comme le résultat
d'une ingénierie collective, tout en étant, également, le
potentiel des réalisations qui restent à mettre en oeuvre.
Dans
le cas d'un établissement d'enseignement
supérieur public, une démarche projet permet la
convergence des ses diverses composantes, ainsi que l'évolution vers
plus d'autonomie par rapport au ministère de tutelle. Ce qui explique,
entres autres raisons, son importance.
Ce sont autant d'éléments de réflexions
pour penser le développement de chaque organisation à
finalité socioéducative. Or, le devoir de répondre
à ses interrogations nous incombe collectivement. Chercher à
découvrir les éléments qui composent le
Projet-contenu constitue donc une façon de prendre part à
ce devoir. Ainsi, l'entrée par son processus de projection,
illustré par celui de l'Université de Nantes, se
présente comme une voie possible pour étudier le
fonctionnement d'un établissement. Espérons alors que la lecture
de ce volume pourra servir de catalyseur de réflexions aux
professionnels du champ socioéducatif. Mais elle peut aussi
être le point de départ d'une recherche des moyens pour
bâtir une nouvelle école adaptée aux besoins de notre
société.
Enfin, la connaissance du système éducatif exigera
toujours beaucoup d'investissements dans
la mesure où, pour citer Nelson Mandela, "Aucune
nation n'a d'avenir si elle ne forme pas sa jeunesse. Le pilier de la
société, c'est l'éducation."
Mots-clé : Anticipation, conception,
complexité, discours, établissement, éthique,
ingénierie, action collective, politique, projet, projet-contenu,
stratégie.
Simon MAMORY
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