La Littérature Hypertextuelle, analyse et typologie( Télécharger le fichier original )par Aurélie CAUVIN Université de Cergy Pontoise - Maitrise de lettres Modernes 2001 |
b) Le livre et l'hypertexte : complémentarité et paradoxe.Cette différenciation est certes intéressante mais elle ne rend pas compte des usages. En effet l'opposition au livre reflète une constante mais elle est aussi un paradoxe. · Une constante : l'opposition au codexLes auteurs s'inscrivent dans une continuité avec le livre malgré le contraste constant. Pour marquer cette rupture avec le livre classique ou plus précisément le codex les stratagèmes sont nombreux. A la lecture des titres, les auteurs s'accordent sur l'opposition au livre, permis par le support Internet, par exemple Xavier Malbreil, sous-titre sa nouvelle, « Je ne me souviens plus très bien, d'un certain livre », ou encore les premiers fragments de l'oeuvre de Renaud Camus, débute par « Ne lisez pas ce livre ». Cette opposition, reflète une volonté de briser la représentation classique du livre et du support papier. Pourtant Renaud Camus a débuté par le support papier, pour ensuite être mis en ligne, et enfin revenir en octobre 2000, au papier, lorsqu'il publie la première partie de Vaisseaux Brûlés, sous le titre : Ne lisez pas ce livre. Son oeuvre a pris le schéma suivant : du papier il est passé à la mise en ligne et donc l'informatisation, pour revenir ensuite au support « off ligne ». Concernant Renaud Camus l'oeuvre originelle a été P.A (petites annonces), publiée au éditions P.O.L en Mai 1997. Il la présente ainsi : « [Vaisseaux Brulés] énumère les 999 paragraphes de P.A.qui sont la structure originelle des Vaisseaux et tous les paragraphes qui s'y agrègent, à mesure de leur élaboration. Dans le répertoire comme dans le texte lui-même, les paragraphes d'origine ont des numéros simples (ex. 88, 134, 913, etc.) et ils se présentent en caractères ordinaires. Les paragraphes spécifiques à Vaisseaux brûlés ont des numéros plus complexes où figurent des tirets (ex. 68-7-1, 413-32-8-2-2, etc.). Le premier de ces numéros désigne le paragraphe de P.A. sur lequel ils se greffent. Les numéros et les noms des paragraphes répertoriés permettent un accès direct à ces paragraphes eux-mêmes »114(*) L'oeuvre de Renaud, d'un point de vue de l'écriture répond au principe d'écriture réécriture, de ce que Gérard Genette intitule l'hypertextualité. En effet si on reprend cette notion Vaisseaux brûlés constituerait l'hypertexte de P.A., qui serait son hypotexte. Pour inclure l'enchâssement des deux oeuvres, il a gardé les deux numérotations. Le lecteur ne peut ainsi lire l'une sans référence à l'autre. Un autre mouvement, peut-être paradoxal, est celui d'Anne-Cécile Brandenbourger, son oeuvre d'abord en ligne a été édité chez 00h00.com puis chez Florent Massot, qui détient les droits de la version papier. Dans un entretien elle répond à la question : « passez au papier n'est-il pas un paradoxe ? » ainsi : « Ce n'est pas une impossibilité, même si ce n'est pas une sinécure. En fait, la démarche est complexe, mais elle a un sens. Pour moi, elle consiste à expliquer, à montrer aux gens qui ne connaissent pas grand chose au monde du web, à quoi ressemble la littérature numérique. Pour la découvrir, certains ont encore besoin du papier. Il faut les apprivoiser en douceur, les guider, leur donner envie d'aller voir en ligne à quoi ressemble ce nouveau monde littéraire. » Le passage d'Internet au papier s'inscrit dans une démarche d'une littérature encore hésitante, qu'il faut faire découvrir aux lecteurs. Le support Internet permet en revanche une plus grande liberté de création. De plus la collection 2003 laisse libre choix au lecteur qui peut acquérir soit la version papier soit la version numérique. Dans son « mode d'emploi » de La malédiction du parasol, voici le stratagème qu'elle utilise et qui reflète l'envie de ne pas renier l'origine « web » de son oeuvre : « Quand vous rangerez ce livre avec vos autres bouquins dans votre bibliothèque, réservez lui une place à part, sur un coin d'étagère ensoleillé et, surtout, isolé. Car l'arrivée de La malédiction du parasol risque de semer le trouble dans vos rayonnages. Certains de vos livres, préférés toiseront le mien d'un oeil mauvais en l'accusant de ne pas être un vrai livre. Ils prétendront que sa place est ailleurs que dans votre bibliothèque et le prieront de dégager, de se jeter par terre une bonne fois pour toute. » 115(*), Les premières lignes de ce mode d'emploi, teinté d'ironie, voire de mesquinerie, à l'égard du papier, apparaissent comme un garde-fou. L'opposition de son livre au « vrai livre », l'inscrit, elle et son oeuvre, dans la nouveauté, dans l'avènement d'une nouvelle littérature, dont le support papier, au lieu d'être un paradoxe se veut une continuité. Les versions papiers et en ligne pour Anne Cécile Brandenbourger et Renaud Camus sont étroitement liées. Elles entrent justement dans cette envie d'évolution et de renouvellement de l'oeuvre, de compromis entre le papier et le web. D'autres auteurs cependant, comme Pierre de la Coste, emploie le mode hypertexte pour justement expliquer que le livre numérique n'est pas une opposition au livre mais qu'il en est justement un « véritable ». Dans Qui veut tuer Fred Forest116(*), qu'il présente lui-même comme un livre sans page, l'hypertextualité est au service du livre dit « classique ». Pierre de la Coste est à l'origine des idées d'un groupe de réflexion, Mélusine117(*), sur l'hypertexte. Sa démarche semble contradictoire avec les buts de l'association, voici comment il décrit son oeuvre : « En cliquant sur des liens hypertextes, le lecteur peut quitter le fil principal du récit pour suivre un personnage au regard particulier (il s'agit d'un chien qui livre ses commentaires sur la vie des humains, leurs conflits, leurs amours). A la fin du roman, on s'aperçoit que ces propos forment un véritable livre dans le livre que l'on peut lire (dans les versions électroniques) de bout en bout. 118(*)» Son livre est ainsi le reflet des débats à savoir si oui ou non l'hypertexte remet en cause le livre. Il serait plutôt, une continuité logique, de la littérature du XXe siècle, dans la lignée du nouveau roman, des surréalistes et de l'Oulipo. Internet ou le format PDF, comme l'expliquait Beat Suter n'est qu'un principe de renouvellement, d'évolution, comme support, mais le texte, le contenu reste inchangé. Cette littérature n'est pas considéré comme révolutionnaire en soit. Cette dynamique de complémentarité des supports transparaît également dans l'organisation, et dans la navigation du lecteur. * 114 Renaud Camus, Vaisseaux Brûlés [en ligne] : http://perso.wanadoo.fr/renaud.camus/presentation.html, 1998-2000 * 115 Anne Cécile Brandenbourger, La malédiction du Parasol, Paris, Florent Massot, (version papier), 2000, p 4 * 116 Pierre de La Coste, Qui veut tuer Fred Forest, [format PDF] Paris, 00h00.com, « collection 2003 ». * 117 Pierre de La Coste, www.melusine-transgraphe.asso.fr\ * 118 Pierre de La Coste , ibid. |
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