II. le
livre opposé à l'hypertexte : historique et
théorie
Ce qui a permis ici de regrouper sous ce titre la technologie,
la philosophie, et la critique est une volonté commune chez leurs
acteurs d'expérimenter de nouvelles formes et nouvelles méthodes
de pensée. Ainsi un trope commun à ces trois courants est la
déconstruction de la pensée et du discours qui se
concrétise dans la notion d'hypertexte. En effet l'hypertexte a pour
origine technologique des systèmes bien qu'utopistes, qui remettent en
cause la manière dont nous pensons, nous lisons et nous
écrivons. Dans les années 1990, un chercheur américain G.
Landow va mettre en évidence la proximité de pensée entre
les théoriciens de l'hypertexte et les critiques littéraires
français tels que Gérard Genette, Roland Barthes, ainsi que
de philosophes comme Derrida. Mais la théorie de la convergence de
Landow apparaît en tout premier comme éclairante pour expliquer
le tournant, la remise en cause du livre par l'hypertexte et l'Internet. Le
texte est considéré comme un réseau, une ouverture, une
déclosion, par opposition au livre classique.
La lecture, la critique, se trouve elle-aussi prise dans ce
réseau, ce rhizome peut-être. Les philosophes, les critiques
devant ce décloisonnement, cette ouverture tentent d'interpréter
Internet et le réseau hypertextuel avec une herméneutique, une
phénoménologie du réseau. Internet remet en cause un
certain nombre de concepts, de notions, la peur du réseau mondial. La
pluralité des représentations de lectures et d'écritures
relève manifestement des méthodes, des concepts propres repris
dans la notion de l'hypertexte. C'est pourquoi la définition de
l'hypertexte passe par des domaines comme la technologie, la philosophie, et
la lecture-écriture.
Dans un premier temps il est nécessaire de replacer
l'hypertexte dans son contexte historique et terminologique pour essayer de
comprendre comment il s'oppose avec le livre, dans un deuxième temps
l'écriture d'un hypertexte est à mettre en relation avec les
théories du texte telles que Barthes, Genette ou enfin Deleuze les ont
définies, dans un troisième temps le lecteur devient un
interlecteur, il est passé du statut de consulteur au statut
d'inter-acteur, internaute.
A. Aperçu historique de
l'hypertexte
1. Le rêve d'un texte
illimité
A l'origine de l'hypertexte se trouve une volonté de
remise en cause de la du discours linéaire. Il a permis de créer
des structures fondées sur l'analogie. De plus, derrière cette
notion se cache un rêve de l'illimité qui prend forme sous des
représentations comme une bibliothèque à l'échelle
mondiale, de méta-dictionnaire... Mais ces idées prennent
naissance avant même l'avènement de la technologie. Ainsi
l'hypertexte et ses fondateurs s'inscrivent dans la lignée de penseurs
comme Léonard de Vinci, Mallarmé, H. G. Wells pour ne citer que
ces quelques noms, soit pour l'interconnexion des textes entre eux, soit pour
l'idée d'un « Livre Unique », ou enfin d'une
encyclopédie mondiale. Ainsi Léonard de Vinci annonçait
déjà au XVe siècle dans ses prophéties le livre
comme un ensemble de pages à relier et à relire selon le
cheminement de la pensée : « Les choses disjointes seront
unies et acquerront par elles-mêmes une si grande vertu qu'elles
restitueront aux hommes leur mémoire : ce sont les feuilles de
papyrus, formées de lambeaux détachés et qui
perpétuent le souvenir des pensées et des actions
humaines. » De même Mallarmé en 1897
décrit dans la préface d' Un coup de dés jamais
n'abolira le hasard son projet de « livre
unique » : « [...] appliquer un regard aux premiers
mots du Poème pour que de suivants, disposée comme ils
sont ; l'amènent au dernier, le tout sans nouveauté qu'un
espacement de lecture. » En proposant l'idée d'une
encyclopédie mondiale, H. G. Wells décrit en 1936 dans une
conférence qui sera publiée en 1938, l'organisation d'un
réseau nerveux qui servirait à tisser des liens entre les
travailleurs intellectuels du monde grâce à un média
d'expression commun et à l'unité produite par la
coopération à la réalisation de ce projet commun
Chercher citation et oeuvre exacte
. L'idée de Wells est aujourd'hui reprise par la notion
d'hypertexte et d'Internet.
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