Chapitre 6
Comparaison et implications managériales et
stratégiques
Introduction
L'intérêt de l'utilisation concomitante du
modèle p-médian et du traitement du signal dans la recherche de
localisations ne vaut que si cette approche apporte des avantages
comparativement aux méthodes traditionnelles. Nous verrons ainsi
dans ce chapitre que rapidité et précision sont bien les
maîtres-mots de notre algorithme qui recèlent encore
d'autres richesses sur le plan managérial.
Il est à noter que les résultats fournis par
notre démarche rationnelle méritent tout de même
d'être analysés de manière qualitative. En effet, quelle
que soit la méthode utilisée, les sites préconisés
ont un caractère théorique et ne correspondent parfois
pas à des emplacements faisables. La (ou les) rue(s)
relevée(s) ne présente(nt) par exemple pas
forcément d'emplacements commerciaux disponibles à l'achat ou
à la location. Les quartiers urbains ne sont peut-être pas en
adéquation avec l'activité prévue ou encore les sites sont
peut-être déjà occupés par la concurrence. C'est en
particulier lors de l'examen qualitatif minutieux des sites que la
précision obtenue quant à la localisation
géographique prend toute son importance, comme nous le verrons.
D'autre part, une fois cette étape franchie et que certains
sites effectivement faisables ont été définitivement
sélectionnés, il convient d'apprécier la zone de
chalandise des futurs points de vente et escompter leur chiffre d'affaires
(voir chapitre I). Ce même chiffre d'affaires d'ailleurs, s'il n'est pas
à la mesure de l'investissement, est capable de remettre en cause
l'ouverture du point de vente. Là encore, nous verrons que notre
méthode
est capable dans la foulée, de fournir par voie de
conséquence ces informations stratégiques.
Nous allons dans un premier temps récapituler quel type de
résultats aurait été fourni par une méthode de
recherche de localisation plus classique.
6.1 Comparaison des résultats de notre
algorithme avec ceux des méthodes traditionnelles de construction et
de résolution du p-médian
Comme nous l'avons vu précédemment, le
problème p-MP est réputé appartenir à la classe
ardue des problèmes connus comme étant NP-complets655
ce qui signifie que le nombre de
solutions à examiner en théorie est pour n noeuds
et p magasins à localiser est de :
n!
p! (n -
p)!
Pour 10 000 noeuds et par exemple 5 points de vente
"bio" à placer, nous aurions ainsi 83
milliards de milliards de solutions à passer en revue (83
x 1016) ce qui est impossible avec les systèmes informatiques
actuels.
Avec un algorithme du type recherche de voisinage qui
consiste à choisir au départ une configuration de
manière aléatoire, puis à effectuer une résolution
du 1-médian au niveau de chaque noeud d'implantation et des noeuds
voisins, le nombre de solutions à étudier est au minimum
de p x (n - p) avant de tomber sur un optimum éventuel, soit dans notre
exemple
10000 x (10000 - 5) ou pratiquement 100 millions de
configurations tout de même. L'algorithme génétique
est lui, programmé de manière à ne suivre qu'un
nombre limité d'itérations (par exemple 200 dans notre
étude de localisation). Ceci dit, sa procédure de
recherche de localisation a tout de même pris 4 minutes environ pour 25
noeuds et 10 points
de vente à placer pour en fin de compte n'atteindre
qu'un résultat imparfait. Si l'on considère que la durée
du processus suit une loi linéaire par rapport aux
combinaisons possibles, chercher 5 localisations du même niveau
d'optimalité pour 10 000 noeuds reviendrait à attendre 2,5
milliards d'années ! Ainsi, les algorithmes classiques de
résolution du p-médian
se révèlent dans l'impossibilité de
résoudre ce problème pris tel quel.
655 KARIV O et HAKIMI S.L. (1979) An Algorithmic
Approach to Network Location Problems, Part 2: The p- médians", SIAM
Jounal of Applied Mathematics 37, 539-560.
En revanche, grâce au traitement du signal, le
problème se réduit très simplement à 25 noeuds
et 5 points de vente. L'ensemble des configurations
d'implantation étant alors limité à 10 626,
il serait même possible de les examiner toutes
d'une manière exhaustive en retenant la solution
générant la meilleure fonction objectif.
En pratique, les spécialistes de la localisation
réalisent beaucoup d'approximations pour simplifier et tout de
même réussir à construire le modèle p-médian.
Dans notre cas, l'Ouest parisien aurait été découpé
très certainement en communes de périphérie, en
arrondissements
ou en quartiers tels que tout simplement
Boulogne-Billancourt, Issy-Les-Moulineaux, Neuilly-Sur-Seine, Paris
7ème, Paris 15ème, Paris
16ème, Paris 17ème. Il aurait alors
été assez facile de répartir les clients potentiels
selon leur code postal dans telle commune ou tel arrondissement. Chaque
élément de ce découpage aurait comporté un noeud
placé au centre du secteur géographique : les professionnels
choisissent en général un centre géographique parlant
comme la mairie ou l'église, ce lieu étant d'ailleurs choisi par
l'IGN pour repérer le secteur à partir de ses coordonnées
géographiques. Les distances auraient ensuite été
calculées
à vol d'oiseau et chaque noeud aurait reçu le
poids lié au nombre de clients potentiels habitant dans le secteur
correspondant. La chose se complique quand le découpage ne s'identifie
pas à des communes ou à des arrondissements bien
définis mais à des cellules plus petites (ex. quartier ou
pâté de maisons) ou encore à des zones à
cheval sur deux communes ou arrondissements: pour pouvoir exploiter la base
de données de Consodata par cette méthode classique, il aurait
alors fallu prendre tout à tour chacun des 10 000 clients et
l'affecter
manuellement à telle ou telle cellule ce qui constitue une
tâche herculéenne.
Dans le cas, le plus simple, on aurait eu :
?
|
un noeud pour
|
Boulogne-Billancourt
|
avec un poids de
|
1732
|
clients potentiels
|
?
|
un noeud pour
|
Issy-Les-Moulineaux
|
avec un poids de
|
952
|
clients potentiels
|
?
|
un noeud pour
|
Neuilly-Sur-Seine
|
avec un poids de
|
398
|
clients potentiels
|
?
|
un noeud pour
|
Paris 7ème
|
avec un poids de
|
517
|
clients potentiels
|
?
|
un noeud pour
|
Paris 15ème
|
avec un poids de
|
3456
|
clients potentiels
|
?
|
un noeud pour
|
Paris 16ème
|
avec un poids de
|
1087
|
clients potentiels
|
?
|
un noeud pour
|
Paris 17ème
|
avec un poids de
|
2069
|
clients potentiels
|
soit 7 noeuds et 10 211 clients potentiels au total.
En tenant compte des coordonnées des mairies
d'arrondissement et des communes de périphéries ainsi que du
prix de l'immobilier commercial, les paramètres des 7 noeuds à
entrer dans le modèle p-médian seront alors :
|
|
|
|
Commerciale au m²
|
1- Boulogne-Billancourt
|
1732
|
336
|
1549
|
15000
|
2- Issy-les-Moulineaux
|
952
|
788
|
1880
|
14615
|
3- Neuilly-sur-Seine
|
398
|
837
|
380
|
20000
|
4- Paris 7ème
|
517
|
1467
|
996
|
25081
|
5- Paris 15ème
|
3456
|
1255
|
1442
|
17443
|
6- Paris 16ème
|
1087
|
858
|
1001
|
21622
|
7- Paris 17ème
|
2069
|
1440
|
339
|
16453
|
Noeud Poids X Y Prix Surface
Tableau 6.1 - Analyse des arrondissements et des communes
appartenant à la zone étudiée
La mise en oeuvre de l'algorithme flou ou des coefficients de
Lagrange nous donne pour une localisation à placer, logiquement le plus
gros noeud également le plus central soit le noeud 5
(15ème arrondissement) et pour deux localisations
à placer les noeuds 5 et 7 en adéquation avec notre algorithme
qui conseillait de situer les deux magasins dans les
15ème et le 17ème
arrondissements.
Pour 3 magasins à placer, la résolution du
modèle p-médian nous indique les noeuds 1
(Boulogne-Billancourt), 5 (15ème arrondissement) et
7 (17ème arrondissement) : là encore, les
noeuds indiqués correspondent à ceux de notre
algorithme (aires 1, 10 et 18).
En revanche, pour 4 localisations, cette méthode
nous indique les noeuds 1 (Boulogne- Billancourt), 5
(15ème arrondissement), 6 (16ème
arrondissement) et 7 (17ème
arrondissement) : l'algorithme trop simpliste met en avant un nouvel
arrondissement, le 16ème, où réside
peu de potentiel alors qu'il y avait finalement possibilité de placer un
deuxième point de vente plus porteur à l'Ouest du
17ème arrondissement. Le 17ème
arrondissement a cela de particulier en effet qu'il compte
pratiquement le double de clients potentiels comparé au
16ème et que d'une forme longiligne, il est en
quelque sorte scindé en deux, avec à l'Ouest les beaux
quartiers
(avenue de la Grande Armée / Ternes) et bien plus à
l'Est des quartiers plus modestes (Guy
Môquet / Batignolles).
Nombre de points de vente à placer Noeuds solutions
2 5, 7
3 1,5, 7
4 1, 5, 6, 7
Tableau 6.2 - Noeuds solution avec un p-médian
classique
La méthode classique du p-médian a ici
ignoré cette répartition du 17ème en deux
pôles et a tout amalgamé. Notre algorithme au contraire a
respecté les frontières naturelles des aires de chalandise en
détectant les deux concentrations de clients potentiels et les
opportunités d'implantation. La méthode classique du
p-médian a le fort inconvénient de nécessiter le
jugement subjectif du manager qui doit lui-même découper
les secteurs en fonction de sa logique toute personnelle.
|
Noeuds solutions
|
Nombre de points de vente à placer
|
P-médian classique
|
Notre algorithme
|
2
|
15ème, 17ème
|
Paris 17ème Epinettes, Paris 15ème
Grenelle
|
3
|
ème ème ème
15 , 16 , 17 ,
Boulogne-Billancourt
|
Paris 17ème Epinettes, Paris
15ème Grenelle, Boulogne-Billancourt
|
4
|
ème ème
15 , 17 , Boulogne-
Billancourt
|
Paris 17ème Epinettes, Paris 15ème
Grenelle,
Boulogne-Billancourt, Paris
17ème Ternes
|
Tableau 6.3 - Comparatif des résultats entre notre
algorithme et l'utilisation classique du p-médian
L'algorithme à base de traitement du signal que
nous utilisons, détecte lui-même les aires
intéressantes sans introduire ce biais. Ce dernier ne s'arrête pas
là : comme nous l'avons vu, il
va se concentrer, sur les aires intéressantes,
dans une seconde phase pour y rechercher de manière plus
précise les emplacements les meilleurs, étape qu'ignore
totalement la méthode classique. Cela étant dit, les
résultats fournis ne dispensent pas le manager de leur analyse et
de leur interprétation qui doit en particulier tenir
compte de la présence de concurrents sur le terrain et des conditions
passées de leur implantation. C'est ce type d'analyse que nous allons
réaliser dans le chapitre suivant à partir des données que
nous venons de décrire.
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