I.3. L'Initiative PPTE : fondements théoriques
Au-delà des revendications d'ordre éthique
(devoir de solidarité mondiale, Jubilé 2000) qui ont
plaidé en faveur de l'adoption de l'Initiative PPTE, cette
dernière repose sur des théories à la fois
économique et juridique.
I.3.1. Fondement économique de l'Initiative
PPTE
Face aux problèmes de l'endettement endémique
des pays du sud, plusieurs méthodes issues de la « théorie
de l'excès d'endettement » ont été envisagées
et expérimentées pour ramener le niveau de dette de ces pays
à de niveaux soutenables, solvables. Au nombre de ces méthodes
figurent le rééchelonnement et la conversion.
Le rééchelonnement de la dette consiste pour un
créancier à consentir à son débiteur le report,
à une date ultérieure, du paiement des termes échus du
service de la dette. Il en résulte une diminution immédiate du
service de la dette mais une augmentation au total de son montant selon la
méthode dite du « chasse-neige ».
La conversion quant à elle consiste à
transformer les titres de créances en éléments d'actifs ou
en dette interne. Connue sous le terme anglais « swap » qui signifie
échange, cette opération consiste pour un Etat endetté
à obtenir de rembourser sa dette en monnaie locale à condition
que les sommes remboursées soient réinvesties dans le pays.
La conversion de la dette peut s'effectuer contre actifs
locaux (actions, obligations) ou en projets de développement.
La conversion de la dette contre actif implique
généralement le rachat de la dette avec décote par un
investisseur qui l'échange contre des fonds en monnaie locale
utilisée pour acheter des actifs ou titres privés.
La conversion de la dette en programmes de
développement implique également son rachat avec décote
sur le marché secondaire et son échange en monnaie locale en vue
de financer des projets de développement en actions sociales : projets
environnementaux, éducation, santé, lutte contre la
pauvreté.
A l'issue de cette exploration des méthodes
économiques de traitement de dette, il apparaît que l'Initiative
PPTE relève de la conversion, plus précisément de la
conversion de la dette en programmes de développement.
Après avoir rencontré une forte opposition chez
les créanciers, c'est à la fin des années 1980 que cette
pratique prend effet à la faveur de la prise de conscience par les
créanciers que l'abandon partiel de créance ne recouvre pas un
acte de générosité mais de réalisme
économique, dans la mesure où ils reconnaissent qu'en situation
de surendettement, faute de contrepartie, la valeur réelle d'une
créance est inférieure à sa valeur nominale. Cette prise
de conscience prend sa source dans une analyse de l'américain Krugman
qui, s'inspirant d'un modèle popularisé par son collègue
Laffer en matière de taux de prélèvement fiscal,
relève qu'au-delà d'un certain niveau, l'augmentation nominale de
la dette du débiteur souverain s'accompagne d'une diminution de sa
valeur réelle. Dans cette situation, préconise-t-il, un
traitement efficient de l'endettement des pays nécessite une
réduction du montant nominal du passif afin d'accroître la valeur
marchande courante des remboursements futurs. En d'autres termes, un effacement
de tout ou partie de l'endettement global du débiteur souverain s'impose
au moyen des procédés de capitalisation ou de rémission
des dettes. C'est sous cet angle théorique que peut être
économiquement comprise l'Initiative en faveur des pays pauvres
très endettés. Cette Initiative a également un fondement
juridique.
I.3.2. Fondement juridique de l'Initiative
PPTE
Le problème de l'endettement fait également
l'objet des analyses juridiques. Il y est reconnu que des changements sensibles
d'orientation dans la conjoncture économique générale
(ralentissement de la hausse des prix et des affaires) peuvent hausser le poids
de la charge courante et future des annuités d'emprunts, à tel
point que le débiteur se révèle être dans
l'incapacité immédiate et/ou à venir d'en assurer le
remboursement. Cette défaillance du débiteur, reconnaît
l'analyse juridique, ne relève pas de son incompétence ou de sa
malhonnêteté, elle trouve plutôt son origine dans la crise.
Et dans cette situation, la morale des relations entre les sujets au lien
d'obligation, mais aussi l'intérêt même du créancier
au rétablissement de son débiteur (afin que se poursuivent au
mieux leurs relations d'affaires), condamnent l'exécution du contrat
selon ses modalités initiales. Il s'impose alors la
nécessité d'un réaménagement qui requiert la
participation des créanciers. Cette participation se traduit par
l'ouverture des pourparlers entre les parties qui s'accordent sur la
nécessité de maintenir entre elles un rapport obligatoire tout en
recomposant la substance de l'endettement du débiteur dans des termes
correspondant à ses nouvelles capacités de remboursement. La
dette acquiert alors le statut d'objet de négociations à l'issue
desquelles les parties concluent des conventions définissant de
nouvelles prestations financières à la charge du débiteur.
Ainsi, la recomposition de l'endettement assure la poursuite des relations
d'affaires entre le débiteur et ses créanciers tout en permettant
aux seconds de recouvrer une partie de leurs droits et au premier de se
libérer en exécutant des prestations
réaménagées.
Cette recomposition de l'endettement s'inscrit, sur le plan
technique, dans deux sortes de contrats, ceux qui impliquent l'extinction des
rapports d'obligation originels sous l'effet d'une novation de l'endettement et
ceux qui maintiennent les liens de droit initiaux en opérant une simple
modification de l'endettement.
La novation est une mutation de l'obligation qui
s'opère soit par changement de créancier, soit par changement
d'objet, voire par changement de modalités. Par changement de
créancier, la novation a pour effet de faire payer la créance due
par le débiteur à un créancier autre que celui qui avait
noué le rapport d'obligation. Par changement d'objet, elle a pour effet
de remplacer l'ancienne créance par une nouvelle ayant un objet
différent.
L'Initiative PPTE semble conduire à ces deux niveaux
de la novation. D'une part, le mécanisme de l'Initiative PPTE met
à la charge du débiteur une obligation de conversion de la dette
de sommes d'argent initialement dues en obligation de développement.
D'autre part, cette obligation de développement a pour créanciers
les populations du pays débiteur et non plus les créanciers
prêteurs.
La modification de l'endettement renvoie au concordat. Il
s'agit d'une convention à caractère collectif par laquelle
l'Assemblée générale des créanciers chirographaires
d'un débiteur en règlement judiciaire lui accorde soit les
délais de paiement (concordat d'atermoiement), soit des remises d'une
fraction uniforme de chacune de ses dettes chirographaires (concordat de
remise), soit simultanément des délais et des remises.
Les remises de dette dans le cadre du concordat ne peuvent
être assimilées aux remises de dette proprement dites qui sont
purement volontaires. De plus, leur soumission à une acceptation de la
part du débiteur n'enlève rien au contexte judiciaire dans lequel
elles s'inscrivent et qui est étranger à la remise de dette. En
outre, l'intention libérale qui fonderait la remise de dette y serait
absente. Les créanciers n'agissent que dans leurs intérêts
et ne cherchent qu'à sauver une partie de leurs droits, en autorisant la
poursuite de l'exploitation commerciale par le débiteur. Les remises de
dette consentie dans le cadre de l'Initiative PPTE s'inscriraient dans un
contexte marqué par le souci des créanciers de sauver une partie
de leurs engagements de solidarité. Ils auraient ainsi par le truchement
de l'Initiative PPTE partiellement résolu la question de l'aide aux pays
en développement.
A l'issue de l'analyse de l'Initiative PPTE en rapport avec
les dispositifs de traitement de la dette, il apparaît qu'elle a un
fondement juridique. Elle est pleinement fondée sur la novation de
l'endettement et légèrement sur le concordat. Il en ressort
qu'elle constitue un devoir de solidarité de la part des
créanciers.
En effet, à travers ses aspects et ses objectifs
fondamentaux, l'Initiative PPTE apparaît comme un instrument de
conquête des droits économiques et sociaux. Le droit à
l'éducation et à la santé, l'accès à l'eau
potable, à un logement décent ou encore aux infrastructures de
base constituent ce que l'on appelle les services sociaux essentiels. Il s'agit
en droit, des besoins fondamentaux et nécessaires à la
dignité de tout être humain. Le constat que ces droits font
défaut dans les pays pauvres très endettés justifierait
également cette initiative en faveur desdits pays. Il y donc lieu
d'affirmer que la réduction de la pauvreté qui est l'objectif
final de l'Initiative PPTE s'inspire largement du souci de procurer ou de
renforcer le minimum social aux populations des pays pauvres très
endettés. L'Initiative PPTE est donc également fondée sur
le souci d'humanisation du monde à travers la réduction des
inégalités économiques criardes.
En définitive, l'Initiative PPTE a des fondements
à la fois économiques et juridiques, lesquels fondements
permettent l'intelligibilité de la remise de la dette dans le cadre de
ladite Initiative. Comment s'opère cette Initiative ?
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